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Le sucre rouge de Duplessis
Le sucre rouge de Duplessis
Le sucre rouge de Duplessis
Livre électronique291 pages4 heures

Le sucre rouge de Duplessis

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À propos de ce livre électronique

Jamais un Premier Ministre québécois n’a suscité autant d’intérêt que Maurice Duplessis. Son règne a été étudié, analysé, raconté de long en large, immortalisé dans des publications écrites par des historiens, des journalistes, des collaborateurs, des opposants, des amis, des ennemis.  Mais jusqu’à maintenant, personne ne s’était penché sur son rôle dans l’industrie du sucre au Québec, ni sur la manière dont il a délibérément réussi à la saboter. Alors que l’inflation fait un bond de 60% entre 1946 et 1962, cette industrie aurait pu à elle-seule assurer la prospérité de la province dans cette période où elle en avait tant besoin.  Du moins, en théorie.  Mais à cause de manigances et politicailleries de l’Union Nationale, nous ne le saurons jamais.
Rencontrez Louis Pasquier, ingénieur agronome français que l’on fait venir au Québec dans le but de sauver l’industrie du sucre de betteraves. Et que l’on détruisit ensuite pour avoir commis le crime d’y être parvenu.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Stéphane Lussier Johnson est un auteur québécois. Il a été longtemps auteur de bandes dessinées dans divers journaux et magazine de 1988 à 2008, majoritairement sous le nom de plume  «Steve Requin ». Il est l'arrière petit-neveu de l'historien et homme de Lettres Ægidius Fauteux (1876-1941). Et il y a 25 ans cette année, il a écrit ce qui deviendra le premier texte viral québécois d’internet, une liste de noms de famille composée qui font d’amusants jeux de mots.
LangueFrançais
ÉditeurTullinois
Date de sortie11 mai 2023
ISBN9782898093111
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    Aperçu du livre

    Le sucre rouge de Duplessis - Stéphane LUSSIER JOHNSON

    Laurent Barré

    E_LaurentBarre_2

    Laurent Barré, Ministre de l'Agriculture

    Photo : Gaby (Gabriel Desmarais)

    Source BANQ, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 06M,P795, S1,D3040

    Maurice Duplessis

    E_MauriceDuplessis_2

    Maurice Duplessis

    Premier Ministre du Québec

    Photo: Roger Bédard. Collection Centre d'archives de Québec, 03Q,P1000,S4,D83,PD94

    Introduction

    Québec, début de février 1951.

    Aujourd’hui se déroule la réunion du cabinet sous la direction du Premier Ministre Maurice Duplessis. Les ministres sont tous là, autour de la table, à faire un à un leur rapport annuel au Chef. Et Duplessis d'y aller de ses commentaires encourageants à chacun.

    Puis, vient le tour de Laurent Barré, Ministre de l’Agriculture. Grand homme maigre, Barré a tout du vieil intellectuel, avec ses grandes lunettes, ses cheveux blancs bien lissés et son costume toujours bien pressé. Tout comme ses collègues, il consulte ses notes et documents. Il donne à son chef un survol général de la situation de l’agriculture du Québec, allant de la production de blé aux affaires reliées au bétail, aux œufs et produit laitier. Mais Duplessis, lui, ne s'intéresse qu'à une chose.

    « Pis la Raffinerie de Sucre de Saint-Hilaire?»

    Et Barré, hésitant, de lui répondre timidement.

    « Oui, ben, j'aimerais mieux pouvoir en discuter tantôt... En privé.»

    Duplessis est amusé. Il s'imagine connaître les raisons de l'embarras de son ministre. Aussi, il s'empresse de le rassurer.

    « C'est correct, Laurent! Tu peux nous le dire. Regarde, c'est pas de ta faute, si la raffinerie à’ perd de l'argent. C'est normal, c'était un projet des Rouges. Ton Français, là, y'a ben réussi à remonter un peu les affaires, mais ça pouvait pas durer. T'sais, dans le fond, qu’est-ce qu'y s'y connait, lui, hm? Y neige quasiment jamais en France. Y' peut pas comprendre comment ça marche icite, la culture, avec notre climat pis nos terres. Fa que, envouèye! Dis-nous lés, tes chiffres.»

