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L' EDUCATION AUX MEDIAS A L'ERE NUMERIQUE: Entre fondations et renouvellement
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L' EDUCATION AUX MEDIAS A L'ERE NUMERIQUE: Entre fondations et renouvellement
Livre électronique437 pages4 heures

L' EDUCATION AUX MEDIAS A L'ERE NUMERIQUE: Entre fondations et renouvellement

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À propos de ce livre électronique

Affirmer que nous vivons dans une société hautement médiatisée est désormais un truisme. Il n'est pratiquement pas de sphère de nos existences qui ne soient affectées par les médias. Les dispositifs par lesquels nous recevons et émettons de l'information se connectent entre eux, de même qu'avec les objets de nos environnements quotidiens et les réseaux mondiaux numériques. Ces dispositifs — et les contenus qu'ils véhiculent — nous suivent jusque dans notre intimité, s'insérant dans nos amitiés, nos relations professionnelles et nos amours.
Dès lors, une maîtrise minimale de ces technologies devient une condition à l'insertion sociale et économique. L'accès aux soins de santé, à l'éducation, à l'information, aux loisirs et è l'emploi impose maintenant comme exigence la capacité à utiliser ces outils. Mais cela ne saurait suffire. Le citoyen doit également pouvoir poser un regard critique sur l'information, en comprendre les sources et en évaluer sa qualité et sa fiabilité.
Cet ouvrage regroupe les contributions d'auteurs et d'éducateurs chevronnés. Il jette les bases d'une approche critique de l'éducation aux médias qui répond à des problèmes récurrents concernant notamment la vie privée, la liberté d'expression, la sexualité, la violence et les représentations médiatiques.

Normand Landry est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en éducation aux médias et droits humains et professeur à TÉLUQ (Université du Québec).
Anne-Sophie Letellier est doctorante en communication à l'Université du Québec à Montréal et boursière Joseph-Arnaud Bombardier.
LangueFrançais
Date de sortie19 sept. 2016
ISBN9782760636804
L' EDUCATION AUX MEDIAS A L'ERE NUMERIQUE: Entre fondations et renouvellement
Auteur

Normand Landry

Normand Landry est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en éducation aux médias et droits humains et professeur à la TÉLUQ (Université du Québec).

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    Aperçu du livre

    L' EDUCATION AUX MEDIAS A L'ERE NUMERIQUE - Normand Landry

    INTRODUCTION

    Normand Landry et Anne-Sophie Letellier

    Affirmer que nous vivons dans une société hautement médiatisée est un truisme1. Presque toutes les sphères de l’existence sont affectées par les médias. En plus d’être mobiles, les dispositifs par lesquels nous recevons et émettons de l’information sont devenus de véritables extensions de nous-mêmes; ils se connectent entre eux, avec les objets de notre quotidien et les réseaux internationaux numériques. Les contenus qu’ils véhiculent nous suivent jusque dans notre intimité, s’insèrent dans nos groupes d’amis, nos relations professionnelles et nos amours. Échapper à leur emprise, se soustraire à leur présence2, est presque devenu une mission impossible.

    Un constat s’impose: une maîtrise minimale des technologies médiatiques numériques est aujourd’hui essentielle à l’insertion sociale et économique. Pour avoir accès à des soins de santé, à l’éducation, à l’information, aux loisirs et à l’emploi, il faut une certaine capacité à utiliser ces outils3, mais cela ne suffit pas. L’exercice responsable et éclairé de la citoyenneté ne peut se faire qu’en posant un regard critique sur l’information, ce qui implique d’être en mesure d’évaluer la qualité et la fiabilité des sources et de remettre en question les stratégies et les intérêts de ceux qui nous informent. Cet accès sans précédent à l’information s’accompagne d’une capacité inusitée à produire et à diffuser individuellement des contenus médiatiques. La figure fréquemment décriée au siècle dernier du spectateur amorphe et passif devant les médias de masse cède la place à celle de l’usager actif, producteur et diffuseur d’information. Pour jouer ce rôle, toutefois, il faut pouvoir utiliser les outils numériques à des fins expressives et artistiques, et exercer ces compétences de façon éthique et légale4.

