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Sans état d'âme
Sans état d'âme
Sans état d'âme
Livre électronique274 pages4 heures

Sans état d'âme

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À propos de ce livre électronique

Amis depuis l’enfance, Mika Anderson et Thomas Guillaud ne laissent pas passer une semaine sans se voir et profitent de la vie et de leur jeunesse en entretenant avec légèreté une rivalité factice sur le nombre de leurs conquêtes féminines. Mika est journaliste freelance, photographe et reporter, souvent amené à voyager à travers le monde. Thomas, plus casanier, est à la tête d’un studio-photo de mode réputé à Paris. Les années passent, un jour Thomas rencontre Alison Porter-Boullay, traductrice de romans pour un important éditeur parisien. Un véritable coup de foudre leur ouvre alors toutes grandes les portes d’un bonheur dont ils avaient seulement rêvé jusqu’alors. Mais des circonstances inimaginables viendront perturber un destin pourtant tout tracé. De son côté, Mika se remet très mal d’un épisode tragique vécu lors d’un reportage en Afrique. Les deux amis vont connaître en quelques années une réelle descente aux enfers. Au fil de l’actualité, semée de faits divers dramatiques, leurs vies seront plongées dans une période d’insécurité particulièrement anxiogène dans un climat économique et social déchiré par la Covid-19. Ils réagiront très différemment à ces événements, chacun à sa manière mais, quoi qu’il en soit, leur chute sera terrible.
LangueFrançais
Date de sortie20 janv. 2021
ISBN9782312079448
Sans état d'âme

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    Aperçu du livre

    Sans état d'âme - Patrick Daspremont

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    Sans état d’âme

    Patrick Daspremont

    Sans état d’âme

    Roman

    LES ÉDITIONS DU NET

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    Du même auteur :

    Le singulier destin de Cyril Dumont

    © Les Éditions du Net. 2015

    Sketo / TAPAΣ

    © Les Éditions du Net. 2015

    Je m’appelle Simon

    © Les Éditions du Net. 2017

    Obrazets 53.8

    © Les Éditions du Net. 2017

    Obrazets II : Les Maîtres du monde

    © Les Éditions du Net. 2018

    © Les Éditions du Net, 2021

    ISBN : 978-2-312-07944-8

    Avant-propos

    « Il devenait de plus en plus distant et solitaire, surtout lorsque certains actes ou propos parvenaient encore à l’insupporter, alors les mots ne lui servant plus à rien, un profond silence s’installait en lui ! Je savais qu’il s’investissait dans des engagements aussi désenchantés qu’extrêmement dangereux, mais il n’écoutait plus personne, même pas moi, sa raison n’était déjà plus contrôlable. Toutes ses ruades désespérées ne le menaient bien sûr vers rien de cohérent ! Enfin, c’est aujourd’hui ce que j’en retiens. Néanmoins, il était et restera sans conteste mon ami le plus cher ! »

