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Roman discursif urbain
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Livre électronique335 pages5 heures

Roman discursif urbain

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À propos de ce livre électronique

La narration du livre se déroule dans la rue et les lieux publics d'une grande ville. Elle est tenue par chaque personnage qui prend la parole à tour de rôle pour se présenter sur le ton du discours et comme s'il se trouvait livré par lui-même dans une arène ou sur une scène de théâtre.
Le besoin vital d'être reconnu par celui qui a tout autant besoin de l'être à l'arraché urbaine d'un croisement de regards est la trame profonde de ce récit.
L'auteur du « Roman discursif urbain » a voulu rendre hommage à la parole intelligente des anonymes.
LangueFrançais
Date de sortie16 nov. 2016
ISBN9782312055015
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    Aperçu du livre

    Roman discursif urbain - Marc Azad Nioré

    cover.jpg

    Roman discursif urbain

    Marc Azad Nioré

    Roman discursif urbain

    LES ÉDITIONS DU NET

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    Du même auteur

    Exit, Les Editions du Net

    © Les Éditions du Net, 2016

    ISBN : 978-2-312-05501-5

    « Aussitôt nés, ils veulent vivre et recevoir

    leur funeste destin, ou plutôt veulent-ils trouver

    le repos ; et ils laissent après eux des enfants,

    pour que d'autres funestes destins adviennent. »

    Héraclite

    Bistrot

    Je m’appelle Gabriel et je me rappelle le moment où mon meilleur pote a tourné la tête en direction d’une trinité attablée de rires moqueurs qui ne lui étaient pas adressés. Ça n’a pas pris une seconde à l’aiguille de ma montre l’élaboration d’un éclair de nerfs pareil qui te pousse à te demander où c’est que le sang de toute une personne a pu se débiner comme ça du système artériel de la personne alors que tu sais avec pertinence qu’il n’a pas pu en sortir sans effusion. Mon meilleur pote est devenu blanc comme un slip kangourou.

    Gaspard, je te jure, c’est pas pour toi le foutage de gueule, j’ai dit suppliant. M’a pas entendu du tout. Il s’est redressé brutalement et virevoltant dans sa susceptibilité maladive et bandant telle une corde d’arc sa petitesse de taille maigre avec le dossier de sa chaise claquant par terre.

    Je m’appelle Daratsari depuis que je prétends que Dieu en personne m’a baptisé ainsi en m’ayant entendu tout petit demander à la Montagne de raconter la véritable Histoire des hommes. Oui. La Montagne couchée sur une photographie d’un bouquin de géographie qui sait tout et qui ne dit jamais rien avec une grande bouche divine invisible et une mémoire encore plus énorme et invisible. Dis, Ararat, ça s’est passé comment, en fait ? Ou mieux encore. Papa et maman m’ont répondu à la place de Dieu et de la Montagne en m’appelant tout autrement. Du genre, euh, j’me souviens plus du tout, mais ça devait avoir beaucoup d’importance administrative pour ces deux farceurs morts de rire. Ils m’ont même fabriqué deux grands pieds d’homme maladroit qu’ils ont monté sur des ressorts à talons aiguilles pour me refiler l’impression d’avoir toujours les mains gantées jusqu’aux coudes avec de la résille au parfum sucré de demoiselle chochotte qui serait restée coincée dans une époque qui n’arriverait pas à passer le cap de son propre présent dans cette tête au contenant charmant si minuscule. Ils m’ont laissé comprendre qu’il fallait travestissant que je m’invalide tolérable en matière d’intelligence intuitive ou redescende d’un cran hiérarchique en matière de prétention humaine si je voulais faire mon humble et baveuse place agenouillée parmi l’espèce sociétale.

    Dis plutôt Daratsari que tu t’octroies la petite perversion fulgurante de te prendre pour une demoiselle à quéquette dans un imperméable à moitié cradingue avec l’envie furieuse de forniquer d’un soldat mercenaire qui débarquerait dans un village de jeunes veuves parce que tu serais en manque basique d’héroïne.