    En somme, ces phénomènes posent comme problématique l’acquisition des compétences médiatiques désormais nécessaires à l’épanouissement de l’individu et à sa pleine participation à la collectivité. La littérature de langue anglaise utilise fréquemment le concept de «littératie médiatique» ou, de plus en plus couramment, la notion de «littératie numérique», pour désigner la somme des compétences médiatiques recherchées5. L’usage du mot «littératie» n’est pas fortuit. Il renvoie à un ensemble de compétences traditionnelles impliquant une maîtrise du langage, une capacité à l’expression individuelle et à la compréhension de textes complexes et diversifiés. Ces compétences, historiquement associées au texte imprimé, seraient dorénavant «médiatiques». Il est donc question de lire, de comprendre, d’évaluer et de produire des «textes médiatiques6» variés, présentés dans une multitude de formats, que l’on peut consulter et modifier grâce à de multiples dispositifs7. L’omniprésence de l’image médiatique appelle à une capacité à la décoder, à l’analyser et à l’évaluer de manière critique8. Qui plus est, les modes communicationnels médiatisés sont désormais tout à la fois de l’ordre de la diffusion de masse, de l’échange dialogique individualisé ou ciblé; ils sont multicanaux et instantanés. Les distinctions entre émetteurs et récepteurs, entre producteurs et consommateurs d’information s’amenuisent et s’accompagnent de possibilités d’interactions inusitées et de risques accrus d’abus et de comportements antisociaux dans les environnements numériques9. La notion de «littératie médiatique» soulève de nombreuses interrogations. Quelles sont précisément les compétences en jeu? À quelles préoccupations et à quels besoins ces compétences prétendent-elles répondre? Quels processus pédagogiques et quels enseignements doit-on mobiliser afin de soutenir celles-ci? Quelles compétences les éducateurs devraient-ils eux-mêmes posséder afin de développer les compétences recherchées chez leurs élèves? Quel est le rôle de l’école, en tant qu’institution chargée de l’éducation de base des individus, dans l’acquisition de ces littératies?

    Cet ouvrage se propose d’apporter des éléments de réponse à ces questions. Il constitue une introduction à une pratique pédagogique complexe et riche qui se situe au cœur des grandes préoccupations touchant aux rapports entre jeunes et médias. Cette pratique, que l’on appelle «éducation aux médias», demeure méconnue et négligée au Québec alors que s’amplifient les problématiques et les besoins associés aux enjeux qu’elle soulève.

    Survol introductif

    De manière générale, on peut comprendre l’éducation aux médias comme la somme des processus pédagogiques et des enseignements qui visent l’apprentissage des compétences et des savoirs sur les médias en tenant compte de problématiques et d’objectifs sociaux, politiques et culturels déterminés. Elle est étroitement associée aux controverses et aux inquiétudes portant sur les médias, au regard notamment de la violence, du sexisme, du racisme et de l’homophobie, des stéréotypes et des représentations du corps, de la sexualité, de la manipulation, de la cyber intimidation, des droits de propriété intellectuelle et de la protection de l’enfance. Elle touche également au soutien d’habiletés artistiques et créatives, d’une prise de parole citoyenne ainsi que de facultés cognitives et métacognitives en lien avec les médias10.

    Historique de l’éducation aux médias

    Les racines canadiennes de l’éducation aux médias remontent à l’apparition des médias de masse, l’avènement de la télévision ayant servi de catalyseur aux premières initiatives concertées. Les travaux du célèbre théoricien des médias Marshall McLuhan ont positionné le Canada parmi les pionniers de l’éducation aux médias dans les années 1950, ceux-ci ayant contribué non seulement au débat théorique sur la nature et l’influence des médias électroniques, mais également à la pédagogie des médias.

    Après une phase d’expérimentation et de mobilisation portée par des précurseurs, l’éducation aux médias a été progressivement intégrée dans les programmes éducatifs des diverses provinces canadiennes11. Le processus a débuté dans la seconde moitié des années 1980 pour se terminer au cours de la première décennie du 21e siècle12. Au Québec, l’insertion de composantes en éducation aux médias dans le Programme de formation de l’école québécoise (PFEQ) s’est effectuée dans le cadre d’une réforme en éducation au tournant du siècle13. Dans l’ensemble des systèmes scolaires canadiens, elle s’est inscrite dans un processus historique de formalisation de l’éducation aux médias.

