Leçons de vie: De Djibouti à Villejuif, en passant par la Corse,…
Par Paul Vitani
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À propos de ce livre électronique
Sous ses yeux, sa sœur, son frère et 30 autres enfants sont pris en otages à Loyada, tout près de Djibouti en Afrique de l’est.
Deux d’entre eux seront tués, plusieurs autres blessés, lors de l’opération de libération.
Le traumatisme est toujours présent, d’autant qu’une chape de plomb s’est abattue sur cette affaire, si peu connue 41 ans après les faits.
Entre temps, Paul va connaître la maladie.
Pendant les 15 dernières années, il affrontera 3 cancers différents.
Il est toujours sous la menace de 2 d’entre eux, qui ne se guérissent pas.
Ce récit est le témoignage de son vécu de la prise d’otages et de la lutte contre la maladie.
Des moments de vie plus ou moins heureux le parsèment : ses voyages et ses rencontres à travers le monde, le harcèlement au travail,…
Le message de Paul est multiple.
D’abord, il entend redonner de l’espoir à ceux qui sont confrontés à la maladie.
La lumière peut être au bout de l’interminable tunnel.
Ensuite, il souhaite que les ex otages soient reconnus, notamment des pouvoirs publics.
Enfin, il rend hommage à ses médecins, aux libérateurs de sa sœur et de son frère, tout comme aux bénévoles qui se mobilisent en faveur de ceux touchés par la maladie ou le terrorisme.
Les droits seront versés à des associations qui soutiennent les victimes du cancer et du terrorisme.
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Aperçu du livre
Leçons de vie - Paul Vitani
Leçons de vie
Paul Vitani
Leçons de vie
De Djibouti à Villejuif,
en passant par la Corse,…
Les Éditions Chapitre.com
123, boulevard de Grenelle 75015 Paris
© Les Éditions Chapitre.com, 2017
ISBN : 979-10-290-0680-7
Avant-propos
« Quand tu traverses l’enfer, surtout continue d’avancer. » Winston Churchill
Je n’ai pas tout de suite prêté attention à cette photographie que je venais de scanner d’une diapositive d’époque. C’était fin janvier 2015 et, avec Patricia, mon épouse, nous étions partis nous reposer quelques jours en Corse. J’avais des circonstances atténuantes. Je souffrais le martyre au niveau des lombaires depuis plusieurs mois, malgré kiné, ostéopathie, anti-inflammatoires,…
Je ne savais pas encore qu’un troisième cancer s’installait dans mon corps.
Cette photo date sans doute du 1er février 1976. Elle a probablement été prise par mon père.
Cette photo serait impossible à prendre aujourd’hui, non seulement parce que nous avons pris quarante années, mais aussi parce que la 13è DBLE{1} a quitté Djibouti pour partir à Abou Dhabi, puis, depuis 2016, dans le Larzac.
Lorsqu’elle a visionné cette photo, ma sœur Nathalie a immédiatement remarqué les chaussures qui l’habillaient. C’était celles que mes parents venaient de lui acheter, quelques jours avant que la photo ne soit prise. Celles que, deux jours plus tard, elle devait porter dans ce bus maudit.
Nous étions très beaux, insouciants. Nathalie allait avoir 7 ans, Thierry avait 10 ans et demi, Pascal filait sur ses 12 ans et j’ai eu 14 ans quelques jours après.
Cela faisait presque deux ans que nous étions à Djibouti.
École le matin, plage l’après-midi. Comment ne pas rêver une telle enfance, une telle jeunesse, une telle scolarité ?
Certes, il y avait eu ici ou là, des attentats en ville, avec « quelques » morts et blessés.
Un mois et demi avant, le 20 décembre 1975, un Noratlas ou Nord 2501 ; l’avion de transport militaire ; fut menacé par des chasseurs Mig 19, forcé à atterrir en territoire somalien, fouillé de fond en comble, car l’équipage était soupçonné de faire de l’espionnage, avant d’être, enfin, autorisé à repartir pour Djibouti, pour la base aérienne, la BA 188 Emile Massart, nom presque homonyme avec l’un de « mes » futurs oncologues. Mon père aurait pu participer à cette mission.
