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Le Mercenaire: Roman
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Livre électronique171 pages2 heures

Le Mercenaire: Roman

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À propos de ce livre électronique

Paul, après bien des péripéties professionnelles et des aventures piquantes et picaresques, arrive au Caire à l’automne 2012 pour une énième prise de poste en tant que professeur d’histoire-géographie. Nous sommes à la veille des grandes manifestations anti Morsi préfigurant le coup d’État du maréchal Al Sissi six mois plus tard. Plein d’optimisme et d’enthousiasme, il espère que ce travail sera le bon et que Le Caire sera le point de départ de la nouvelle vie à laquelle il aspire ardemment.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Passionné depuis toujours par la littérature, les voyages et les relations internationales, voici plusieurs années que Pierre Crozat essaie de concilier certaines de ses passions en travaillant comme professeur d’histoire-géographie dans les lycées français à l’étranger. C’est par ce biais qu'il a découvert des pays tels que l’Égypte, le Maroc, l’Azerbaïdjan ou la Tunisie évoqués dans le roman Le Mercenaire.
LangueFrançais
Date de sortie9 juin 2021
ISBN9791037727787
Le Mercenaire: Roman

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    Aperçu du livre

    Le Mercenaire - Pierre Crozat

    I

    En sortant de la Pension Roma, ce matin d’octobre, Paul réalisa enfin qu’il était au Caire. Arrivé en effet tard dans la nuit à l’aéroport, il n’avait fait alors que traverser la ville sans trop prêter attention à ce qui l’entourait, harassé qu’il était par plusieurs heures de voyage. La rue Mohamed Farid bruissait déjà d’une circulation intense et chaotique. Sous un soleil éblouissant, les BMW flambant neuves croisaient les vieilles Lada de l’époque nassérienne tandis qu’un marchand d’oranges avec son âne, imperturbable, se frayait un passage et qu’un livreur de pains ronds, de baladi, à vélo, son chargement en équilibre sur la tête, surgissait à vive allure au coin de la rue. Tout l’Orient était là. En contemplant le spectacle plein de vie que toute rue du Caire offre à l’observateur patient et attentif, Paul se sentit soudain gonflé d’optimisme et d’enthousiasme à l’idée qu’une nouvelle vie commençait pour lui dans un cadre aussi dépaysant. Il se dit qu’enfin, ici, en Égypte, cette année-là, il allait réussir dans le difficile métier de professeur et que toutes ses mauvaises expériences et déceptions passées ne seraient bientôt plus qu’un souvenir. Tel Bonaparte deux siècles plus tôt, il avait envie de s’écrier : « À moi l’Orient ! ».

    Paul héla un taxi et lui demanda en anglais de l’amener au lycée français Gustave Flaubert dans le quartier New Cairo. Il y avait rendez-vous avec le Directeur des Ressources Humaines et le proviseur dans la matinée pour la signature du contrat et pour qu’on lui remette son emploi du temps. Paul ne savait pas encore que prendre un taxi au Caire est souvent compliqué et hasardeux : le chauffeur l’avait pris sans avoir bien compris où il voulait aller. Parlant mal l’anglais, il avait entrepris de s’arrêter à chaque fois qu’il voyait des jeunes susceptibles de parler cette langue et ainsi de lui expliquer l’adresse recherchée. Paul commençait à perdre patience après une demi-heure passée ainsi où il eut tout de même la joie de voir le Nil et la place Tahrir, haut lieu de la révolution qui l’année précédente avait renversé le président Hosni Moubarak. Après avoir enfin pris la bonne direction, Paul, rassuré, songea à ce poste de professeur d’Histoire-Géographie qui l’attendait et à la vie heureuse qu’il s’imaginait mener dans les mois suivants.

