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Edith
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Livre électronique362 pages4 heures

Edith

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À propos de ce livre électronique

Je m'appelle Édith. Je suis née en France, à Grenoble. J'ai été placée par les services sociaux dans une famille d'accueil.
À l'âge de 19 ans je me suis enfuie. Je suis arrivée à Paris.
La vie d'aventures qui m'a emmenée à Jérusalem et en Inde, n'était pas celle que j'avais imaginée enfant.
Ma mère, à laquelle j'avais été arrachée alors que j'étais encore une enfant, avait rêvé pour moi, une vie paisible, entourée de ma famille. Le destin avait prévu bien autre chose.
La paix, je l'ai trouvée après un très long voyage.
Les imprévus, les contretemps ont jalonné mon existence.
J'ai aimé vous faire part de mes espoirs et de mes désespoirs.
LangueFrançais
Date de sortie20 mars 2023
ISBN9782322526574
Edith
Auteur

Brigitte Galle

Brigitte Galle a décidé de partir en Inde après une vie professionnelle gratifiante. Elle a vendu ses biens et s'est installée dans un petit village de la Drôme. Son enfance à Grenoble lui a permis de connaître les joies de la montagne. Son départ pour l'Inde en 2005 a transformé sa vie. Elle n'avait que 47 ans lorsqu'elle a cessé toutes activités pour devenir volontaire à Bénarès, dans une maison de Mère Térésa. Elle y a travaillé 6 années. Depuis, elle a créé l'association Chaupatine. Elle donne tout son temps à cette oeuvre. Chaupatine s'occupe des enfants des rues et des bidonvilles au Népal. Elle est également romancière. Ses personnages principaux s'inspirent de rencontres faites durant ses interventions en Inde et au Népal.

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    Aperçu du livre

    Edith - Brigitte Galle

    Du même auteur :

    En route vers... Éditions Brumerge, 2013

    Rita, Éditions Brumerge, 2019

    Ismaël, Éditions Brumerge 2020

    J'apporte mes affectueux remerciements à Marie-Joseph HP

    pour sa précieuse aide, sa patience et son amitié.

    Sommaire

    Et à la fin

    Ma mère

    Les services sociaux

    Je pars

    Parisienne

    Boulangerie - pâtisserie Bertrand

    Ma sœur

    Le détective

    Fin Début

    Faustine et Hubert

    J'y vais

    Vérone

    Sœur Maria

    Venise - Zadar - Istanbul

    Istanbul

    Mariage turc

    Partir d'Istanbul

    Liban

    Tel-Aviv, Jaffa

    Jérusalem

    La vieille ville

    Le Saint Sépulcre

    Volontaire

    Sœur Édith

    Déjà quatre mois

    Vivre ensemble

    La foi

    Mikaël

    L'amour ?

    La guerre des pierres

    Le choix

    Le destin

    Début ou fin ?

    Et après

    Nazareth

    Les Clarisses

    Les confitures

    Après un an

    Delhi

    Agra

    Tous mes frères

    Départ d'Agra

    Sarnath

    Fin

    Les anges

    Et à la fin

    Je suis allongée sur mon lit de fin de vie.

    Je revois ma mère dans notre appartement de la rue Lavoisier à Grenoble.

    Son souvenir s'impose à moi.

    J'avais quatre ou cinq ans. J'étais seule avec elle, alors qu'elle attendait mon père.

    Je jouais avec un puzzle acheté chez Emmaüs, ou peut-être au Secours populaire, à moins qu'il n'ait été donné par une des nombreuses associations caritatives que nous avions l'habitude de contacter.

    Je ne jouais pas vraiment, ma mère était triste, elle repassait avec un air triste et un fer à repasser abîmé. Alors j'étais triste aussi.

    Les pas de mon père se sont fait entendre dans l'escalier de l'immeuble. Nous étions au premier étage et il montait toujours à pied. Je reconnaissais son pas entre mille. Ma mère savait également que c'était son pas puisqu'elle a commencé à ranger son fer à repasser abîmé.

    Je suis au milieu de cette scène qui s'est pourtant passée il y a plus de soixante ans.

    Il frappe à la porte. Ses doigts sont autoritaires. Il frappe fort, certain qu'il va être accueilli.

    Ma mère se précipite pour lui ouvrir. Elle n'est pas joyeuse. Elle est anxieuse.

    Il entre sans la regarder. Il ne me regarde pas non plus. Il s'assoit sur une chaise. Il attend quelque chose. Il est impatient.