Quelques semaines auparavant, un légionnaire fut découvert découpé en morceaux juste à côté de notre domicile, face au club hippique.
Malgré tout, au collège Boulaos, je discutais facilement avec des copains Djiboutiens de divers sujets, comme, avec mon camarade Saleh, de l’avenir du territoire : « Vivement notre indépendance, afin que nous soyons maîtres de notre destin ». Auquel je lui répondais : « vous ne pourrez jamais être réellement indépendants, car vous n’avez que peu de ressources, et vous ne tarderez pas de le regretter ».
Mais, nous étions au centre d’un échiquier, dont les pièces étaient manœuvrées par la France, par les différents mouvements autonomistes ou indépendantistes, mais aussi par la Somalie voisine et son protecteur soviétique, et, en arrière-plan, par les Etats-Unis. Au nord du territoire, le détroit du Bab-el-Mandeb fermait la stratégique mer Rouge. La route du pétrole, venant du golfe Arabo-persique, était trop proche.
L’enfer allait s’abattre sur nous : prise d’otages, terrorisme, enfants tués, d’autres paralysés. Sans compter une trentaine de soldats et terroristes tués « de l’autre côté ».
Jours et nuits d’angoisse, de souffrance.
Plus d’une quinzaine d’années avant que je puisse en parler sans avoir de fortes émotions. C’est encore le cas plus de quarante années après. Je n’arriverai peut-être jamais à évoquer tout ce que j’ai vécu, vu et que je sais, sans en parler normalement. Pourtant, j’ai connu d’autres fortes émotions avec toutes ces maladies successives depuis 2002.
Cette photo est très belle. Je n’ai pas tout de suite remarqué qu’elle est aussi chargée de symboles. Symbolique parce que nous allions passer de l’innocence à la brutalité. Symbolique, pour plein d’autres raisons encore.
Nous sommes devant l’entrée de la 13è DBLE. Notre maison est à quelques centaines de mètres, en direction du quartier d’Ambouli. Mon père nous amenait de temps en temps au quartier légion pour déjeuner ou diner au mess. Maman devait être à ses côtés lorsqu’il nous a photographiés.
Nathalie est serrée dans cette croix de Lorraine, qui, forcément, renvoie au général de Gaulle. Lorsqu’il était président de la République, fin août 1966, il se rendit à Djibouti, dont le territoire s’appelait alors la Côte française des Somalis.
Des manifestations et affrontements meurtriers réclamant l’indépendance eurent lieu. La légion étrangère, peut-être la 13è DBLE, soutint la gendarmerie dans les opérations de maintien de l’ordre, qui furent meurtrières.
L’année suivante, en 1967, le Territoire français des Afars et des Issas (TFAI) succédait à la Côte française des Somalis. La route de l’indépendance semblait tracée.
Cela n’empêcha pas la prise d’otages.
Cette croix de Lorraine était située à un « jet de pierre » de la cathédrale de Djibouti, là où Pascal et Thierry ont fait leurs communions. Cette croix, en « terre d’islam » comme l’on dit de nos jours, et si tenté qu’une terre doive s’intégrer à une religion, souligne donc la proximité entre chrétienté et islam, entre Europe et Afrique.
Même s’il n’y a jamais eu à Djibouti d’oppression religieuse, cette croix renvoie tout de même aux minorités persécutées, comme c’est le cas en Irak et en Syrie depuis quelques années. Mais pas besoin d’aller si loin de Djibouti, puisqu’en Somalie voisine au sud, de nos jours, les shebabs radicalisés essayent d’imposer leur vision de la religion, de la société. Cette Somalie qui joua un rôle prépondérant dans la prise d’otages.
En cette année 1976, d’autres minorités étaient persécutées au nord du TFAI, lorsque l’Erythrée luttait pour son indépendance. Aujourd’hui, en Erythrée, le chef des indépendantistes est devenu dictateur et martyrise son propre peuple.
