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E-réputation et influenceurs dans les médias sociaux: Nouveaux enjeux pour les organisations
E-réputation et influenceurs dans les médias sociaux: Nouveaux enjeux pour les organisations
E-réputation et influenceurs dans les médias sociaux: Nouveaux enjeux pour les organisations
Livre électronique560 pages5 heures

E-réputation et influenceurs dans les médias sociaux: Nouveaux enjeux pour les organisations

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À propos de ce livre électronique

Le capital symbolique d’une organisation peut être profondément marqué, voire déterminé, par les médias sociaux. Jamais la réputation n’a été plus cruciale que dans nos sociétés contemporaines. Dans ce nouveau contexte, quelles sont les bonnes pratiques à adopter pour minimiser le risque que constitue la communication numérique?

Cet ouvrage réunit les réflexions d’enseignants-chercheurs nord-américains et européens issus de disciplines variées et celles de professionnels, d’experts et de praticiens. Offrant un regard pluriel sur les phénomènes d’e-réputation et d’influence, le livre aborde, autant par des articles théoriques que par des études de cas, la construction et la définition des dynamiques d’e-réputation et d’influence, les cadres juridiques, les pratiques et enjeux qui y sont liés ainsi que les communautés virtuelles et l’innovation. Autant d’entrées possibles pour appréhender de façon opérationnelle les enjeux d’e-réputation ainsi que les influenceurs qui sont à l’œuvre dans les relations publiques en ligne des organisations..
LangueFrançais
Date de sortie15 mars 2017
ISBN9782760546189
E-réputation et influenceurs dans les médias sociaux: Nouveaux enjeux pour les organisations

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    Aperçu du livre

    E-réputation et influenceurs dans les médias sociaux - Francine Charest

    intelligent

    INTRODUCTION

    Francine Charest, Christophe Alcantara,

    Alain Lavigne et Charles Moumouni

    Les réseaux socionumériques (Stenger et Coutant, 2011) sont une réalité qui s’impose aux organisations. Le capital symbolique, que représente l’image d’une organisation, est profondément marqué, voire conditionné, par les médias sociaux, terme adopté en Amérique du Nord (Lavigne, 2012). «[J]amais la réputation n’a été plus cruciale que dans nos sociétés contemporaines», qualifiées, globalement, de société de l’information (Origgi, 2015). La présence sur le Web d’une organisation est de plus en plus une construction qui relève d’un enjeu stratégique (Charest, Lavigne et Moumouni, 2015). L’existence d’un site Web est souvent couplée à une présence sur les médias sociaux avec plus ou moins de cohérence. Cette présence numérique, voulue ou subie, devient un enjeu de société (Alcantara, 2015). Elle est voulue ou induite, mais elle modifie les frontières des organisations. Les parties prenantes sont plus importantes puisque la communication horizontale générée par les médias sociaux affecte l’organisation et sa réputation, y compris dans la valeur patrimoniale qui repose davantage sur son image. Les influenceurs sont à présent des marqueurs, des relais d’opinion qui sont une promesse pour catalyser une dynamique du point de vue de l’organisation. Leur potentiel dépend de leur audience. Plus celle-ci est importante, plus l’influenceur a du pouvoir. Mais cette influence, cette visibilité, interroge la légitimité d’une telle figure. Relève-t-elle de compétences avérées sur un sujet déterminé? Sa compétence acquise ou supposée n’est-elle pas plutôt alimentée par l’audience importante, identifiée de l’extérieur comme le signe le plus évident de la crédibilité? Quels sont alors les ressorts de la crédibilité et de l’influence sur le Web?