    Dans le contexte actuel, marqué notamment par des transformations médiatiques accélérées et l’exacerbation des problématiques liées aux médias, l’éducation aux médias trouve une reconnaissance croissante sur la scène internationale14. Le nombre de pays qui s’y intéressent, élaborent des politiques et y investissent des ressources ne cesse d’augmenter; des associations de praticiens, de chercheurs, d’organisations à but non lucratif et de fonctionnaires s’y consacrent activement. Les déclarations internationales sur l’éducation aux médias se multiplient d’ailleurs depuis une trentaine d’années15. À cet égard, la Déclaration de Grunwald, adoptée en 1982, a catalysé une prise de conscience collective et demeure toujours d’actualité, comme en témoigne l’extrait suivant:

    Plutôt que de condamner ou d’approuver l’incontestable pouvoir des médias, force est d’accepter comme un fait établi l’impact significatif qui est le leur et leur propagation à travers le monde et de reconnaître en même temps qu’ils constituent un élément important de la culture dans le monde contemporain. Il ne faut pas sous-estimer ni le rôle de la communication et de ses médias dans le processus de développement ni la fonction instrumentale qu’exercent les médias pour favoriser la participation active des citoyens dans la société. Les systèmes politiques et éducatifs doivent assumer les obligations qui leur reviennent pour promouvoir chez les citoyens une compréhension critique des phénomènes de communication.

    Il est difficile de définir précisément le spectre des pays s’étant investis dans l’éducation aux médias au cours des dernières décennies. Cela dit, des travaux ont toutefois permis de mettre au jour des démarches d’éducation aux médias relativement bien établies en milieu scolaire au sein des pays suivants: France, Belgique, Royaume-Uni (Angleterre, Irlande, Écosse), Finlande, Allemagne, Grèce, Hongrie, Norvège, Russie, Slovénie, Espagne, Suisse, Australie, États-Unis, Canada, Autriche, Danemark et Nouvelle-Zélande16. Plus récemment, on remarque des expériences d’éducation aux médias et leur inscription formelle dans des programmes scolaires dans plusieurs pays d’Asie et d’Afrique. Une pléthore d’organismes s’est également jointe aux efforts internationaux au cours des dernières décennies. L’UNESCO occupe désormais un rôle essentiel à l’échelle internationale en éducation aux médias et travaille activement à l’élaboration de programmes en littératie médiatique et informationnelle17.

    Définitions, objectifs et pédagogie

    Tant au Canada qu’à l’étranger, l’éducation aux médias est fréquemment définie en fonction des objectifs qu’elle cherche à atteindre. Ainsi, pour HabiloMédias, elle est «le processus qui permet à des individus d’acquérir une vision critique des médias et de comprendre la nature, les techniques de production et l’influence de leurs produits et messages18». Pour Roussy, «l’éducation aux médias est définie en fonction de son but principal, soit l’acquisition d’habiletés visant le développement de la pensée critique par l’élève à l’égard des médias19». D’autres spécialistes mettent l’accent sur les processus par lesquels elle s’actualise dans la pratique. Ainsi, pour Piette:

    L’éducation aux médias c’est «travailler» sur les productions médiatiques elles-mêmes, sur leurs origines, la manière dont elles sont construites, diffusées et consommées. C’est s’interroger sur les modalités de réception des messages des différents médias et c’est chercher à comprendre la nature de leurs impacts et de leurs effets en identifiant et en se prononçant sur les idées, les valeurs et les points de vue qu’ils véhiculent. Convier la personne à une démarche d’éducation «aux» médias, c’est l’amener à s’interroger sur la nature des relations que nous établissons avec les médias au niveau individuel et collectif20.

    Certains, finalement, insistent sur sa spécificité:

    Par éducation aux médias, il convient d’entendre l’étude, l’enseignement, l’apprentissage des moyens modernes de communication et d’expression considérés comme faisant partie d’un domaine spécifique et autonome de connaissances dans la théorie et la pratique pédagogiques, à la différence de leur utilisation comme auxiliaires pour l’enseignement et l’apprentissage dans d’autres domaines de connaissances tels que celui des mathématiques, de la science et de la géographie21.