Cette croix évoque aussi la chrétienté de l’Ethiopie voisine, dont la royauté a pris fin au début de notre séjour djiboutien, en septembre 1974. La fleur de lys, placée entre Nathalie et moi-même, renvoie également à la royauté, celle de Louis-Philippe 1er, qui fonda la légion étrangère en 1831. Le roi des Français fut le dernier des Capétiens. La fleur de lys était leur symbole.
Cela est bien plus ancien, mais comment ces plongeons dans l’histoire ne pourraient-ils pas aussi faire songer à ce berceau de l’humanité que fut donc l’Ethiopie, pays où je me rendis en famille en août 1975, au moment où Haïlé Sélassié 1er ; le descendant de la reine de Saba qui séduisit le roi Salomon ; rendit son dernier soupir.
Ces plongeons dans l’histoire me rappellent aussi le Kenya ; situé à peine plus au sud ; où, avec Patricia, nous nous sommes rendus tant de fois. Nous y avons beaucoup de connaissances, musulmanes notamment, tout comme chrétiennes. Certains sont nos amis, indépendamment de leur foi.
Mais revenons à cette photo pour remarquer enfin, qu’à ma gauche, sont symbolisés deux légionnaires qui montent au front.
Leur courage est justement mis en valeur. C’est qu’il en a fallu à André Soubirou, André Milésie et Pierre Jorand, les légionnaires du 2è REP (régiment étranger de parachutistes) pour courir, avec leurs camarades du GIGN, sous la mitraille des terroristes et des soldats somaliens ; plusieurs milliers de balles tirées sur eux et sur les enfants{2} ; afin d’arriver jusqu’au bus pour en libérer les otages, pour libérer Nathalie, Thierry et leurs camarades, des assassins qui voulaient les égorger.
Ce livre rend donc également hommage à ce courage.
Il évoque aussi la brutalité des hommes, l’inquiétude, la souffrance, le traumatisme et forcément, la culpabilité ; avec ce car que je vois partir, à l’intérieur duquel se trouvent Nathalie, Thierry, Franck, Jean-Luc, Virginie… Ces enfants que je connaissais ; même si leur souvenir s’est estompé. Deux d’entre eux furent tués et sont tous marqués à vie, parfois dans leur chair.
Ce récit évoque cet événement douloureusement vécu, alors que j’étais à peine adolescent.
Christian Prouteau nous a dit le 9 avril 2016, que ces moments l’ont fait passer, lui et son équipe du GIGN (groupe d’intervention de la gendarmerie nationale), de la jeunesse à plus qu’adulte. J’entrais dans mes 14 ans. J’étais donc encore loin de l’âge adulte, mais mon enfance, une partie de ma jeunesse et de mes illusions se sont définitivement perdues en ce début de février 1976.
Cette photo constitue donc une rupture dans ma vie.
Ce livre aborde aussi, plus largement, ces années qui ont suivi mes 40 ans et qui furent bouleversées par la maladie.
Je m’en suis rendu compte quatre décennies après février 1976, mais cet évènement et cette période ont vraisemblablement un lien : la maladie a répondu au traumatisme, à la culpabilité.
Je tenais à ce que cela soit restitué.
PREMIÈRE PARTIE
La GIST
1
Mars 2006 : pourquoi écrire ?
« Les pires souffrances deviennent tolérables dès lors qu’on les transforme en récit. » Karen Blixen
Je ne sais pas si j’ai été confronté à des souffrances aussi terribles que celles endurées par la romancière danoise qui a tant aimé le Kenya et l’Afrique en général. Néanmoins, cette écriture aura constitué un véritable ballon d’oxygène indispensable face aux épreuves que j’ai rencontrées.
Puisse donc ce récit être d’une utilité, même la plus modeste, à tous ceux qui traversent des moments difficiles dans leur existence, particulièrement à ceux qui souffrent de la maladie.
Qu’ils sachent que rien n’est joué d’avance et qu’il faut profiter du mieux possible du présent.