    Les relations publiques sont à un tournant où les pratiques professionnelles ancrées demeurent, mais doivent intégrer de nouveaux médias, de nouvelles façons d’opérer propres au champ de la communication numérique. À titre d’exemple, la relation au temps est singulière sur les médias sociaux. Le mythe de l’ubiquité, et par conséquent de l’instantanéité, associé au développement de l’imaginaire d’Internet (Flichy, 2001), contribue à l’urgence, présente en filigrane dans les échanges sur les médias sociaux. Cette perception est partagée par la plupart des internautes qui contribuent à autoalimenter le phénomène, ce qui n’est pas sans conséquence pour les relations publiques en ligne. Les médias sociaux produisent également des traces numériques (Galinon-Mélénec, 2011) dont l’altération et l’effacement sont presque impossibles. Il est à préciser que les flux d’information génèrent des stocks qui, selon une approche systémique (Merzeau, 2009), stimulent les flux. On pourrait croire donc que l’information se perd, se dilue. Mais le degré de pertinence des algorithmes des principaux moteurs de recherche est de plus en plus grand, de sorte qu’il est aisé de retrouver une collection de traces numériques sur une organisation. Les masses d’informations publiées ou produites sont plus accessibles et visibles que la méconnaissance des capacités techniques du Web et des mégadonnées (Big Data) pourrait le laisser croire. Les médias sociaux ont donc une incidence importante sur l’image des organisations dans la mesure où ils participent à la constituer. Il est alors naturel pour des praticiens de se poser la question de savoir quelles sont les bonnes pratiques à adopter pour minimiser le risque, car la communication numérique est souvent appréhendée comme un risque et non comme une occasion.

    C’est dans ce contexte, à ce tournant qui s’opère depuis des mois déjà, que l’Observatoire des médias sociaux en relations publiques (OMSRP) de l’Université Laval s’est engagé dans une réflexion sur l’apport et les conséquences du numérique dans les relations publiques des organisations. Cette démarche analytique a généré l’organisation du webinaire sur l’e-réputation, l’influence et les influenceurs, le 5 avril 2016, à Québec. Cette manifestation regroupait des enseignants-chercheurs nord-américains et européens ainsi que des professionnels, des experts et des praticiens des relations publiques. Les terrains d’études investis par les uns et les analyses et témoignages de pratiques professionnelles proposés par les autres sont de nature complémentaire et produisent la singularité de cet ouvrage qui incarne un regard pluriel sur les phénomènes d’influence et d’e-réputation dans les relations publiques. L’approche de l’ouvrage est d’autant plus multiple que les universitaires proviennent de disciplines académiques différentes, à savoir les sciences de l’information et de la communication, la gestion, le droit et l’informatique.

    L’ouvrage est constitué d’articles et d’études de cas qui sont autant d’entrées possibles pour appréhender de façon opérationnelle les phénomènes d’e-réputation et d’influence de même que les figures des influenceurs qui sont à l’œuvre dans les relations publiques en ligne pour les organisations.

    La première partie d’articles propose un cadre d’analyse de l’e-réputation à travers quatre contributions complémentaires. Tout d’abord, Christophe Alcantara et Martine Corral-Regourd réalisent une contribution théorique qui cherche à définir l’e-réputation à partir des travaux sur la sociologie de l’identité. Les apports de la sociologie interactionniste et l’articulation proposée entre identité personnelle et e-réputation produisent un éclairage nécessaire, peu ou pas réalisé jusqu’à présent. Ils enchaînent ensuite avec un éclairage sur une perception de l’e-réputation qui prend appui principalement sur des échelles microsociale (l’individu) et mésosociale (l’organisation). De leur côté, Jean-Claude Domenget et Josianne Millette abordent la multiplicité des échelles de temps qui sont associées aux relations publiques en ligne. Ils mettent en lumière trois temporalités du Web et démontrent «l’emprise de la mesure et de l’urgence, au détriment d’une attention portée au temps long et à l’articulation des temporalités multiples». Serge Agostinelli et Marielle Metge-Agostinelli réalisent un modèle d’analyse qui, à partir d’une recherche-action avec une entreprise, sur la base d’une interface homme-machine, démontre que l’innovation technologique est au service de la réputation de l’organisation. Lucile Salesses, Marie Ouvrard-Servanton et Christophe Alcantara proposent ensuite une réflexion qui interroge et enrichit le concept de capital de marque à travers le prisme de l’e-réputation et de la visibilité sur les réseaux sociaux dans l’univers de la mode.

