Pour la science contemporaine, l’objet isolé n’existe pas : mais si tout ce qui existe provient d’une relation, si rien n’est une simple “chose”, quid de l’œuvre d’art? Dana-Fiona Armour inocule ses gènes à des plantes, mêle peau de cochon et dalles de marbre, et utilise la réalité virtuelle (RV) pour explorer des racines. Cette jeune artiste allemande est d’une génération pour laquelle la réalité se reconfigure en permanence. Les artistes contemporains se font traducteurs – pas très différents du chamane amazonien qui traverse les mondes et formalise la relation avec ses interlocuteurs animaux. La nature, comme l’art, est devenue un espace de négociation et de dialogue interespèces.
NICOLAS BOURRIAUD : La première fois que j’ai vu votre travail, c’est le jour où, à peine arrivée d’Allemagne, vous vous êtes inscrite à un master aux Beaux-Arts de Paris. Il était évident que vous n’aviez pas le profil standard. Je me suis demandé ce qui vous avait amenée sur la scène artistique parisienne et, plus généralement, ce qui a inspiré votre vocation d’artiste.
Enfant, j’ai de Franz von Stuck, à l’Alte Nationalgalerie de Berlin. C’est un nu d’Ève représentée avec un gros serpent qui s’enroule autour de son corps. La beauté de cette peinture symboliste me fascinait, et je ne pouvais pas m’empêcher de m’interroger sur la relation entre les espèces – la fusion des peaux du reptile et de l’humaine, répugnante et fascinante à la fois. Je pense que cette expérience esthétique précoce a pu planter la graine de ce qui est devenu mon œuvre. Ayant grandi à la campagne en Allemagne, j’ai développé un lien très fort avec les animaux et la nature, [j’ai dû choisir] entre l’art et des études vétérinaires, mais finalement je me suis inscrite aux Beaux-Arts de Paris après avoir passé quelque temps en France.