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Rire au Paradis ne serait pas convenable... Alors, n'attendons pas !
Rire au Paradis ne serait pas convenable... Alors, n'attendons pas !
Rire au Paradis ne serait pas convenable... Alors, n'attendons pas !
Livre électronique393 pages5 heures

Rire au Paradis ne serait pas convenable... Alors, n'attendons pas !

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À propos de ce livre électronique

Ce n’est pas le but qui compte, c’est le chemin…
Le livre de Pierre Douglas est le récit d’un parcours original, voire fantaisiste, celui d’un représentant de commerce devenu journaliste puis chansonnier et comédien.
En ce début de vingt-et-unième siècle particulièrement sombre, il est salutaire de pouvoir lire ce récit, drôle, d’une vie hors norme menée tambour battant par un homme résolument optimiste mais lucide.
Pierre nous raconte ses rencontres avec des grands noms de la scène : Georges Brassens, Raymond Devos, Jean Amadou, Robert Manuel, Jean Piat, mais aussi de la télévision et du cinéma, comme : Henri Verneuil Lino Ventura, Michel Serrault, Pierre Tchernia, Claude Chabrol, et bien d’autres…
Tout cela sans cesser de fustiger avec humour toute la classe politique - Marchais, Giscard, Mitterrand, Chirac, Sarkozy, Hollande - depuis 42 ans sur les scènes parisiennes et dans son spectacle « Seul en scène » tiré de cet ouvrage.


« Vous nous faites du bien… Et puis vous ne dites pas que des conneries… votre spectacle devrait être remboursé par la sécurité sociale. » (une spectatrice)
LangueFrançais
Date de sortie12 déc. 2019
ISBN9782875912169
Rire au Paradis ne serait pas convenable... Alors, n'attendons pas !

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    Aperçu du livre

    Rire au Paradis ne serait pas convenable... Alors, n'attendons pas ! - Pierre Douglas

    9782875912152.jpg

    Pierre Douglas

    Rire au Paradis

    ne serait pas convenable…

    Alors, n’attendons pas !

    Fortuna Editions

    Chaussée de Lille 327/0.4 B-7500 TOURNAI Belgique

    Du même auteur

    « Hauts voleurs » chez Presse de la cité

    « Ils ont osé le dire » Michel Lafon

    « Sarko folie’s » aux Éditions du Rocher

    « On n’a pas fini de rigoler » chez Philippe Rey

    « Ils ont osé ! » chez Éditions Archipel

    Photographie de couverture par Michel Trihoreau

    © Fortuna Editions, 2019

    ISBN : 978-2-87591-216-9

    À Éliane, ma femme

    À David, Cédric, Thomas, mes fils

    Vivre, ce n’est pas attendre que l’orage passe,

    c’est apprendre à danser sous la pluie.

    Sénèque

    Il faut donner sans se souvenir et recevoir sans oublier.

    Brian Tracy

    Avant-propos

    Je ne suis pas un homme compliqué. Je ne suis ni un intellectuel, ni un manuel. J’espère être spirituel, au sens étymologique du terme. Je suis quelqu’un de sincère, d’un naturel joyeux et je suis optimiste. Je suis toujours prêt à voir le bon côté des évènements et des personnes.

    J’aime les gens.

    Je suis fait d’un seul bloc, mais je ne suis pas rigide. J’aime le changement, la nouveauté. Même si je préfère le stylo à plume et les conversations directes aux mails et au téléphone, je m’adapte. Jusqu’à un certain point. Je possède un IPhone, mais pas d’ordinateur. Je lis les journaux papiers, et les livres imprimés, mais j’écoute la musique sur un MP3 et des CD. Pourtant, je suis un homme pressé. Je ne marche pas. Depuis toujours, je cours… Parce que je peux encore courir, et parce que je ne déteste rien tant que l’inactivité, la pause. Ces instants où la vie est comme suspendue, déclenchent chez moi une angoisse existentielle qui menace très vite mon intégrité physique et mentale. À la question fondamentale, formulée ainsi par Pierre Dac :

    – Qui suis-je ? D’où viens-je ? Où vais-je ?

    Comme lui, je réponds :

    – Je suis moi, je viens de chez moi, et j’y retourne.

    Même si je suis quelqu’un d’entier, je peux changer d’avis en un dixième de seconde, à condition que ça ne heurte pas mes convictions profondes.

