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Exode Cosmic: Deuxième numéro
Exode Cosmic: Deuxième numéro
Exode Cosmic: Deuxième numéro
Livre électronique407 pages5 heures

Exode Cosmic: Deuxième numéro

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À propos de ce livre électronique

Exode Cosmic est un magazine proposant des nouvelles, des serials et des articles divers dans l'esprit des pulps de l'âge d'or science-fictif.
De nombreuses surprises vous attendent dans ce numéro spécial élaboré autour de la thématique des relations sociales dans les sociétés hiérarchiques. Poursuivez les aventures ethnogalactiques de Sarantuya ainsi que l'exploration du monde apocalyptique d'Anthropollymie, mais découvrez aussi une nouvelle exclusive, un dossier littéraire sur 1984 de Georges Orwell et bien d'autres !
Entre space-opéra satirique et post-apocalypse méditative, laissez-vous embarquer vers des mondes à la croisée du divertissement et de la réflexion.
LangueFrançais
Date de sortie8 mars 2023
ISBN9782322507931
Exode Cosmic: Deuxième numéro
Auteur

Sophie Bonin

Créatrice d'Exode Cosmic et critique sur lelitteraire,com, cette jeune auteure de SF se distingue par son air affable et chaleureux. Son sens aigu des relations sociales et son tact légendaire sont néanmoins ternis par un cruel manque d'humour.

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    Aperçu du livre

    Exode Cosmic - Sophie Bonin

    À Roxane et Athéna

    Avertissement

    Ce magazine est certifié AI FREE : aucune intelligence artificielle n’a contribué, participé, réalisé ou aidé à la réalisation de ce magazine¹. Les défauts d’écriture, coquilles, fautes d’orthographe et autres imperfections disséminées dans la présente œuvre sont la preuve que seul un humain a pu concevoir celle-ci.

    Exode Cosmic reconnaît toute responsabilité pour la lenteur excessive de la parution de ce deuxième numéro et l’exécution imparfaite des illustrations. Créé par un humain sur son temps libre, après les heures de travail et les devoirs domestiques, sans formation artistique et disposant d’un maigre revenu mensuel, les illustrations ont été réalisées sur papier de supermarché avec des feutres premier prix, prises en photo par un téléphone portable afin d’être numérisées puis retouchées avec le free software² GIMP. Dans le vaisseau d’Exode Cosmic, notre équipage n’a pas d’argent, pas d’outils performants, peu de temps libre, aucun réseau d’influence dans la culture française, ne produit aucun contenu obscène ou controversé destiné à créer la polémique médiatique afin de permettre aux starlettes de s’indigner ou, au contraire, de pétitionner pour exiger une liberté d’expression absolue, mais nous avons des idées, de l’imagination et de la ténacité ! Seul le désir de vous divertir, de vous étonner et de ravir votre esprit nous anime.

    Multiusage, ce numéro est adapté en tant que cale-pied pour meuble bancal, décoration d’intérieure très chic, allume-feu, apport de carbone pour lombricomposteur, projectile de défense non-létal ou encore papier hygiénique d’urgence.

    Attention : si vous n’êtes pas un lombric, ce livre n’est pas comestible.


    ¹ Ceci inclus tous types de logiciels de correction (orthographe, conjugaison, grammaire, syntaxe, style, etc).

    ² Logiciel libre.

    Avant-Propos

    Homo Compassio

    Nous l’avons vu³, le propre d’Homo est de se croire humain en s’inventant une nature supérieure à l’animal. Homo est une bête qui aspire à ne pas en être une ; à être meilleur. C’est pourquoi l’humanité n’est pas une donnée factuelle, mais bien une construction de l’esprit. Et comme toutes les créations idéologiques, elle n’est pas un concept immuable, unique et éternel. L’humanité est un devenir ; un processus qui ne connaît pas d’aboutissement et un cheminement conceptuel en perpétuel définition.