    Ah ! le Saint Manque comme fondation de toutes les actions célestes et terrestres ! Y’a pas que ça causal et qualifiant, l’héroïne, Gabriel, mais je reconnais que ça en fait partie comme un bras, une jambe, ou un morceau orgastique de pathologie ultra tangible.

    Gaspard s’est avancé de quelques pas souples et fermes vers la table moqueuse, Daratsari. Il s’est arrêté devant avec la paroi jaunie de ses dents serrées comme seul bouclier souriant de chevalier moderne. Il a imité le rire des trois hommes un court instant en caricaturant une voix de pucelle qui voudrait pas encore avouer son envie qu’on lui déchirât l’hymen. Mon meilleur pote en a même remué sur place à augmenter le rire des trois hommes en faisant devant eux comme des ronds de cerceau avec ses hanches et a poussé la provocation jusqu’à se plonger un pouce à moitié dans sa bouche et l’a suçoté bien quelques secondes avec son autre main posée sur son ventre poussé en avant au-dessus d’un pied qu’il s’est mis à croiser sur l’autre, et tout en continuant ses ronds de cerceau avec ses hanches.

    En gros pour te dire, Gabriel, et dans un lieu temporel décalé par rapport à celui de Gaspard, ton meilleur pote, je suis en train d’enjamber une suite de ces flaques d’eau de presque autant que de la garbure la texture sur les trottoirs de bitume gondolé avec une délicatesse zigzagante de sauterelle et ma chevelure et mon imperméable qui ruissellent de pluie et je traverse l’avenue en me faufilant entre ces becs d’entonnoirs d’espace qu’autorisent quelques rares pare-chocs de voitures à ne pas se toucher. Une orchestration dissonante de coups d’accélérateurs grondants mélangés à des trompettes d’avertisseurs enragés se joue là citadine à heures fixes dans chaque jour répété par le travail qu’on n’est pas forcé d’aimer. Cette orchestration est censée servir d’accompagnement à l’homme abasourdi et maladroit que j’incarne sans plus aucune fantasmagorie sexuelle dedans le pardessus à moitié déjà cradingue. Je demeure néanmoins soucieux de ne pas trop y rajouter salissures de gras pétrolifère, car je veux rester élégant dans la dissimilation de mon désordre intérieur. Je remercie d’ailleurs de plusieurs hochements de tête frappée d’idiotie grimaçante ces figures d’ombres abritées au volant de leur voiture derrière le ballet métronomique d’une bonne centaine de paires d’essuie-glaces que j’entends claquer comme au vent, des volets mal fermés à l’intérieur de mes molaires. Ainsi, j’essaie de me distinguer de quelques piétons hargneux qui eux poussent des jurons que ponctuent leurs poings levés qui s’abattent lourdement sur la taule des capots avant arrière des voitures qui surchauffent autant que dans les estomacs bourrés de matière cervicale et de haine accidentelle qui s’attrape comme un rhume et sait rendre à des hommes si peu éloquents le verbe novateur.

    Quoi, toi, là, ça veut nous expliciter ton rire et tes gnagnagna de jeune laiteuse gesticulante à couettes, hein, mec ? s’est irrité un peu intrigué dans son arrogance naturelle l’un des trois hommes moqueurs au moment où ses deux comparses qui pouffaient de plus belle comme de vieilles coquines à ses côtés se sont sentis happés l’un après l’autre vers le plafond par une force invisible à rapidité foudroyante du nom de Gaspard, mon meilleur pote, puis redescendre tout aussitôt en chute libre à genoux d’amortisseurs sur le sol du bistrot oriental après avoir reçu chacun une propulsion frontale de Néandertal.

    Seulement, ces frappes et jurons désordonnés d’exaspération des autres piétons ont raison de mon self-contrôle de bienséance de bazar, Gabriel, et chassent brutalement ma volonté de continuer à user de cette délicatesse zigzagante de sauterelle pour lui substituer le besoin mimétique de me gueuler de la une ! deux ! une ! deux ! une ! deux ! en martelant le sol avec une régularité de défilé militaire exécuté au pas de l’oie et en plein centre des flaques d’eau garbure que je reçois sur la figure sous forme d’éclaboussures en réponse. Car je ne veux plus du tout rester élégant dans la dissimulation de mon désordre intérieur pour atteindre ce même bistrot presque familial. Tu comprends ? Je veux me sentir aussi complètement sale à l’extérieur que je me le sentais déjà à l’intérieur.