    On abordera les enjeux et les difficultés entourant la définition de l’«éducation aux médias» en première section de cet ouvrage. Il suffit pour l’instant de rappeler, à l’instar de Sheibe et Rogow22, que cette notion regroupe une multiplicité de perspectives et d’intérêts; que le sens qui lui est conféré varie fréquemment en fonction des objectifs qui lui sont attribués, des processus pédagogiques qui sont jugés les plus appropriés, ainsi que des questions et des thèmes privilégiés.

    Cette diversité recoupe néanmoins un certain consensus quant aux catégories de compétences recherchées. Nous en proposons six: compétences à l’usage de technologies médiatiques (savoir utiliser ces technologies, en comprendre le fonctionnement); compétences informationnelles (savoir rechercher, traiter, évaluer et analyser l’information); compétences expressives et artistiques (savoir utiliser les technologies médiatiques afin de s’exprimer et de créer); compétences de type comportemental (savoir agir de manière éthique, morale et légale dans des environnements médiatiques); compétences de jugement critique et esthétique (être en mesure de poser des jugements critiques et réflexifs sur les textes médiatiques, les acteurs qui les produisent et les distribuent, et évaluer les impacts des contenus médiatiques sur des individus et des groupes); capacité à l’introspection (être en mesure de se questionner et de se positionner, comme producteur, récepteur et diffuseur de contenu médiatique)23.

    Les compétences regroupées dans chacune de ces catégories sont évolutives; elles sont appelées à se transformer suivant les changements technologiques, les rapports variables aux médias, les transformations du paysage médiatique, les besoins et les enjeux associés aux médias. Cela pose comme difficulté la mise à jour régulière des savoirs et compétences des éducateurs, puisque le corpus de connaissances, les méthodes et les objets d’enseignement se transforment au fil des changements – de plus en plus rapides – qui affectent le domaine des médias24. En ce qui a trait aux méthodes d’enseignement en particulier, les éducateurs sont invités à s’éloigner de l’enseignement magistral25. Un consensus se dégage de la littérature à ce sujet: une démarche pédagogique efficace en éducation aux médias exige une participation directe des élèves aux activités d’apprentissage; elle suppose un processus d’accompagnement (plutôt que de direction) soutenu par un enseignant se présentant non pas comme une autorité, mais comme une ressource, et elle se concentre sur la collaboration et la production de textes médiatiques variés. Comme l’affirme Renee Hobbs, les pratiques pédagogiques de l’éducation aux médias doivent «être catégoriquement centrées sur l’étudiant et orientées sur l’enquête» et mobiliser «à la fois des stratégies de lecture attentive (aussi appelées stratégies de déconstruction ou de décodage) et la production de médias où des pratiques de remue-méninges, la scénarisation et la production vidéo ou de site web sont mises en œuvre» 26. De telles pratiques exigent des éducateurs.

    Certains auteurs soutiennent que l’éducation aux médias se caractérise par la mise en œuvre d’une «pédagogie de l’interrogation27» qui repose sur un processus de questionnement chez l’élève afin de lui faire prendre conscience des valeurs, des choix, des habitudes et des attitudes qui encadrent sa consommation et sa production médiatique. La démarche doit conduire au renforcement des facultés cognitives et métacognitiques qui lui permettront de «se distancier» des textes médiatiques qui lui sont présentés afin de les mettre en question et de les déconstruire. La notion d’expérience telle que Dewey la définit28 est fondamentale dans ce processus: l’acquisition des compétences et des savoirs se fait par l’expérimentation et le dialogue, par la résolution de problèmes, et par la production médiatique.

    Quelques approches

    L’éducation aux médias est étroitement associée à ce que Marlène Loicq appelle un «imaginaire des médias29», soit un ensemble de discours publics sur ce que seraient les médias, leurs effets et influences, et les rôles qu’ils jouent dans notre société. Les discours actuels sur les médias trouvent leur ancrage dans les travaux universitaires et les craintes collectives du siècle dernier30. Nous en présentons quelques-uns ici.

