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Construction de soi et appartenance dans la transition à la vie adulte
Construction de soi et appartenance dans la transition à la vie adulte
Construction de soi et appartenance dans la transition à la vie adulte
Livre électronique412 pages4 heures

Construction de soi et appartenance dans la transition à la vie adulte

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À propos de ce livre électronique

Le processus qu’implique la transition de l’adolescence à l’âge adulte est beaucoup plus complexe que la simple atteinte de la majorité légale. Il comporte des enjeux identitaires fondamentaux qui sont abordés dans cet ouvrage sous un angle à la fois théorique et empirique. Cherchant, dans une visée globale, à mieux comprendre les réalités plurielles de la transition à la vie adulte, chaque chapitre éclaire à sa façon les défis de construction de soi et d’appartenance qui caractérisent cette période, que ce soit sur le plan des relations amoureuses et de l’intimité que sur le plan des réalités familiales et des parcours de vie marqués par la santé mentale, les traumas et la délinquance. Les chapitres situent également la transition à la vie adulte dans le contexte social actuel fortement teinté par l’utilisation des réseaux sociaux.

Cet ouvrage, le premier d’une collection consacrée au devenir adulte, rassemble des textes qui portent un regard scientifique sur la construction identitaire et l’appartenance, deux tâches centrales de la transition à la vie adulte. Il s’adresse principalement aux personnes en recherche et au corps étudiant universitaire tout en offrant des pistes de réflexion cliniques aux spécialistes qui exercent auprès des jeunes adultes.
LangueFrançais
Date de sortie22 mars 2023
ISBN9782760558403
Construction de soi et appartenance dans la transition à la vie adulte
Auteur

Julie Marcotte

Julie Marcotte, Ph. D., est professeure au sein du Département de psychoéducation à l’Université du Québec à Trois-Rivières depuis 2007. Elle est également chercheuse régulière au Centre de recherche universitaire sur les jeunes et les familles (CRUJeF) (CIUSSS-CN) depuis le début de sa carrière.

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    Aperçu du livre

    Construction de soi et appartenance dans la transition à la vie adulte - Julie Marcotte

    1

    Chapitre

    Identité au cours de la transition vers l’âge adulte

    Processus et résultats

    Seth J. Schwartz, Alan Meca et Sabrina Des Rosiers

    Résumé

    Ce chapitre passe en revue le rôle de l’identité dans la transition vers l’âge adulte, en commençant par examiner les théories de l’identité fondées sur les travaux d’Erikson sur le développement, soit le statut d’identité et ses prolongements, le style identitaire, l’expressivité personnelle et le bien-être eudémonique, ainsi que le capital identitaire. Nous examinons chacune de ces théories en nous attardant aux processus et configurations spécifiques les plus ou les moins susceptibles de faciliter une transition réussie vers l’âge adulte. Nous décrivons ensuite le stade de l’âge adulte émergent et les moyens par lesquels un sens de l’identité cohérent et agentique peut aider à contrer l’absence de structure externe qui caractérise ce stade. Enfin, ce chapitre traite des domaines de contenu de l’identité, de la manière dont les adultes émergents de différents horizons naviguent dans le processus de développement identitaire à travers les domaines, et de l’effet que le travail sur l’identité dans certains domaines peut avoir sur d’autres domaines.