    Penser l’espèce humaine, ce n’est pas décrire ce qu’elle est, mais ce qu’elle veut être : meilleure qu’une bête. Et c’est la société, produite par la vie en collectivité, qui tente de transformer la bête humaine en autre chose. La société apparaît ainsi comme une tentative de brider les instincts bestiaux d’Homo. Et dans le but de le contraindre à adopter des comportements non-bestiaux, elles justifient ce bridage par des prétextes dotés d’une dimension quasi-sacrale, d’une supériorité intrinsèque qu’elle veut rendre irréfragable et qui ne sont que des constructions socio-culturelles : la religion, la morale, la raison, ou encore la science (dans une certaine mesure).

    Parce que l’humanité n’est pas une réalité, mais un processus idéel, il existe ainsi différentes modalités humaines ; différentes options possibles d’être humain. Et c’est pourquoi, bien que les Homos partagent une apparence et une nature biologique semblables, ils divergent culturellement. Nous ne prétendons pas qu’il y ait quelconque vertu morale, plus ou moins élevée, à rechercher dans ces différentes tentatives sociales de soustraction des caractéristiques bestiales d’Homo. Nous constatons seulement que les sociétés humaines ont cette fonction initiale : fabriquer l’humain, s’inventer l’humain, selon des variables qui s’éloignent, plus ou moins, de la nature bestiale d’Homo.

    Mais pourquoi Homo s’évertue-t-il à être plus qu’une bête ? Constatant que la culture produit effectivement l’humain, il est tentant de croire que le désir d’humanisation d’Homo provient également de la vie en collectivité. Mais ce lien de causalité entre sociabilité, naissance du désir d’humanisation et production d’humanisation, est erroné, car la sociabilité n’est pas antinomique de l’animalité, elle est même la caractéristique organisationnelle de toutes les espèces grégaires. En outre, dans le passé comme dans le présent, les sociétés d’Homo s’accommodent parfaitement, en tentant de les justifier, de mœurs issues de nos instincts bestiaux dont, notamment, toutes les formes de violences et de dominations.

    Pour définir l’humain, un être qui a la volonté d’être supérieur à l’animal, il faut avant tout définir ce qu’est un non-humain. Pour la tradition occidentale, les animaux sont des êtres vivants qui peuvent se mouvoir et qui n’ont ni conscience ni capacités intellectuelles élaborées. Par défaut de conscience et d’une intelligence suffisante, ils réagissent par instinct de survie, ce qui les contraint à l’égoïsme, donc à la cruauté.

    Puisque les animaux sont les esclaves ignorants de leurs élans instinctifs, c’est bien la conscience de soi et des autres ainsi que la réflexion intellectuelle qui contraignent les êtres à ne pas réagir à l’instinct, mais à réfléchir tout en se décentrant. Or, les capacités de réflexion et la conscience qu’Homo a des conséquences de ses actes le placent dans une telle souffrance, qu’elle le conduit à vouloir être d’une nature meilleure. C’est ici que naît le désir d’humanisation d’Homo : de la compassion. Ce qui nous pousse véritablement à l’humanisation ce n’est pas la conscience de notre nature bestiale, qui n’existerait probablement pas sans compassion, mais bien de ce que cette conscience implique en tant qu’elle est potentiellement créatrice de souffrance pour autrui, que cet Autre soit un être conspécifique ou hétérospécifique. La compassion nous fait souffrance ; elle éveille la conscience des conséquences de notre nature bestiale et fait naître le désir d’humanisation.

    Nous lions ici volontiers émotion et cognition, car toutes les émotions sont intelligibles pour les êtres qui en ont les capacités intellectuelles. C’est l’émotion qui provoque la cognition, et cela est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit de souffrance. En souffrant, les êtres cherchent à mettre un terme à cette souffrance ; ils peuvent le faire par instinct, comme des bêtes, en niant la souffrance par une stratégie cognitive d’évitement, ou bien résoudre ce dilemme grâce à la réflexion intellectuelle par une stratégie d’affrontement. La capacité de ressentir la souffrance d’autrui, que celle-ci soit juste ou injuste, est donc à la fois émotion et cognition altruistes — que l’émotion fasse naître la réflexion, ou bien que la réflexion fasse naître l’émotion, les deux phénomènes étant intriqués. Et ainsi, la compassion résultant de ce double effort intellectuel et émotionnel de décentrement permet à Homo d’outrepasser ses réflexes instinctifs bestiaux et égoïstes, sources de cruauté.