    Laurent Barré n'a pas le choix. Il s'exécute. Et le terme est bien choisi car il se sent comme s'il marchait au peloton d'exécution. Il ouvre sa chemise à dossier et y trouve le rapport rédigé par Louis Pasquier, agronome français et gérant de la Raffinerie de Sucre de Saint-Hilaire. Contemplant le chiffre du bilan, il fait un léger soupir.

    « Neuf-cent mille piastres.»

    Les ministres autour de la table grimacent en entendant ça. Sauf Duplessis qui arbore au visage un air calme, légèrement souriant, démontrant une attitude paternaliste compréhensive. Assis à la droite de Barré, Onésime Gagnon, Trésorier Provincial (Ce n’est qu’en 1952 que ce titre sera modifié pour devenir ministre des finances.) lui dit: 

    « Ouf! Tout un déficit, ça, mon homme!»

    « Non! » Lui répond Barré. « Neuf-cent mille... De profit!»

    Ce n’est pas du tout ce à quoi Gagnon s’attendait à entendre. Les autres non plus, d’ailleurs. Pendant deux ou trois secondes, c'est le silence total parmi les vingt ministres attablés. Puis, on entend des commentaires sur un ton stupéfait.

    « Hein!?»

    « T'es-tu sérieux?»

    « Pour vrai?»

    « Woah!»

    « Bravo, mon Laurent! Tu m'épates!»

    Impressionné, son voisin d'en face commence à applaudir, suivi par la majorité des autres ministres qui tapent des mains, ou bien de la paume sur la table. Ces effusions sont aussitôt interrompues par la voix tonnante du Premier Ministre.

    « T’ES-TU MALADE? »

    Saisis de surprise, tous s’interrompent et se retournent vers leur chef qui commence à engueuler son Ministre de l’Agriculture.

    « Y’a deux ans, j’ai promis à mon ami McConnell que j’allais fermer la raffinerie. Mais pour que le peuple accepte ça, y fallait juste montrer que la raffinerie continuait d’être dans le trou. Pis là, juste à partir du moment où je te demande de prolonger le déficit, le déficit disparait? Pis là, comme si ça suffisait pas, v’là que c’t’année, tu me pitches neuf cent mille piastres de profit? Pis si ça avait pas été de toutes les problèmes qu’on y a causé avec main-d’œuvre d’infirmes pis des sabotages pis des réparations, y nous aurait ben pitché un million de profit, c’te maudit français-là. UN MILLION! Ça a pas de maudit bon sens. »

    Ne comprenant pas les motivations de son chef, l’un des ministres intervient, pour se faire aussitôt couper la parole par un Duplessis rageur.

    « Ben voyons donc, Maurice. Un million de profits dans nos coffres…  Pourquoi tu voudrais fermer… »

    « Toé, tais-toé! »

    Le ministre se tait. Comme tous ses collègues réunis à table, il sait ce qu’il en coûte de contrarier Le Chef. Barré reprend parole.

    « Écoute Maurice! On a essayé! J'ai tout essayé! Y'a rien à faire. Pasquier, il est juste trop...»

    « Trop quoi? Trop compétent? T’es le Ministre de l’Agriculture. C’EST TOÉ, SON BOSS! T’as toute les pouvoirs requis pour y mettre les bâtons d’ins roues. Pis t’es même pas capable de faire ça? Fa que, c’est quoi que chus supposé comprendre icite? C’est-tu lui qui est trop compétent? Ou ben c’est toé qui l’est pas assez?»

    Laurent Barré reste silencieux. Pendant quelques seconds, Duplessis le regarde d’un air méfiant.