    1. Mise en contexte

    Qui suis-je ? Où vais-je ? Quel est mon but dans la vie ? Qu’est-ce que je veux faire plus tard ? Ces questions sont de plus en plus pertinentes pour la vie des adolescents et des jeunes adultes depuis les années 1970, car les avancées technologiques ont accru la nécessité de faire des études supérieures (Côté et Levine, 2015 ; Wood et al., 2018). De plus, les relations amoureuses ont évolué : au lieu de se marier peu après la fin des études secondaires, les gens vivent plutôt une monogamie et une cohabitation en série pendant toute la vingtaine et une partie de la trentaine (pour une revue, voir Esteve et Lesthaeghe, 2016). De plus, compte tenu du déclin de la participation religieuse dans bon nombre de pays occidentaux (Smith et al., 2014), beaucoup de jeunes gens sont laissés à eux-mêmes pour sonder (ou pas) leurs convictions spirituelles et religieuses. Par conséquent, alors que, jadis, des structures et des traditions normatives orientaient en grande partie la transition entre l’adolescence et l’âge adulte, cette dernière s’est fortement individualisée dans les contextes occidentaux, où l’individu assume désormais l’essentiel de la responsabilité de trouver ses propres réponses aux questions touchant la carrière, les relations, la politique, les valeurs, la sexualité, la culture, la religiosité et la spiritualité au cours de sa transition vers l’âge adulte (Côté, 2019).

    Cette individualisation accrue a notamment pour conséquence une augmentation marquée de l’importance de l’identité (Côté et Levine, 2002), où un solide sens de l’identité se caractérise par la présence d’un sens cohérent des visées, valeurs et convictions personnelles. Bon nombre de comportements associés au mieux-être sont des composantes clés d’une vie personnelle, sociale et spirituelle équilibrée ; c’est par exemple le cas de l’optimisme, de l’apport à la société et de l’autogestion de la santé. De fait, un sens identitaire solide et autonome est lié à la prise de décision individualisée, au sentiment d’avoir un but dans la vie et à celui d’« être la même personne » en tout lieu et en tout temps (Schwartz et al., 2015, p. 17). À son tour, ce sens de l’identité bien développé et synthétisé est vraisemblablement un facteur prédictif de résultats de vie positifs, tels que l’accession à un emploi lucratif après des études universitaires (Côté et al., 2015). Ainsi, les jeunes qui développent un robuste sens identitaire sont susceptibles de s’en sortir plus favorablement dans la transition non structurée vers l’âge adulte propre à l’Occident que ceux dont l’identité est moins bien développée ou synthétisée.

    L’objectif de ce chapitre est d’approfondir la réflexion sur le développement identitaire au début de la vie adulte. Ce faisant, nous nous pencherons principalement sur les grandes théories de l’identité ainsi que sur l’âge adulte émergent en tant que période de développement identitaire et, en second lieu, sur les domaines de l’identité et les groupes auxquels chaque domaine est le plus susceptible de s’appliquer. Même si, dans ce chapitre, nous ne présenterons officiellement le concept d’âge adulte émergent qu’après avoir exposé les théories de l’identité, il faut voir l’âge adulte émergent comme l’étape de la vie pour laquelle ces théories ont le plus de pertinence.

    2. Principales théories de l’identité néo-eriksoniennes et leur pertinence à l’âge adulte émergent

    L’identité est un construit extrêmement vaste. On l’utilise, entre autres, pour parler des visées, valeurs et convictions personnelles (Kroger et Marcia, 2011), du rôle des gens au sein de la société (Stryker, 2003), des positions adoptées dans les conversations (Bamberg, 2004) et de la solidarité avec des groupes ethniques, culturels et nationaux (Schildkraut, 2014 ; Umaña-Taylor et al., 2014). Le terme identité a une portée si vaste que nous devons préciser quels aspects particuliers de l’identité nous nous efforçons d’étudier – et même de quelles disciplines il est question (p. ex. la psychologie, la sociologie, l’anthropologie, les sciences politiques) – pour arriver à donner à l’identité une définition assez étroite pour qu’elle puisse guider utilement nos travaux théoriques, empiriques et pratiques (pour une revue, voir Schwartz, Luyckx et Vignoles, 2011b).