    Pour sûr difficile à endurer une traversée de ville à pied rapide sous la pluie battante, quand on se trouve être en manque énorme de sucre brun à petites bulles dans la cuillère, investi de la quête obsessionnelle d’un premier orgasme d’exception pas possible à retrouver.

    Et toi de même pour avoir enduré l’amitié sincère d’un siphonné pareil comme Gaspard.

    Daratsari et Gabriel scandent ensemble :

    Deux petits chaos conséquents personnels pour un équilibre partageable !

    Daratsari reprend seul.

    Je me revois tout raidi bougonnant m’y engouffrer dans le bistrot en poussant la porte avec la grâce engoncée d’un ours en retard d’hibernation et me plier comme mort de ricanement nerveux et crampe en coup de pied d’éléphant reçu en plein bide. Je me revois dégorger d’eau partout sur le plancher qu’a pas été ciré depuis des années tellement qu’il est blanc et tacheté marron foncé de multiples brûlures de clopes que je regarde avec consternation me sautiller sur la figure en s’y incrustant comme de grosses puces à tête perceuse. Je me revois tirer sèchement sur la porte vitrée derrière moi comme la queue d’à cheval à n’importe qui dont on voudrait que de la douleur à lui soutirer et la repousser aussi sèchement pour qu’elle puisse claquer aussi bien dans son encadrement que dans tous ces yeux d’hommes réunis entre eux. Je viens d’annoncer ma présence physique dans la sensation générale d’une grande saleté de circonstance.

    Je me revois aussi, Daratsari, mais calé au fond de ma chaise à lever les yeux au plafond l’air blasé, rompu, en même temps qu’admirateur de ce formidable double coup de boule que venait de distribuer la paranoïa pragmatique de Gaspard, mon meilleur pote. Les deux des trois moqueurs attablés se tenaient à deux mains grognant de douleur le nez cassé plein de sang qui pissait entre leurs doigts crispés et dessinait une sorte de large bavoir rouge sur leur poitrine.

    On est dans un bistrot, Gabriel, pas dans un confessionnal, j’ai essayé de me persuader. Si je t’accorde cette vérité-là, c’est parce qu’elle est précisément contestable au regard du grand prêtre Jaja, je me suis répliqué juste pour me sentir moins seul dans l’immédiateté de mon jugement. J’ai surajouté que les glouglouteux du quotidien, ça s’épanche et s’épanche et te colle à la poitrine, poisseux comme du miel et te souffle du chatouillant puant foie pourri dans le cou et les narines avec une envie subconsciente de te tripoter l’appendice.

    Des visages absorbés se lèvent sur ma personne qui dégouline comme une pathétique gouttière de chair maladive bouchée aux trois quarts et surgie du dehors. Des nuques pivotent sur une série de dos voûtés. Des regards se mettent à vous rouler dessus comme de gros camions sur des hérissons. Des sourcils se froncent. Des cous se font caresser tout en s’étirant en dessous de mentons qui se haussent en prenant une forme de supériorité sur le vide ambiant. « Encore ce dérangé de Daratsari qui vient nous ankyloser le moral avec son intellectualité discursive d’anarchiste christique ! ». Poils de barbe triturés et grattés avec plaisir automatisé ainsi que moustaches tirebouchonnées. Et ça roule des yeux comme si c’était des mécaniques, écarquille, plisse en même temps que pommettes se soulevant et lèvres sans volonté de sourire qui s’élargissent ou se pincent en esquissant un éclair de gêne, frustration, timidité ou aigreur éprouvées sur le champ réactif et rossant de votre intervention verbale d’il y a quelques jours parmi les maints et autres ressassant « d’il y a quelques jours » – et tandis que d’autres regards s’avachissent en franche tombée de paupières circonflexes ou se débinent illico presto foireux de honte vers le très bas carrelage où reposent quelques mégots reptiliens.

