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Le filet de l’oiseleur: Nouvelles
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Le filet de l’oiseleur: Nouvelles
Livre électronique102 pages1 heure

Le filet de l’oiseleur: Nouvelles

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À propos de ce livre électronique

Le filet de l’oiseleur est une série de cinq récits de vie romancés qui datent de la dernière guerre, jusqu’à l’engagement politique, en passant par les événements de Mai 68, sur fond de dénonciation, d’abus de pouvoir, en particulier dans l’Église… Le fil conducteur des différentes intrigues réside dans ces deux mots : emprise, déprise. Ce recueil de nouvelles représente également la quête d’un certain paradis de l’enfance.

À PROPOS DE L'AUTEURE

Conteuse, Christiane de Talhouët a fait des études de lettres et de théologie. Elle s’inspire d’une époque cruciale de sa vie pour écrire Le filet de l’oiseleur.
LangueFrançais
Date de sortie9 juin 2021
ISBN9791037729262
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    Aperçu du livre

    Le filet de l’oiseleur - Christiane de Talhouët

    De l’emprise à la déprise,

    un chemin de libération

    Patience

    À la fin de la journée, notre grand-mère qu’on appelait « bonne-maman » s’installait devant un bureau « dos d’âne » parce que son dossier est arrondi. C’était un vaste bureau appuyé contre le mur du fond du salon. Il tournait le dos à la grande porte-fenêtre ouvrant sur la terrasse qui descendait par trois marches dans le jardin… Sur cette terrasse, certains jours, plutôt le matin, on sortait les meubles du salon, de la salle à manger et de la longue entrée dont le sol était à carreaux noirs et blancs pour faire « un grand ménage ».

    Donc dans ce salon, en fin d’après-midi et en hiver, il faisait déjà nuit, bonne-maman s’asseyait devant ce grand bureau ouvert, à contre-jour, et là elle prenait un jeu de cartes qu’elle étalait soigneusement, quatre par quatre, puis faisait une « patience ! »

    Rapidement, elle déplaçait les cartes et manifestement s’appliquait à les mettre dans un certain ordre ! Ce qui me fascinait, c’était la rapidité avec laquelle elle les animait en silence. À la fin, elle disait « réussie » ou « ratée » avec indifférence… Parfois, elle recommençait ; jamais elle ne donnait la moindre explication que d’ailleurs je ne songeais pas une seconde à réclamer.

    Quand bonne-maman faisait une patience, je voyais bien, d’une certaine façon, qu’elle s’échappait.

    On la retrouvait, le soir, à genoux devant le même bureau à cylindre, fermé cette fois-ci, pour la prière. Toute la famille était réunie à genoux et prononçait toujours dans le même ordre les mêmes prières que les plus petits comme moi finissaient par mémoriser. C’était une sorte de patience vocale, rapide, ordonnée et mystérieuse. Là aussi, il n’était pas question de réclamer la moindre explication. Cela allait de soi ; je sentais bien que c’était en mâchant tous les jours ces mots et ces phrases que j’allais peu à peu entrer dans leur mystère. C’est sur les paroles du Souvenez-vous… Ô très Sainte Vierge Marie qu’on n’a jamais entendu dire qu’aucun de ceux qui ont eu recours à vous, par votre intercession… que nous butions, et si nous nous regardions alors entre enfants parmi les plus jeunes, nous risquions le pire, c’est-à-dire un fou rire contagieux incompressible, qui nous avait valu déjà d’être mis dehors ou bien de recevoir en passant, de la main alerte d’une de nos mères, une rapide gifle… J’avais trouvé un stratagème très efficace ; quand bonne-maman démarrait, après le « Notre-père », le « Je vous salue Marie » et le « Je confesse à Dieu », l’émouvant et dangereux « Souvenez-vous. » Je me mordais les lèvres et pensais très fort à la mort de tante Monique, celle qui était, disaient nos mères, « infirmière de guerre » ! Cela marchait. Les larmes me montaient aussitôt aux yeux. Cela avait été manifestement l’évènement triste de cette vie familiale, évènement un peu flou, il est vrai, car on nous avait éloignés à cause de la contagion, mais je ne pouvais penser à cette tante sans sentir ces larmes m’envahir et chaque soir donc, je provoquais ces larmes pour ne pas avoir de fou rire quand je chevauchais derrière bonne-maman les paroles du Souvenez-vous…