    Dans ce chapitre, nous adoptons explicitement une perspective développementale sur l’identité, en nous concentrant sur le développement de cette dernière en tant que tâche normative à laquelle les adolescents et les adultes émergents doivent s’attaquer pour réussir leur transition vers l’âge adulte. Dans ce contexte, nous puisons dans les travaux théoriques et cliniques innovateurs d’Erikson (1966, 1972), qui a formulé sa perspective en se basant sur ses travaux cliniques auprès d’adolescents, de jeunes adultes et d’anciens combattants, sur la biographie de personnages historiques et sur des travaux ethnographiques auprès de tribus autochtones d’Amérique. Selon Erikson, un sens de l’identité cohérent est associé à l’autodétermination et à l’agentivité, par lesquelles la personne est en mesure de choisir et de maintenir une ligne de conduite avec une aide extérieure relativement minime, tandis qu’un sens de l’identité plus confus aurait des liens avec la désorientation, l’anomie sociale et le manque d’encadrement (voir Côté, 2018, qui a formulé les préoccupations des étudiants de niveau collégial en matière de santé mentale essentiellement sur le plan de la confusion identitaire plutôt que de la pathologie clinique).

    Erikson (1972) avance que la synthèse et la confusion sont les deux principales dynamiques sous-jacentes au développement de l’identité au cours de l’adolescence et de la transition vers l’âge adulte. Il désigne ces étapes de la vie comme les périodes où les problèmes d’identité sont les plus susceptibles de se manifester et où il importe le plus de développer une « voie à suivre ». Un aspect essentiel de la perspective d’Erikson est le principe selon lequel la synthèse et la confusion ne s’excluent pas mutuellement et peuvent coexister. Par exemple, une personne peut se sentir très sûre d’elle quant à ses plans de carrière, tout en nageant dans la confusion et l’incertitude en ce qui concerne ses relations. D’un autre côté, un adolescent peut avoir la certitude de vouloir devenir avocat, sans toutefois savoir comment s’assurer d’être admis à l’école de droit. Cependant, l’identité d’une personne est susceptible de subir des révisions et des transformations résultant de ses expériences actuelles et de l’évolution de sa situation.

    Si la théorie d’Erikson place l’identité au cœur des préoccupations à l’adolescence et au cours de la transition vers l’âge adulte, lui-même n’était pas un chercheur et il n’a donc pas opérationnalisé ses concepts afin de les évaluer empiriquement. Toutefois, plusieurs chercheurs ont par la suite élaboré des modèles empiriques qui puisaient largement dans les théories d’Erikson. Ces modèles se classent en deux catégories générales, selon qu’ils reposent sur le statut d’identité ou sur l’identité narrative (Schwartz et al., 2013). Le présent chapitre se concentre principalement sur les modèles basés sur le statut d’identité (on trouvera des analyses des modèles narratifs ailleurs dans McLean et Syed, 2014, par exemple). Généralement, les modèles fondés sur le statut d’identité reposent principalement sur des analyses quantitatives, tandis que les modèles narratifs reposent surtout sur des analyses soit qualitatives, soit par méthodes mixtes – bien que certaines études narratives quantifient des indices narratifs et s’en servent dans des analyses quantitatives (voir p. ex. Syed, 2010). Les études narratives et basées sur le statut peuvent aussi se compléter mutuellement, par exemple en menant des entrevues approfondies avec un petit nombre de participants de chacune des catégories identifiées dans le cadre d’une analyse quantitative (p. ex. Skhirtladze et al., 2018).

    Marcia (1966) a été parmi les premiers chercheurs à développer un cadre empirique quantitatif basé sur la théorie de l’identité d’Erikson (1966). Marcia désigne l’« exploration » et l’« engagement » comme les principales dimensions sous-jacentes au développement de l’identité ; l’exploration renvoie à l’examen des choix de vie potentiels et l’engagement, à l’adhésion à l’un ou plusieurs choix de vie. Marcia avance que l’exploration se produit généralement avant la mise en acte des engagements, et cette itération initiale de son cadre vise à brosser un portrait des profils identitaires des jeunes à un moment précis. Autrement dit, ce cadre n’est pas explicitement développemental.