    Puissance et persuasion

    Dès les années 1930, des recherches sur la propagande et la publicité soutiennent que les médias de masse ont des effets directs et puissants sur leurs publics. Le modèle privilégié est celui du «stimulus-réponse», qui aborde la question du conditionnement de l’audience par les médias. Le modèle repose sur cinq postulats fondamentaux:

    Les médias ont des effets directs sur les comportements, les valeurs et les attitudes.

    Les médias sont puissants.

    La communication est par essence persuasive.

    L’approche établie pour évaluer les effets des médias est la psychologie behavioriste.

    La masse est aliénée, atomisée, soumise31.

    Deux notions émergent et s’imposent dans l’imaginaire: celle du «viol des foules» par la propagande et celle de la «seringue hypodermique» évoquant l’idée que les discours, les valeurs et les positions politiques diffusés par les médias de masse sont inoculés directement dans l’esprit d’audiences passives et soumises32. Sans surprise, on aborde les médias, considérés ici comme les institutions qui produisent et diffusent des contenus, comme de puissants outils de régulation des sociétés33. Bien que ces modèles soient désormais largement discrédités, les préoccupations qu’ils soulèvent, notamment au regard des effets de la propagande, de la publicité et des contenus violents, perdurent au sein de la littérature.

    L’industrie culturelle

    Une tout autre conception des médias, toujours très influente, a évolué en parallèle au cours des années 1930-1960. Cette approche critique, née en Allemagne puis largement diffusée aux États-Unis, se situe dans une perspective marxiste et profondément hostile aux médias de masse. Ces derniers s’inscriraient dans la logique capitaliste en tant qu’industries et s’intégreraient à un ensemble d’appareils idéologiques devant assurer la reproduction du capital, cela à l’encontre des intérêts de classe des groupes subordonnés et pacifiés par une adhésion aux valeurs de la classe dominante dont les industries massifiées de la culture font la promotion34. En somme, les médias de masse sont considérés comme des maillons essentiels à une «industrie culturelle» aliénante, poussant l’extension des relations capitalistiques jusque dans le domaine de la culture et assurant de ce fait la soumission des loisirs au capital. L’effet des médias sur leur audience est jugé «immédiat, massif et prescriptif35».

    Les relations sociales

    Des recherches empiriques vinrent néanmoins remettre considérablement en question la thèse des effets puissants et directs des médias, après la Seconde Guerre mondiale. De façon novatrice, ces études révèlent que les médias ont une influence limitée sur leurs audiences et que des variables sociologiques, telles que la présence de leaders d’opinion et l’appartenance à des groupes sociaux, jouent un rôle considérable sur les opinions politiques. Ces recherches conviennent des éléments suivants:

    Les relations interpersonnelles sont plus déterminantes que les médias dans la formation des opinions politiques;

    Les groupes d’appartenance se positionnent comme des variables clés pour comprendre les allégeances politiques;

    Les individus sélectionnent les contenus médiatiques auxquels ils s’exposent afin de renforcer leurs opinions (plutôt que de les remettre en question);

    Les leaders d’opinion – les individus particulièrement bien informés et détenant un certain statut social ou moral – jouent un rôle central dans la formation de l’opinion politique des individus à qui ils servent de référence36.

    Il n’est désormais plus possible de concevoir le spectateur comme un individu isolé, sans attache, sans préférence, sans opinion préalable et sans un réseau d’influence qui médiatise ses réactions aux contenus qu’il consomme.

    Les usages actifs

    Ces travaux marquent une complexification de la relation entre médias et publics et un tournant empirique dans la recherche. La problématique générale de l’étude des médias de masse commence à s’inverser au début des années 1970. Plutôt que de s’interroger sur ce que les médias font aux gens, on s’interroge sur ce que les gens font des médias, comment (et pourquoi) ils les sélectionnent, interprètent les discours médiatiques, les décodent et produisent du sens par eux-mêmes. L’approche analyse aussi comment les mêmes individus socialisent, se valorisent et prennent du plaisir en consommant des médias. Si cette approche a considérablement évolué depuis son apparition, ses prémisses, établies dès 1973, demeurent essentiellement les mêmes:

    L’audience est active et cherche à atteindre des objectifs et à satisfaire des besoins dans son utilisation des médias;

    La relation entre la satisfaction d’un besoin et un choix médiatique est établie par l’individu membre d’une audience et non pas par l’institution produisant le contenu médiatique. En d’autres mots, la demande individuelle précède l’offre, qui doit s’y adapter;

    Les médias se font concurrence entre eux et avec d’autres sources externes pour la satisfaction des besoins des individus;

    Les individus sont en mesure de formuler eux-mêmes leurs intérêts et besoins qui s’expriment par leur consommation de médias;

    Les jugements de valeur émis sur les médias devraient être effectués par les audiences elles-mêmes et en leurs termes37.