    Je n’ai jamais eu de plan de carrière, ni d’objectif évident, mais toute ma vie j’ai été poussé par une volonté irrépressible de suivre mes enthousiasmes et mes pulsions et de m’exprimer à voix haute. Rien ne me blesse autant que l’absence de contact, le silence. Je peux tout accepter, mais je veux comprendre, et surtout, je veux qu’on me parle. L’absence de réponse, le non-dit, sont les seules choses que je ne pardonne pas aux autres.

    Je suis un homme libre, et j’en profite.

    Mes passions successives et concurrentes m’ont poussé à aller chercher, à chaque moment de ma vie tout ce que je désirais, avec les dents. Ce n’est pas surprenant, c’est dans ma nature. Si j’étais resté assis en attendant que ça me tombe du ciel, je serais ensablé.

    « Deux intellectuels assis vont moins loin qu’une brute qui marche{1} »

    Voici mon histoire.

    1. Prémisses

    Le jour de mes sept ans, au moment de souffler les bougies de mon gâteau d’anniversaire devant la famille réunie, j’ai dit :

    – Quand je serai grand, je monterai sur une scène et je ferai rire les gens !

    Personne ne fit attention à cette déclaration qui ne surprit aucun membre de ma famille. J’avais déjà la réputation d’une bonne nature, qui riait facilement et s’accommodait de toutes les contraintes, voire des punitions dans la bonne humeur. Quand mon père exécuta un double salto-arrière et s’écrasa sur le dos dans la cuisine où je venais de casser une bouteille d’huile, rien n’aurait pu m’empêcher de me tordre de rire.

    Je suis né en 1941 sous le signe du lion ascendant lion, dans une famille d’artistes. Ma mère, catholique convaincue et choriste professionnelle chantait en semaine dans les chœurs de la RTF{2} et chaque dimanche matin à l’église Saint-Sulpice. Mon père issu d’une famille protestante, était professeur d’Anglais-Allemand et accessoirement d’Éducation physique. Il préférait la langue de Goethe qu’il maitrisait parfaitement grâce à ses voyages annuels en Allemagne et quatre années d’occupation. Avant la guerre, il s’était fait un nom à la radio de Tübingen en animant une émission de variétés en allemand, où il interprétait des chansons françaises. Chez nous rue de Vaugirard, il chantait en allemand, des poèmes de Goethe mis en musique par Schubert, ou d’autres lieder de Heine, mis en musique par Schuman, comme « les amours du poète »… J’en connaissais chaque vers et je suis encore capable aujourd’hui, de les chanter moi-même. Mon père, qui se prénommait Horace avait trois passions : la langue allemande, la littérature et le chant. C’était un original sujet aux sautes d’humeur, dénué d’humour et de sens pratique. Orphelin de père, et cadet d’une famille de quatre enfants, il avait grandi sans image paternelle, élevé exclusivement par des femmes qui l’avaient préservé de tous les désagréments d’une vie chiche. C’est ma mère, de douze années sa cadette, qui avait pris la relève et gérait seule, son mari et ses quatre enfants. Horace lui, jouissait de la vie et s’occupait de nos loisirs et du sport. Chaque dimanche, il nous entrainait dans son sillage par ordre de taille, équipés de patins à roulettes, à la découverte de Paris. Nous dévalions les rues à sa poursuite jusqu’à un monument célèbre, où nous nous arrêtions pour l’écouter. Sur le parvis de « Notre Dame de Paris », il nous contait comment Quasimodo, suspendu par un bras à une corde s’élançait des tours de notre Dame, soulevait par la taille la jeune Esméralda, pour la mettre à l’abri dans son clocher. Dans la cour du Louvre, c’était au tour des « trois mousquetaires » de combler notre imaginaire. La Conciergerie, les Tuileries, la place de Grève, les catacombes, l’Opéra, tous ces lieux magiques, prenaient vie grâce à lui, à travers la littérature française. Je dois aussi à mon père ma culture cinématographique et mon deuxième prénom « Douglas », car il était un fervent admirateur de l’acteur Douglas Fairbanks, à qui il ressemblait. Mon patronyme se prêtant aux plaisanteries, j’ai choisi mon deuxième prénom comme nom de scène. Lorsque j’ai rencontré Michael Douglas, à Deauville, je me suis présenté sous mon nom de scène : Pierre Douglas. Surpris, il m’a considéré, et désignant la fossette de son menton, une caractéristique que je possède aussi, il s’est exclamé :

    – Vous aussi, avez « le » marque de « le » famille !