    Tous les regards des bipèdes à conscience du bar familial oriental se sont rivés sur l’homme moqueur resté indemne dans son costard de maquereau à trente mille balles. Ce dernier relève haut ses sourcils aussi fournis en poils que la grosse motte brune qui doit loger sous chacune de ses aisselles et jette de droite à gauche des yeux fourrés à l’inquiétude et à la surprise sur ses deux comparses ensanglantés qui se tiennent repliés sur eux-mêmes, gémissant et maudissant Gaspard, mon meilleur pote, d’une manière rendue intraduisible par la douleur morale et physique qu’ils sont en train d’éprouver à genoux entre les pieds de la peuplade aux chaises, aux tables et aux hommes.

    Des épaules se haussent dans les émanations de ma présence pas standard de fils de catholiques orthodoxes qui se crucifie à l’héroïne et au manque orgastique bidonné de cette dernière pour renforcer un peu plus à chaque fois son état d’espérance ordinaire. Des têtes se balancent et des culs sur des chaises qui font pareil et impulsent ensemble une sorte de cadence à des soupirs que motive une lassitude évidente à ce que vos propos souvent batailleurs que par manque de la Chose en seringue ne soient plus en rien surprenant – à se répéter comme déjà susdit par diverses expressions de figures « encore ce dérangé de Daratsari qui vient nous ankyloser le moral avec son intellectualité discursive d’anarchiste christique ! » et bien que de rares lèvres amicales et de vives lueurs qui pétillent au fond des regards s’insurgent en sourires furtifs et solidaires.

    Attendu Daratsari que Gaspard, mon meilleur pote, est toujours désireux blême et raidi tremblotant dans ses groles de cogner dur sur n’importe quelle protubérance nasale, et lui surgissant, dans une baisse atroce de sucre sanguin, le souvenir du couteau de cuisine que son père lui avait planté comme ça visiblement pour rien dans la main un soir de dîner lorsqu’il était enfant, je regarde mon meilleur pote qui maintenant bondit et s’acharne à multiples coups de pointes de lime à ongles en fer sur la figure du troisième homme en hurlant le prénom de son propre père à répétitions avec un gros « enculé ! » foutu devant et tout le sang avec giclant partout et les cris de douleur du troisième homme qui tournent comme avec des pics une énorme toupie qui taillerait en lambeaux l’espace enfumé du bistrot.

    Si vous pensez soudain, Gabriel, qu’à l’adresse d’une compagnie pareille d’hommes entre eux, il aurait mieux valu vous coudre la bouche, c’est que vous ne croyez déjà plus qu’au sentiment de culpabilité que vous devez à la colère de vous être écrié ainsi les autres fois consécutives, et tout en vous persuadant que c’est le contenu du discours lui-même qui n’exciterait plus votre potentiel de croyance ou de sentiment passionnel à exprimer. Aussitôt sorti de la bouche, aussitôt réfuté comme zappé par une sorte d’auto censure punitive le propos, ou transformé en truc intermédiaire à autre chose. Et même si vous remettiez tel discours en bataille dans la seconde, parce que, tout en relançant le processus d’une croyance dans le contenu de ce dernier, cette réaction vous dispenserait de taper saignant sur quelques désagréables figures ici présentes, vous savez qu’il n’existe pas d’autre manière éphémère de rendre heureux votre désespoir à l’intérieur.

    Daratsari, tu crois pas que la foldinguerie sanguinaire de Gaspard mon meilleur pote me ramène aux petits cris désagréables que peut produire un membre de ta famille ou de la mienne ?

    Je te vois venir pathogénique circonstancié, Gabriel.

    Gabriel et Daratsari scandent ensemble :

    Notre maudite Catastrophe historique transmise par les voies filiales de l’imagination qui veut prendre sa place de réalité concrète et empirique dans l’étouffoir de notre conscience est malheureusement aussi celle de Gaspard ! Ainsi donc, Gaspard, notre très cher frère, nous te sommes fraternellement soudés quoi qu’il arrive.

    Gabriel reprend seul.