    La deuxième partie d’articles est consacrée aux aspects juridiques et à leurs conséquences pratiques. Charles Moumouni produit un éclairage sur les mécanismes de protection juridique de l’e-réputation. Plus précisément, il engage, à partir de la jurisprudence québécoise et canadienne, une discussion sur la diffamation dans les médias sociaux et sur les mécanismes de réparation des dommages qu’elle cause. Le texte de Pierre Trudel interroge le cadre juridique de l’e-réputation qui doit à la fois assurer la protection de la réputation des personnes et l’intégrité des processus transactionnels. Il produit une analyse des principaux mécanismes de gestion des enjeux et des risques de sites de notation. Philippe Mouron, quant à lui, met en tension le droit français, le droit européen et le droit étasunien au sujet de l’e-réputation pour aboutir au fait que le droit à l’autodétermination informationnelle tend à l’emporter sur la propriété des données personnelles. Enfin, Sylvie Laval réalise une focale singulière entre communication et droit à partir d’une étude empirique sur la presse régionale française. Elle analyse l’e-réputation à travers les contributions des internautes sur les articles de presse en ligne et elle souligne l’arbitrage permanent entre la liberté d’informer, le respect des données personnelles et le droit à la vie privée avec, en toile de fond, un enjeu d’e-réputation pour l’organe de presse qui publie sur le Web.

    Les études de cas traitent des pratiques et enjeux communicationnels de l’e-influence et de l’e-réputation. Elles sont chapeautées par trois parties indépendantes, mais complémentaires. La première aborde le thème des médias sociaux en tant qu’outil de communication stratégique. Elle est composée de quatre études de cas complétées par une focale d’expert. Olivier Turbide analyse le cas d’un politicien québécois qui a refusé des excuses publiques et qui a dû opérer une gestion de crise à la suite des contributions que cette action a générées sur les réseaux sociaux. Toujours sur le terrain politique, la spécificité de la contribution de Serge Regourd est de témoigner des pratiques et des enjeux associés aux réseaux sociaux dans le cadre d’une élection locale qu’il a menée. Son regard critique souligne l’importance de la relation sur les espaces publics traditionnels qui ne sont en rien remplacés par les réseaux sociaux, même si ces derniers produisent des effets opportunistes à la marge d’une campagne électorale. L’étude de cas professionnelle de Richard Lacasse, en collaboration avec Antoine Montoux, montre que la communication numérique déployée par le Mouvement Desjardins illustre la volonté de cette organisation à repenser ses relations presse selon une approche de communication 360°, où la notion de proactivité est le fil conducteur des actions menées pour fidéliser la relation dans un contexte de dématérialisation des services bancaires. Cette étude est alors complétée par une expertise professionnelle conduite par Raymond Morin, qui montre le potentiel des communautés verticales et souligne six enjeux associés à l’émergence de la figure de l’influenceur. Enfin, Luc Dupont, à partir d’une étude empirique et prospective, interroge la communication numérique de 16 universités canadiennes pour montrer que les relations publiques en ligne s’inscrivent dans une démarche plus large de la valorisation de la marque propre à chaque université, cette dernière prenant appui sur l’identité de l’organisation et les marqueurs symboliques associés.

    La deuxième partie des études de cas traite de l’influence et des communautés virtuelles. L’étude de cas professionnelle de Stéphane Dion, gestionnaire à Revenu Québec, démontre qu’un processus rigoureux d’implantation des médias sociaux axé sur la collaboration a été bénéfique puisqu’il a permis de dissiper les craintes légitimes de l’organisation tout en favorisant son adhésion. La deuxième étude de cas de cette partie est proposée par Géraldine Blondeau et cible le domaine de la santé. Elle montre l’émergence des communautés verticales et leurs particularités. Au sein de ces communautés, les influenceurs entretiennent des relations de «pair à pair» et agissent sur l’e-réputation des entreprises et des marques de façon particulière. Valérie Larroche et Coralie Ramiarasoa présentent une autre étude de cas qui associe pleinement une praticienne et un enseignant-chercheur. Elles interrogent le rôle et le statut des ambassadeurs clients pour la réputation de la marque. Elles posent la question de la médiatisation éventuelle des relations privilégiées avec des clients pour optimiser l’e-réputation de l’organisation.