Ce matin de début 2006, alors que je cours en forêt de Fontainebleau, je pense à ceux qui viennent de prendre connaissance d’un diagnostic médical qu’ils n’attendaient pas, mais plus encore à d’autres qui combattent durement la maladie, qui se situent à un stade que j’espère, égoïstement, ne jamais rencontrer.
Je suis bien sûr troublé par un livre écrit par Catherine. Depuis quelques semaines, je lis chaque soir quelques pages avant de me coucher. Au départ, je n’étais pas vraiment très attiré par ce récit, dont la présentation au dos de la couverture évoque sa lutte contre le cancer. Nathalie a de ces idées parfois !
Comment a-t-elle pu imaginer que j’allais me plonger dans une lecture abordant un sujet qui, certes me concerne tout autant, mais que j’essayais, dès qu’il en était question, de fuir ou tout du moins d’éluder, notamment lors de conversations ?
Il faut dire que Catherine ; je l’appelle par son prénom, tellement ce qu’elle a écrit m’était devenu familier ; décrit un parcours qui ressemble, à bien des égards, à mon vécu du moment, et pas seulement pour ce qui concerne son combat contre cette terrible maladie, mais aussi dans les conflits qu’elle a rencontrés depuis son adolescence.
Je cours donc ce matin, alors que je suis, ou plutôt subis, un traitement depuis près d’un mois. Ces médicaments que je prends, matin et soir, ont pour objet d’attaquer et de réduire la tumeur.
C’est ma troisième tumeur depuis près de quatre ans. Celle-ci a été détectée au niveau de la fosse iliaque.
La fosse iliaque se situe entre le nombril et l’aine. J’ignorai moi-même cet emplacement, avant que le Dr Ducreux, le médecin qui me suivait depuis juillet 2003 à l’institut Gustave Roussy{3} de Villejuif, ne m’annonce les résultats du scanner passé en novembre 2005. Cette tumeur se situe légèrement à gauche de mon nombril.
Je suis donc seul à courir ce matin, mon ami Jean, fidèle compagnon de ces samedis matins, n’était pas disponible ce jour.
Et quand on court seul sur quelques dix kilomètres, beaucoup de réflexions traversent l’esprit. Les adeptes de la nage ou de la course sur des durées de plusieurs dizaines de minutes voire de quelques heures, vous diront tous que l’on ne pense pas uniquement à cet effort du moment. La fameuse « solitude du coureur de fond ». Je n’ai donc personne à rattraper, contrairement aux autres samedis où la distance avec Jean, devant, à quelques mètres pour le moment, ne va pas tarder à s’accroître, si je n’arrête pas de mobiliser mon esprit sur autre chose que cette course du samedi matin.
Enfin, ce matin je n’ai pas rencontré âme qui vive, ni Chantal, la sœur de notre ancienne voisine Catherine, qui m’encourage à chaque fois dans cet effort, lorsqu’elle me voit passer sous sa fenêtre.
Chantal connaît bien ma situation, puisqu’elle exerçait son activité professionnelle à la pharmacie de La Rochette, où je vais habituellement chercher mes médicaments.
Et, depuis de nombreuses années, je suis devenu un solide client de cette pharmacie.
Patricia, qui, souvent, apporte mes ordonnances médicales à la pharmacie, et moi-même, tenons donc régulièrement Chantal et ses collègues au courant des évolutions de ma santé.
Je n’ai pas davantage rencontré Jean-Marie qui habite la même résidence que Chantal. Jean-Marie est lui aussi au courant de mes problèmes. Le dimanche précédent, à la fin de mon jogging, il m’a encore prodigué d’utiles conseils.