    Caricatures de râles, de gémissements et de hululements qui déchiraient ma possibilité de dormir. Sommeil griffé, raclé, charcuté et brinquebalé par des sonorités totalement éloignées de celles que propulsent sans imitation les bêtes que l’on torture dans les laboratoires et par l’intention consciencieuse d’imiter d’autres bruits gravés dans la mémoire de mon père par mon père et dans la réalité voisine de ma chambre comme dans la réalité hyper émotive d’un ricanement faussement sadique en réponse de ma part contrainte à me ronger jusqu’au sang la peau autour des ongles et des jointures.

    Se sentir répondeur de bagarre comme Gaspard, ton meilleur pote, mais seulement avec des mots, Gabriel. Des mots lancés comme tes coups de lime à ongles en fer, mais là verbalement crevaison de gueules aveuglées par ce que vous jaugez être un niveau de stupidité pas supportable en toute timidité justificative, acidité remontante et convulsive derrière ce peu de silence en façade qu’il vous reste à user sous cette démangeaison énorme de bla-bla-bla qui veut répandre le sang de son propre cœur sur celui des autres pour les noyer avec une prétention ridicule. Puis se résigner à soupirer plus fort qu’un ronflement de pachyderme dans une humeur suicidaire pour jauger de nouveau que, dans la chaude atmosphère de gargote orientale aux senteurs de chien mouillé, sueur aux aisselles, aux pieds de cette bande de moutons humains la chambrée militaire qui me revient cauchemardesque, cela fume autant ici du tabac brun, grosse coupe, qu’y’a pas si longtemps et uniquement.

    Ou du moins cet empressement nerveux qui se manifeste en vous par suffocations et manque de bourrin vous force à croire aussi vrai que le parfum du tabac brun, grosse coupe, ça a inclination à prédominer sur la présence éventuelle d’un parfum de tabac blond, petite coupe, alors que tu t’en fiches éperdument. Quoique ce nuage tabagique qui embrouille le regard et oppresse la cage aux poumons il vient aussi de te striduler la blancheur gélatineuse des yeux avec une pagaille de veinures et des larmes et des larmes et des larmes d’une neutralité exaspérante qui t’arrivent au bord des paupières. Et tu te ressasses qu’en dehors du manque de bourrin que tu endures d’une manière quasi cellulaire…

    Gabriel et Daratsari scandent à nouveau ensemble :

    Je n’aime pas qu’on me tire des larmes qui ne me viennent pas d’un chagrin véritable !

    Gabriel reprend seul.

    Il est facile de supposer que cet homme votre père avait été en d’autres circonstances ce qu’il demeurait aujourd’hui et en tirer une vexation profonde…

    Gabriel et Daratsari :

    C’est-à-dire un rescapé inconsolable traqué par un son cacophonique de souvenance historique !

    Gabriel continue seul.

    Enfant derrière le mur de ma chambre j’entendais mon père façonner des bruits étranges de gorges comme des costumes sur mesure. Et pas que les nuits de pleine lune. Parfois même une habitude qui aide à croire que toutes les deux ou trois nuits sont à peu près des nuits engrossées par le clair de la lune. Je me charcutais autour des ongles et aux jointures des doigts pour me punir de ne pas ressentir à égalité la douleur de mon père. J’allais jusqu’à prier avec mon terrible manque de foi pour que des larmes engloutissent cette douleur au plus rapide et jurais à plusieurs reprises dans mon silence comme on hurlerait sur un musicien débutant qui s’obstinerait à massacrer n’importe quelle gamme pour espérer faire jouir son déplaisir de ne posséder aucun don.

    Par faute de chagrin véritable à éprouver, Gabriel, ce qui n’est pas rien, j’en arrive à me prendre pour la courante elle-même comme si j’étais devenu tout à coup une sorte de chiasse incarnée par la chair fessière de ma personne atteinte de tremblote infernale et posée sur la cuvette oblongue de gogue de jardin dans l’arrière-cour du bistrot oriental familial en train de me vider complètement de ma merde dans l’humidité d’une rosée matinale. Ou bien par faute de chagrin véritable à éprouver, je reste à l’intérieur du bar comme prisonnier d’une constipation immédiate dans une montée de sueur froide tout aussi immédiate que je sens se mélanger à toute cette pluie déjà sur moi et je m’en remets à ma propre paranoïa. Cette dernière me permet d’imaginer cet endroit en train de brumasser en des halos de sortilèges malfaisants fabriqués à mon encontre et par des bouffées qui démarrent à des foyers de pipe et autres cigarettes, cigares, cigarillos aux rougeoyantes pulsations de cendre brûlante renvoyées par chaque masque de parade mortuaire à la face de son semblable et parcourue de divers tics dans un chassé-croisé de bouches, de narines fumantes enveloppées dans cette grande concentration collective que nécessitent ces multiples jeux de cartes, de dés, de jetons, qui font se réunir les hommes entre eux autour de petites tables carrées ou rondes.

