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Ndolo Bukate: Modern love
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Livre électronique101 pages1 heure

Ndolo Bukate: Modern love

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À propos de ce livre électronique

« Alors que nous étions assis sur des poufs marocains, autour d’une table en bois d’inspiration africaine, entourés de tentures en peaux de bêtes, écoutant de l’afro-beat et sirotant nos cocktails colorés, Flora était en pleine jactance, ses lèvres s’agitant frénétiquement comme les deux cordes infranchissables d’un double dutch. Elle ne laissait techniquement pas d’espace pour en placer une. En fait, elle ne laissait pas d’espace tout court. Une feuille à rouler n’aurait pas pu s’immiscer dans le mince interstice qu’il y avait entre elle et Fred, et que ce dernier préservait vaillamment, non sans lutte de tout instant. »


À PROPOS DE L'AUTEURE


L’écriture est, pour Eugénie Lobe, l’aboutissement d’une vie faite de littérature. Avec Ndolo Bukate - Modern love, elle signe son tout premier livre publié.

LangueFrançais
Date de sortie15 juil. 2022
ISBN9791037757715
Ndolo Bukate: Modern love

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    Aperçu du livre

    Ndolo Bukate - Eugénie Lobe

    Clément et la soirée parisienne

    L’homme va au théâtre pour se regarder lui-même.

    Louis Jouvet

    La première fois que je l’ai rencontré, c’était en cours d’écriture théâtrale et cinématographique à la Sorbonne. Élève plus brillante que studieuse, j’avais eu mon bac avec mention sans bosser et il était hors de question que je m’y mette à la fac, qui était pour moi davantage un lieu d’expérimentation et de rencontre qu’une réelle opportunité d’accroître mon savoir et ma connaissance sur un quelconque sujet.

    J’avais pris cette unité de valeur à défaut, car c’était la seule sur laquelle les inscriptions étaient encore ouvertes. Je n’y assistais que très rarement. Assez populaire parmi les premières années, je trouvais toujours une étudiante chargée de prendre les cours pour moi, sans contrepartie excessive.

    La première fois que je l’ai entendu, il expliquait d’une voix grave de tribun, sur laquelle glissaient toute sorte de mots compliqués, en quoi le théâtre de Louis Jouvet était novateur. La profondeur de son timbre et la particularité de sa diction m’ont distraite des habituels commérages auxquels je me livrais à voix semi-basse avec n’importe laquelle de mes voisines. J’évitais les garçons, depuis que l’un d’eux avait profité de nos sympathiques joutes verbales sur le rap de Tupac et Biggie, pour opérer un rapprochement stratégique, qui n’avait pas lieu d’être.

    Je me suis retournée et je l’ai vu. Pour la première fois. Il m’était souvent arrivé de le regarder dans le couloir lorsque notre prof avait du retard, mais nous ne nous prêtions aucune attention. Je ne le voyais littéralement pas. Il était si blanc. Si transparent. J’étais le genre de fille à ne sortir qu’avec des noirs, et cette fac offrait peu de possibilités en la matière, malheureusement. J’arrivais en boîte le week-end avec le même regard affamé qu’une gamine devant un Candy shop bien achalandé.

    Mais ce jour-là, je l’ai vu comme s’il avait été noir ébène. Grand, épaule large, regard ténébreux, mâchoire carrée laissant entrevoir une rangée de dents impeccables et le sourire en biais des bogoss de série télé. La mèche à l’avant vaguement ondulée et négligemment ramenée à l’arrière. Il aurait pu figurer au générique de Beverly Hills. Il était, qui plus est, vraiment brillant, car contrairement à moi qui ne faisais qu’illusion, lui se donnait vraiment les moyens de l’être et avait une érudition livresque, étonnement remarquable pour un jeune de son âge.

    Il m’a adressé la parole un jour, alors que nous étions en classe. Je n’aurai jamais fait le premier pas. Je me suis retournée, soulagée. Il m’avait aussi vu. Nous avions hâte de faire connaissance et bientôt nous ne nous quittâmes plus de tout le semestre.

    Et bien que nous ne nous fréquentions pas en dehors de ce cours, mes amis noirs avaient remarqué les regards brefs et signes de tête que nous nous adressions furtivement à la cafétéria, à la bibliothèque, dans le hall du bâtiment principal et parfois jusqu’au métro.

    — Mais c’est qui ce babtou avec qui tu parles maintenant ? Genre… me demanda un jour Mariam.

    — Quel babtou, tu parles de qui ?