    J’ai fréquenté plusieurs écoles avec assiduité. Le lycée Montaigne d’abord jusqu’en troisième, puis Louis Le Grand où j’ai fait une courte incursion. Partout j’étais très populaire auprès des élèves que je distrayais en imitant mes professeurs avec talent. Je saisissais très vite les caractéristiques de chacun, leurs tics de langage, leurs attitudes et leurs fragilités que je restituais en classe toujours à propos devant mes camarades ravis. Dès la sixième, j’ai organisé des « goûters » où j’invitais un professeur différent chaque jeudi et je jouais avec mes meilleurs copains les sketches que j’avais préparés. Je portais plus d’attention à la personnalité de mon entourage, les surveillants, le concierge, les professeurs, qu’au contenu des cours qui nous étaient dispensés. Je n’étais intéressé que par la littérature, l’histoire, et les langues. En quatrième, quand on a étudié « Horace » la pièce de Corneille, j’ai contraint un autre élève à apprendre le rôle de Curiace me réservant le premier rôle, et le jour de la composition de récitation nous avons joué « la fameuse scène de l’acte 1, entre les deux combattants ». Je connaissais le rôle vedette de chaque pièce de Corneille, et de Racine… Même si j’ai pris tout mon temps pour arriver jusqu’en seconde, mes bulletins de notes ne m’ont pas permis de passer en première à Louis Le Grand.

    – Nous allons changer notre fusil d’épaule… décréta ma mère, en m’inscrivant en première dans une école technique. J’y fus vite aussi populaire que dans les établissements précédents. J’avais là, un public plus large et enthousiaste, car j’avais fait des progrès dans le rôle d’amuseur public. Dans l’amphithéâtre où grondaient cent cinquante élèves, j’organisais les chahuts et déployais mes talents d’imitateur. Les enseignants devenaient fous. Pourtant le professeur de français et celui d’histoire, me cédèrent l’estrade à plusieurs reprises. Le temps pour moi de « faire » l’un des sermons de Bossuet, et une autre fois de remplacer Danton devant l’assemblée constituante, ou le tribunal révolutionnaire. Je faisais plus que réciter. Après avoir étudié un discours de Danton, imprégné de la personnalité du tribun et de l’ambiance de l’époque, je montais sur l’estrade. Et à ce moment-là, c’est la liberté que je défendais avec fougue devant mes congénères médusés. Malheureusement ce talent incontesté ne suffit pas à accroitre une moyenne désastreuse. Je n’avais aucun goût pour la mécanique, la physique, et à peine plus pour les mathématiques. Lors de l’épreuve technique du bac, on nous a demandé de dessiner un moteur… Je l’ai contemplé sous différents angles à travers les becs de mon pied à coulisse, et je suis sorti pour aller au cinéma. J’ai assisté aux autres épreuves avec un peu plus de conviction, mais sans résultat. J’avais choisi l’option musique, au bac. Bien que je sois le seul enfant de la famille à ne pas en avoir fait – je n’étais pas assez sérieux, disait ma mère– j’aimais la musique et le chant. Quand elle préparait un concert, j’étais le seul à l’accompagner aux répétitions. Au bac, je comptais chanter « Le roi des aulnes{3} » en allemand. J’avais apporté la partition à l’examinateur pour qu’il m’accompagne au piano, mais c’est une pièce ardue qu’il avoua être incapable de jouer.

    – Ce n’est pas grave, je vais vous le chanter a capella.

    J’ai obtenu la note maximum, mais cela n’a pas suffi à combler le vide de mes connaissances en mécanique et dans les autres matières.

    J’ai raté mon bac.

    Ma mère a dû « changer son fusil d’épaule » une fois de plus. Elle m’a inscrit dans une école de commerce, pensant que mon bagout naturel serait utile dans ce domaine. Je n’ai pas discuté. J’étais content de changer d’endroit, de rencontrer de nouvelles têtes. Je n’avais aucune angoisse vis à vis de l’avenir. Je vivais l’instant. Je déployais une énergie formidable dans tout ce qui me plaisait : le sport bien sûr, le vélo, le tennis, la course à pied… J’étais scout aussi. Chaque été j’allais en colonie de vacances dans le camp qu’organisait mon oncle qui était prêtre. J’adorais l’ambiance, marcher, faire du feu de bois, coucher sous la tente, servir la messe, chanter, et faire rire mes camarades. Plus âgé je suis devenu « moniteur » un des rares diplômes que je possède, avec le brevet de natation des vingt-cinq mètres.