    Toutefois, et paradoxalement, la compassion est aussi une caractéristique bestiale. Les travaux en éthologie⁴ ont en effet prouvé que de nombreuses espèces animales étaient capables de compassion. Plus encore, cette compassion peut se manifester à l’égard d’un congénère appartenant au même groupe, ou bien envers un individu conspécifique mais étranger au groupe, et même encore envers un être hétérospécifique, et ce, que la souffrance de cet être ait été provoquée par l’être compatissant, ou que celui-ci ait seulement été le témoin de cette souffrance. La capacité compassionnelle a ainsi été étudiée et attestée chez les animaux sociaux (éléphants, loups, rats, singes, corvidés, cochons, campagnols, etc.). Les éthologues, suivant la théorie de l’évolution de Charles Darwin, expliquent que celle-ci est une caractéristique essentielle pour la survie des espèces grégaires ainsi que des mammifères, dans la mesure où la compassion serait une caractéristique instinctive contraignant les individus à prendre soin de leur groupe, ou des parents à prendre soin de leur progéniture. Les neurobiologistes ont pu, par ailleurs, confirmer le rôle des neurones miroirs et des sécrétions hormonales (ocytocine, notamment⁵) dans l’excitation ou l’inhibition des mécanismes de compassion. Ces études tendent à prouver le caractère instinctif de la compassion dans au moins une partie du monde animal, concernant les animaux sociaux et les mammifères. C’est pourquoi il ne faut pas confondre le propre de l’humain et l’élément déclenchant la volonté d’humanisation. La compassion n’est certes pas la qualité distinctive d’Homo, mais bien le déclencheur de sa volonté de devenir humain, et c’est à lui de définir à quel degré il souhaite se différencier de la bête grâce à cette capacité compassionnelle.

    Chez Homo, la compassion nécessite d’accorder à l’altérité un statut d’égalité pour être opérante. Il est, en effet, nécessaire de reconnaître l’être conspéficique ou hétérospécifique comme non seulement un être sensible, mais également comme un être semblable, égal dans sa capacité à subir une souffrance, méritée comme imméritée, pour amorcer la possibilité de compatir à celle-ci. Or, nous voyons que la reconnaissance de la souffrance d’autrui est une construction idéologique socioculturelle. Les occidentaux tels que Descartes, par exemple, ont longtemps été incapables de reconnaître la souffrance des animaux et la capacité compassionnelle se bornait aux êtres conspécifiques. À l’inverse, les jaïns, à travers une idéologie non-violente, se refusent à commettre tout acte de souffrance envers tous les êtres biologiques (jivas : ceux qui sont reconnus comme dotés d’une âme), y compris les végétaux, et c’est pourquoi ils sont marqués par une capacité compassionnelle plus large qui englobe tout le vivant.

    À ce titre, nous pouvons constater que le système social hiérarchique, en créant des clivages, voire des antagonismes, sociaux, entrave la capacité compassionnelle d’Homo. Il en va de même des processus de communautarismes, comme d’ethnicité, de genrification, de régionalisme, ou encore de nationalisme. En effet, bien que l’ensemble de ces groupes se composent d’êtres biologiquement semblables, tous rattachés au genre Homo, leur enfermement dans une identité socialement construite les sépare les uns des autres et en font des étrangers les uns pour les autres. Non reconnus comme similaires, égaux dans leur capacité à éprouver de la souffrance, la projection compassionnelle est rendue impossible. C’est ainsi qu’une société composée d’une foule d’anonymes, dans laquelle les clivages sociaux sont forts, entrave la compassion. C’est la raison pour laquelle nous constatons, dans le passé comme dans le présent, que les sociétés humaines sont caractérisées par des phénomènes de détestation de groupes qui, bien que conspécifiques, sont reconnus comme non-humains ou, à tout le moins, des êtres inférieurs au degré d’humanité socialement convenu. Cette détestation intraspécifique peut prendre différentes formes : xénophobie ; haine sociale ou mépris de classe ; ou encore genrophobie (misandrie, misogynie). En d’autres termes, une société hiérarchique, clivée et composée d’individus qui ne se connaissent pas, est une société dont, par conséquence, la capacité compassionnelle de ses membres est entravée. Homo hierarchicus, l’humain hiérarchique, comme homo schismo, l’humain divisé en groupuscules, est un humain inégalitaire et cette caractéristique inégalitaire l’oppose, par essence, à Homo compassio, l’humain doué de compassion.