    – Édith, va dans la chambre, m'a-t-elle dit.

    Je savais que je devais exécuter cette injonction. Inutile de manifester une quelconque désapprobation. Alors je me suis précipitée dans la chambre sans regarder derrière moi. C'était comme cela deux fois par semaine, la même routine. Mon père arrivait dans l'après-midi et ma mère m'envoyait dans la chambre que je partageais avec mes frères et sœurs. Quatre lits superposés par deux avaient été installés. Les deux garçons dormaient en haut, ma sœur et moi en bas. Le ventre fraîchement arrondi de ma mère annonçait la naissance de mon dernier petit frère. L'espace était étroit entre les deux rangées de lits. Je ne comprenais pas pourquoi elle m'envoyait dans cette pièce sans attrait. Quelques instants après, je les entendais émettre des bruits que je ne comprenais pas. Pourquoi étaient-ils dans la chambre de ma mère, puis dans la pièce à vivre qui nous servait de salle à manger ? Je savais que ma mère allait me rappeler quand les bruits auront cessé. Mon père buvait alors une collation en regardant dans le vide, sans se soucier de ma présence. J'aimais voir les joues roses de ma mère. J'aimais ce sourire discret qui montrait sa satisfaction d'être près de lui. Après quelques minutes, il partait, sans m'adresser la parole, en lui posant un léger baiser sur le front. Il était plus vieux qu'elle, ses cheveux étaient grisonnants. Elle restait éternellement jeune malgré les grossesses qui se succédaient. Le petit baiser posé sur le front de ma mère me permettait de penser qu'il l'aimait. Ses épaules légèrement voûtées montraient le poids de la situation que nous vivions.

    Je me souviens d'elle alors que je suis allongée sur mon lit d'hôpital, à Vârânasî. Ma jambe blessée par un motard, pendant que je traversais trop précipitamment une avenue embouteillée, me fait souffrir. Elle est maintenant attaquée par la gangrène. J'ai 72 ans. Pourquoi me souvenir de ma mère et de ces instants enfouis dans un ramassis de souffrances, les miennes et celles de ceux que j'ai accompagnés ?

    D'autres images de mon passé surgissent sans que je ne les appelle. Pourquoi ne suis-je plus maître de mes pensées ? Que se passe-t-il ?

    – Édith ! Sister ! Amma !

    Cette voix douce et ferme m'appelle.

    Qui est-ce qui me demande avec autant de force de lui répondre ?

    Ma mère est de nouveau devant moi. Elle est belle. Elle rayonne d'une lumière tendre. Elle me tend la main. Elle sourit. Elle ne parle pas.

    – Édith, Édith !

    De nouveau cette voix que je ne reconnais pas m'appelle.

    – Édith ! Sister !

    La voix est lointaine. Je n'entends plus rien. Ma mère recule. Elle disparaît dans un halo de lumière. Je m'avance vers elle.

    – Elle part. Elle nous quitte. C'est terminé.

    J'entends la voix qui semble maintenant être triste. C'est la voix de Sœur Maria, avec qui je partage ma chambre depuis de nombreuses années.

    D'autres voix se font entendre.

    Je plane au-dessus de mon lit. Je vois mon corps. Les personnes qui m'entourent me ferment les yeux. Il y a Maria, le médecin, la supérieure et Anita, notre fidèle servante. Anita pleure, le médecin a un air résigné, Sœur Maria est affolée, elle répète « Elle part, elle part », la supérieure a les traits tirés, elle reste digne, en prière.

    Je me retourne. Un long couloir se présente à moi. Je sais maintenant que ma destinée est au bout de ce couloir noir, d'où je vois une lumière. Au loin je vois la silhouette de ma mère qui m'attend.

    Ma mère

    Ma mère est née à Grenoble. Tous les membres de notre famille sont nés à l'hôpital de la Tronche, nom si particulier qui nous a valu les ricanements de ceux qui ne connaissent pas Grenoble. « La Tronche », quel drôle de nom pour désigner une commune.

    Sa famille était ni riche ni pauvre, de classe moyenne comme nous le disions si familièrement. Sa mère, ma grand-mère, était femme au foyer, mon grand-père contremaître dans une usine dont je ne me souviens plus du nom.

    Elle était jolie, fine, les yeux gris vert, le teint clair, les cheveux châtains aux reflets blonds.