Jean-Marie est un éminent spécialiste de l’athlétisme. Entre autres, il fut entraîneur au club de notre commune. En outre, il coache des champions tels Delphine ou Morgan. Alors Jean-Marie me conseille d’être davantage couvert en ce froid matin d’hiver :
« Il fait 0° C et tu devrais mettre quelque chose par dessus tes jambes nues, car cela n’est pas bon pour la circulation sanguine et car cela peut aussi rigidifier tes muscles et tes os, puis te faire risquer un claquage musculaire, une tendinite ou encore une fêlure ou une cassure. Et, mets-toi quelque chose sur la tête. »
Bien évidemment, Jean-Marie me demande aussi des nouvelles de ma santé. Je lui indique que depuis le début de ce traitement il y a trois semaines, outre certains autres effets secondaires tels le matin, l’apparition d’hématomes autour des yeux, je ressens une certaine fatigue :
« Avant le début du traitement, je parcourais ces 10 km en 50 minutes environ et, depuis, cela me prend 10 à 15 minutes de plus, mais je tiens tout de même à ne pas réduire cette distance, même si cela donne quelques instants d’inquiétude supplémentaire à Patricia. »
Néanmoins, il m’encourage à continuer le sport, car cela ne peut être que positif pour mon organisme, particulièrement dans ces moments difficiles.
Le Dr Lecesne, qui m’a prescrit ce traitement à l’IGR et m’a prévenu de ces risques d’effets secondaires, m’encourage aussi à ne pas modifier mes habitudes, notamment sportives.
« Très bien Paul, mais ne te refroidis pas, à bientôt. » Ajoute Jean-Marie. Je le salue et pars pour la forêt.
Juste avant d’entrer en forêt, j’ai eu l’agréable surprise de revoir Rox et Rocky, les salukis, ces élégants lévriers originaires de Perse, qui font office de gardiens d’une superbe maison ancienne qui fait face au centre international de La Rochette. Les décorations de fin d’année, qui font resplendir chaque nuit d’hiver, ont été retirées par les propriétaires. Mais, ce dimanche matin, ils ont eu la bonne idée de faire sortir leurs salukis, ce qui me met du baume au cœur et me rappelle inévitablement Janouchka et Mélody, notre barzoï et notre lévrier afghan qui avaient partagés nos vies, quelques années auparavant.
Donc, je « refais le monde ».
Refaire le monde est bien sûr une bien prétentieuse expression, qui, en fait, recouvre des préoccupations ou des espoirs que tout un chacun rencontre au long de son existence.
Refaire le monde signifie plus modestement réfléchir à mes soucis professionnels du moment, aux désaccords lors d’une récente discussion subie,… Subir, ce mot est employé à bon escient pour la Dre Harman, pour qui j’aspire à une vie plus paisible, au lieu de m’impliquer dans des échanges parsemés de propos violents. Les courriels et réseaux sociaux n’ont rien arrangé. Beaucoup de contacts ne se font plus que par leur biais et la violence des propos est trop souvent présente, au détriment de l’écoute.
Heureusement, lorsque je cours, je ne me remémore pas que ces tristes aspects négatifs de la vie.
Refaire le monde cela signifie aussi se rappeler ces voyages et nos rencontres, notamment au Kenya, où, avec Patricia, nous nous sommes rendus si souvent.
Bien évidemment, je songe à Marco et à sa petite famille qui doit éprouver les pires difficultés pour survivre ; le mot n’est hélas pas trop fort ; à Ukunda, tout près de Mombasa, le grand port de l’Afrique de l’est.
Refaire le monde, c’est donc, en forêt ce matin, imaginer ce que je peux faire pour aider les autres à vaincre leur maladie.
2
D’avril à juillet 2002 : première alerte
« Celui qui a été, ne peut plus désormais avoir été. Désormais, le fait mystérieux et profondément obscur d’avoir vécu est son viatique pour l’éternité. » Vladimir Jankélévitch
C’est quelques jours après ma sortie de la clinique, lors d’une consultation avec le Dr Didier Flament, que j’entendis pour la première fois parler de tumeur.
Nous étions en juillet 2003, l’été de la fameuse canicule.
Un an avant, j’avais été hospitalisé pour moins d’une semaine au sein de cette même clinique.
Un samedi après-midi de mai 2002, j’avais été pris de violentes douleurs à l’abdomen. Le matin, j’avais couru en forêt avec Jean et, tour à tour j’avais très chaud ou froid, alors qu’à l’extérieur il faisait une bonne vingtaine de degrés. Cela durait depuis une bonne heure et, malgré les aspirines et autres médicaments que Patricia m’avait préparés, la douleur ne se dissipait pas. Elle supplantait largement mes sensations de variations de températures.