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    1

    Tell me again

    When I’ve been to the river

    And I’ve taken the edge off my thirst…{1}

    Les parents d’Alison Porter-Boullay formaient un couple plutôt original, pour ne pas dire singulier, voire même extravagant par moments, enfin des personnes ne vivant pas comme tout un chacun. Cela était surtout vrai pour madame Shirley Porter-Boullay durant les dernières années de sa vie. Britannique, Shirley était née durant la guerre au premier jour du mois de mars 1941 à Crawley, une petite ville du comté de Sussex à l’Est du Royaume-Uni, entre Londres et Brighton. Jean, son mari, derrière un look d’homme d’affaires toujours tiré à quatre épingles lorsqu’il était en Europe, incarnait plutôt une sorte d’aventurier baroudeur dès qu’il enjambait la Méditerranée. Chaque année, il passait les trois quarts de son temps en Afrique subsaharienne où il faisait son business, comme il se plaisait à le dire. Il se nommait Jean Boullay, originaire de Beire-le-Châtel où il avait vu le jour le 1er mai 1935, dans ce petit village rural de la Côte-d’Or en région Bourgogne-Franche-Comté. Ce qu’il tramait précisément lors de ses voyages en Afrique était toujours resté assez mystérieux aux yeux de sa fille Alison, et cela valait tout autant pour Shirley Porter-Boullay qui, il fallait bien le reconnaître, ne s’était jamais vraiment posé la question. Mais il y faisait certainement des affaires très rentables car, de retour en France, de l’or semblait lui dégouliner des doigts. Cet homme avait a priori un certain génie du business, il détenait surtout un carnet conséquent de relations dans la plupart des pays francophones d’Afrique noire. Il y passait de longs mois et ne rentrait que pour finaliser en métropole des affaires en cours, régler certains détails semblait-il très importants, organiser des mises au point avec de secrètes relations, enfin ce genre de choses était son quotidien. Puis, un beau matin, il bouclait sa valise et repartait pour une période indéterminée. Un jour, au début du mois de juin 1975, monsieur Boullay fit l’acquisition à Antony, au sud de Paris, d’une somptueuse maison bourgeoise avec parc boisé, vertes pelouses et allées de fins gravillons desservant vers l’arrière de l’aile nord un immense double garage pouvant accueillir facilement quatre, voire cinq voitures. Les hôtels parisiens même les plus prestigieux dans lesquels il avait ses habitudes avaient fini par le lasser. Il s’installa donc à Antony. Des fêtes, des aventures s’y succédèrent bien évidemment, mais tout cela sans réel lendemain, jusqu’au jour de sa rencontre avec Shirley Porter. Cela se produisit durant un séjour qu’il avait dû faire à Londres, toujours pour son business. Shirley Porter, avocate de formation, était l’assistante d’un très réputé avocat d’affaires internationales. Ce jour précisément, entre monsieur Boullay et son avocat britannique Sir Eden Taylor, il était question de conseils juridiques et fiscaux liés à un très important négoce de matériel sous embargo américain. Cela requérait l’avis éclairé de ce spécialiste parfaitement rompu aux réglementations commerciales internationales utilisant bien évidemment le dollar US comme mode de transaction. Les Américains ne plaisantent jamais avec cet aspect des affaires, aussi ce jour-là, après plusieurs heures d’intenses explications lourdement tarifées, une solution satisfaisante s’était enfin fait jour. Le soir venu, afin de se détendre de cet entretien pour le moins extrêmement ardu, Jean Boullay convia Miss Shirley Porter à dîner laquelle, surprise par l’audace de cet atypique mais charmeur French Customer, s’étonna elle-même d’avoir accepté aussi spontanément. Mais après tout, pourquoi pas ? Elle était jeune, trente-deux ans, une fort jolie personne, d’une stature élancée et délicate, très bien proportionnée avec un minois plaisant où pétillaient deux grands yeux bleus aux éclats d’une discrète espièglerie, et d’une intelligence raffinée peu commune. Coiffure courte presque masculine, des cheveux châtains légèrement ondulés, elle était vraiment très élégante. Shirley était célibataire et, si elle était restée seule depuis une récente rupture, elle ne recherchait pas particulièrement l’occasion d’aventures, pour le moment sa vie de célibataire lui convenait. Elle aimait parler la langue de Molière et appréciait la cuisine et les vins fins français. Alors, sans même s’en rendre vraiment compte, elle se laissa doucement séduire par cet homme avenant et délicat. Par la suite, ils se retrouvèrent régulièrement pour de longs week-ends, d’abord à Londres, à Paris et à Rome puis, après quelques mois d’hésitation tout de même, elle avait fini par rejoindre Jean à Bormes-les-Mimosas pour un mois complet de vacances au soleil. Au mois de mars de l’année suivante, Shirley s’installa avec Jean dans la somptueuse maison d’Antony. Cela s’était révélé être un véritable coup de foudre suivi d’un bel et grand amour durant cette première année de vie commune et, dès le mois suivant, elle tomba enceinte pour le plus grand bonheur du couple. Pendant toute sa grossesse, Jean resta avec elle à Antony puis, le 5 janvier 1977 ils fêtèrent la naissance d’Alison et cet heureux événement amena le couple à se marier. Jean opta pour le régime matrimonial de la communauté universelle, avec clause d’attribution de la communauté au survivant, Shirley accola son nom à celui de son mari, ne voyant rien à y redire.