    Chaque jour, je me rendais à vélo dans ma nouvelle école dans le XVIe arrondissement où les cours n’avaient lieu que le matin. L’après-midi, après le sport, j’allais, toujours en vélo, rue de l’Église dans le XVe, dans un foyer « JCLT{4} » qui accueillait de jeunes délinquants d’origine maghrébine. Mon oncle curé m’avait recommandé auprès du directeur de ce centre où je devins une sorte d’éducateur. La guerre d’Algérie durait depuis trop longtemps et la situation de ces gamins déboussolés, me touchait énormément. Je leur consacrais toutes mes soirées de dix-sept à vingt-trois heures, partageant leurs diners leurs études et leurs distractions. Le dimanche, je jouais au foot avec eux, et pendant les vacances, je les emmenais en colonie.

    Ma bonne humeur permanente, mon absence d’a priori ou mon innocence, faisaient merveille…, J’y suis allé tous les jours pendant les quatre années que j’ai passées dans mon école de commerce. Je suis convaincu d’avoir été utile, même si plus tard, quelques-uns de mes anciens protégés, sont passés par la case prison, à la suite de hold-up et de braquages qui ont fait la une des journaux. Je les ai attendus à la sortie pour les aider à reprendre pied.

    J’ai tout de suite trouvé mes marques dans cette école mixte que j’ai fréquentée de 1960 à 1964. J’avais de nouveaux modèles et une audience renouvelée issue d’un milieu bourgeois que je ne connaissais pas. Encore plus facile. Mes talents furent bientôt connus de tous, professeurs, élèves, administratifs. J’étais la coqueluche de l’école… En dernière année pendant les vacances de Pâques 1964, les élèves avaient organisé un séjour de deux semaines aux Baléares, l’occasion pour jeunes gens et jeunes filles de se retrouver librement pour flirter, loin de la capitale et de leurs parents. Ils tenaient à ma présence. Sans moi la fête ne serait pas complète et comme je ne pouvais pas m’offrir cette parenthèse, ils négocièrent eux même auprès du directeur du centre de délinquants dans lequel je travaillais chaque soir depuis longtemps, une indemnité suffisante pour payer mon voyage. Je suis donc allé aux Baléares, où j’ai rencontré la femme de ma vie, qui faisait des études de médecine en province. Elle avait vingt ans et participait au séjour en tant qu’amie d’une élève de mon école. Je ne l’ai plus lâchée.

    J’ai fait le nécessaire et le suffisant, pour obtenir enfin un diplôme de marketing, et en juin 1964 j’ai animé la soirée qui clôturait mes études.

    Du sur-mesure. Tous les professeurs étaient là, les gestionnaires, les anciens élèves et aussi ceux de mon année. Environ trois cents personnes. Je portais mon premier costume, trop grand, dont ma mère qui espérait que je grandisse encore, avait replié le bas des manches et de la veste. Je m’y suis rendu avec mon vélo, comme d’habitude, et après avoir retiré les pinces qui contenaient le bas de mon pantalon, je suis monté sur scène pour mon premier « Seul en scène ».

    Il consistait à présenter de façon originale les participants, et de les mettre en valeur, même les plus coincés. Ce fut un succès. Dans l’assistance, il y avait José Artur{5}, qui produisait alors « Les Ardugos », une émission de variété qu’on pouvait entendre chaque soir après vingt heures, sur France-Inter. À la fin de la soirée, José Artur s’est approché de moi et m’a proposé d’aller le voir à la maison de la radio. Ce que j’ai fait dès le lendemain.

    Séduit par mon aisance devant un micro, il m’a invité à participer à l’émission aux côtés des autres animateurs, et j’ai fait mes débuts sur les ondes le 4 juin 1964.

    J’ai donc passé tout l’été à travailler comme animateur le soir. Dans la journée, je faisais découvrir Paris à ma future femme, la jeune fille des Baléares qui était venue de Rouen poursuivre ses études de médecine dans la capitale. Je n’étais pas étranger à cette délocalisation.