    Cette absence de compassion qui caractérise les sociétés d’Homos actuelles est plus évidente encore depuis l’avènement triomphant d’un capitalisme néolibéral qui s’appuie sur des concepts biologiques détournés. En effet, Charles Darwin, en plaçant Homo à la place animale qu’il occupe, dans L’origine des espèces (1859), a permis de légitimer la soustraction de sa capacité compassionnelle. Via le darwinisme social, c’est-à-dire l’extrapolation de l’idée biologique de lutte pour la survie à une idéologie sociale permettant de justifier les traitements cruels d’êtres conspécifiques, la compassion est devenue synonyme de faiblesse et d’entrave à l’adaptation. La survie du plus apte est devenue celle du plus fort, et, dans cet impératif biologique, la compassion, inutile souffrance morale, empêcherait Homo d’adopter des comportements assurant sa survie. Or, il faut bien comprendre que toutes les idéologies prônant un impératif de survie comme absolu, reviennent à prôner l’annihilation de notre désir d’humanisation.

    Pour finir, nous pouvons constater que l’Histoire des Homos est également émaillée d’une haine spécifique qui touche certains individus ; une détestation de sa propre espèce : la misanthropie. Contrairement à ce que son étymologie pourrait laisser penser, la misanthropie n’est pas la haine de l’humain, mais bien la haine de la bestialité profonde de l’humanité. C’est la détestation de ce qui apparaît comme une humanisation ratée. Le misanthrope abhorre ses congénères parce que, manquant de compassion, ils font preuve de cruauté égoïste, de bestialité, et n’ont, par ailleurs, aucune excuse, du fait de leurs capacités indéniables à prendre conscience du mal que leurs actes et leurs comportements peuvent générer sur le monde extérieur, sur les individus conspécifiques comme hétérospécifiques, à l’inverse des bêtes auxquelles le bénéfice du doute est laissé. La misanthropie est bien la haine de la bestialité des humains et naît du désespoir de ne point voir advenir cette humanité, nécessairement compassionnelle, qu’ils revendiquent.

    En désertant les mœurs et en glorifiant ceux qui obtiennent richesses et pouvoirs grâce à leur absence de compassion, dans un système institutionnel où la survie du plus fort est une règle normalisée que l’on ne penserait même pas remettre en question, les individus ayant pleinement intégré l’idée de devoir se battre perpétuellement pour obtenir une place (un emploi, un logement, des ressources), les sociétés d’Homo actuelles sont cruelles, réduisant la capacité compassionnelle à sa plus simple expression instinctive : prendre soin du petit groupe de proches que l’on reconnaît comme ses semblables. Or, si plusieurs espèces animales sont capables de ressentir de la compassion intraspécifique, comme interspécifique, les Homos qui sont incapables de compassion élargie n’ont aucune différence avec les autres espèces animales aux capacités émotionnelles et intellectuelles limitées. Ces Homos ne peuvent prétendre, objectivement, à se revendiquer humain, c’est-à-dire meilleurs que les bêtes, dans la mesure où ils ont une capacité compassionnelle moindre que les singes, les loups, les corvidés ou les campagnols.