    – C’est en France le régime qui te protègera au mieux si par malheur il devait m’arriver quelque chose de grave !

    Jean avait voulu lui expliquer ce point important, mais toute à son bonheur, elle ne l’avait pas écouté.

    Après ces mois de relâchement, Jean reprit naturellement ses habitudes mais s’il manifesta une réelle joie d’être père, cela ne l’empêcha pas de repartir pour l’Afrique quelques jours après la naissance de sa fille. Plus tard, Shirley Porter-Boullay le soupçonna d’avoir une double vie, mais manifestement elle sembla s’en accommoder, tout affairée à l’éducation d’Alison. Lorsqu’un jour elle crut en avoir la confirmation, elle accusa tout de même le coup ; mais Shirley était une femme de caractère et ne lui en fit jamais le reproche ouvertement, même si elle ne put se retenir de faire quelques allusions assez directes ne laissant que peu de doute sur sa clairvoyance. Jamais il ne releva, et comme Shirley n’abordait pas franchement le sujet, ils en restèrent là. En fait, même si Jean avait de temps à autre une petite aventure coquine, il était bel homme et n’avait que quarante-trois ans, il n’avait pas et ne souhaitait pas avoir une double vie. Il aimait Shirley et pour rien au monde il n’aurait pris le risque de la perdre et de perdre en même temps Alison. Seule à Antony durant des mois, Shirley jouissait d’une immense liberté et, les années passant, les longues absences de son mari finirent par ne plus la préoccuper. C’étaient des soupçons non fondés et vite oubliés.

    Shirley s’occupait de l’éducation d’Alison du mieux qu’elle le pouvait et lorsque Jean revenait de voyage, c’était toujours la fête.

    Il faut dire que Jean était toujours enthousiaste et son caractère jovial rendait leurs retrouvailles chaleureuses. Il était réellement joyeux de les revoir. Sa petite fille poussait comme une herbe folle et ressemblait de plus en plus à sa mère, cela le rendait fier et heureux. Il était très attentionné avec elles, et ne leur refusait jamais rien. Shirley Porter-Boullay lui resta fidèle malgré les nombreuses occasions qui se présentèrent à elle, pas vraiment par pur amour non, mais parce qu’un jour Shirley s’était convertie à l’hindouisme. En effet, elle se mit à pratiquer le yoga, et à cette occasion elle rencontra une jeune femme qui l’initia aux premiers enseignements. Shirley disposait de beaucoup de temps libre, aussi elle adhéra très largement à cette philosophie de la pensée ; cette découverte la transforma tant que dès lors sa perception du monde s’adoucit et son rapport aux autres changea. Les frasques supposées de son époux ne furent plus ressenties que comme des particularités de cet étrange complice qu’elle avait un jour croisé et avec qui elle s’entendait finalement plutôt très bien. Après qu’Alison fut devenue une enfant en âge de voyager, Shirley commença elle aussi à s’absenter de temps à autre d’Antony, pour des retraites dans un temple de méditation à Bodh-Gayâ en Inde. En mai 1981, elle y resta quinze jours et, à peine de retour à Antony, elle y retourna pour deux mois de plus, toujours accompagnée de sa fillette. Elle en revenait imprégnée des doctrines hindoues enseignées sur place. L’année suivante, Shirley y séjourna deux mois, en juin et juillet. Alison adorait ces escapades, elle trouvait ces voyages très à son goût, c’était pour elle des vacances extraordinaires. Elle aussi y prenait des habitudes étonnantes, et durant des semaines après leur retour à Antony, Alison refusait de mettre des souliers pour, disait-elle, ne pas prendre le risque d’écraser les petits animaux vivant au niveau du sol. Les années passèrent et la jeune enfant mua en une très jolie jeune fille à l’esprit clair et ouvert, volontaire et optimiste.