    La longue attente de ces femmes, nos mères et leur mère, bonne maman, réunies dans cette maison du midi de la France, pendant les cinq années de la dernière guerre et qui attendaient en fait des nouvelles des combats, le retour de leurs maris, la fin du conflit, et aussi les nouveau-nés conçus à l’occasion d’une permission d’un père éventuel, s’exprimait dans cette fameuse « patience » quotidienne de bonne-maman, quand les nombreuses corvées auxquelles nous étions peu associés, si ce n’est en spectateurs, avaient été assumées. Car les conversations tournaient autour de sujets prosaïques et concrets, lait, pommes de terre, bicyclette, ménage, lessive. Jamais personne ne disait, comme l’aurait dit un amoureux attendant une lettre « Ah, comme je suis impatient ! » Non, jamais ce mot n’était prononcé ; mais tous les jours, vers cinq heures du soir avant le dîner, bonne-maman, elle qui n’attendait plus personne pour elle-même, car elle était veuve, prenait son jeu de cartes et faisait une patience, parfois deux, et c’était l’attraction des plus petits… un rite sacré !

    Les raisins volés

    Un petit mur de briques roses nous protégeait du regard de nos « mères ».

    Plus haut, la maison avec sa terrasse dominait notre jardin orné d’un magnifique marronnier au centre d’une pelouse contournée par une allée garnie de rares graviers ; descendant trois marches, l’allée cheminait entre notre petit mur de briques et la clôture du jardin, pour remonter de l’autre côté.

    Ce bout de chemin, au pied des marches, nous servait de refuge, d’abri, de cabane, et adossées aux briques ensoleillées, pendant les après-midis d’octobre, nous restions là de longues heures assises, toutes les trois, trois fillettes, de six, cinq, et quatre ans : moi, l’aînée, notre cousine, dite Mafa, et ma petite sœur.

    Ce chemin surplombait le jardin d’une voisine, qui lui-même descendait, vers d’autres jardins, et cela jusqu’au Tarn, le large fleuve rouge dont la vapeur bleutée venait se perdre dans le ciel doré. La tête bien calée contre le mur, nous pouvions jouer avec les formes des nuages qui parfois confisquaient le soleil, et faisaient déjà frissonner la saison d’automne ; assises en rond à califourchon, c’était l’heure de régler nos comptes avec nos « mères » intempestives en renforçant le clan des enfants et ses codes secrets ! Souvent aussi, couchées par terre, invisibles, aux aguets, nous pouvions épier la vie adulte, soit au-dessus de nos têtes vers la terrasse, soit, vers le Tarn dans le jardin de la voisine en particulier.

    Ce jardin était plutôt un verger ; pas de grand marronnier majestueux, ni de pelouse aux airs de gazon, ni de chemin, mais tout plein d’arbres fruitiers plantés çà et là de façon désordonnée, et accrochée aux murs qui surplombaient à leur tour les jardins voisins, une vigne en espalier.

    La voisine, une femme seule (en ce temps de guerre, les maisons étaient pleines de femmes) venait rarement dans son jardin. Les arbres regorgeaient de fruits qui mûrissaient en paix. Au mois de septembre, avant leur départ pour leurs villes et leurs écoles, les cousins, les grands, qui nous rejoignaient l’été pour « les grandes vacances » organisaient parfois des expéditions, des razzias fulgurantes, dans ce jardin appétissant. Spectateurs admiratifs, nous pouvions partager ensuite le butin avec eux, butin qui donnait à l’heure du goûter, des allures de festin.

    Était-ce la première fois, ou avions-nous déjà réussi notre coup auparavant, je ne m’en souviens pas précisément, en tous les cas un après-midi, nous avons décidé de nous lancer à notre tour dans cette aventure dont le principal danger consistait, pour nous les petites, d’oser nous glisser tour à tour le long du haut mur en surplomb et le remonter en faisant « la courte échelle » (méthode

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