    Mon père tout petit s’était caché au fond d’une armoire à linge pour écouter sur la tonalité imaginée bourdonnante d’une fable pour enfants comment ça se devait de traduire avec sa bouche un autre papa à qui sous les yeux on est en train de pourfendre sa famille en long en large et en travers. Une sorte de retour à l’école de la transmission pas plus prévue qu’il l’aurait voulu.

    Dans le silence faussement soumis de nos mères d’origine Sumérienne, Gabriel, dans cette présence intérieure dont elles sont aussi le tabernacle autoritaire et tendre, je reluque cette masculine faune tabagique de tous les âges, oublieuse de son origine véritable, et donc obsédée par l’increvable coutume patriarcale exclusive de s’épargner la présence de n’importe quelle chatte qui ne serait pas danseuse pénétrable en ce lieu payable de son ventre.

    C’est interpellant comme les bruits d’organes en mouvement, ça peut s’intercaler, Daratsari, s’emboîter pile rythmique dans les bruits de chocs d’objets divers, de gorges déployées, gargouillées, de chairs frottées contre chairs et que parfumait une odeur chaleureuse de sang frais de tripes parmi l’âcre puanteur que dégageait la crasse pileuse qu’offraient les pantalons baissés d’une douzaine de soldats mercenaires complètement défoncés au speed de l’époque dix-neuf cent ma bite.

    Gabriel et Daratsari scandent ensemble :

    Nos fesses à claquer comme la croupe d’à un cheval quand on était tout petit et qu’on se déroulait son propre film dans la tête en cavalant sur la plage comme des malades enfin guéris d’être nés !

    Gabriel reprend seul.

    Les valeureux participants de ce que la mode linguistique de l’époque n’appelait pas encore une tournante sanguinolente avaient ligoté le père de mon père sur une chaise. Et ces derniers l’avaient ligoté pour qu’il puisse régaler sa bouche à régurgiter des écorchures sonores plus distordues les unes que les autres. Fallait que le père de mon père arrive à recouvrir les fameux bruits d’organes en mouvement et sons de gorges de sa famille tout entière. Et puis un massacre dans la simultanéité de sa production, Daratsari, ça ne s’écoute pas comme de la belle musique.

    Certes non, Gabriel.

    Gabriel et Daratsari scandent ensemble :

    Faut brailler carrément par-dessus pour en saisir toutes les nuances !

    Daratsari reprend seul.

    Souhaiter que, puisque c’est son rôle, l’alcool excessif ne tarde pas de faire jaillir plein de sang de l’un bêta appesanti mâle sur la figure à barbouiller de l’autre bêta appesanti mâle parmi pléthore d’énormes ego bêta mâles difficilement compressibles et dans la durée presque éternelle du grand jeu des convenances contradictoires. Mais je peux aussi me découper un court instant de cet autre dehors de bar familial oriental pour me retrancher à l’intérieur de mon enveloppe corporelle et mieux regarder et entendre, dans leur adulte carnation de joueurs attablés devenus, ces ex-enfants survivants de massacres en train de crapoter, siroter, fumer, éternuer, toussoter, cracher, se racler le tuyau, chuchoter, marmonner, glousser, bougonner, s’exclamer, se taquiner, parler fort, trépigner à quasi se réclamer des bonbons. Oui. Les regarder et les entendre se lamenter en veuvage de leur adresse au jeu comme de leur mise de thune et puis soudain s’aboyer dessus avec de ces teints parfois rougeauds leur surgir de ces veines qui sans les feuilles leur vigne vierge la région des tempes et puis pouffer aussi de rire par les narines à tout menu en rétrécir les ailerons dans un vilain retroussement de lèvres humides et d’excroissance de langue repliée sur elle-même et trouver ce cabotinage d’expressions faciales bouuuuuulversant, sympathiqueuuuh et pittoresqueuuuh dans une sorte d’auto suffisance responsable, narcissique et méditerranéenne : « Oh bah nous, hé, on a le soleil que vous avez pas ! »

    Gabriel poursuit.