    Marcia établit quatre statuts identitaires en divisant l’exploration et l’engagement en deux modalités – « présent » et « absent » – et en croisant ces deux dimensions subdivisées. Le statut de l’ « identité achevée » représente des engagements mis en acte à la suite d’une période d’exploration ; ce statut est considéré comme étant le plus flexible sur le plan cognitif et le plus mature sur le plan développemental (pour une revue, voir Kroger et Marcia, 2011). Le « moratoire identitaire » se caractérise par une exploration active sans engagements actuels ; il est associé à un faible niveau de bien-être et à des symptômes élevés d’anxiété et de dépression (Schwartz et al., 2011a). La « forclusion identitaire » désigne les engagements mis en acte sans exploration préalable ; elle se démarque par la confiance en soi, mais aussi par la rigidité et par une absence de curiosité ou de désir d’autoréalisation (Waterman, 2015). La « diffusion identitaire », pour sa part, est marquée par l’absence d’exploration et d’engagement. Les individus à l’identité diffuse sont souvent considérés comme non motivés, apathiques et insouciants à l’égard de leur propre évolution.

    Une documentation de plus en plus volumineuse s’est accumulée sur la personnalité, l’ajustement et les corrélats relationnels et comportementaux des quatre statuts identitaires (Kroger et Marcia, 2011). Toutefois, le modèle des statuts identitaires de Marcia a fait l’objet de critiques en raison de son caractère statique et simpliste et du fait qu’il donne une fausse représentation des travaux d’Erikson (p. ex. Côté et Levine, 2002 ; Schwartz, 2001). Schwartz (2001) et d’autres (p. ex. Crocetti, 2017 ; Luyckx et al., 2011) appellent à une expansion de la théorie et de la recherche néo-eriksoniennes sur l’identité au-delà du modèle des statuts, par l’incorporation d’autres dimensions, processus et influences contextuelles et culturelles relatives à l’identité. Un certain nombre de modèles répondent à cet appel, et nous en aborderons plusieurs ici. Nous commencerons par les modèles à cinq processus (Luyckx et al., 2011) et à trois processus (Crocetti, 2017), qui développent les dimensions de l’exploration et de l’engagement décrites par Marcia (1966), puis nous examinerons l’approche des styles identitaires de Berzonsky (2011), le modèle de bien-être eudémonique de Waterman (2008 ; Waterman et Schwartz, 2013), ainsi que les modèles du capital identitaire et des horizons identitaires de Côté (2000 ; Côté et Levine, 2015).

    2.1 Prolongements directs du statut d’identité : les modèles à cinq processus et à trois processus

    Luyckx et al. (p. ex. Luyckx et al., 2005, 2006) proposent un modèle qui décline le développement de l’identité en deux cycles distincts : la formation et le maintien. Le cycle de la formation consiste en une « exploration de surface », soit l’examen d’un éventail de choix identitaires, suivi par la prise d’engagements (Luyckx et al., 2006). Par la suite, les engagements développés au cours du cycle de formation sont évalués lors du cycle de maintien, où se succèdent une « exploration en profondeur » (l’évaluation de la mesure dans laquelle un engagement cadre avec le sens de soi) et une « identification aux engagements » (l’adhésion à ses propres engagements et leur intégration dans le sens de soi). Il est peu probable que l’individu s’identifie aux engagements considérés comme inadéquats – ce qui peut alors l’amener à poursuivre son exploration en surface.