Certes, j’avais mangé ce midi un morceau de fromage dont la date limite de conservation était dépassée d’un ou deux jours, mais cela ne pouvait pas expliquer un tel ressenti, une telle douleur.
À l’époque, je croyais disposer d’un estomac « en béton ». Au moment où j’écrivais ces lignes, je disposais toujours d’un bon coup de fourchette et, comme le disait souvent Patricia : « il vaut mieux m’inviter au cinéma qu’au restaurant. » Désormais, je fais plus attention à ma nourriture, en qualité, comme en quantité.
Ce samedi de mai, Patricia me dit alors que je n’ai pas d’autre choix que d’aller consulter le Dr Alain Rosamond, mon médecin généraliste. Alors qu’habituellement, je m’y rends à pieds, puisque son cabinet est distant d’à peine quelques centaines de mètres de chez nous, Patricia m’accompagna en voiture. Mes jambes me portaient avec les pires difficultés.
Le Dr Rosamond me reçut rapidement. Il me suggéra, outre un traitement médicamenteux, de consulter le Dr Flament, spécialiste de ces questions intestinales et dont la réputation est avérée.
Cela se fit dans la semaine. Il me proposa de passer des examens d’échographie et de scanner, puis de m’hospitaliser quelques jours après. Je ne voyais pas d’autre solution, d’autant que mes douleurs n’étaient atténuées que par le traitement prescrit par le Dr Rosamond.
Je connus donc cette clinique pour la première fois côté patient.
Un nouveau traitement me fut administré, ainsi que l’application de poches de glace sur mon ventre. Peu à peu, la douleur s’estompa et je pus suivre quelques rencontres de la coupe du monde de football à la télévision.
Elle venait de démarrer en Corée du sud et au Japon. Finalement, me disais-je, cette hospitalisation avait presque du bon, puisque, au lieu de travailler, je pouvais assister à ce spectacle, alors que décalage horaire oblige, il avait lieu en journée.
Début juin 2002, après ces quelques jours d’hospitalisation, le Dr Flament me revit avec Patricia, pour m’annoncer le verdict du moment : j’avais été victime d’une inflammation d’un diverticule situé à la limite de l’intestin grêle et du colon. Auparavant, je ne connaissais pas l’existence de ces diverticules. En consultant internet, j’appris qu’il s’agit d’excroissances présentes chez certains patients. Le docteur indiqua même que je n’en entendrais plus parler de mon existence.
Il ajouta, à la grande surprise de Patricia, que nous n’avions pas besoin d’annuler le voyage prévu la semaine suivante en Turquie. Le Dr Flament me recommandait uniquement de respecter un régime.
Il prévoyait notamment, pendant un mois, de ne pas manger de nourriture à base de féculents ou encore de ne pas boire de la bière.
Une seule fois durant ce séjour près d’Antalya sur la côte méditerranéenne, je ressentis une petite douleur au niveau du ventre. Je dois concéder que, le soir précédent, je n’avais pu résister à un plat local, très attirant, accompagné de pommes de terre. Mais ce ne fut qu’une petite alerte puisque je pus, non seulement me baigner et faire quelques brasses en Méditerranée, mais aussi faire quelques excursions à Antalya bien sûr, à Pamukkale admirer ses cascades d’une blancheur extrême ; ou encore, pendant deux jours, dans la superbe Cappadoce parsemée de cheminées naturelles.
Le niveau de développement de la Turquie me surprit, ainsi que la place de la laïcité. Les plages d’Antalya sont fréquentées par des jeunes filles ou jeunes femmes en maillot de bain. Dans les rues de Turquie, on rencontre bien davantage de femmes en jean qu’en vêtements religieux.
Une autre anecdote me vient à l’esprit : lors d’une excursion, notre bus s’arrêtant en pleine campagne pour que les passagers puissent se dégourdir les jambes ou se rendre aux toilettes, je me rapprochais de paysans en habits traditionnels, afin de prendre une photo typique. Ne parlant pas un mot de turc, je faisais des signes censés demander à ce couple si je pouvais les photographier. Quelle ne fut pas ma surprise d’entendre le mari ; je suppose ; me lancer en anglais : « yes, you can ! »{4}.