    J’ai fait mes premières interviews cet été-là à la demande de José Artur. Juliette Greco passait à Bobino. C’était une personnalité très connue, une chanteuse à part, une intellectuelle, qui fréquentait Sartre, Sagan, Boris Vian, Orson Welles, Jacques Brel… et j’étais très impressionné.

    Elle me reçut à Bobino et répondit à quelques questions avec élégance, quand je me trouvai brutalement à court d’inspiration et me tus.

    Alors, Juliette Greco de dire avec sa voix grave et un sourire moqueur :

    – Alors jeune homme, il n’y a plus de charbon dans la machine ?

    Je n’ai plus jamais interviewé qui que ce soit sans m’être préparé soigneusement. Les bonnes questions amènent les bonnes réponses.

    J’ai eu aussi la chance sur l’antenne de France inter d’interroger Barbara. C’était une petite femme sombre au regard acéré. De la même génération que Juliette Gréco, elle avait du mal à imposer son style dépouillé très personnel. Quand je lui ai demandé quels messages elle voulait transmettre dans ses chansons, elle m’a fait cette réponse surprenante que je n’ai jamais oubliée :

    – Mais je n’ai pas de message… J’écris des zinzins…

    Elle venait d’écrire deux chefs d’œuvre : « Nantes », où elle parle de la mort de son père, et surtout : « Göttingen » lors d’un séjour en Allemagne de l’ouest. Le moment pour elle d’en dire plus n’était sans doute pas encore arrivé.

    Le 4 novembre 1964, je suis parti au service militaire. J’avais demandé l’Allemagne, j’ai été incorporé à Montlhéry dans le « Train des équipages ». La guerre d’Algérie était finie, mais la durée du service militaire était encore de seize mois. Conscient d’avoir échappé au pire –j’ai toujours pensé qu’en cas de conflit, je prendrais la première balle dans le front– je déplorais d’avoir à quitter l’émission de radio qui m’avait lancé, du jour au lendemain dans un métier fait pour moi.

    Comme d’habitude, j’ai fait bonne figure et j’ai profité de cette parenthèse pour faire du sport et passer mon permis de conduire, véhicule léger, et poids lourds. Deux diplômes supplémentaires. Pendant mes classes, j’ai appris à marcher au pas, à démonter mon fusil (mais j’étais incapable de le remonter), et à tirer sur des cibles fixes. Comme je suis hypermétrope et astigmate, j’améliorais notablement le score de mes camarades et réussissais la performance de laisser intacte ma propre cible. Dans ma chambrée, je devins vite populaire en imitant l’adjudant Pidal, un petit bonhomme à l’accent du midi qui roulait les rr comme personne. Convaincu de l’importance de sa mission éducative et du respect de la hiérarchie, il multipliait les ordres absurdes…

    – Alignez les lits !

    – On ne peut pas, mon adjudant, les murs ne sont pas droits.

    – Alors RRReculez les murs, pour aligner les lits Je m’écriais alors :

    – Allons-y les gars, avec moi, on pousse.

    Nous formions alors une mêlée de quinze hommes accrochés les uns aux autres, et arcboutés contre les murs, pour essayer de satisfaire notre adjudant.

    Mes classes achevées, je suis resté à Montlhéry pour encadrer les recrues fraichement incorporées dans le peloton. Je leur apprenais à marcher au pas en chantant, et je les emmenais en exercice. Dès que nous étions hors de vue du camp, j’ordonnais.

    – Posez votre barda, asseyez-vous et sortez les transistors.

    Et nous passions l’après-midi à nous détendre. Puis on rentrait à la base, l’air harassé. Le soir j’organisais les sorties illicites. Je montrais aux nouveaux où et comment faire le mur, et leurs expliquais les règles élémentaires à respecter. S’éloigner suffisamment du camp avant de faire du stop. J’avais moi-même, alors que je n’avais pas de permission, arrêté la voiture d’un gradé pour qu’il m’emmène à Paris… Rassuré par ma décontraction, il avait cru à une sortie réglementaire.

    Le temps passait mollement, je faisais douze secondes au cent mètres, remportais régulièrement le trois mille mètres et le cross. N’étant pas très costaud, en cas de conflit j’oppose l’humour, et en cas d’échec je privilégie la fuite. Ce n’est pas de la lâcheté, c’est du réalisme.