    Peu de temps après la présentation initiale de ces quatre dimensions, Luyckx et al. (2008a) y ont ajouté un cinquième processus identitaire : l’exploration ruminative, caractérisée par le ressassement, l’inquiétude et la persévération à l’égard des décisions identitaires auxquelles l’individu fait face. L’exploration ruminative consiste en gros à continuer de chercher la solution parfaite à un dilemme identitaire et à se poser les mêmes questions sans faire de progrès vers la découverte de réponses et leur mise en œuvre. Luyckx et al. (2008a) constatent que l’exploration ruminative explique le lien entre le moratoire identitaire et les troubles de santé mentale, tandis que Luyckx et al. (2008b) observent que l’exploration ruminative explique en partie l’association entre le perfectionnisme mésadapté (le fait de s’autocritiquer parce qu’on ne fait pas les choses à la perfection) et les symptômes dépressifs. En gros, donc, l’exploration ruminative représente le « côté sombre » de l’exploration, qui se reflète dans un excès de conscience de soi entravant l’identité mature, en plus de freiner la croissance dans d’autres domaines tels que l’autonomie et l’intimité. L’exploration ruminative se révèle un facteur de risque de faibles engagements et réalisations, de même qu’un facteur prédictif de problèmes comportementaux et d’inadaptation chez les adolescents et les adultes émergents (Beyers et Luyckx, 2016 ; Mercer et al., 2017).

    Dans plusieurs pays, Luyckx et al. (2005), Schwartz et al. (2011b), Skhirtladze et al. (2018) et Zimmermann et al. (2015), entre autres, ont utilisé des méthodes de classification empirique centrées sur la personne, telles que l’analyse par grappes (cluster analysis) et l’analyse par classes latentes (latent class analysis), afin de repérer des constantes hétérogènes dans les catégories de statut identitaire. La plupart des études utilisant ce modèle à cinq dimensions font ressortir des grappes ou des classes qui représentent la réalisation et la forclusion. Toutefois, les grappes de la diffusion et du moratoire sont moins conformes au cadre original de Marcia (1966). Les chercheurs qui font appel au modèle à cinq dimensions observent généralement deux variantes de la diffusion identitaire, soit la diffusion troublée (troubled diffusion) et la diffusion insouciante (carefree diffusion) (p. ex. Luyckx et al., 2005, 2006 ; Mannerström, Hautamäki et Leikas, 2017). La diffusion troublée tend à caractériser les jeunes qui ont de la difficulté à faire une exploration assez soutenue pour mettre en acte des engagements, tandis que la diffusion insouciante est marquée par un manque d’intérêt pour les objectifs à long terme et pour la définition précise de soi. Dans un échantillon recueilli aux États-Unis, Schwartz et al. (2011a) observent que la diffusion troublée est associée à une forte incidence de symptômes dépressifs, tandis que la diffusion insouciante est corrélée à une prévalence accrue des agressions physiques, des infractions aux règles, de l’usage de drogues dures et de l’ivresse au volant. Par conséquent, la diffusion troublée semble se rapprocher davantage du statut de diffusion identitaire de Marcia, tandis que la diffusion insouciante représente une configuration identitaire antisociale bien définie (p. ex. souvent, les personnes antisociales se fichent des effets de leur comportement sur autrui).

    En ce qui concerne le statut du moratoire identitaire, en Belgique, Luyckx et al. (2008b) observent un statut de moratoire de nature ruminative, marqué par des scores élevés d’exploration ruminative. En revanche, dans plusieurs autres pays, notamment aux États-Unis (Schwartz et al., 2011b), en Finlande (Mannerström et al., 2017), en Géorgie (Skhirtladze et al., 2018), ainsi qu’en Suisse et en France (Zimmermann et al., 2015), on a vu émerger un statut de moratoire de nature exploratoire, où l’individu semble explorer d’autres avenues tout en maintenant ses engagements existants. Le moratoire exploratoire n’est pas compatible avec le modèle de Marcia, où le moratoire est défini comme une exploration sans engagements.