    Elle avait aimé étudier, elle avait réussi ses examens brillamment. Après avoir obtenu la mention bien au bac, ce qui à l'époque était une prouesse, elle est devenue secrétaire médicale.

    C'est grâce à ce diplôme qu'elle a rencontré mon père pour son plus grand bonheur, pour son plus grand malheur.

    Il était réputé dans son domaine, spécialisé en cardiologie. Il était marié et avait deux garçons. Sa femme était d'une famille bourgeoise. Lui, avait pu se hisser au rang des plus grands médecins grâce à sa ténacité et à sa mère.

    Sa mère, ma grand-mère que je n'ai jamais connue, était une mère célibataire. Elle a consacré sa vie à l'éducation de son fils en faisant des ménages et en travaillant à l'usine. Elle avait été engrossée, selon la formule consacrée de l'époque, par le fils d'une grande famille riche alors qu'elle était aide-cuisinière. Ses patrons l'avaient lâchement mise à la porte lorsqu'ils avaient appris qu'elle allait accoucher d'un bâtard, sans se préoccuper de son devenir, ni du devenir de l'enfant, qui était pourtant leur petit-fils.

    Grâce à son mariage, mon père était uni à une famille riche, puisque son épouse était issue de la haute bourgeoisie grenobloise. A-t-il cherché une revanche avec cette union ? Probablement. Il a réintégré ainsi le milieu dont il était issu par son père de sang.

    Ce mariage atypique avait été célébré contre l'avis de sa belle-famille. Le charme de mon père avait envoûté cette jeune bourgeoise qui n'a pas reculé devant l'adversité des siens pour épouser celui qu'elle considérait comme son prince charmant. Une façon de se distinguer et d'échapper aux diktats de son rang social. Le prix à payer pour cette transgression a été un poids lourd à porter. Les années de mariage ont été difficiles. La cruelle hypocrisie de son milieu a fait que cette union n'a connu le bonheur que les premières années. Son mari, mon père, portait sur ses épaules la masse des désillusions de sa femme. Il n'a jamais été reconnu par sa belle-famille. On oubliait de l'inviter pour les événements heureux ou malheureux. Quand il était là, il était ignoré ou subissait des remarques désobligeantes. Il souffrait et regrettait d'avoir entraîné son épouse dans ce mariage contre nature, à en croire la bonne société bien pensante.

    Il a eu plusieurs aventures, échappatoire d'une non-reconnaissance de sa position d'époux.

    Il a été toutefois valorisé par des succès professionnels qui l'ont hissé au rang des personnes respectées par la communauté médicale sans que sa belle-famille n'en fît cas.

    Ma mère n'avait pas encore 26 ans lorsqu'elle a débuté sa vie professionnelle dans le cabinet de mon père. Elle était alors fine, légère, confiante en son avenir qui paraissait radieux. Être secrétaire médicale était déjà une profession dont elle pouvait être fière. Être au service d'un grand cardiologue très reconnu la remplissait de bonheur.

    Durant les premières années, ils se sont côtoyés sans se regarder.

    Puis la magie de l'amour a opéré, le jour où l'ancienne secrétaire est partie vers les douces joies de la retraite.

    Ils se sont alors retrouvés tous deux dans cet appartement transformé en cabinet de cardiologie. Mon père n'a pas embauché d'autres aides. Il a rapidement compris que son assistante allait facilement faire le travail de deux.

    Un an après, ma sœur aînée est née. Enfant illégitime qui a fait la honte de mes grands-parents maternels. Ils étaient de braves gens qui n'aimaient pas les aspérités. Le ventre ballonné de leur fille avait été une aspérité honteuse. Sans oser rejeter leur fille, ils se sont faits très discrets, se sont rendus indisponibles lorsqu'elle avait besoin de leur aide. Une longue marche de solitude a alors commencé pour ma génitrice. Bien que son amant soit médecin, il n'eut pas idée de lui épargner les quatre grossesses qui ont suivi.

    Elle a dû arrêter de travailler pour s'occuper de mes frères et sœurs et de moi-même. Elle ne parvenait pas à trouver d'aide puisqu'elle était en position de pécheresse. Elle a bien tenté de maintenir en parallèle sa vie professionnelle et sa vie de mère. Mais elle devait s'arrêter régulièrement dès qu'un rhume, une fièvre ou une toux nous empêchaient d'aller à l'école.