    Au CIT 151, je me suis fait remarquer des gradés, pour mon aptitude à faire chanter mon peloton en mesure. On me chargea de faire répéter le soir dans les chambrées, les cinquante hommes de mon peloton. Un défilé réunissant toutes les compagnies devait avoir lieu en fin d’année sur la base. Le capitaine Randriambololona avait décidé que sa compagnie (la mienne), ferait à cette occasion, une démonstration de chants guerriers. Une répétition générale devait avoir lieu en sa présence et sous ma direction, un samedi matin sur l’esplanade du camp, au pied des couleurs. J’avais prévu de passer la soirée du vendredi à Paris, et comme je n’avais pas de permission, j’avais fait le mur. Le samedi matin, quand mon réveil a sonné à cinq heures, je l’ai ignoré. Et dans l’élan, j’ai passé le weekend à Paris. L’image des cinq pelotons qui composaient ma compagnie soit deux cent cinquante hommes alignés devant les gradés dont mon capitaine, dans la fraicheur de ce matin de novembre, n’altéra pas ma bonne humeur. Le lundi matin, quand je regagnai la base, j’étais attendu… On m’amena manu militari, dans le bureau du capitaine Randriambololona. Je fis le salut militaire, claquai des talons et pris les devants :

    – Ceinture, cravate, lacets, mon capitaine ?

    Il ne put s’empêcher d’esquisser un sourire et confirma :

    – Ceinture, cravate lacets, dix jours d’arrêt, et suspension des permissions pendant un mois.

    Le camp disposait d’une véritable prison, un bâtiment glacial avec deux rangées de bas flancs en béton, une couverture kaki, pour dormir, des toilettes à la turque, et un lavabo. Le tout était prévu pour quatorze personnes au maximum. Ce local gardé en permanence fermait avec une clef énorme comme on en voit dans les films médiévaux. Même si je trouvais tout ça absurde, je me suis coulé de bonne grâce dans la peau d’un prisonnier.

    – Ce n’est pas grave. Je serai plus attentif la prochaine fois.

    J’ai fait plusieurs séjours en prison. Une fois pour m’être endormi debout pendant la garde, et une autre pour avoir fait le mur. Ce dernier séjour coïncidait avec un référendum. J’ai exigé qu’on m’emmène voter, même si c’était menotté et sous bonne garde. Je voulais remplir mon devoir de citoyen, et on accéda à ma requête.

    Un samedi matin lors d’une permission régulière, je commençai à souffrir de douleurs abdominales. Mon étudiante en Médecine personnelle, fit le diagnostic de « crise d’appendicite », et mon médecin de famille me fit hospitaliser au « Val de grâce ».

    Là, les ennuis s’enchainèrent logiquement :

    – La crise d’appendicite du samedi soir, on connaît, annonça le premier gradé qui m’examina…

    Prudent, il me garda quand même en observation. Le lundi, j’allais nettement moins bien, mon ventre était devenu dur comme du bois, je n’avais plus de fièvre, mais mon pouls était rapide et ma tension basse. État de choc septique. On ne m’opéra que le mardi. L’opération dura quatre heures. Comme mon étudiante en médecine, s’inquiétait de la durée de l’intervention et demandait des explications, le chirurgien embarrassé lui répondit :

    – Il y avait du jus dans le péritoine… j’ai dû laver…

    – Dans ce cas, ce n’est plus une appendicite, ça s’appelle une péritonite… Tout ça, parce que vous avez attendu quatre jours pour l’opérer…

    Les suites furent compliquées, abcès de paroi suivi ultérieurement d’épisodes d’« occlusion sur bride » conséquence classique d’une appendicite opérée trop tard. Cela m’a valu d’autres séjours au val de grâce. C’est un endroit très beau dont les jardins sont superbes au printemps. Après deux mois de convalescence, je suis retourné à Montlhéry. Je leur avais manqué.

    Aussitôt libéré de mes obligations militaires, le quatorze février 1966, je suis allé voir José Artur à France Inter. J’attendais tout de lui, et je n’ai pas été surpris qu’il m’aide. Je lui ai annoncé sans préambules :

    – Je voudrais devenir journaliste, reporter.

    Mon modèle, c’était Tintin, le héros de Hergé… J’ai eu la chance d’être jeune au bon moment. Personne, aujourd’hui ne s’exprimerait avec autant de naïveté. José Artur me conseilla de me présenter à la délégation aux stations régionales, où une place de reporter venait de se libérer à Limoges.