    La troisième partie des études de cas aborde le thème des communautés virtuelles et de l’innovation. Ghislaine Abbassi traite de l’écosystème Web d’une entreprise qui réalise et commercialise des services dans le domaine spatial selon une approche B2B. Elle interroge les objectifs à assigner, dans un tel contexte, à une communication numérique qui intègre les médias sociaux et souligne la pertinence de concevoir des indicateurs de visibilité et de performance précis. Marie-Andrée Doran et Nicole Lacasse montrent, à travers l’étude de cas de l’Université Laval et d’un réseau international d’universités innovantes, une prospective qui, derrière l’expression «campus intelligent», cherche à promouvoir un cercle vertueux entre développement durable, intégration des pratiques numériques et nouvelle gouvernance de la communauté universitaire. De façon complémentaire, Jean-François Barsoum, d’IBM Canada, témoigne de son expertise sur l’accompagnement et la collaboration entre une entreprise privée et une organisation publique, à savoir la Ville de Québec, dans la lutte contre la fracture numérique, exprimée par le fait qu’une partie des citoyens n’est pas connectée au Web.

    Finalement, la troisième partie des articles présente un bilan et des perspectives de l’e-influence et de l’e-réputation. Elle est le fruit du travail de Francine Charest et d’Ema Zajmovic mené dans le cadre de l’OMSRP. Couvrant une période de cinq ans, les études menées par ces chercheuses montrent les dynamiques à l’œuvre dans le processus d’intégration des médias sociaux. Leur contribution souligne le rôle des animateurs de communauté, la prise en compte de l’e-réputation, les caractéristiques de l’e-influence dans les médias sociaux et le basculement vers une planification stratégique des choix des décideurs sur le Web 2.0. Le nombre d’années pris en compte par l’étude permet de bien observer les changements qui s’opèrent dans l’approche des médias sociaux. Le bilan s’accompagne d’une évaluation des processus et des répercussions de l’e-influence et de l’e-réputation signée par les directeurs de l’ouvrage: Francine Charest, Christophe Alcantara, Alain Lavigne et Charles Moumouni. Ils y retracent le parcours de l’ouvrage selon trois niveaux d’observation: l’individuel, l’organisationnel et le macrosocial. En complément, l’annexe en fin d’ouvrage présente des extraits de la table ronde de clôture du webinaire de l’OMSRP du 5 avril 2016. Sous la coordination de Charles Moumouni, des professionnels gestionnaires de communauté et d’information (Myriam Claveau, Marie-Hélène Raymond, Isabelle Grenier et Pierre-Étienne Beaulieu) et des juristes (Philippe Mouron et Pierre Trudel) croisent leur regard sur la thématique de l’e-réputation et des influenceurs dans les médias sociaux. Ils mettent en relief la contribution des médias sociaux relativement au positionnement stratégique des organisations et soulignent les responsabilités publiques et juridiques de ces gestionnaires de communauté.

    BIBLIOGRAPHIE

    ALCANTARA, C. (dir.) (2015). E-réputation. Regards croisés sur une notion émergente, Issy-les-Moulineaux, Gualino-Lextenso éditions.

    CHAREST, F., A. LAVIGNE et C. MOUMOUNI (dir.) (2015). Médias sociaux et relations publiques, Québec, Presses de l’Université du Québec.

    FLICHY, P. (2001). L’imaginaire d’Internet, Paris, La Découverte.

    GALINON-MÉLÉNEC (dir.) (2011). L’homme-trace. Perspectives anthropologiques des traces contemporaines, Paris, CNRS éditions.

    LAVIGNE, A. (2012). «Réseaux/médias sociaux et relations publiques», Conférence prononcée dans le cadre du webinaire organisé par l’Observatoire des médias sociaux en relations publiques, le 11 mai 2012 à l’Université Laval.

    LIBAERT, T. (2010). La communication de crise, 3e éd., Paris, Dunod.

    MERZEAU, L. (2009). «Du signe à la trace: l’information sur mesure», Hermès, no 53, p. 23-29.