    Il faut dire que depuis cinq ans et sa dépression qui lui avait fait abandonner son métier de libraire, Paul s’était lancé dans le métier de professeur d’histoire-géographie, correspondant à ses études, par goût d’un emploi moins routinier et avec la volonté de transmettre ses passions pour l’histoire, le patrimoine et les arts en général. À mesure que le taxi se rapprochait du lycée Flaubert, Paul voyait défiler en lui-même cette suite ininterrompue de déceptions grandes ou petites qui l’avaient conduit, comme dans une fuite en avant, du fin fond du Cantal pour son premier remplacement, à l’Égypte ce jour-là, en passant par la République tchèque, l’Équateur, la Guyane, le Maroc ou encore le Guatemala. À chaque fois Paul y croyait et se pensait au début d’une nouvelle vie qui serait cette fois la bonne et parvenait, par une sorte de résilience opiniâtre et amnésique, à oublier les problèmes innombrables liés à ce métier de nos jours qui l’avaient bringuebalé ces dernières années de licenciements en démissions. Il se souvenait notamment de ces moments passés, dans ce collège du Cantal, enfermé dans les toilettes après certains cours particulièrement difficiles où les élèves lui avaient détruit les nerfs, attendant que peu à peu, dans la solitude, le calme et la paix reviennent en lui. Paul ne se résolvait pas à comprendre ou à admettre que le métier d’enseignant, surtout à l’heure de l’enfant-roi, de la fête du divorce et de la société de consommation, n’était pas fait pour ses nerfs fragiles et sa sensibilité littéraire à fleur de peau.

    Il avait choisi de partir travailler dans les lycées français à l’étranger par goût du voyage certes, mais surtout afin d’échapper à la mauvaise éducation des jeunes Français, à leur sauvagerie, à leurs insultes et à leur ignorance crasseuse. Paul n’y avait pourtant pas trouvé l’Eldorado espéré. Loin de là. Il avait remarqué en effet que les principales difficultés venaient en France des élèves eux-mêmes et de leurs parents et à l’étranger, des cadres de direction ; les élèves étant pour la plupart bien plus respectueux et motivés qu’en France, écoles publiques et privées confondues. À l’étranger, les proviseurs de lycées français et les autres personnels d’encadrement étaient la plupart du temps des arrivistes s’étant servis de l’enseignement en général et des écoles françaises à l’étranger en particulier comme d’ascenseurs à promotion sociale et à gros salaires. Ils étaient fréquemment incompétents et parfois malhonnêtes, l’incompétence et la malhonnêteté allant souvent de pair.

    Paul se disait parfois que cette vie en apparence décousue, hachée, faite de mauvaises expériences professionnelles souvent interrompues, une vie en somme assez picaresque, n’était peut-être pas pour lui déplaire totalement. Depuis sa dépression, il cherchait en effet à réduire son anxiété profonde et diffuse, et les voyages, combinés à son anxiolytique et au café, lui faisaient du bien et l’aidaient à diminuer sensiblement ses problèmes nerveux. Du moins, le croyait-il. Le voyage comme psychotrope en quelque sorte, un peu à la Jack Kerouac mais version plus élégante, plus Belle Époque, davantage Stefan Zweig ou Paul Morand que Beat Generation. Paul avait réalisé ainsi qu’il avait le goût du monde et de l’aventure. Ce n’était pas pour rien que l’un de ses romans préférés était le chef-d’œuvre de Cervantès et de la littérature espagnole du Siècle d’Or, l’illustre Don Quichotte de la Manche. Le café, par ailleurs, augmentant les effets de son médicament, lui apportait paix et assurance à tel point que les deux dernières années, il en avait doublé sa consommation quotidienne. Paul appréciait particulièrement le moment, chaque matin, où il le buvait et sentait alors cette force monter en lui et lui donner de l’énergie et de l’optimisme pour toute la journée. Il le préférait au lait ou bien allongé, lungo disent les Italiens, et non turc comme en Égypte, afin de faire durer le plaisir et d’en percevoir doucement l’étrange pouvoir, tels les fumeurs d’opium savourant leur drogue. Contrairement au colonel Buendia, il le buvait sucré et se délectait en raclant le fond de sa tasse de ce mélange de sucre chaud et de café. C’était un temps privilégié avant de partir travailler ou chercher du travail qui l’incitait à la réflexion et à faire le point sur sa vie en général ou sur la journée à venir.