    — Arrête de faire genre, le mec qui sautille quand il marche, on dirait qu’il veut toucher le ciel…

    Je ne pus m’empêcher de rire. Mariam avait toujours l’expression qui faisait mouche.

    — D’ailleurs, on dirait bien qu’il y’a pas que le ciel qu’il veut toucher, ajouta-t-elle en piaffant…

    — Clem, c’est juste un pote !

    — Clem… alors, c’est comme ça. À peine arrivé, le gars a déjà un diminutif. Vous êtes des rapides dis donc. C’est quoi son vrai prénom… Clémentine ? Parce que les whites aiment trop donner à leurs enfants toute sorte de noms de fruit.

    — Mais non, toi aussi, fais pas ta villageoise qui vient de débarquer en France à dos de caïman !

    — Comment ça, je garde leurs mômes, j’ai déjà eu droit à Prune, Clémentine et même Pomme… Et même moi, vu ce qu’ils me paient, ils pourraient tout aussi bien m’appeler « Poire » !

    — Toutes des filles, je suppose. Et tu vois bien que c’est un mec.

    — J’en sais rien, j’ai pas été vérifier et je te conseille de t’en abstenir toi aussi. Ils ont des pratiques cheloues au lit et les trois quarts d’entre eux ont des zizis pas coupés…

    — Circoncis, Mariam, tu fais une fac de lettres quand même… Tiens, voilà Damian, lui fis-je opportunément remarquer.

    Damian était le petit ami métis de Mariam, et faisait office pour moi, depuis qu’il m’avait prise sous son aile, de grand frère de substitution. Nous partagions en outre, la même passion pour Bob Marley. Je profitais de leurs retrouvailles goulues pour rejoindre à toute vitesse Clément à l’autre bout de la place carrée.

    Il était attablé en terrasse, autour d’un café. Sa jambe, posée en équerre sur l’autre jambe restée au sol, laissait largement entrevoir une légère protubérance. Je repensais aux paroles de Mariam, en me félicitant de n’être pas blanche ou tout aussi claire qu’elle. Je n’aurai eu aucune chance de masquer ma gêne.

    — Je t’attendais, me dit-il de sa voix suave, en me présentant la chaise dont il protégeait le dossier de son bras, tout prêt à m’accueillir.

    Ou, peut-être, me cueillir. Qu’importe, nous pouvions passer comme tous les étudiants parisiens avant nous et longtemps encore ceux après nous, des heures à discuter en terrasse, communiant par le regard, le rire, le contact accidentel de nos doigts, le frôlement léger de nos bras nus.

    Je menais en ce temps-là une vie très oisive qui devait me conduire à retaper mon année et comme je n’avais rien à faire en attendant cet inévitable redoublement, Clément devint rapidement ma principale occupation. Lui, élève studieux se destinant au prestigieux métier de comédien, était toujours le premier à écourter nos moments de partage. Il devait aller répéter, ou se rendre en bibliothèque, ou encore en librairie pour acheter quelques incontournables références.

    En dépit du trouble qu’il m’inspirait, je ne me voyais pas du tout l’embrasser ni le toucher. Je ne voyais pas sa peau blanche recouvrant mon corps noir et nu de toute sa surface. Je ressentais sa chaleur protectrice lorsque son bras était posé par-dessus mon dossier, mais je ne me voyais pas le laisser m’enlacer publiquement et marcher avec fierté dans les rues de la capitale, comme je le faisais avec mes petits copains noirs épisodiques.

    Pourtant, au fur et à mesure que nous passions du temps ensemble, j’en viens à ne plus voir la couleur de sa peau et admettre qu’il m’attirait littéralement. En aparté.

    Il m’avait fait découvrir Louis Jouvet et le théâtre de Carme, ainsi que l’origine de répliques aussi cultes que bizarre, vous avez dit bizarre, très largement utilisée dans le langage courant, mais dont beaucoup ignoraient le contexte originel.

    L’unité de temps, de lieu et d’action s’appliquait admirablement à nos rencontres en huis clos, à la différence que nous ne jouions pas la comédie. Du moins, n’ayant aucun don de voyance extralucide, les sentiments que je développais pour lui étaient bien réels, même si je ne les assumais pas.

    Il me rejoint un jour à la bibliothèque où je travaillais avec Damian sur un devoir d’anglais, en tutorat. Damian avait pris très à cœur son rôle et considérait que sa responsabilité de tuteur allait au-delà de l’aide à l’organisation des devoirs, leur éventuelle supervision ou

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