    « T’essayes-tu de me saboter? »

    « Voyons, Maurice! »

    « Parce que t’sais, j’m’en rappelle encore, de ce tu pensais de moé, y’a dix-huit ans, quand t’étais encore un député indépendant. Tu disais : « Toujours, Duplessis a voulu nous empêcher de prêcher des réformes telles que les pensions aux vieillards, le secours aux mères nécessiteuses, le salaire minimum, etc, etc. » T’avais écrit ça à Camilien Houde en ’33, quand qu’y’était encore contre moé. Tu t’en rappelles? »

    « Oui. »

    « Pis quand t’es venu me voir après ça, en ‘37, en me demandant de te prendre dans mon équipe… J’t’en ai-tu tenu rigueur? »

    « Non, Maurice. »

    « Non, hein? Pis non seulement j’ai pas été rancunier, j’ai pris des risques. Je t’ai pris, toé, un gars qui a même pas étudié plus loin que son école primaire… Pis j’ai faite de toé mon Ministre de l’Agriculture. C’est certainement pas les Rouges qui se seraient montrés aussi généreux. »

    Laurent Barré ne dit rien, mais il prend tout de même cette remarque comme une gifle. En fils de cultivateur, sa famille n’avait pas les moyens de lui payer de hautes études. Ça ne l’a jamais empêché de s’instruire par lui-même dans les bibliothèques publiques. Hélas, il a beau être autodidacte, il a beau avoir fait maintes fois la preuve de son intelligence, de sa culture et de sa connaissance des lois pour se rendre là où il est, il y en a toujours qui vont le rabaisser en ramenant sur la table son manque d’éducation. Comme la presse de l’opposition qui, souvent, va le qualifier de parvenu. Le fait que cette fois-ci ça vient de son chef, c’est encore plus blessant. Se montrant faussement débonnaire, Duplessis ajoute :

    « Je comprends que ça doit te mettre ben d’la pression, d’être le seul sur les vingt ministres de ton parti à pas avoir eu de diplôme. Moé’ssi, à ta place, je serais porté à vouloir faire mes preuves auprès d’eux-autres. Et quelle meilleure preuve de ta compétence que de montrer que t’es capable de transformer un déficit de quat’-cent mille piastres en profit de neuf-cent mille, hm? Chus sûr que ça t’a fait du bien en d’dans, hm? Dix-huit ministres qui ont toutes leurs diplômes… Du monde qui sont allés à Concordia, McGill, Yale… Des avocats, des notaires, des docteurs… Et toute c’te beau monde-là, qui t’applaudissent, toé! »

    Le visage naturellement pâle de Laurent prend une teinte rouge sous le sentiment de honte que lui apportent les paroles de son chef. Si au moins ça avait pu être en privé, après la réunion, comme Laurent l’a suggéré. Mais non, Duplessis ne fonctionne pas comme ça. Ami comme ennemi, allié comme opposant, s’il a un reproche à faire à quelqu’un, il ne manque jamais l’occasion de l’humilier publiquement.

    « Mais là, y’a une affaire qu’y faut pas que t’oublies, mon gars. T’es pu un candidat indépendant. C’est pu pour toé que tu travailles. C’est pour moé! C’est pour l’Union Nationale. Pis ton p’tit exploit, là, y’est peut-être bon pour toé. Mais y’é pas bon pour moé. Pis si c’est pas bon pour moé, c’est pas bon pour l’Union Nationale. Pis c’qui est pas bon pour l’Union Nationale, c’est pas bon pour le Québec. J’ai-tu besoin de t’expliquer davantage? »

    « Non, Maurice. »

    Duplessis se lève de son siège. Doucement, il contourne la table, se rapprochant de Barré.

    « T’es pas un gars indépendant, hm? T’es un joueur d’équipe. »

    « Oui, Maurice. »

    « Ben là, pour le bien de l’équipe y’en faut pu, des p’tits exploits de c’te genre-là. Tu m’as-tu ben compris?»

    « Oui Maurice. »

    « Tsé, c’est pas parce que tu t’appelles Laurent Barré que t’es de « l’or en barre, eh!? »

    Quelques ministres ricanent en douce, bien plus par signe de soumission envers leurs chef que par amusement sincère. Ce n’est un secret pour personne que Duplessis adore faire des jeux de mots, surtout avec les noms de ceux qu’il aime rabaisser. Il est donc de bon ton de flatter son ego en lui démontrant que l’on apprécie les mots d’esprit qu’il est si fier de lancer. Duplessis, maintenant debout derrière Barré, met ses deux mains sur le dossier de la chaise où repose ce dernier. Il se penche, portant sa bouche près de l’oreille de son Ministre de l’Agriculture. Il baisse la voix comme s’il voulait lui confier un secret. Il parle néanmoins assez fort pour s’assurer que tous les ministres attablés l’entendent.