    C'est ainsi qu'elle est devenue totalement dépendante du bon vouloir de mon géniteur, des quelques francs qu'il voulait bien lui donner par mois. Pour compléter la petite allocation, variable chaque mois qu'il lui allouait, elle était devenue couturière à domicile.

    C'est comme cela que je me souviens d'elle, entre une machine à coudre et un fer à repasser abîmé.

    Puis est venu le jour où notre vie a basculé.

    Je suis rentrée de l'école, accompagnée de mes petites copines de classe qui habitaient dans le même pâté de maisons. Je devais avoir huit ou neuf ans. Mes frères sont arrivés peu après moi. Ma sœur aînée était une adolescente tourmentée. Elle est arrivée plus tard dans la soirée. Elle aimait « traîner dehors » selon l'expression consacrée de la famille. Comme à son habitude, ma mère avait un ouvrage dans les mains. Elle regardait la bouillie qu'elle préparait pour notre dernier petit frère qui avait un peu moins de trois ans.

    Les années étaient passées sur le beau visage de ma mère. Elles avaient creusé des rides d'anxiété. Mais en cette fin d'après-midi, j'ai pu voir des rides qui n'existaient pas le matin même.

    Mes frères, turbulents d'ordinaire, étaient extraordinairement calmes. Sur leurs visages je détectais également une crispation incompréhensible. Eux aussi avaient ressenti un changement d'atmosphère sans que nul n'ose interroger l'autre.

    Lorsque ma sœur est rentrée à la nuit tombée, ma mère nous a envoyés dans la chambre afin de s'entretenir avec elle.

    Nous n'avons entendu que des bribes de conversation qui ne nous permettaient pas d'avoir la réponse à : pourquoi étions-nous tous inquiets ?

    – Il n'est pas venu… pas assez d'argent… problème… loyer… dettes...

    Les jours ont passé. Ma mère était de plus en plus crispée. Les repas étaient devenus frugaux. Les habits n'étaient pas renouvelés, seulement reprisés.

    Nous n'avons rien su de ce changement peu perceptible. Nous avons compris qu'un événement inconnu s'était produit. Mais lequel, nous n'en savions rien.

    Je n'avais pas remarqué que mon père ne passait plus les après-midi puisque je n'étais plus là lorsque cela se produisait. Depuis que j'étais scolarisée, il passait durant mon absence.

    Les services sociaux

    Le jour où la dame des services sociaux est arrivée, a été un jour qui m'a paru être un jour comme tous les autres jours. Nous avons eu un peu plus de pain, de beurre et quelques habits de rechange.

    Le jour où la dame des services sociaux est arrivée accompagnée d'autres personnes qui étaient, eux également des services sociaux, est un jour que j'ai gardé en mémoire.

    Ce jour-là, mes frères et moi, les quatre derniers de la fratrie, nous sommes partis avec eux. Il n'y a eu aucun pleur, aucun cri, aucune larme. Nous ne comprenions pas ce qu'il nous arrivait. Ma mère est restée assise sur la chaise, sans nous regarder, elle était prostrée, sans une seule larme, les yeux dans le vide.

    Nous avons suivi les inconnus sans manifester puisqu'elle acceptait de nous voir partir. Elle ne pleurait pas, alors nous ne pleurions pas non plus.

    Le soir même je dormais au milieu d'une autre fratrie de deux filles. J'avais été placée dans une famille d'accueil aimante, dans une maison spacieuse où j'avais ma chambre individuelle. Je suis devenue la troisième fille de la famille. J'avais neuf ans. Ils m'ont comblée par leur amour, leur éducation, leurs intentions multiples et variées. Les filles de la famille, plus âgées que moi d'une dizaine d'années, étaient des petites mères protectrices pour moi. Aujourd'hui je réalise que j'étais souvent traitée comme une petite princesse. Le père, la mère et les enfants étaient des êtres au grand cœur. Après les difficultés de la vie, je me suis retrouvée dans l'aisance matérielle et affective. J'ai eu de la chance, mais à ce moment-là je ne le réalisais pas.

    J'avais été séparée de mes frères et sœurs. Seule ma sœur aînée étais restée avec ma mère. Je ne l'ai su que bien plus tard.

    Ils ne me manquaient pas puisque j'avais plus d'amour et de cadeaux dans ma nouvelle famille.