    ORIGGI, G. (2015). La réputation. Qui dit quoi de qui, Paris, Presses universitaires de France.

    STENGER, T. et A. COUTANT (dir.) (2011). «Ces réseaux numériques dits sociaux», Hermès, no 59, p. 9-17.

    ARTICLES

    CONSTRUCTION ET DÉFINITION DES DYNAMIQUES D’E-RÉPUTATION

    E-RÉPUTATION

    Cadrage théorique d’un concept complexe et polymorphe

    Christophe Alcantara et Martine Corral-Regourd

    L’e-réputation est un sujet récurrent dans l’actualité. Perçue comme une menace pour certains et comme une occasion pour d’autres, elle alimente les faits divers, elle représente une promesse économique imminente, elle est en filigrane de discussions et d’arbitrages juridiques sur la protection des données personnelles et sur la convocation d’un droit à l’oubli numérique. Elle est un champ d’expertise prometteur pour les professionnels de la visibilité en ligne et les écoles de gestion qui veulent former les décideurs d’entreprise de demain à ce nouveau sujet de direction. Sur un plan scientifique, les sciences de l’information et de la communication investissent ce thème (Alcantara, 2015; Alloing et Pierre, 2012; Stenger et Coutant, 2011) et proposent des perspectives autres que les dimensions instrumentales présentes en marketing. Dans une première partie, ce chapitre se propose de produire un appareillage théorique pour engager un réel dialogue entre identité et e-réputation à l’échelle microsociale, donc centrée sur l’individu. Dans une deuxième partie, on cherche à produire un cadre analytique de l’e-réputation à l’échelle mésosociale, donc centrée sur l’organisation et, en particulier, sur l’entreprise. Le cadre théorique est constitué de productions scientifiques récentes sur le thème de l’e-réputation et de la visibilité en ligne associées à une sociologie de l’identité affirmée. Il doit permettre de relier ces notions dont les liens sont clairement peu analysés.

    1.DE L’IDENTITÉ À L’E-RÉPUTATION: UN POINT DE VUE MICROSOCIAL

    Le concept d’identité est assez récent dans le champ des rapports sociaux. Le caractère polysémique de l’expression rend son emploi assez délicat. «Le terme identité n’est-il pas le type même de mot valise sur lequel chacun projette ses croyances, ses humeurs et ses positions?» (Dubar, 2000, p. 1) Dans la même veine, on peut citer Philippe Corcuff qui déclare que «l’identité est l’une des évidences les mieux partagées et les moins interrogées du côté des acteurs mais aussi des univers savants» (2003, p. 71). Il est scientifiquement assez risqué de convoquer le concept d’identité, alors on préfère souvent faire référence à des notions voisines moins polémiques, à savoir techniques de soi, compétences, habitus, invention de soi, narration de soi (Coutant et Stenger, 2013). À partir de ces constats, il nous semble important de réaliser une analyse sur la notion d’identité sociale qui est une des pierres angulaires du concept d’e-réputation à l’échelle d’un individu.