    « Pis de toute façon… Le reste de l’équipe y l’savent pas, eux-autres, mais nous deux on l’sait ben que c’est pas TON exploit qu’ils ont applaudi, tantôt, hm? C’est celui de ton français. Pass’que toé, ça m’fait ben d’la peine de t’dire ça, mais entre toé pis moé, on l’sait ben que t’aurais jamais été capable de réussir à faire ça. »

    Dire de telles bassesses en public tout en parlant comme s’ils étaient seuls. Duplessis ne cache ni son hypocrisie ni sa mesquinerie. Pourquoi le ferait-il? Loin de lui nuire, ces traits de caractères l’ont toujours aidé à renforcer sa position de chef, car ils répandent la peur autour de lui. Personne ne veut prendre le risque d’être la cible d’un homme aussi impitoyable, qui ne recule devant rien pour trainer dans la boue quiconque ayant eu le malheur de lui déplaire. S’opposer à Duplessis, ça équivaut à un suicide de carrière. On ne défie pas impunément Le Chef.

    En tapotant l’épaule de Barré, Duplessis se redresse.

    « J’aimerais ben ça croire le contraire, mon Laurent. Quand je t’ai pris dans mon équipe, j’avais confiance en toé. J’avais confiance en tes capacités. Mais là, comment tu veux que j’crèye que t’es capable de réussir, quand t’es même pas capable de réussir… à échouer? »

    Barré garde le silence. Son sentiment de profonde humiliation n’a d’égal que la colère qu’il ressent de se faire ainsi insulter à répétition devant ses collègues. Duplessis repart et se dirige vers les portes de la salle.

    « R’garde ben, mon Laurent… J’te demande pas grand’ chose. Montre-moé juste que j’me suis pas trompé en te faisant confiance. Montre-moé que t’es vraiment un joueur d’équipe. Un qui est capable de mettre ses propres intérêts personnels de côté pour le bien des intérêts de son parti. Un qui a vraiment à cœur l’Union Nationale. Penses-tu que t’es encore capable de faire ça? »

    « Oui Maurice. »

    Duplessis agrippe la poignée de porte et l’ouvre bien grand. Puis, se tournant vers ses ministres attablés, il désigne de sa main libre l’ouverture donnant sur le corridor.

    « Ben vas-y! Fais-lé! »

    N’ayant d’autre choix, Barré obéit. Il ramasse ses dossiers et se lève de table. Rouge de honte et de colère, il se dirige vers la porte que lui tient Duplessis, en ressentant tout le poids des regards de ses collègues. Au moment où il franchit celle-ci, l’un des ministres dit à son voisin de table :

    « Tu vois-tu ce que Maurice vient de faire? »

    « Euh… Non, quoi? »

    « Il « l’a rembarré! »

    Surpris d’entendre un nouveau jeu de mots avec « Laurent Barré », Duplessis part à rire. Aussitôt, en bons petits chiens fidèles qui suivent la voix de leur maitre, les autres ministres rient à leur tour. Un rire dont l’écho résonne dans le corridor où un Laurent Barré aussi frustré que furieux marche d’un pas rageur jusqu’à la porte de son bureau. Il la franchit promptement et la referme derrière lui.

    Fulminant, Laurent s’installe à sa table de travail devant sa machine à écrire. Là, ça va faire, le niaisage. Finies, les tentatives hypocrites de saboter le travail de la raffinerie. Finis, les coups en douce. Finies, les manigances à n'en plus finir. Finis, les pièges élaborés. Finis les détours. Cette fois, il va régler le problème directement. Il entre du papier à en-tête de son ministère dans sa machine et il compose furieusement une lettre de congédiement à l’intention de Louis Pasquier, gérant de la Raffinerie de Sucre de Saint-Hilaire. Pas d’explications. Pas de justifications. Rien! Juste un avis de renvoi prenant effet immédiatement, au moment de la réception de celui-ci. Et tant pis si on ne sait pas quoi dire pour s'en justifier. On inventera bien quelque chose plus tard. Ce qui compte pour le moment, c'est de se débarrasser au plus vite de ce maudit français.