    Grâce à l’esprit de transmission, non pas nutritive, la transmission, mais fécale par ingestion digestion évacuation, j’imagine le père de mon père, ce chef d’orchestre improvisé et pathétique, avec sa tête en baguette qui balance de droite à gauche sur le fil de la lame du sabre. Ça voudrait rythmer vraiment tout seul l’ouvrage passif des victimes comme un samouraï arrivé au bout du rouleau de ses convictions héroïques et honorifiques ainsi que l’ouvrage actif des bourreaux analphabètes consanguins fichus dessus, dedans, va, venant, râlant, ricanant, crachant, bavant, éjaculant, reniflant, rotant, pétant, insultant, tabassant, fracassant, tranchant, éventrant quasiment toute la famille.

    T’as gagné un coup au jeu de j’sais plus quoi, là, et tu t’esclaffes dans un caricatural retour à l’état de béat bavant morveux et explose de fierté le menton hautain jusqu’à placard de médailles se fichant sur poitrine triomphante et avide mon général de recevoir de la congratulation chevrotante fichue sur encore plus hautaine montagne de viande ! Et puis t’as perdu un autre coup toute ta thune au jeu de j’sais plus quoi, là, et alors là, c’est jurer à vous maudire de ne pas être un fruit du hasard créateur ou bien vous maudire comme si vous fûtes un fruit du hasard créateur avec la conscience de son contraire, car il est toujours plus offensant envers sa propre foi religieuse de devoir maudire un fruit du Seigneur que son mécréant contraire. Comme on s’exaspère de même, s’indigne, s’inflige des blessures d’amour propre avec une main vibrante posée sur le cœur quand on ne s’injurie pas pour la forme ou l’outrancière beauté du langage et pendant qu’une indifférente radio crétinisante bourdonne, grésille, fayotte et crachote sans cesse ses percutantes glaires métalliques de muzak et de réclames hystériques dans les coins des murs, là-haut, nichés les minis haut-parleurs près du plafond tout fissuré, tatoué de larges auréoles de poussiéreuse saleté grasse que des lambeaux de peinture croûteuse font pendouiller et pendant qu’en dessous, quelques crânes chauves ou parsemés de cheveux de diverses teintes donnent l’apparence impassible d’une méditation en train de se produire sous leur dôme éclaboussé par des jets d’ombre et de lumière humide. Et ces bras de joueurs qui tombent sur les touts autant bras des chaises grinçantes pour conclure tout cela de la plus haute importance spirituelle, faudrait peut-être aussi les couper avec le sabre dont tu parles, Gabriel ? Ou alors ont-ils au moins tout comme nous une dimension ontologique circonscrite à la forteresse exponentielle de leur mémoire imaginative et ne supportant pas la lourde tâche d’en faire une matière à auto critique comme à critique de l’Histoire nous donnerait d’eux-mêmes la représentation cabotine d’une mauvaise pièce de théâtre ?

    Ce vacarme infernal qui exprime la mort non consentie parvenait dans la rareté de ses nuances aux oreilles de l’enfant mon père et futur narrateur de sa propre violence tapi dans l’obscurité suffocante de l’armoire à linge. Vacarme étouffé dont il incorporait déjà les sourdes vibrations consternantes avec une avidité traumatique en train de s’accomplir comme la prescience subconsciente qu’un jour il finirait par s’éduquer de le reproduire pour empêcher le sommeil de son fils unique.

    Gabriel et Daratsari scandent ensemble une nouvelle fois :

    Quelle prétention pour un homme qui déteste devoir revêtir la pelure du martyr malgré lui. Ah, mais vous parlez d’un travail mémoriel pour un simple employé de sa

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