    Deux tasses, pensait-il, certains jours, étaient peut-être un peu trop pour lui, cette quantité de caféine se combinant avec son anxiolytique et pouvant le rendre parfois irritable. Il devait de toute façon se rendre à l’évidence : il s’était peu à peu drogué entre la caféine et le médicament et ne pouvait désormais plus se passer de ces deux psychotropes. Le plus souvent, il préférait toutefois chasser doutes et mauvaise conscience. La vie n’était-elle pas remplie d’illusions, de reflets trompeurs ? Il était loin par ailleurs d’en boire autant que Balzac ou Voltaire ! L’auteur de Candide en consommait douze tasses par jour et celui de la Comédie humaine jusqu’à cinquante ! Balzac, ce colosse de la littérature, qui en buvait pour soutenir un rythme de travail de dix-huit heures par jour, en serait mort d’une crise cardiaque. On peut supposer malgré cela que sans le mystérieux pouvoir de la caféine l’univers de la Comédie humaine n’aurait pas vu le jour ou tout au moins pas de façon aussi aboutie. Paul avait remarqué que le café comme psychotrope agissait en aiguisant l’état de conscience tout en stimulant l’esprit, en rendant plus attentif aux détails et plus concentré alors que l’alcool au contraire anesthésiait la pensée et réduisait de plus en plus le champ de la conscience. Il songea alors que cette boisson dont il était devenu lui-même un consommateur invétéré bien que plus modéré provenait justement de cet Orient où il se trouvait, du Yémen plus précisément, importée à l’origine d’Éthiopie, et qu’elle avait depuis longtemps connu un grand succès dans tout le monde arabe et particulièrement au Caire et à Istanbul où les établissements qui les servaient, les cafés, avaient toujours été nombreux. Ce breuvage avait plusieurs fois fait l’objet de controverses dans le monde islamique, ses propriétés psychotropes et stimulantes rappelant celles de l’alcool formellement interdit par le Coran. Le café, boisson diabolique ou agréable à Allah ?

    Il se disait parfois que cette errance perpétuelle, sorte de Grand Tour contemporain entre Europe, Orient et Amérique latine, bien que non recherchée volontairement, était peut-être le fruit de son inconscient qui le poussait à fuir ainsi une anxiété qui, comme le magma d’un volcan actif, n’était jamais très loin de la surface. Paul, contrairement à la plupart de ses contemporains, se sentait plus à l’aise dans le provisoire que dans le définitif. Le modèle idéal de la société contemporaine, la maison et les deux enfants, lui faisait horreur. Il avait fait involontairement de l’errance une seconde patrie, sa véritable patrie, comme l’avait écrit Saint Augustin, étant de toute façon celle du Ciel. Ce qui était sûr et plutôt positif, pensait-il souvent, c’est que ces dernières années, bien que difficiles, lui avaient appris beaucoup de choses sur le monde, les autres mais aussi sur lui-même. Jamais il n’avait acquis auparavant une telle connaissance de lui-même, de ses défauts, de ses fragilités, de ses contradictions mais également de ses forces et de ses atouts. Du moins le croyait-il. Riche de toutes ces expériences diverses et des coups que la vie lui avait donnés, Paul était bien décidé cette fois à ce que ce travail et cette vie en Égypte soient un succès. Ses trois objectifs principaux demeuraient bien malgré les vicissitudes passées : trouver la paix, avoir enfin un emploi pérenne et rencontrer l’amour. Il aimait le mot de l’espagnol Calderon, issu comme Cervantès du Siècle d’Or : « La plus grande victoire est la victoire contre soi-même ».