    Pour l’orientation scolaire de sa fille, Jean insista sur ce qui, dans l’étude des nuances, celle des langues et des cultures anciennes, permettait, selon lui, la formation de la capacité au discernement, à l’esprit critique, bref à devenir une personne à part entière. Les humanités ne servent peut-être à rien en particulier, lui avait-il dit, mais dans la vie elles peuvent être utiles à tout. Étrange facette de la personnalité complexe de cet homme qui, jusque-là, ne semblait pas rompu aux faveurs de la philosophie antique. À sa demande donc, Alison s’inscrivit en filière « L » dans un lycée privé, études classiques et littéraires avec l’apprentissage, en plus de l’anglais et de l’espagnol, des deux langues de l’Antiquité, le Grec ancien et le Latin.

    *

    Ce vendredi 26 février 1993 sur TF1, la présentatrice Claire Chazal ouvrit son journal de 20 h 00 sur une actualité terrifiante en provenance des USA.

    « Un attentat terroriste a eu lieu aujourd’hui à New-York. Alors qu’il neigeait dans le sud de Manhattan, vers midi deux terroristes stationnèrent une camionnette dans la partie réservée aux services secrets au niveau B-2 du parking souterrain du World Trade Center. Le véhicule était chargé d’un cocktail d’explosifs de près de 680 kg. Yousef, l’un des deux terroristes encore à bord du véhicule, déclencha alors le détonateur et s’enfuit. À 12 h 17, la bombe a explosé dans le parking souterrain. L’objectif était de faire basculer la tour Nord sur la tour Sud et de détruire ainsi tout le complexe, espérant ainsi tuer des milliers de civils. Heureusement les tours ne se sont pas effondrées et l’attaque a été considérée comme un échec, même si cette opération terroriste a tout de même causé la mort de 6 personnes et en a blessé 1.042 autres. »

    Cette actualité conserva sa place à la une des journaux du monde entier durant plus d’une semaine puis, comme toujours, une horreur en chassant une autre, la vie reprit là où on l’avait laissée.

    Quatre mois plus tard, Alison Porter-Boullay rentra chez elle, satisfaite et fière d’annoncer une bonne nouvelle à sa mère, elle venait de décrocher son baccalauréat, non sans brio, avec mention d’excellence en anglais et bien en espagnol. Elle avait seize ans.

    Pour fêter cette heureuse fin de cycle, Jean resta tout l’été 1994 avec elles et les emmena en voyage en Italie. D’abord Venise, puis Rome, et enfin Naples et Pompéi. Ils terminèrent leur voyage sur l’île de Capri où il avait loué une villa magnifique sur les hauteurs d’une falaise tombant à pic dans la mer Tyrrhénienne, un endroit réellement féérique. La maison était d’une extraordinaire beauté, construite dans le style des demeures antiques, avec des patios intérieurs, des arches et des colonnades, des jardins somptueux aux essences méditerranéennes choisies avec goût parmi les plantes régionales.

    Des bougainvilliers aux tons chamarrés rivalisaient avec les hibiscus et des lauriers roses et blancs poussaient parmi les rocailles naturelles entourant une piscine à débordement, l’ensemble entretenu chaque matin par le jardinier à demeure, tout comme la femme de ménage en charge de l’intérieur. Un cuisinier arrivait tôt le matin, préparait le breakfast et, selon les directives formulées, s’affairait en cuisine pour les repas de midi et du soir. Une organisation maîtrisée, très professionnelle et d’une remarquable discrétion. De plus, soucieux du moindre détail, cet homme ravitaillait chaque jour le réfrigérateur et réapprovisionnait la cave. Shirley et Alison feuilletaient lascivement des revues de mode italiennes depuis les salons en osier du jardin, ou bien lézardaient au soleil sur les transats de la terrasse, plongeant de temps à autre dans l’eau azurée de la piscine. La vie de rêve.