Je ne savais alors pas, qu’en 2008, ces 3 mots serviraient de slogan de campagne électorale à Barck Obama.
Dans la foulée, cet agriculteur me demanda : « where are you coming from ? »{5}
Je revenais de Turquie avec une vision totalement différente de sa population alors que, avant de m’y rendre, je ne voyais qu’un état liberticide sous la menace permanente d’un coup d’Etat militaire, incapable de prendre du recul par rapport à son histoire, notamment aux massacres dont furent victimes des milliers d’Arméniens et d’autres minorités lors de la première guerre mondiale et dans les années qui suivirent.
Même si de nouveaux efforts dans les domaines de la mémoire et des libertés démocratiques restent à faire, ce pays et ses habitants méritent beaucoup mieux. Il se situe aux antipodes de nombreux a priori que l’on a vu ressurgir lors de la campagne du référendum sur la constitution européenne ou encore lors de la révision constitutionnelle de 2008.
Il est regrettable que, depuis, un nouvel autocrate et sa clique se soient emparés du pouvoir, en allant parfois jusqu’à brimer les minorités, voire jusqu’à jouer avec le feu, avec des extrémistes religieux. Hélas, depuis la chute du mur de Berlin, alors que l’on pouvait croire que la démocratie avait, enfin, triomphé, cette liste « d’hommes forts » n’a fait que s’allonger.
Quelques semaines plus tard, en juillet 2002, lors d’une nouvelle visite au Dr Flament, celui-ci me confirma que nous nous voyions certainement pour la dernière fois et que je n’entendrais plus jamais parler de ce diverticule.
3
Mai et juin 2003 : tumeur à l’intestin grêle
Le 17 mai 2003, soit environ un an après les premières violentes douleurs ressenties au niveau de l’abdomen, les mêmes, en pire, réapparurent. Comme en 2002, cela se produisit un samedi. Je m’étais levé souffrant.
Un peu plus tard dans la matinée, j’avais eu le plus grand mal à suivre Jean. J’avais dû même m’abstenir de courir sur une grande partie du parcours. Pour résumer, ce matin-là, Jean courait, pendant que je marchais péniblement. Sur le coup, je pensais à cette tranche de saumon que j’avais mangée la veille. Elle ne m’avait pas beaucoup inspiré. L’après-midi, ces douleurs ne s’estompèrent point et je ne voyais pas d’autre solution que d’aller consulter le Dr Rosamond.
Il fut étonné de me voir souffrir autant, un an après avoir, lui aussi, écarté l’hypothèse d’une quelconque « rechute » du diverticule. Il me donna un traitement similaire à celui de l’année précédente, en me recommandant d’appliquer des poches de glace sur le ventre, avant, bien évidemment, de revoir le Dr Flament.
Le 22 mai, je consultais le Dr Flament, dix mois après ce qui devait être notre dernière entrevue. Il me proposa de passer de nouveaux examens d’échographie et de scanner, ajoutant qu’une opération chirurgicale était possible.
En cette année 2003, mes activités physiques et sportives ne s’arrêtaient pas aux footings, puisque je faisais partie d’une équipe de football et, qu’avec Patricia, nous pratiquions le roller en club, à d’Avon.
Ainsi, le lendemain matin, je devais disputer la dernière rencontre de football de la saison avec mon équipe de l’Arc en ciel. Cependant, j’avais téléphoné à Olivier ; capitaine de l’équipe ; pour lui dire de ne pas compter sur moi, en raison de mon état.
Le dimanche précédent, je n’avais pas pu disputer l’avant-dernière rencontre de la saison. Mais, cette fois-ci, Olivier avait insisté, car il s’agissait du dernier match de la saison et, qu’à son issue, était prévu un repas pour fêter la montée de notre équipe à l’échelon supérieur. Je jouais dans une modeste formation de vétérans au sein du championnat de district.