    Deux dernières approches sur les médias, fréquemment opposées dans la littérature, s’éloignent de la dichotomie médias-audience pour repositionner les médias à l’intérieur de leur contexte politique, culturel, social et économique.

    L’économie politique

    L’économie politique des médias s’inspire de la tradition marxiste. Ses prémisses datent du début du 20e siècle; elle s’est constituée comme approche dans le courant des années 1950 et a pris son envol dans les décennies suivantes38. Elle a pour objet premier l’analyse des répercussions de la propriété des moyens de production et de diffusion de l’information sur la qualité et la diversité des contenus, les conditions de travail des travailleurs de l’information (et des journalistes en premier lieu), la diversité du paysage médiatique – cela tant sur le plan de la programmation que sur celui des acteurs du secteur –, l’accès à l’information et le rôle politique des médias. Elle met par ailleurs en question la concentration des médias, la marchandisation de l’information, du savoir et de la culture, les phénomènes de convergence ainsi que la précarisation des professions associées à la production de l’information39. Dans sa dimension critique, l’éducation aux médias positionne les grandes entreprises médiatiques comme des appareils idéologiques contribuant à la reproduction de rapports de classe antagonistes (sur le plan national) et aborde la question de l’impérialisme culturel (à l’échelle internationale)40. On peut donc dire qu’elle adopte la même perspective que l’économie politique.

    La culture

    Les études culturelles, enfin, examinent en priorité les liens entre culture et pouvoir. Elles abordent la culture populaire – la culture de monsieur et madame Tout-le-monde, qui oriente le sens commun, nos identités et notre rapport au monde – comme un site où s’expriment des intérêts, des rapports de force et des idéologies. Les études culturelles analysent les processus par lesquels on définit et on intériorise les concepts de genre, de classe sociale, d’ethnicité, de nationalité et de sexualité au sein de cultures spécifiques41. Elles abordent par conséquent les textes médiatiques comme des terrains de luttes sémantiques et politiques, des objets qu’on doit déconstruire pour révéler les artifices idéologiques qu’ils renferment. En somme, les études culturelles ont pour projet l’analyse des intersections entre le pouvoir et la culture. Elles s’intéressent autant aux dynamiques, processus, acteurs et institutions à l’œuvre qu’aux textes médiatiques42. Profondément interdisciplinaires43, ces études constituent actuellement le domaine prépondérant en sciences de la communication. Les préoccupations sociales, culturelles et politiques qu’elles mettent en lumière s’imposent dès lors dans le domaine de l’éducation aux médias, qui intègre la question de la représentation médiatique des genres, des femmes, des corps, de la sexualité, de la pauvreté et des minorités ethniques. Ces préoccupations sont associées à des enjeux plus larges de racisme, d’ethnocentrisme, de patriarcat et d’hégémonie. La déconstruction et la dénaturalisation des discours publics et des textes médiatiques servent ainsi à exposer les rouages de l’hégémonie et à outiller l’individu afin qu’il puisse décoder ces textes et agir sur eux.

    Quelques questions clés

    Le survol effectué ici n’a pas la prétention d’être exhaustif. Ces approches marquent néanmoins, chacune de son empreinte spécifique, l’éducation aux médias. Elles constituent non seulement un corpus de savoirs, mais aussi des thèmes prioritaires liés aux médias (la réception des contenus, les processus de production de l’information, le langage médiatique, la socialisation et la consommation de contenus médiatiques, etc.). Elles participent ainsi activement à la mise au jour et à la définition de problématiques qui s’y rattachent. Ces dernières peuvent être regroupées sous quatre grandes questions:

    Que sont les médias (en tant qu’institutions, acteurs et technologies)?