    Bien sûr, la compassion est exigeante et épuisante. Elle est souffrance par essence et oblige à une réflexion intellectuelle hétérocentrée régulière qui, comme toutes les caractéristiques innées, nécessite un processus d’habituation et d’éducation pour se développer. De plus, la compassion est fondamentalement incompatible avec une société hiérarchisée composée d’une foule d’anonymes, chacun enfermé dans des sous-groupes clivés qui s’ignorent, s’opposent ou s’affrontent. Et pourtant, la capacité compassionnelle est bien la clé de notre humanité : l’effort émotivo-cognitif qui déclenche notre volonté d’être meilleur qu’une bête. La compassion est alors l’outil de mesure le plus pertinent du degré d’humanisation d’Homo, car seule la compassion nous permet de ne pas être bête, au sens propre comme au figuré ; de déclencher des processus cognitifs de compréhension des réactions des êtres conspécifiques et hétérospécifiques tout en déjouant nos propres instincts bestiaux. Si nous voulons devenir véritablement Humains, nous devons êtres des Homo Compassio.

    Dans ce numéro spécial d’Exode Cosmic, nous vous proposons d’appréhender les questions de pouvoir, afin de faire la lumière sur une humanité qui, aujourd’hui, est incapable de se penser selon une organisation sociale, étymologiquement⁶ et par antonymie⁷, anarchique, laquelle apparaît pourtant comme étant la seule forme sociale permettant de laisser libre cours à nos capacités compassionnelles.

    Attention à l’ouverture des portes, Exode Cosmic décolle à destination d’Homo Hierarchicus.

    Bon voyage.


    ³ Voir Homo Imago, in Exode Cosmic, Premier numéro, octobre 2019.

    ⁴ « Do Elephants Show Empathy ? », L. Bates, Phyllis C. Lee, R. Byrne, in Journal of Consciousness Studies, 26 novembre 2008 ; « Examining Empathy Through Consolation Behavior in Prairie Voles », Wilson JM., in J Undergrad Neurosci Educ, juin 2021 ; « Toward a cross-species understanding of empathy », Panksepp J, Panksepp JB, in Trends Neurosci, août 2013 ; etc.

    ⁵ « Oxytocin-dependent consolation behavior in rodents » ; J. P. Burkett , E. Andari, Z. V. Johnson, D. C. Curry, F. B. M. de Waal, and L. J. Young Authors, in Science, 22 janvier 2016.

    ⁶ Du grec, anarkhia ( ἀναρχία ), composé du préfixe privatif an- (αν : « sans ») et du mot arkhê, (ἀρχή : « pouvoir » ; « commandement »), soit « absence de chef », « absence d'autorité » ou « absence de gouvernement ».

    ⁷ Hiérarchie : organisation sociale fondée sur des rapports de subordination entre des individus ou des classes.

    SOMMAIRE

    SARANTUYA

    L’abstinence cogitationnelle civilicide

    Série littéraire

    1984, G. ORWELL

    L’oligarchie totalitaire inébranlable et la servitude éternelle des classes inférieures

    Dossier littéraire

    ÉTERNEL

    Ou les mémoires d’un Dieu déchu

    Nouvelle

    Mon cœur fuit

    Poème

    ANTHROPOLLYMIE

    Idae— L’abîme

    Bande dessinée

    ANTHROPOLLYMIE

    Damona— Des mystifications humaines

    Série littéraire

    FAITS ÉTRANGES

    Un enfant sauvé de la noyade par ce qu’il pensait être un chat, le médecin appelle la police quand il voit...

    TEST DE PERSONNALITÉ

    Quel type de Rertrien êtes-vous ?

    SARANTUYA

    L’abstinence cogitationnelle civilicide

    Peuple mongol millénaire apparu lors de la dernière glaciation terrestre, désormais acculé aux pieds des monts Katoun, au centre de l’Altaï, les nomades Ghalamults voient leur existence menacée par le monde moderne globalisé. Pour espérer survivre, ils confient à leur meilleur pilote, Sarantuya, la charge de trouver une exoplanète. À bord de son vaisseau, Odmorin, pourvu d’un convertisseur d’ondes sonores en ondes gravitationnelles lui permettant d’interagir avec les trous noirs et de passer ainsi d’univers en univers, l’humaine rencontre une civilisation dévouée à la réalisation inconséquente d’outils technologiques extravagants et dysfonctionnels. Peu avant de parvenir à s’enfuir, Sarantuya sauve Pythéas Pyrrhon, un podenco canario capable de langage grâce à un dispositif de traduction de pensées appelé SIMAC — Synthèse d’Idiome Mental pour Articulation Canine.