    *

    À la fin de cette même année, une nouvelle édition spéciale vint perturber les Français déjà affairés à finaliser leur réveillon. Toutes les chaînes de TV du monde semblaient s’être soudain passé le mot. C’était le 24 décembre 1994. Alors que les présentateurs de service pataugeaient allègrement dans des commentaires à la pommade concernant les tout derniers préparatifs de Noël, la joie des enfants, les sapins brillant de mille ampoules clignotantes et les jouets made in China, une terrible nouvelle tomba comme une météorite au beau milieu des bouteilles de champagne, des bourriches d’huîtres et des foies gras.

    « Sur l’aéroport d’Alger, quatre hommes armés viennent de prendre le contrôle d’un Airbus A300 d’Air France lors de l’embarquement pour Paris. »

    On se dépêcha alors de changer les formats standard et on bascula en mode continu, 24 heures sur 24. C’était la mode américaine qui voulait ça.

    « À 14 h 00, un otage a été exécuté, avant un deuxième un peu plus tard dans l’après-midi. Le premier ministre français a demandé au gouvernement algérien de laisser partir l’avion à la condition que soient relâchés les femmes et les enfants. Ce qui fut fait. Quarante heures plus tard, l’avion a fini par s’envoler pour atterrir, vers 03 h 30 du matin sur l’aéroport de Marseille-Marignane. »

    Il faudra attendre 17 heures, pour que l’opération de libération des otages par le GIGN débute.

    « Des explosions retentissent dans l’avion d’où sort de la fumée alors que l’on peut voir quelques passagers s’échapper par l’arrière de l’appareil. »

    Trois passagers furent tués, une vingtaine de personnes furent tout de même blessées. En revanche, tous les terroristes furent abattus.

    Malgré cette actualité dramatique touchant beaucoup de Français, ce soir de Noël fut à Antony l’occasion d’une vraie belle fête de famille. Alison ne s’attendait pas du tout au cadeau que lui fit son père. Elle avait dix-sept ans et devait encore attendre deux semaines pour enfin célébrer son dix-huitième anniversaire. Dans la maison, les odeurs du dîner couraient de pièce en pièce et un grand feu crépitait dans la cheminée du salon, la soirée promettait d’être douce. Soudain, avant même de se mettre à table, ne parvenant plus à retenir son secret, Jean entraîna Alison et sa mère jusqu’aux garages où, stationnée entre sa Jaguar et le coupé Mercedes de sa femme, le Père Noël avait déposé pour Alison la nouvelle Renault Clio enrubannée d’une immense guirlande qui se mit à clignoter dès qu’ils pénétrèrent dans le local. Alison n’en croyait pas ses yeux. Elle sauta au cou de son père et embrassa tendrement Shirley. Jean lui remit les clés de la petite voiture, il savait que depuis des mois Alison se préparait en cachette à l’examen du permis de conduire. Elle allait enfin avoir sa pleine autonomie et pouvoir se déplacer sans avoir à prendre les transports en commun ou demander à sa mère de l’accompagner ici ou là. C’était une notable liberté qu’elle apprécierait.

    *

    Depuis le début de cette année, la vie d’Alison avait repris son cours, elle était parvenue à obtenir son permis de conduire et se rendait désormais par ses propres moyens à l’Université Paris-Sorbonne.

    À ce moment de l’année, la perspective des élections présidentielles excitait le petit monde médiatique parisien. Des politiques de tous bords défilaient sur les plateaux de TV et dans les studios de radio, s’emportant quasiment chaque soir durant des éditions sans réel intérêt. Comme toujours en ces moments-là, les instituts de sondage s’enrichissaient de la bêtise des gens qu’ils s’interdisaient pourtant d’influencer ouvertement. La vie des Français était suspendue aux fluctuantes prévisions qui, jour après jour et selon les instituts consultés, donnaient la progression d’untel ou la baisse d’un autre. Le dimanche 23 avril 1995 arriva enfin, jour du premier tour de l’élection présidentielle. Les déçus comptez-vous, le résultat désigna pour un deuxième tour ces messieurs : Jacques Chirac et Lionel Jospin.