    1.1.LE NÉCESSAIRE CADRAGE DE LA NOTION D’IDENTITÉ

    Le point de départ de la construction d’une sociologie de l’identité est Georges Herbert Mead qui conçoit l’individu comme un gisement d’interactions liées à un environnement social. Il déclare que le «soi est moins une substance qu’un processus» (Mead, 1963, p. 134). L’identité personnelle est alors le produit de la socialisation, laquelle permet la constitution du «soi». Il inspire alors grandement la sociologie interactionniste pour qui les identités individuelles naissent des interactions sociales plus qu’elles ne les précèdent. Si nous ne perdons pas de vue que nos emprunts théoriques doivent éclairer les pratiques à l’œuvre sur les réseaux socionumériques (Coutant et Stenger, 2013), il est aisé de constater que ces derniers sont des dispositifs qui illustrent par essence même les logiques interactionnistes. Le vécu en ligne sur les réseaux socionumériques est un réel engagement vers la production de contenus, d’échanges, et donc d’interactions sociales. Il est alors naturel de se référer à Erving Goffman pour définir dans un premier mouvement l’identité sociale. Pour lui, l’identité d’un individu se construit dans la relation entre l’identité «pour autrui» et l’identité «pour soi» (Goffman, 1974). Il y a donc une mise en scène de soi. Nos interactions sociales laissent ainsi chez les autres une trace informationnelle qui ne peut plus être effacée. Nous sommes donc influencés et caractérisés en tant qu’humains par le regard des autres qui est intériorisé. Alors que Goffman réalisait ses études empiriques sur le travail de face à face, plus près de nous Claude Dubar (2000) distingue deux composantes indissociables de l’identité sociale: l’identité pour soi, qui renvoie à l’image que l’on se construit de soi-même, et l’identité pour autrui, qui est une construction de l’image que l’on veut renvoyer aux autres, c’est une forme de reconnaissance des autres. Il y a donc une coconstruction de l’identité qui s’opère entre les acteurs en interaction. On retrouve l’idée de processus, d’un continuum d’interactions. Dans le cadre social où il se trouve, l’individu s’adapte en permanence au milieu dans lequel il interagit. Nous vivons régulièrement dans des contextes sociaux différenciés qui font que l’unicité du soi est un mythe. Le concept d’acteur pluriel (Lahire, 2001) est une réponse à la dimension multiple de l’acteur social qui ne se perd pas cependant dans un poudroiement d’identités et de rôles sans aucune sorte de liens entre eux. En effet, «un acteur pluriel est le produit de l’expérience souvent précoce, de socialisation dans des contextes sociaux multiples et hétérogènes» (Lahire, 2001, p. 60). Cet acteur pluriel est également caractérisé par un plissement du social, c’est-à-dire que l’acteur individuel est le produit de multiples opérations de plissement (ou intériorisation) et qu’il se caractérise donc par la multiplicité et la complexité des processus sociaux, des dimensions sociales, des logiques sociales, etc., et qu’il a intériorisés (Lahire, 2001, p. 344). Il y a donc un acteur social lié à l’univers dans lequel il opère. Il s’adapte, interagit, laisse des fragments de lui-même chez les autres et il intériorise l’ensemble social dans lequel il opère. L’individu agit donc en réseau dans le cadre de sa vie sociale. Pierre Bourdieu démontre que les interactions sociales se réalisent dans un réseau dense de relations qui lui préexistent. Il parle alors de capital social, c’est-à-dire de «l’ensemble des ressources actuelles ou potentielles qui sont liées à la possession d’un réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisées d’interconnaissance et d’inter-reconnaissance» (Bourdieu, 1980, p. 2). Cela engendre donc le fait que le capital social ne peut exister que si l’autre le reconnaît comme tel. Le capital social est un actif, une richesse de l’individu qui n’a de valeur que si elle est reconnue par d’autres. On voit bien alors que le capital social est l’expression de la réputation, composante essentielle et constitutive de l’identité sociale d’un individu.

    1.2.LA RÉPUTATION: UNE EXPRESSION DE L’IDENTITÉ SOCIALE D’UN INDIVIDU

    La réputation se définit comme «ce puissant système rétroactif de soi sur soi-même qui constitue notre identité sociale et qui intègre dans notre autoperception comment nous nous voyons vus» (Origgi, 2015, p. 8). La réputation est donc à la fois une perception de soi-même subjective et la représentation que nous nous faisons de nous chez les autres. Nous ne maîtrisons pas cette part de notre moi social chez les autres, quelle que soit la mise en scène que l’on met en œuvre, car il y a une part d’incertitude et même d’angoisse dans «la réfraction de notre image déviée et multipliée dans le regard des autres» (Origgi, 2015, p. 8). Quelles que soient les tactiques que l’on opère pour agir sur notre réputation et notre identité sociale, il y a une dimension subjective, incertaine, liée au phénomène de communication pour lequel on ne maîtrise pas la réception par des tiers. La réputation est donc l’expression de l’identité sociale, c’est-à-dire cette construction faite des interactions de l’individu avec son milieu, où il doit accepter de renoncer à la maîtrise totale de son image, de la construction, de la diffusion et de la pérennité de son capital social. Puisque l’identité sociale et la réputation se rejoignent au point de se confondre, qu’en est-il de la perception et de la définition de l’e-réputation? Dans quelle mesure l’e-réputation est-elle le prolongement de la réputation dans la sphère numérique? Ou de quelle façon le Web et ses spécificités techniques modifient-ils la nature de la réputation?