    Ensemble, ils poursuivent leur voyage intersidéral en quête d’une exoplanète hospitalière pour le mystérieux peuple antédiluvien Ghalamult.

    SARANTUYA

    L’abstinence cogitationnelle civilicide

    C’est un flux gigantesque qui tourbillonne si lentement, de son point de vue si petit, qu’il lui donne l’illusion d’être statique et qu’elle seule est en train de se mouvoir à travers lui ; à travers ce vide silencieux et absolu… Sarantuya sait pourtant que c’est l’inverse qui se produit en réalité : elle ne fait que se tenir, quasiment immobile, sur l'une des crêtes de cette vague cosmique infinie qui déferle dans l’espace et que le vide absolu n’existe pas ici — sinon en elle. Elle le sait comme elle le ressent. Et c’est une vérité si colossale et terrible, qu’elle l’effleure à peine et s’en détourne aussitôt. Comme tout être humain, la seule pensée de s’approcher de la compréhension de l’existence la terrifie. Parce que si elle découvre enfin la réponse à cette question, c’est peut-être parce qu’elle va mourir ? Comme si, à la fin, tout devenait clair et intelligible. Comme si le fin mot de la vie n’était que la chute d’une histoire drôle, quelques secondes à peine avant que tout ne s’arrête. Alors, tout retomberait au néant ; la conscience disparaîtrait à la fin de cette blague aussi rapidement que l’explication était courte et évidente…

    Suspendue dans l’obscurité inconnue de l’espace, Sarantuya rattrape son esprit à la dérive et se raccroche au réel. À ce qu’elle connaît ; ce dont elle est sûre. Ce qu’elle a éprouvé dans sa chair comme dans son esprit. Elle s’efforce de repenser à son peuple ; au relief ciselé des monts Katoun ; au cri perçant de l’aigle qui retentissait aux lueurs des matins frais ; à l’eau azure qui s’épandait entre les roches, les lichens et les pins ; à Oddug M ā ddag Emegtawïl, Celle-Qui-Parlait-Des-Étoiles à Sarantuya et lui montrait le chemin... Un chemin qu’elle a perdu, comme son peuple qu’elle ne reverra plus. Elle le savait, bien sûr, avant de faire ce voyage : il n’y aura pas de retour possible. Ils pourraient toutefois la rejoindre, dans le cas où la galaxie qu’ils habitent n’a pas déjà périe. Son peuple sait beaucoup de choses parce qu’ils ont compris une partie du tout : ils ont vu de l’ordre dans le désordre et tracé les pointillés des titanesques grandeurs du cosmos. Ils l’ont ressenti surtout : cette contraction primordiale tellement intense, profonde, passionnée et brûlante, entraînant un mélange de matières d’une manière si intime, fusionnelle et frictionnelle, qu’en a soudainement jailli une fulguration suprême de matières incontrôlables, s’épandant et reproduisant à leur tour, à leur échelle plus petite, cette fusion initiale. En comprenant cela, les Ghalamults ont utilisé l’énergie de cette fulguration pour se déplacer avec elle. Et, ce faisant, ils ont découvert qu’elle n’est pas unique, mais Une parmi des milliards d’autres et que des liens incompréhensibles les unissent malgré la distance phénoménale qui, à échelle humaine, semble les séparer. Mais les Ghalamults sont sages et mesurés. Ils savent que Tout a Rien ; qu’une partie réclame une contrepartie. Un échange, un équilibre. Pas nécessairement immédiat ; potentiellement reporté, mais toujours attendu. Nécessaire. Et s’il tarde à venir, le juste retour sera à la hauteur de l’injuste déséquilibre.

    Sarantuya sait qu’elle ne reverra plus les siens. Le temps n’est pas le même ici, car étroitement lié à son déplacement. Il n’est pas prévu qu’elle revienne. Et même si elle le faisait, elle pourrait tout aussi bien revenir lorsque la vie sur Terre aura été anéantie ou bien au commencement même de la vie. Tout est chaotiquement possible ; mathématiquement prévisible si seulement les données des équations étaient connues, ou seulement saisissables par l’esprit et si les variables n’étaient pas si infinies... Encore faut-il qu’elle puisse donner le change. Car plus son voyage est long, et plus elle va loin, et plus la contrepartie devra être conséquente.