    C'est durant mon adolescence que j'ai appris que mon père était mort d'une crise cardiaque dans son cabinet de cardiologie. Pied de nez au proverbe qui nous rappelle que les chausseurs sont les plus mal chaussés. Ma mère n'avait pas été prévenue puisqu'elle et ses enfants n'étaient connus de personne. Il n'avait pas eu l'élégance de prendre quelques dispositions qui l'auraient mise à l'abri du besoin. Il était dans le déni. Il a refusé de voir qu'il avait avec nous une famille. Non. Rien de tout ça. Il n'a pas assumé d'être le père des cinq enfants qu'il a eus avec ma mère, tout comme son père biologique ne l'avait pas fait lors de sa naissance.

    Le soir où nous sommes rentrés de l'école et que nous avons vu notre mère envahie par l'inquiétude, elle avait attendu sa venue toute la journée. Cela faisait plus d'une semaine qu'il n'était pas venu. Sans nouvelles de sa part elle avait pensé au pire. Elle ne s'était pas trompée. Elle a appris sa mort par une connaissance qui était dans la confidence. Cette connaissance avait lu un article dans les journaux annonçant que le brillant cardiologue avait succombé à une crise cardiaque devant un patient.

    Sans elle, ma mère serait peut-être toujours à attendre son retour.

    Elle n'avait pas jugé bon de nous faire part de son tourment. Elle était clandestine, nous étions clandestins. Sa logique a voulu que nous ne soyons pas informés puisqu’aux yeux de tous nous n'avions pas de père. Pourquoi nous faire part du décès de celui qui n'existait pas ? Il n'avait en effet jamais existé pour nous. Il ne nous avait jamais pris dans ses bras, n'avait jamais regardé notre travail scolaire. Nous n'étions rien pour lui. Je pense qu'il s'imaginait qu'il n'existait pas pour nous.

    Aujourd'hui je trouve cette attitude révoltante. Enfant, je ne voyais pas ou ne comprenais pas la violence de cette situation.

    En voyant la détresse de ma mère, l'amie qui était dans la confidence de notre clandestinité a entrepris généreusement de nous venir en aide. Elle a contacté les services sociaux en espérant qu'une solution adaptée à nos besoins serait mise en place. C'est ainsi que notre foyer a éclaté sans espoir de retour.

    Je n'ai plus revu ma mère qu'en dehors de quelques visites annuelles, lorsqu'elle venait me voir dans ma famille d'accueil. Elle était alors accompagnée de ma sœur aînée qui vivait toujours avec elle. Je n'ai revu mes frères que bien plus tard, alors que nous étions adultes, lors d'une courte visite en France. Chacun a eu un destin différent selon la chance ou la malchance que représentaient les accueillants.

    Les années ont passé. J'avais trouvé une vie familiale chaleureuse, chaleur affective inconnue jusqu'alors, grâce à ma famille d'accueil, ma famille d'adoption, ma famille de cœur.

    Ma mère et ma sœur venaient régulièrement, de façon très espacée, trois ou quatre fois par an, pour mon anniversaire, Noël et au hasard de la vie. Elles entretenaient une relation courtoise avec ma nouvelle famille. Durant leurs visites, je trouvais que ma mère de sang vieillissait plus vite que ma mère de cœur.

    Est venu le jour où ma sœur aînée s'est présentée sans elle. Ma mère était souffrante. Elle est revenue quelque temps plus tard pour m'informer qu'elle était décédée. J'avais alors 17 ans. Je n'ai pas pleuré, je n'ai pas souffert. C'était une information parmi tant d'autres qui ne me touchait pas, du moins c'est ce que je me suis efforcée de penser alors.

    Ma mère de cœur a pourtant essayé de me parler. Je devinais son regard inquiet sur ma non-souffrance de tout ce qui fait pleurer le commun des mortels.

    Ma vie a continué sans que je ne puisse voir de différence. Ma sœur aînée a alors disparu. Je ne l'ai plus jamais revue. J'ai appris plus tard qu'elle était partie à Paris. Elle est décédée avant ses quarante ans d'un mal inconnu. Je ne sais toujours pas où elle a été enterrée.

    Elle avait porté ma mère jusqu'à son dernier souffle. Tant de souffrance l'avait probablement usée avant l'heure. Je pense à elle avec tendresse. Elle a sacrifié sa vie pour notre mère.

    Je pars

    Je flotte au-dessus de mon lit d'hôpital. Je suis en Inde, à Vârânasî, aussi appelée Bénarès.

    Je suis morte. Je le sais et pourtant je me sens encore vivante. Je vois défiler ma vie. De Grenoble à Vârânasî, quel long parcours, une vie remplie de souffrances, de belles choses et de la joie de l'amour universel.