    Quatorze jours plus tard, Jacques Chirac fut finalement élu Président de la République Française, et avec lui le retour de la droite aux manettes du pouvoir. Après quatorze années de socialisme et un François Mitterrand empêtré dans les affaires et les révélations sur son passé, la défaite fut totale pour le Parti Socialiste incapable de se réorganiser. Alors l’été s’installa, et avec le soleil revenu la perspective de nouveaux espoirs émergea, la France se mit à ronronner, vacances, apéros, barbeucs et bronzette. Jacques Chirac se rendit au fort de Brégançon avec son épouse Bernadette et toute la France s’endormit dans une torpeur baignée du chant des cigales. Jusqu’au mardi 25 juillet suivant. En effet, ce jour-là, des terroristes islamistes trouvèrent amusant de faire exploser une bouteille de gaz bourrée d’écrous dans le RER parisien à la gare de Saint-Michel – Notre-Dame ; le bilan ? Huit morts et 117 blessés. Non mais ! ils ne prenaient jamais de congés, ces enfoirés ? C’était à croire qu’ils cherchaient à pourrir l’image touristique de la France en pleine période estivale. Le mois suivant, place Charles-de-Gaulle, une nouvelle bombe cachée cette fois dans une poubelle fit 16 blessés, il s’agissait encore d’une bouteille de gaz avec des clous afin d’écharper le plus de personnes possibles. Puis en septembre, le 7 vers 16 h 35, une voiture piégée explosa, à quinze mètres de l’une des entrées de l’école juive Nah’alat Moché. Cette fois-ci, cela se produisit à Villeurbanne près de Lyon. Dix minutes après la déflagration, la plupart des sept cents enfants présents dans l’école, âgés de deux à quinze ans, auraient dû emprunter cette sortie. Heureusement, tous les gamins étaient encore en classe au moment de l’explosion. Il y eut en revanche 14 blessés, dont un grièvement, parmi les passants et les parents stationnant devant l’école. Un mois après Villeurbanne, cela se passa à Paris. Ce jour-là était le jour de l’enterrement de Khaled Kelkal{2}, une bombe, encore une bouteille de gaz avec des clous et boulons, dissimulée dans une poubelle publique, explosa près de la station de métro Maison-Blanche. Relativement inoffensive car repérée avant d’exploser, elle fit néanmoins 12 blessés légers et, comme si cela ne suffisait pas, le mardi 17 octobre de la même année, vers sept heures du matin, une rame du RER-C fut disloquée par l’explosion d’une bombe entre la gare du musée d’Orsay et celle de Saint-Michel. Une trentaine de personnes furent blessées.

    *

    Ça se passait au comptoir d’un petit bar restaurant parisien dans le 14-ème arrondissement, carrelage sympa au sol, des étagères remplies de bouteilles de vin, un lieu où l’on se sent comme à la maison, mais en mieux. Un de ces bistrots au comptoir encore en zinc où l’on trouvait, près de la piste de 421, le présentoir à œufs durs accompagné de la poivrière et de la salière. Juchés sur leurs tabourets respectifs, deux types ne se connaissant que pour s’être rencontrés chaque jour en ces lieux, bavardaient en buvant le coup de rouge. Le sujet du jour était bien sûr leur avis concernant l’attentat de la veille dans le RER. Les quotidiens repliés sur le guéridon près de l’entrée détaillaient l’affaire en plus des photos dramatiques figurant dans les pages intérieures. Ce matin-là, Le Parisien titrait en première page : « Halte aux assassins » et La Croix : « La France mobilisée contre la peur. »

    – Alors, elle n’est pas belle la vie ? claironna d’un ton sarcastique le plus âgé des deux.

    – Mais non, ils ne sont pas tous mauvais, il y en a beaucoup qui se sont très bien assimilés et qui ne veulent de mal à personne. Et puis, je vais vous dire, monsieur Dupré, on les a fait venir en France pendant la guerre et on était bien content de les avoir à nos côtés à ce moment-là, alors il faut être reconnaissant pour tout ce qu’ils ont fait pour nous, voilà tout !

     Vu sous cet angle, il n’y a pas grand-chose à ajouter, sauf peut-être, me semble-t-il, que ceux qui aujourd’hui posent ce genre de bombe ne sont pas

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