    Sarantuya se voit courir dans le néant. Elle ne sait plus si c’est pour le fuir, ou s’en rapprocher. Elle court et perçoit le bruit de son souffle dans son esprit. Elle sent à ses côtés, ténue, la friction des lames d’Odmorin qui fendent sans bruit l’espace-temps. Et dans une autre réalité qui se superpose à celle-ci, elle entend le hennissement des chevaux d’Odmorin, le bruit de leurs sabots qui entrechoquent une surface de matière dans un bruit sourd… Elle ne sait plus si elle est éveillée ou bien si son existence toute entière n’était qu’une histoire que l’on se raconte dans une yourte, sous les étoiles, en mangeant de la tsampa… C’est alors qu’elle ressent une vibration, discrète et lancinante, qui ralentit sa course de manière imperceptible, et bientôt de plus en plus fort. Le corps de l’humaine devient lourd, ses mouvements se ralentissent, ses forces s’amenuisent. Puis une fulgurante douleur déchire sa poitrine et interrompt subitement l’harmonie de sa course. Violemment éjectée de sa trajectoire, Sarantuya dérive à pleine vitesse ; son corps secoué se délite… Elle se voit enfin comme elle est : morcelée. Incomplète. Seule et perdue. Et la prise de conscience de son état lui dévore l’esprit et creuse un trou brûlant dans ses entrailles. Sarantuya se recroqueville sur elle-même. Le cruel sentiment se diffuse en elle comme un poison : savoir qu’elle n’a que des questions et aucune réponse, qu’elle est seule et perdue. En déséquilibre. Que le vide est en elle. Pire encore ; avoir la certitude que nulle part ne se trouve la matière propre à le combler… C’est pour cette raison que l’Équilibreur la traque et lentement l’attire à elle. Incomplète, essaimant son déséquilibre substantiel à travers les univers, Sarantuya a mis en mouvement le gardien de l’ordre et du chaos ; Celui qui impulse la stabilité dans l’instabilité. Celui qui réclame un dû contre un indu. C’est Zāquikh : le Vide, car le Plein ; le Tout, car le Rien. Et plus Sarantuya se sent vide et plus Zāquikh se rapproche. L’affliction est si douloureuse, qu’elle songe à laisser Zāquikh la prendre. C’est peut-être, pour elle, le seul moyen de résoudre son déséquilibre. Zāquikh serait la chute de son histoire.

    Sarantuya ne court plus. Elle tombe dans son propre vide. Des pulsations envahissent son crâne. La lumière des milliards d’étoiles qui tapissent l’univers s’affaiblit. Odmorin et ses chevaux ont disparu. A-t-il seulement existé ou était-il sa propre enveloppe charnelle ? Sarantuya ne sait plus si elle rêve ou si elle est éveillée. Elle dort sûrement. Elle ne s'est peut-être jamais réveillée. Soudain, Pythéas Pyrrhon se met à japper. L’humaine l’aperçoit, plus loin. Il fait des bonds au milieu du vide obscur et bat du fouet. Les oreilles couchées, tirant la langue sur le côté, il pousse des jappements naïfs et lui montre du museau une petite faille concentrique ; un déchirement à peine plus gros qu’un grain de sable qui rougeoie dans l’obscurité cosmique. Il s'étire et se dilate jusqu'à la taille d'une orange, se rétracte pour recouvrer sa taille initiale, puis recommence, à un rythme irrégulier. De loin, il pourrait ressembler à un œil rond, avec une étrange pupille noire cruciforme dont l’iris dentelé et fibreux présenterait un dégradé de couleurs sombres et claires, parsemé de fils d’azur et de cuivre. Mais l’ensemble pourrait tout aussi bien être un lac céruléen se précipitant dans un gouffre crucial, baignant les étranges reliefs rubis d’une terre volcanique.