    1.3.DE LA RÉPUTATION À L’E-RÉPUTATION: ENTRE TRACES NUMÉRIQUES ET VISIBILITÉ EN LIGNE

    Nos pratiques numériques génèrent des traces. Celles-ci s’imposent à nous. Nous produisons donc de l’information numérique avant même d’avoir l’intention d’en produire! «L’empreinte numérique, elle, est automatiquement produite à l’occasion d’un calcul, d’un codage ou d’une connexion, le plus souvent sans que le sujet en soit conscient… On ne peut pas ne pas laisser de traces» (Merzeau, 2009, p. 24). L’environnement numérique est donc caractérisé par une capacité à marquer, tracer et suivre les trajectoires singulières des individus en ligne qui interagissent en particulier sur les réseaux socionumériques. Les activités quotidiennes sont souvent banales et relèvent des arts de faire (De Certeau, 1990) qui sont autant de marqueurs qui colonisent le moi numérique de l’internaute. Le concept de l’homme-trace, proposé par Galinon-Mélénec (2011), trouve une application opérante dans la proposition qui stipule que «l’homme est un document comme les autres» (Ertzcheid, 2009, p. 38). Nos pratiques sociales numériques laissent des traces, des documents, autant de signes et parfois de signaux qui sont constitutifs de notre réputation numérique. L’automatisation du traitement des traces numériques personnelles exponentielles permet une redocumentarisation (Salaün, 2007) des traces pour leur donner une forme d’intelligibilité, un sens opérant qui est l’objet d’une marchandisation des traces, vrai enjeu financier de l’économie de la réputation. En effet, la promesse économique associée au concept de mégadonnée est la capacité de stockage et de calcul des traces numériques de nos objets connectés pour leur donner une valeur ajoutée à destination des annonceurs. Au-delà des traces induites, il y a les traces volontaires, celles que les individus produisent pour proposer une forme de soi pour autrui. Les discours dominants cherchent à instrumentaliser et rationaliser cette mise en visibilité de soi. Ne parle-t-on pas de personal branding qui est la forme la plus instrumentale de l’homme, c’est-à-dire l’individu réduit à un produit qu’il faut vendre? La maîtrise de soi est très limitée sur les réseaux socionumériques (Coutant, 2011). La démarche interactionniste propre à ces réseaux et les fonctionnalités associées à ces dispositifs font que toutes les informations sont non différenciées, placées au même niveau. La dynamique des interactions en ligne fait que l’identité numérique s’ouvre progressivement, souvent, à un public plus large qu’un cercle restreint de confiance. À partir de ce constat, il semble illusoire de chercher à orienter et instrumentaliser la réception de nos marqueurs identitaires auprès d’un public plus éloigné, de même qu’à agir sur cette réception. Les réseaux socionumériques sont aristocratiques, c’est-à-dire que seuls ceux qui ont déjà une audience importante vont avoir une dynamique d’entraînement, créer des effets d’échelle. Cette métaphore permet également de souligner les actions de concentration, car les avantages ont tendance à se cumuler avec des positions concurrentielles dominantes difficilement contestables. Enfin, cela permet d’opposer les mouvements de concentration à l’œuvre sur un plan économique aux discours dominants qui prônent des vertus démocratiques et égalitaires sur le Web. Le fonctionnement de ces réseaux stimule les internautes pour qu’ils produisent plus de documents, plus de traces visibles et qu’ils s’ouvrent à des publics élargis. Les logiques de flux et de stock d’informations sont à l’œuvre (Merzeau, 2009, p. 27) dans une approche systémique pour accentuer l’extériorisation de soi dans une perspective «réputationnelle». Celle-ci est caractérisée par une incertitude, qui est la perception et la réception du soi par autrui, et fragmentée en autant de profils que d’interactants. La visibilité de soi sur les réseaux sociaux est constitutive de la réputation en ligne. À partir de la décomposition de l’identité numérique autour de deux tensions que sont l’extériorisation de soi et la simulation, Cardon définit différents formats de visibilité. Trois d’entre elles nous semblent éclairantes pour saisir la nature des traces visibles courantes sur le Web et plus particulièrement sur les réseaux sociaux: le paravent est une disposition où les internautes restent cachés derrière «des catégories qui les décrivent et ne se dévoilent au cas par cas dans l’interaction avec la personne de leur choix» (Cardon, 2008, p. 106). La visibilité en «clair-obscur» privilégie l’intimité destinée à un réseau social proche, de confiance. Enfin, dans le format du «phare», les internautes rendent visibles de nombreux traits de leur identité au plus grand nombre. La recherche d’une connectivité maximale est alors visée. Quelle que soit la configuration observée, maîtriser autant que possible son exposition en ligne nécessite un engagement réflexif de l’internaute, une organisation tactique dans la pratique des écosystèmes Web qui n’est pas à la portée de tous. C’est une autre expression de la nature aristocratique du Web. Nous ne sommes pas égaux dans nos pratiques numériques et le capital culturel de chacun participe à cette différenciation. Dans la construction de l’e-réputation d’un individu, il nous paraît important de rappeler qu’étant donné que l’acteur social est pluriel, son identité numérique n’est pas unique, elle se décline en autant de formes que d’expositions sur les différents réseaux sociaux. Tout l’enjeu pour l’internaute associé à cette identité fragmentée et contextuelle est de faire cohabiter les différentes facettes de son identité numérique dans une forme de proximité symbolique qui peut parfois brouiller le message en fonction des publics touchés de proche en proche et qui n’étaient pas initialement destinataires de l’identité contextuelle proposée. Il est utile de préciser qu’entre la polarité d’une identité unique idéalisée et le poudroiement d’identités sans liens d’un même individu, nous préférons évoquer l’identité numérique d’un acteur pluriel se déclinant en autant d’identités contextuelles, ce qui laisse à penser que l’on fait référence à une même personne avec ses singularités.