    Si le modèle à deux cycles est centré sur la formation et le maintien, les tenants du modèle « certitude-incertitude » (Crocetti, 2017 ; Crocetti, Rubini et Meeus, 2008) soutiennent que l’individu amorce l’adolescence avec certains engagements acquis de ses parents et qu’il a la tâche d’explorer ces engagements et de déterminer s’ils doivent être conservés ou reconsidérés. Dans ce modèle, le développement de l’identité se déroule en fonction de trois processus : l’exploration en profondeur, l’engagement et la reconsidération des engagements. La dimension de l’exploration en surface est absente de ce modèle. La dimension de l’exploration en profondeur est analogue au processus de Luyckx et al. (2006), tandis que l’engagement s’inscrit en parallèle avec la conception de l’engagement selon Marcia (1966) et avec la dimension de la prise d’engagements selon Luyckx et al. (2006). La reconsidération des engagements implique que la personne envisage la possibilité de remplacer ses engagements actuels alors qu’elle continue de les maintenir, tout comme le statut du moratoire exploratoire observé dans plusieurs pays au moyen du modèle de Luyckx et al. (2005).

    À partir de ces trois processus, Crocetti et al. (2009) extraient cinq statuts identitaires au moyen de méthodes d’analyse par grappes. Les quatre statuts d’origine de Marcia (1966) en émergent, plus un statut de moratoire exploratoire ayant une fréquence élevée dans les trois processus. La différenciation entre diffusion troublée et diffusion insouciante (qui émerge de presque toutes les études publiées utilisant le modèle de Luyckx et al. [2005]) ne figure pas dans la solution factorielle extraite du modèle à trois processus. En conséquence, on peut présumer que, malgré les similitudes entre ces deux modèles élargis des statuts identitaires, les résultats obtenus peuvent différer selon le modèle utilisé. Jusqu’ici, aucune étude empirique comparative n’a été publiée sur ces deux modèles, de sorte qu’on ne peut établir leurs recoupements que sur le plan théorique. Les événements ou les tournants particuliers qui font évoluer l’identité n’ont pas fait non plus l’objet d’une exploration élargie dans le contexte du modèle à deux cycles et du modèle « certitude-incertitude ».

    2.2 Style identitaire : un prolongement du statut identitaire orienté sur les processus

    Alors que le statut identitaire représente un portrait transversal des profils d’identité des jeunes gens, le modèle des styles identitaires (Berzonsky, 2011) a été mis au point afin de cartographier les stratégies utilisées par les jeunes adultes pour prendre des décisions pertinentes pour leur identité. Le modèle des styles d’identité adopte une perspective « constructiviste », où le développement de l’identité est considéré comme un processus de prise de choix identitaires qui exige des compétences cognitives et communicatives, notamment la pensée critique et la discussion, afin d’interpréter et d’organiser l’information pertinente pour soi (Berzonsky, 2016). Quand l’individu forme et met à l’essai des hypothèses sur des choix identitaires, il crée une théorie de soi concernant sa perception de qui il est (Berzonsky, 2011). Ce modèle propose trois styles : a) le style orienté vers l’information, qui consiste à chercher de l’information et à soupeser les options afin d’en choisir une ou plusieurs ; b) le style orienté vers la norme, qui consiste à chercher des règles et des standards à suivre ; c) le style diffus-évitant, qui consiste à tenter d’éviter de faire face à la situation tant qu’on n’y est pas forcé. Comme on peut s’y attendre, le style orienté vers l’information est principalement associé au moratoire et à la réalisation identitaires ; le style orienté vers la norme, à la forclusion identitaire ; et le style diffus-évitant, à la diffusion (Berzonsky, 1994). En particulier, le style diffus-évitant a souvent des liens avec la prise de décision passive et non agentique, de sorte que les jeunes qui ont recours à l’orientation diffuse-évitante sont susceptibles de vivre des difficultés considérables lors de leur transition non structurée et individualisée vers l’âge adulte (Schwartz, Côté et Arnett, 2005).

