Le fils d'un rescapé du génocide des Tutsi
Par Zakaria Soumare
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Aperçu du livre
Le fils d'un rescapé du génocide des Tutsi - Zakaria Soumare
Le fils d’un rescapé du génocide des Tutsi
Zakaria Soumare
Le fils d’un rescapé du génocide des Tutsi
LES ÉDITIONS DU NET
22 rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes
À Bakary Dalla, qui nous a quittés très tôt.
© Les Éditions du Net, 2013
ISBN : 978-2-312-00929-2
L’histoire racontée dans ce roman est née d’un besoin. Le besoin de comprendre le drame des Tutsi rwandais. Elle est celle de mon père et de ses compatriotes sauvagement massacrés dans un petit pays de l’Afrique des Grands lacs : le Rwanda. Je suis le fils d’un rescapé du génocide des Tutsi. Quand mon père est arrivé en France en septembre 1994, je n’étais pas encore venu au monde. Je suis né deux ans après le drame de son peuple. D’un père tutsi et d’une mère française. Je suis né en 1996 à Limoges.
Ce texte n’aurait sans doute pas vu le jour si un jour, au lycée Auguste Renoir de Limoges où je suis inscrit, je n’avais assisté au cours d’histoire de Monsieur Claude Dupuis. Ce jour-là, le professeur Claude a décidé de parler, pendant une heure, à ses élèves des relations entre la France et ses ex-colonies africaines. Bien que le Rwanda n’ait pas été une colonie française, il avait quand même estimé nécessaire d’en parler eu égard aux relations conflictuelles que ce pays avait entretenu avec la Métropole depuis le génocide de 1994.
Dans un premier temps donc, le professeur Claude a parlé de la colonisation française en Afrique au sud et au nord du Sahara, du vent de la liberté qui a soufflé dans cette partie du globe à la fin des années 1950 et au début des années 1960 avant de terminer son cours sur la déception, la corruption et les dictatures qui ont immédiatement suivi les indépendances qui venaient d’être fraîchement arrachées des mains des colonisateurs. Il a surtout insisté sur les guerres et les conflits armés et sanglants qui ont endeuillé le continent noir au lendemain des indépendances. Terminant son discours, il a brièvement évoqué le drame génocidaire rwandais de 1994 qui, selon lui, a emporté dans son sillage, en trois mois seulement, près d’un million de morts, principalement des Tutsi et quelques Hutu modérés de l’opposition.
Il a raconté que ce génocide, qui est le quatrième du XXe siècle selon lui, a été un génocide en direct. Chaque soir, au journal de 20 heures présenté par P.P.A., les téléspectateurs regardaient les Tutsi se faire massacrer à coup des machettes au Rwanda. Il a fini le cours sans dire davantage. Mais sans le savoir, Monsieur Claude venait de faire naître en moi une curiosité exceptionnelle qui ne sera assouvie qu’après mon voyage au Rwanda. À la fin du cours, j’ai décidé de l’attendre afin d’en savoir plus. Après qu’il a rangé ses affaires, j’ai décidé de l’aborder.
– Bonjour, Monsieur.
– Bonjour Édouard.
– Votre cours a été on ne peut plus intéressant. Mon père a échappé de justesse au génocide dont vous venez de nous parler à l’instant ! Je voudrais que vous m’en disiez davantage. Je trouve cette histoire particulièrement passionnante.
– Je suis désolé, Édouard, mais je ne suis pas spécialiste de l’histoire africaine. Ce ne sont là que quelques informations que j’ai récoltées par ci par là au cours de mes lectures.
– Pourtant vous en parliez très bien !
– Eh bien tant mieux alors !
– Ou peut-être pourriez-vous m’orienter vers l’un de vos collègues spécialiste de la question ?
– Attendez ! Vous me disiez tout à l’heure que votre père a échappé de justesse à ce génocide, n’est-ce pas ?
– Oui en effet. Il est un rescapé de ce génocide.
– Voilà ! C’est parfait. Ça tombe bien ! Votre père est sans doute le mieux placé pour vous raconter en détail toute l’histoire de ce génocide.
Pour la première fois, je venais d’avoir l’information qui constituera le premier pas vers la compréhension du génocide des Tutsi. Quand je suis rentré chez moi, j’ai décidé alors d’entamer une série de discussions avec mon père. Le soir, après le dîner, je suis allé le voir dans le salon.
– Bonsoir, papa.
– Bonsoir, Édouard. As-tu passé une bonne journée ?
– Oui. Et toi ?
– Oh, la routine. Tous les jours la même chose.
– Au fait papa, je voudrais te parler de quelque chose de très important.
– Oui je le sais. Tu veux sans doute me dire encore qu’il est temps pour toi de passer ton permis de conduire !
– Non, papa, il ne s’agit pas de cela.
– Je t’écoute alors !
– Aujourd’hui, en classe, notre professeur d’histoire a abordé un sujet passionnant qui a tout de suite réveillé ma curiosité. Il nous a parlé, pendant une heure, de l’histoire de l’Afrique. Il a expliqué que durant plusieurs siècles ce continent a été victime de la traite négrière qui consistait en une déportation des Noirs en Amérique pour y être des esclaves.
– Je l’ai appris moi aussi au collège et au lycée.
– Il a ajouté qu’à peine sorti de la période de la déportation, le contient fut envahi par les missionnaires, les explorateurs et les colonisateurs occidentaux qui, d’un bout à l’autre de l’Afrique, ont fait croire aux populations qu’ils étaient là pour leur bien, qu’ils étaient venus de très loin pour leur apporter la civilisation et la religion. Il a également dit que la colonisation a duré pendant près de deux siècles, et que dans les années 1950 et 1960 le vent de la liberté a commencé à souffler dans les colonies. Les peuples qui étaient privés de leur liberté sont devenus libres. Mais, a-t-il ajouté, cette liberté n’était que de façade. Après les indépendances en effet les chefs d’État du continent ont instauré un peu partout dans le continent des pouvoirs de terreur et de dictature de telle sorte que les indépendances qui venaient fraîchement d’être acquises sont devenues synonymes de désespoir, de désolation et de cauchemar. Il a fini le cours sur le Rwanda.
– Le Rwanda !
– Oui. Le Rwanda. Ton pays !
– Pourquoi ?
– Il a dit qu’il était indispensable pour lui de nous dire un mot sur le génocide des Tutsi.
Mais papa je voudrais savoir pourquoi tu ne m’as jamais parlé de ce génocide.
– C’est très simple, Édouard. Je pensais que le moment n’était pas venu. Je ne voulais surtout pas te créer des soucis avec des histoires qui, si tu les apprenais, allaient peut–être te marquer toute ta vie durant.
– Je te comprends. Mais le contexte fait qu’aujourd’hui nous sommes presque obligés d’en parler.
– Tu viens de me dire que votre professeur d’histoire vous a tout expliqué !
– Non. Il a juste souligné les grandes lignes. Et quand je lui ai demandé, après le cours, de m’en dire davantage il m’a dit de m’adresser à toi, puisque tu es selon lui le mieux placé pour me détailler toute l’histoire.
– D’accord. Je te comprends. Mais il commence à faire tard. Il est 23 heures. Je me réveille très tôt pour aller au boulot. Je dois aller me coucher. Nous commencerons notre cours d’histoire ce week-end, je te le promets.
Deux jours après notre discussion, après le dîner, je suis allé voir papa dans le salon.
– Bonsoir papa.
– Bonsoir Édouard.
– Je pense que tu n’as pas oublié notre rendez-vous avec l’histoire ?
– Tu n’oublies rien toi ! Tu vas gâcher ma soirée.