    Mot de l’auteur

    Si l’introduction que vous venez de lire fut écrite à la manière d’un roman ou d’une scène de film, c’est normal puisqu’il s’agit de fiction. En réalité, il n’existe aucune note ni retranscription de cette rencontre. Il nous est donc impossible de savoir ce qui s’est vraiment passé ni de ce qui s’est dit ce jour-là. Mais si cette introduction est inventée, elle n’en demeure pas moins le reflet de la réalité. Elle est fidèle à la personnalité des gens impliqués, à leurs vocabulaires, aux événements qui se déroulaient à ce moment-là, et à leurs sentiments face à ceux-ci. Mais surtout, elle annonce le sujet du livre : la création et le sabotage de l’industrie du sucre au Québec sous le régime de l’Union Nationale de Maurice Duplessis. Et contrairement à l’introduction, les faits qui vont suivre à partir d’ici seront à 100% historiques et vérifiables.

    Il y a quelques années, j’ai créé sur Facebook une page nommée Autour du Mont-Saint-Hilaire d’autrefois. J’y publie régulièrement des textes et des images du 20e siècle au sujet des sept villes qui entourent le Mont-Saint-Hilaire, c’est-à-dire les villes de Beloeil, McMasterville, Otterburn Park, Saint-Jean-Baptiste, Saint-Hilaire, Sainte-Madeleine et Sainte-Marie-Madeleine. À l’été de 2019, j’y reçois un message privé de la part de Michel Cormier. Il est le petit-fils de Louis Pasquier, un français qui est arrivé au Québec avec sa famille en 1946 pour prendre en charge la direction de la Raffinerie de Sucre de Saint-Hilaire. Une de ses nièces, membre de ma page, l’avait reconnu sur des photos de mon album de la raffinerie. Elle a immédiatement attiré l’attention de Michel sur ces images qui étaient inédites dans leurs albums de famille.

    Depuis 1995, Michel et son frère François parcourent les bibliothèques, écrivent des lettres au gouvernement, fouillent des archives de journaux, contactent des historiens, tout ça dans le but de trouver le plus de renseignements possible au sujet de leur grand-père. Mais rendu en 2019, malgré tous leurs efforts, la récolte de documents restait maigre.

    Le but premier de cet exercice, me confie Michel, est de réhabiliter la mémoire de cet homme qui a tant fait pour le Québec, mais qui a été trahi, bafoué, et qui a vu sa réputation se faire trainer dans la boue de manière aussi injuste que malhonnête. C’est que sur une période de douze ans, Maurice Duplessis à maintes fois affirmé en Chambre et aux journalistes que jamais une industrie de sucre de betteraves ne pourrait fonctionner au Québec. Lorsque Louis est arrivé en 1946, la raffinerie était en déficit de $400 000. Quatre ans plus tard, sous sa direction, cette même raffinerie faisait un million de dollars de profit. On parle d’argent de 1950, ce qui équivaut au moment d’écrire ces lignes en 2023 à $27 697 665. Un exploit si spectaculaire qu’on en a parlé dans presque tous les quotidiens et hebdomadaires de la province. Un exploit qui prouvait noir sur blanc que Duplessis avait tort. Et ça, c’était le pire affront que l’on pouvait lui faire. Il ne le pardonnera jamais à l’ingénieur Français.

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    Louis PASQUIER : Photo de Michel Cormier, collection privée

    *

    Tout comme mon arrière-grand-oncle, l’historien et homme de lettres Ægidius Fauteux (1876-1941), j’ai toujours eu la passion de l’Histoire. J’ai passé mes vingt premières années de vie à Saint-Hilaire, avec la raffinerie dans le décor. Lorsque Michel m’a suggéré d’écrire une biographie au sujet de Louis Pasquier, je ne pouvais qu’accepter.

    Cette saga a pu être reconstituée grâce à cinq sources. La première, la plus importante, nous vient de Louis Pasquier lui-même. Elle est constituée d’un étonnant nombre de documents officiels en provenance de la raffinerie, des centaines de pages de notes et de copies de ses correspondances, qui emplissent plusieurs boites que ses descendants conservent précieusement depuis trois générations.