    FR3 LIMOGES

    J’ai fait mes débuts à France 3 Limoges le premier mars 1966, dans le plus grand anonymat. Arrivé le dimanche soir, je présentai mon premier journal télévisé de 19 h 40 à 19 h 55 le mercredi suivant.

    Je suis un rat des villes. Je ne connais pas du tout la province, ni les gens de la campagne. Je suis incapable de distinguer des fanes de carottes d’un brin de persil, et j’ai été déçu de constater que les poules ne pondaient pas leurs œufs dans des boites en carton. Comme mon père, je suis dénué d’esprit pratique, incapable d’accrocher un tableau au mur et encore moins une tringle à rideaux. Je ne suis ni un manuel, ni un intellectuel, mais j’ai de l’esprit, de la répartie, et une mémoire des dates et des noms hors norme. Je l’ai cultivée toute ma vie en apprenant par cœur les numéros de téléphone et adresses de toutes mes connaissances. J’ai du souffle aussi, j’articule, et je connais la grammaire française. Des atouts importants à cette époque où s’exprimer dans un français correct était exigé, et où il n’y avait pas de prompteur à la télévision. Je ne pouvais donc pas lire mes notes, que je ne voyais d’ailleurs pas sans lunettes, et je n’en portais pas à l’écran. J’étais logé chez l’habitante dans une chambre de douze mètres carrés, équipée d’un lavabo, avec WC dans la cour. Impossible d’y faire la cuisine. J’avais pris pension dans un petit restaurant de Limoges, dont la patronne avait un cœur gros comme celui de l’auvergnate de la chanson de Brassens. Quand ma femme me rejoignait, un week-end par mois, la patronne du restaurant, une belle femme, nous servait à déjeuner sans broncher, comme si je n’avais pas une ardoise inversement proportionnelle à mes revenus. Le fait de passer à la télévision étant considéré comme une récompense suffisante, j’avais un salaire misérable. Ma femme, en tant qu’« externe des hôpitaux », gagnait encore moins que moi.

    Nous nous sommes en effet mariés en février 1967, et après un voyage de noces d’une semaine dans les alpes, dont nous sommes revenus, moi avec une entorse du genou, et ma femme avec un bébé en gestation, nous sommes retournés chacun dans notre ville. L’arrangement n’était pas viable.

    Mars 1967. Je suis chargé de couvrir sur Fr3, les élections législatives dans le Limousin. La station régionale soutient les gaullistes avec conviction. Jean Charbonnel, député-maire de Brives-la-Gaillarde est en concurrence avec un jeune avocat moustachu, Roland Dumas. Celui-ci, alors inconnu, était membre du FGDS{6} qui allait devenir le parti socialiste. Pierre Mazeaud, qui m’a enseigné le Droit dans mon école de commerce, brigue le poste de député de la Haute Vienne. Il m’appelle « son étudiant », et m’invite à le suivre pendant sa campagne. À l’occasion d’un de ses meetings, je rencontre Jacques Chirac, qui est candidat pour la première fois, à Ussel. Grand, jeune, sympathique, un torrent d’énergie, il est venu apporter son soutien aux candidats gaullistes du limousin. Au milieu de ce bastion gaulliste, quelqu’un que je ne connais pas s’exclame :

    – Au fait, Mr M… –un notable du coin–hésite à soutenir notre candidat.

    Un membre de l’équipe de Chirac ouvre alors devant nous, une valise remplie de billets, et dit :

    – Voilà qui devrait lever ses hésitations…

    C’était « off the record », évidemment. Tous les candidats gaullistes remportèrent les élections dans le limousin à l’exception de Jean Charbonnel qui se fit déposer par Roland Dumas. Appelé à s’exprimer en tant que vainqueur à l’antenne de FR3, il s’exclame :

    – Pourtant la station n’a pas ménagé sa peine pour soutenir mon rival…

    Je découvrais la politique… Les élections passées, j’ai enchainé différents reportages sur les entreprises de la région. Je ne m’ennuyais pas. J’apprenais mon métier. J’avais même acquis une certaine notoriété. Mais, sans voiture, sans argent, sans famille, Limoges à deux heures de l’après-midi, le dimanche en août… quand tous les volets sont fermés à cause de la chaleur, pas un bruit, pas un être vivant, il faut avoir une grande vie intérieure.

    Notre situation familiale ne pouvait pas perdurer… Je devais rentrer à Paris. On convint avec ma femme, que j’abandonnerais le journalisme le temps nécessaire pour elle de terminer ses

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