    On voit donc que l’e-réputation des individus est à la fois sa réputation, son capital social, c’est-à-dire cette construction faite des interactions de l’individu avec son milieu, la représentation qu’il se fait de ces interactions et la reconnaissance éventuelle qu’en ont les autres. C’est également un ensemble d’indices identitaires qui sont produits par les traces numériques volontaires ou induites et qu’une démarche de redocumentarisation va doter d’intelligibilité pour un tiers extérieur. L’e-réputation est donc constituée d’une collection de documents visibles, publiés, et d’un ensemble de traces numériques selon différents formats de visibilité. À partir de cette construction microsociale, on peut à présent se poser la question de la réalité, de la perception et de l’effectivité de l’e-réputation pour une organisation.

    2.L’APPROCHE MÉSOSOCIALE DE L’E-RÉPUTATION

    2.1.L’E-RÉPUTATION D’UNE ORGANISATION

    Dans le prolongement de ce qui a été dit sur l’internaute, qui est la figure d’un acteur pluriel, il faut préciser que les identités sociales numériques des individus qui composent une organisation peuvent affecter sensiblement l’identité numérique de celle-ci. Les salariés, par leur présence numérique et leurs interactions en ligne, participent à créer de la porosité entre l’intérieur et l’extérieur de l’organisation. La production informationnelle et documentaire des internautes interfère avec la propre démarche documentaire de l’organisation. Cela interroge alors la réalité des frontières de l’entreprise et la perception de l’intérieur et de l’extérieur du point de vue de l’entreprise. Les parties prenantes peuvent alors apparaître dans une forme de proximité immédiate qui devient un enjeu de direction souvent négligé par le décideur, car il ne sait pas traiter le sujet. Sur un plan mésosocial, la réputation est «une métaopinion issue d’actions communicatives intentionnelles d’évaluation de l’être et de l’agir d’une organisation au sein d’un groupe d’individus» (Alloing, 2015). Cette agrégation d’opinions

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