    La recherche suggère que ces trois styles identitaires correspondent à des aspects différents de l’identité (Berzonsky, Macek et Nurmi, 2003). Le style orienté vers l’information est surtout associé à l’identité personnelle, c’est-à-dire aux croyances, aux valeurs et aux choix de la personne. Cette association peut signifier que l’individu recherche la clarté dans ses objectifs, ses valeurs et ses croyances. Le style orienté vers la norme est surtout associé à l’identité collective, soit l’appartenance à des groupes, tels que la nationalité, l’ethnicité et la religion. Cette association reflète un sentiment d’obligation et de solidarité envers les groupes dont l’individu est membre. Le style diffus-évitant, pour sa part, est principalement associé à l’identité sociale, c’est-à-dire à la popularité, à la réputation et au fait d’être aimé par les autres. Cette association reflète une approche situationnelle de l’identité, selon laquelle les décisions sont prises en fonction de considérations superficielles plutôt que d’une recherche de sens ou de l’allégeance à un groupe. De même, les trois styles correspondent à différentes orientations de causalité (les causes auxquelles l’individu attribue son comportement) (Soenens et al., 2005). Le style orienté vers l’information est lié à une orientation autonome, dans laquelle l’individu considère que son comportement et ses résultats de vie sont enracinés dans ses propres choix. Le style orienté vers la norme est lié à une orientation contrôlée, par laquelle l’individu considère que son comportement et ses résultats de vie subissent l’influence d’exigences extérieures ou de normes qu’il a acquises d’autrui. Le style diffus-évitant est lié à une orientation impersonnelle, par laquelle l’individu considère que son comportement et ses résultats de vie subissent l’influence de forces qui échappent à son contrôle. En bref, le style orienté vers l’information est lié au leadership, le style orienté vers la norme, à la conformité et au statut de « bon soldat », et le style diffus-évitant, à un sentiment de fatalisme, à un manque d’orientation et à une insouciance face à son propre avenir.

    Essentiellement, le style diffus-évitant amène l’individu à se saboter lui-même, à « se mettre des bâtons dans les roues ». Cependant, la question se pose à savoir si cet autosabotage se produit parce que l’individu nage vraiment dans la confusion quant à sa propre nature, ou s’il s’agit d’un moyen stratégique de se soustraire au travail sur son identité (ou encore d’un moyen d’autoprotection mésadaptée). À la suite d’une série d’études, Berzonsky et Ferrari (2009) ont constaté que le style diffus-évitant comporte souvent un évitement délibéré des décisions identitaires, qui consiste par exemple à inventer des excuses ou à s’engager dans des activités concurrentes. Les personnes qui ont le plus largement recours au style diffus-évitant sont les moins susceptibles de déclarer s’engager dans des activités qui leur donnent un sentiment de finalité et de sens (Schwartz et al., 2000). Il est toutefois important de noter que le style diffus-évitant n’implique pas nécessairement de la paresse ; il représente plutôt une orientation basée sur la perception de n’exercer qu’un contrôle limité sur sa propre vie, un sentiment d’impuissance et une crainte (ou une réticence) à planifier son avenir.

    2.3 Expressivité personnelle et bien-être eudémonique : découvrir et actualiser son but dans la vie

    Waterman (2008, 2011) propose d’ajouter une troisième dimension au cadre des statuts identitaires de Marcia, à savoir si les engagements identitaires de la personne sont un reflet de son potentiel inné. Un individu peut très facilement explorer un ensemble de choix de vie possibles et sélectionner une ou plusieurs de ces options – ce qui lui confère un statut de réalisation identitaire – sans toutefois que son choix d’engagements exploite ses talents ou ses potentiels fondamentaux. Selon l’argument principal de Waterman, les engagements réalisés (ou forclos) qui correspondent aux talents et aux potentiels innés de la personne, ou qui s’appuient sur ceux-ci, sont plus adaptatifs que ceux qui ne présentent pas cette correspondance. En effet, contrairement à la perspective constructiviste de Berzonsky, l’approche de Waterman (1984) découle d’une perspective de découverte de soi, selon laquelle le véritable moi de la personne – ou son ensemble de potentiels – existe avant d’être découvert, la mission de l’individu consistant alors à trouver et actualiser son véritable moi. Contrairement aux théories axées sur la construction de soi, la perspective de Waterman

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