    Et ce sont justement ces descendants qui sont la seconde source. Enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants de Louis Pasquier sont bien au courant de la vie de leur illustre aïeul, du fait que pendant quatorze ans, de 1999 à 2013, ils ont tenu un journal nommé Les Louis publié deux fois par année. Cette publication distribuée uniquement aux membres de la famille raconte les grandes lignes de la vie de Louis Pasquier et son épouse Cécile Delepoulle, ainsi que leurs parents respectifs, et bien sûr de leurs neuf enfants. Photos, histoires de famille, anecdotes, recherche généalogique, bon nombre d’entre eux y partageaient volontiers leurs souvenirs. Mais s’ils étaient au courant que leur fier aïeul était parti au Québec en 1946 et qu’il en est revenu brisé en 1953, aucun ne savait exactement ce qui s’y était passé et encore moins pourquoi.

    C’est là que prend l’importance de la troisième source que sont les photos, les journaux et autres périodiques conservés à la Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Ces journaux étant maintenant accessibles par internet sur le site de la BAnQ, ça m’a permis de vérifier les dires de Pasquier et d’étoffer le déroulement de son séjour en terre canadienne. Et en même temps, de me permettre de retracer toutes les étapes de la création de la Raffinerie de Sucre. Et surtout, ça a pu mettre le tout en contexte avec le climat politique et social du Québec du milieu du 20e siècle.

    La quatrième source, ce sont les textes des retranscriptions des débats de l’Assemblée Nationale du Québec datant de cette époque.

    Enfin, cinquième et dernière source, les nombreux ouvrages historiques et biographiques consacrés à Maurice Duplessis. Ceux-ci ont aidé à tracer un portrait fidèle du personnage, de ses habitudes, de sa personnalité. C’est ce qui permet de comprendre ses motivations et ainsi de voir une logique, aussi tordue soit-elle, derrière ses décisions parfois aberrantes en rap-port à l’industrie du sucre québécois.

    Chacune de ces cinq sources confirme et complète les quatre autres, permettant de reconstituer une histoire fluide qui non seulement raconte tout, elle explique tout.

    Voilà au moins soixante ans que nous croyons tout connaître au sujet de Maurice Duplessis et que nous remâchons les mêmes histoires, les mêmes parcours et les mêmes scandales. Avec ce livre, nous ne faisons pas qu’ajouter du nouveau à la biographie de ce Premier Ministre. Nous écrivons une page inédite de l’Histoire du Québec. Et nous profitons de l’occasion pour présenter Louis Pasquier aux québécois, un homme qui a su apporter plus dans le domaine agricole et économique du Québec en quatre ans que n’importe quel politicien local dans le même laps de temps.

    Stéphane Lussier Johnson

    Chapitre 1

    Survol de la situation politique au Québec

    des années 1936 à 1960.

    Bien qu’il y ait toujours eu de nombreux partis politiques au Québec, il y en a deux majeurs. On les connait par leur nom, ou par la couleur de leurs emblèmes.

    Les Libéraux.Les Rouges. Parti principal : Le Parti Libéral. En juin 1936, son chef est Adélard Godbout.

    Les Conservateurs.Les Bleus. Parti principal : L’Union Nationale. Son chef et fondateur est Maurice Duplessis.

    À cette époque, dans la société québécoise, les allégeances politiques avaient une très grande importance sociale. Et celles-ci divisaient la population en deux clans qui ressentaient autant de mépris l’un envers l’autre. Par exemple, en hiver, il n’était pas rare qu’un député Rouge néglige de faire enlever la neige des rues d’un compté Bleu, ou inversement. Et lorsque survenaient certains problèmes à grande échelle, tels pannes d’électricité ou inondations, on était assuré que les premiers à être secourus étaient ceux qui avaient voté du bon bord. C’est dans ces années que la pratique d’asphalter les rues a commencé. Ainsi, juste en voyant les rues d’asphalte ou bien de gravier et de boue, on pouvait aisément constater si le comté était partisan ou non du pouvoir en place (Cette situation a été constatée depuis le tout début de l’asphaltage des rues.  Elle sera quelquefois dénoncée en chambre, par exemple le

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