    Que font les médias aux gens (influence sur leurs valeurs, idées, positions politiques)?

    Que font les gens des médias (réception, interprétation et appropriation des contenus médiatiques; emplois divers de technologies médiatiques)?

    Quels rôles occupent les médias dans notre société (médias et espace public; médias et pouvoir; médias et culture; médias et démocratie)?

    Ces interrogations sont structurantes dans le domaine des sciences de la communication, et la façon dont elles résistent aux transformations médiatiques actuelles témoigne de leur robustesse. La recherche en éducation aux médias est ainsi intimement liée aux travaux universitaires sur la culture et les communications. Elle s’en distingue toutefois par deux particularités: elle ambitionne de procéder à une synthèse pédagogique de ces travaux – donc de rendre accessibles à des publics ciblés des connaissances complexes – et d’étudier les stratégies, les méthodes et les processus pédagogiques qui favorisent l’acquisition de compétences en lien avec les médias44.

    Structure de l’ouvrage

    Ce livre regroupe les contributions d’auteurs et d’éducateurs possédant une solide expertise en matière d’éducation aux médias. Il est divisé en deux sections.

    La première, intitulée «Entre théorie et pratiques», présente en six chapitres les concepts, les approches, les ancrages didactiques et les défis propres au domaine. Elle constitue une introduction contextualisée aux fondements de l’éducation aux médias au Québec.

    Tout d’abord, Carolyn Wilson et Michael Hoechsmann dressent un panorama historique de l’éducation aux médias au Canada. Ils en retracent l’évolution et l’intégration progressive dans les systèmes scolaires des provinces et des territoires canadiens avant d’exposer les concepts clés autour desquels elle s’est constituée. Ils décrivent enfin les nouvelles pratiques numériques des jeunes et les enjeux actuels de l’éducation aux médias.

    Christian Agbobli s’intéresse aux fondements théoriques de l’éducation aux médias. Il en cerne les principaux ancrages disciplinaires et les approches privilégiées, puis présente les répercussions des «mutations médiatiques» en cours sur les assises théoriques et pédagogiques de l’éducation aux médias et aborde l’avènement de nouvelles littératies médiatiques qui remettent en question certains de ses éléments fondateurs.

    Monique Lebrun introduit le concept de littératie médiatique multimodale, notion qui évoque une capacité à mobiliser des ressources et des compétences nécessaires à la réception et à la production de messages regroupant une combinaison des modes linguistique, visuel et sonore. La lecture et l’écriture s’effectuant désormais dans plusieurs modes d’expression – chacun possédant ses propres codes, conventions et formats –, il revient à l’école d’entreprendre des initiatives concrètes afin de relever les défis que posent la multimodalité et le monde numérique.

    Mathieu Bégin et Normand Landry présentent les ancrages curriculaires de l’éducation aux médias du Programme de formation de l’école québécoise (PFEQ). Ils procèdent à l’analyse des thèmes, des intentions éducatives et des discours mis en avant par le PFEQ sur les médias et les TIC. Ils examinent pour conclure les attentes du PFEQ à la lumière de la littérature scientifique et des transformations médiatiques en cours.

    Mario Richard remet en question les assertions usuelles sur les compétences médiatiques étendues de la nouvelle génération dite «native numérique» en s’appuyant sur des données probantes. Il s’intéresse en particulier aux compétences techniques, au multitâche et à la pensée critique. Il analyse les interventions pédagogiques les plus susceptibles de soutenir les compétences constitutives de la littératie médiatique.

    Finalement, Thierry Plante dresse un portrait des défis qui attendent les éducateurs. Il aborde les questions des transformations médiatiques accélérées, des habitudes changeantes de consommation et de production médiatique chez les jeunes, la difficulté à traduire les programmes d’éducation aux médias en pratiques pédagogiques à l’école, et les lacunes que présente la formation des enseignants.

    La seconde section, «Perspectives et enjeux», se consacre à quelques grandes questions liées à l’éducation aux médias. Elle repose sur une prémisse fondamentale: la maîtrise d’un certain nombre de notions et de concepts clés associés aux problématiques relatives aux médias est une condition essentielle à l’apprentissage. Par la présentation d’un éventail de

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