Je n’étais pas vraiment dans mon assiette ce dimanche matin, puisqu’en sortant la voiture du garage, je la frottais contre le mur et rayais légèrement sa peinture. Néanmoins, je rejoignis mes partenaires en leur disant que je souhaitais éviter de disputer cette dernière rencontre, de surcroit, contre l’équipe de ma propre commune de résidence ! À la mi-temps, Olivier me proposa de remplacer un camarade : « Tu fais partie de notre équipe et tu as participé à la plupart des rencontres. Il est normal que nous fêtions ensemble, sur le terrain, la montée dans la division supérieure. » Je finis par accepter et participais à la seconde mi-temps. Malgré la faiblesse de l’opposition ; nous avons remporté le match 7 à 0 ; au bout de cinq minutes, je dus me rendre à l’évidence : j’arrivai à peine à marcher, quant à courir, et a fortiori avec ou après un ballon, il ne pouvait en être question.
Ce dernier match de la saison ne dura donc que quelques instants, pour ce qui me concerne. Je ne pus même pas rejoindre mes camarades au repas prévu après la rencontre, tant il me semblait impossible de manger quoi que ce soit.
Quelques jours après, le 4 juin, en rentrant d’une réunion matinale au stade de Charlety portant sur les championnats du monde d’athlétisme, j’eus un malaise en gare de Lyon. Je suis resté une bonne heure à une table de restaurant, à boire quelques verres d’eau. Il faisait chaud ce jour là. Enfin, j’ai pris, tant bien que mal, le train pour revenir chez moi.
La semaine suivante, je me sentis un peu mieux, puisque je fis le parcours à roller que notre club avait organisé en ville. Peu à peu, je retrouvais une forme plus proche de la normale, tant et si bien que, le 22 juin, avec Patricia et maman, venue de Corse trois jours avant, nous nous rendions à la finale du challenge de l’offensive.
Ce prix récompensait les équipes qui ont marqué le plus de buts durant la saison de football. Ce dimanche, même si je ne disputais que la seconde mi-temps de la rencontre, j’étais heureux de remporter ce challenge avec mes camarades. De surcroit, mes amis Paul et Jean-Claude, les présidents des deux districts de football, chapeautaient le dispositif.
Le lendemain, j’étais hospitalisé pour être opéré de l’intestin grêle. Je ne garde pas un très bon souvenir de cette petite semaine au sein de cet établissement. En effet, outre cette lourde opération chirurgicale, dont je ne connaîtrai pas le résultat dans l’immédiat, j’ai subi d’autres désagréments.
Ainsi, pendant plus d’une journée, j’ai vomi à maintes reprises un désagréable liquide verdâtre. J’avais vraisemblablement trop sollicité la poire de morphine mise à ma disposition en cas de douleur. La collègue du Dr Flament ordonna la prise d’un traitement censé faire évacuer ce liquide et me rendre moins patraque. J’ai attendu plus de deux heures avant d’en bénéficier ! À bout, je me rendis même dans le bureau des infirmières pour réclamer les médicaments prescrits. Celles-ci devisaient tranquillement sans davantage se soucier de ma situation. J’envisageais même d’aller vomir devant leur bureau pour leur faire comprendre l’urgence. Patricia m’en empêcha. Enfin, le traitement me fut administré et le liquide et les vomissements disparurent.
Alors qu’il est de bon ton, notamment dans le domaine de la santé, dans certains milieux, de vanter les mérites du secteur privé par rapport au public, cette désagréable expérience montre que les carences et la lourdeur concernent aussi le secteur privé.
J’allais même jusqu’à envisager d’envoyer un courrier de demande d’explications au responsable de la clinique. Patricia et maman m’en dissuadèrent, arguant qu’il était préférable de ne pas gaspiller mon énergie à ces procédures.
Sans être un spécialiste de la gestion des affaires de santé, cette semaine me permit aussi de constater que certains professionnels de la santé exerçant dans le secteur public, se retrouvent à pratiquer dans le secteur privé pendant les heures ouvrables. Ce mode de fonctionnement m’étonne encore,