    « Danānu Ilu… »

    Pythéas court dans l’espace, sautille de-ci de-là, incite l’humaine à le suivre. En Sarantuya, le sentiment de vide se dilue. La déchirure de l’abandon s’amenuise et la faille cosmique s’agrandit.

    « Danānu Ilu… »

    À bout de souffle, l’humaine murmure ces mots. Elle les répète comme un mantra et concentre son esprit tout entier sur la faille, sur l’énergie vocale et le pouvoir mental qu'elle impulse à ses mots.

    « Danānu Ilu… Nadad pirigöö kharuul… »

    Zāquikh est toujours là, il s’étend au-dessous d’elle, prêt à l’accueillir et envelopper son corps… Et la faille, minuscule, qui laisse entrevoir cet œil à la pupille cruciforme, s’agrandit et vibre. Elle devient rouge, chaude, palpitante... L'univers a disparu. Pour Sarantuya, il n'y a plus que la faille, elle et ses mots qu'elle hurle sans bruit : « Nadad pirigöö kharuul, DANĀNU ILU !! »

    Zāquikh va refermer les voiles de son essence sur le corps de Sarantuya, mais la faille cruciforme se déchire subitement et, dans une fulgurante explosion, aspire la voyageuse stellaire en même temps qu’elle repousse l’Équilibreur aux confins glacés de cette galaxie.

    I

    Les yeux de Sarantuya s’ouvrirent soudainement.

    Pythéas était là, sur la couchette voisine. À la vision du chien endormi à ses côtés, ses souffrances et ses frayeurs nées d’une réalité onirique s’apaisèrent aussitôt. Pythéas était son point d’encrage dans la réalité. Sarantuya venait seulement de faire un cauchemar de plus qui s’ajoutait aux nombreux autres depuis qu’elle avait quitté la Terre.

    Le chien avait lui aussi un sommeil agité. Sarantuya l’observa remuer fébrilement les pattes, pousser des semi-jappements, son museau parcouru de spasmes nerveux et les yeux remuant en tout sens sous ses paupières mi-closes… L’humaine pensait que c’était le tribu dont ils devaient s’acquitter pour se livrer à cette activité contre-nature pour les menus êtres qu’ils étaient : voyager à travers le cosmos.

    Sarantuya se leva péniblement pour se diriger vers l’armoire à pharmacie. Plusieurs remèdes naturels destinés à pallier différentes carences nutritionnelles s’y trouvaient stockés. Elle en avala une sélection, essuya la sueur moite collée à sa peau et enfila un vêtement avant de se rendre au nez du vaisseau pour vérifier les données de voyage sur l’ordinateur de bord. Elle vérifia également l'état des stocks, lesquels se trouvaient être tout à fait satisfaisants. Odmorin fonctionnait sur le recyclage : en son sein, rien ne se perdait, tout se transformait. À ce titre, les excréments de l’humaine et du chien étaient recyclés par une cohorte de coprophages installés dans une installation dédiée, de même que les déchets verts étaient placés dans un lombricomposteur, afin de produire du compost naturellement riche en potassium, azote et phosphore, nécessaires au développement des fruits et légumes cultivés dans la serre située au deuxième cercle du vaisseau. En outre, les cinq bras d’Odmorin qui fendaient l’espace n’étaient pas seulement destinés à optimiser sa force rotative, ils permettaient également de recueillir les débris minuscules se trouvant sur son chemin. Les fragments passaient dans un filtre qui analysait leur composition. Si celle-ci n’était pas reconnue comme intéressante par le logiciel, ils étaient évacués. Au contraire, s’ils étaient composés de molécules reconnues comme exploitables, ils étaient aspirés et subissaient un traitement spécifique destinés à les conditionner, les combiner et les stocker dans le vaisseau. Odmorin était ainsi techniquement capable de créer de l’oxygène, de l’eau ou encore de l’hydrogène à partir de la matière intersidérale qu’il filtrait.

    Après s’être assurée que tout était opérationnel au sein du vaisseau, Sarantuya voulut adoucir son cœur et provoquer sa chance en jouant du morin khuur, mais son pouce gauche était agité de tremblements si

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