    Comment ce parcours parsemé d'embûches et de bonheur a-t-il été possible ?

    Je suis partie de chez ma famille d'accueil, à 19 ans dépassés de plusieurs mois.

    Je revois ma valise mal ficelée dans l'entrée. Il fait noir. Je sais que tout le monde dort. Je pars de façon clandestine, tout comme l'enfant clandestin que j'avais été. Les événements de mon enfance ont été cachés, alors je suis partie, cachée par un gros mensonge. J'ai refusé d'affronter celles qui ont été ma mère d'amour et mes sœurs de cœur. Elles le sont toujours restées.

    Quelques jours avant il y avait eu des cris, des scènes, des affrontements. Je criais que je voulais partir.

    – Vous n'êtes pas ma vraie famille. J'ai 19 ans et voilà un an que vous ne recevez plus d'argent pour m'élever.

    Je pleurais de rage. J'avais réalisé peu de temps avant, par une conversation entendue malencontreusement entre ma mère et mes sœurs adoptives, que ma famille avait touché une allocation pour mes besoins. J'étais une enfant placée par les services sociaux et ma famille d'amour était une famille d'accueil payée par eux. À dix-huit ans, cette allocation cesse du jour au lendemain, sans que la protection à l'enfance ne se préoccupe de notre devenir. Il y a eu ainsi de nombreux drames, où des enfants se retrouvaient dans les rues sans attache.

    La violence de cette annonce avait déclenché chez moi une colère incontrôlable.

    – Vous ne m'avez jamais aimée, vous avez fait ça pour l'argent.

    – Mais non, Édith, tu le sais. Je t'aime et tes sœurs aussi t'aiment.

    Ma mère se lamentait sans trouver les mots qui de toute façon ne m'auraient pas apaisée.

    – Je ne vous rapporte plus rien. Vous me nourrissez gratuitement depuis plus d'un an. Je suis maintenant une dépense supplémentaire.

    Je m'acharnais à tourmenter ma pauvre mère qui ne savait plus comment exprimer son désarroi. Elle m'aimait, me le disait et je refusais de l'entendre. Je n'étais pas sa fille de sang et je voulais lui faire payer. Depuis quelques mois je voulais retrouver les miens sans comprendre que je vivais déjà avec les miens, ceux qui m'avaient accueillie alors que je n'avais que neuf ans.

    Cette nuit-là, je suis partie sans un mot sur la table comme je l'ai souvent vu dans les films. Je n'ai pas compris que je brisais le cœur de celles qui avaient été ma famille. Mon père d'accueil, celui qui avait été un père de cœur, était parti lui aussi rejoindre mes parents de sang, ironiquement d'une crise cardiaque tout comme mon géniteur.

    Je n'avais que peu d'idées de ce que j'allais faire à Paris. Je voulais simplement y aller, car je savais que ma sœur aînée y était.

    Je travaillais depuis un an les week-ends et les jours fériés dans une boulangerie. J'avais un petit pécule qui sera utile, du moins je le pensais, pour mes premières dépenses.

    « Cela me permettra de trouver un travail stable et je vais retrouver ma sœur », je me le répétais régulièrement et je faisais tout pour m'en convaincre.

    Je suis partie comme une voleuse, une voleuse d'amour, l'amour que je refusais de donner à celles qui m'ont aimée plus que les miens, ceux que je recherchais pourtant.

    La gare était loin de notre domicile. J'ai choisi de faire le trajet à pied, événement précurseur de ce que j'allais vivre les années suivantes. Je n'avais pas d'expérience concernant les trajets en train. Je l'avais pris une seule fois avec ma grand-mère de cœur pour des vacances au Sud, sur les plages méditerranéennes. J'étais alors une petite fille, assise sur une banquette qui ne permettait pas à mes pieds de toucher le sol.

    J'ai pris un billet de seconde classe et quelques heures après je me suis retrouvée à Paris, gare de Lyon, sans connaître personne, seule au milieu d'un monde qui m'était totalement inconnu.

    Je regardais de droite et de gauche. Il y avait une foule incroyablement dense pour la petite provinciale que j'étais. Tous se pressaient dans un sens et dans un autre sens. J'étais invisible, ils étaient affairés à la recherche de leur train et de leur wagon. J'étais perdue au milieu de ceux que je considérais comme des étrangers.

    Où aller ? Que faire ? Je n'avais rien

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