    Pendant que Paul se remémorait ce mélange complexe d’expériences ratées, de vie professionnelle désastreuse mais en même temps de vie culturelle intense faite de voyages, de lectures et de rencontres, Le Caire, mégapole tentaculaire de plus de vingt millions d’habitants, déroulait devant lui ses faubourgs sales, poussiéreux et interminables. On aurait pu croire que le monde entier n’était plus qu’une ville et que la nature avait totalement disparu. L’Égypte, pays plusieurs fois millénaire, avait connu trois capitales au cours de son histoire : Alexandrie avait dans l’Antiquité supplanté la Memphis des pharaons et avait elle-même été destituée par Le Caire depuis 969 après J.C. Kheops n’aurait jamais pu imaginer un instant qu’aux pieds de la pyramide construite pour accueillir sa sépulture, la plus grande du pays, s’étendrait une ville aussi gigantesque. Le taxi roulait à toute allure, la radio laissant s’échapper des chansons arabes à un volume que tout Occidental aurait jugé excessif. Ce moment, se dit Paul, résumait bien l’Égypte et l’Orient : tout y était démesuré. Tout était si différent de la République tchèque et a fortiori de la Lettonie où Paul avait vécu dix ans auparavant, pays où les gens sont laconiques, rationnels et placides. Peu à peu, alors que l’on s’éloignait du centre, le désert se laissa voir à certains endroits, l’immense et mystérieux Sahara qui rendit Paul songeur et dissipa ses mauvais souvenirs. Il pouvait voir aussi quelques quartiers protégés et fermés pour riches Égyptiens en quête de sécurité qui poussaient comme des champignons le long de l’autoroute et qui lui rappelaient les condominios guatémaltèques.

    Sa dernière expérience à l’étranger avait été la plus courte mais également la plus rocambolesque : il n’était resté que cinq semaines à Bakou, capitale de l’Azerbaïdjan, où venait de se créer un lycée français, fruit du rapprochement entre la France et cette ex-république soviétique. Particulièrement motivé par la perspective de participer à cette aventure où par ailleurs ses compétences de libraire devaient servir à la mise en place du CDI ; quelle n’avait pas été sa déception en comprenant que ses collègues et lui étaient les otages de gens profondément corrompus et malhonnêtes ! L’entreprise nationale du Pétrole en Azerbaïdjan, la Tocar, qui finançait l’école, avait annulé leurs contrats à leur arrivée en profitant du départ inopiné de la directrice française au caractère bien trempé pour maladie et fin septembre, n’avait rien prévu pour leurs salaires. La beauté de Bakou, de sa vieille ville médiévale, de ses remparts et de son front de mer, l’opulence des centres commerciaux et de certains quartiers huppés, tout cela n’était qu’une vitrine masquant une société encore clanique et très corrompue héritière des années de la Perestroïka.

    De dysfonctionnements en humiliations et de mensonges en incertitude, Paul, que son caractère entier et idéaliste ne prédisposait guère à s’entendre avec une mafia post-soviétique, se plaignait de plus en plus ouvertement et avec de moins en moins de retenue et sentait en lui la tension monter chaque jour davantage. Il perdit ses nerfs d’une façon spectaculaire le jour où il apprit par ses collègues que les responsables de la Tocar et le directeur français qu’ils avaient mis en place cherchaient à le remplacer et avaient mis sur Internet une offre d’emploi reprenant les grandes lignes de sa mission. Le directeur fantoche à la solde de la Tocar refusant de lui donner des explications et se cachant lâchement derrière son ordinateur sans même daigner le regarder, Paul devint alors fou de rage et, s’emparant de l’appareil comme d’un trophée, le jeta violemment au milieu du bureau où il se fracassa. Après s’être barricadé dans une salle de classe à l’aide de tables et de chaises, l’ordinatricide n’avait échappé à la police que grâce à l’intervention de l’Ambassadeur de France appelé à la rescousse.

    Ces événements s’étaient produits deux semaines auparavant. Paul, le lendemain du drame, et alors que la Tocar avait placardé la photocopie de son passeport sur les portes de l’école tel un bandit de grand chemin afin qu’on ne

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