L'ombre des nains
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Avis sur L'ombre des nains
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Aperçu du livre
L'ombre des nains - Christophe Wojcik
L’ombre des nains
Christophe Wojcik
L’ombre des nains
Les Éditions Chapitre.com
123, boulevard de Grenelle 75015 Paris
© Les Éditions Chapitre.com, 2014
ISBN : 979-10-290-0049-2
Quand tu vois un géant, observe la position du soleil pour vérifier qu’il ne s’agit pas seulement de l’ombre d’un nain.
NOVALIS
PREMIÈRE PARTIE
1
Un teckel sur la lunette arrière. Sobre mais efficace, déjà vu mais dont on ne se lasse jamais, le basset dans toute sa splendeur, museau pointu, oreilles pendantes, l’œil vitreux, le corps allongé, le poil ras, la robe marron défraîchie par les rayons du soleil et l’usure du temps : du plus bel effet. La voiture démarre. Le teckel se met en mouvement. Il hoche la tête avec la régularité d’un métronome, trajectoire inexorable, verticale, dont il ne déviera pas, balancier mécanique qui cessera au prochain arrêt. On dirait qu’il approuve. Il n’est pas programmé autrement.
…
Victor Fontaine avait cette image gravée dans la mémoire. Il se souvenait comme si c’était hier de cet objet décoratif soigneusement posé sur un napperon brodé dans la vieille Citroën de son grand-père. L’objet était passé de mode, son grand-père de vie à trépas, mais la tradition, au fond, s’était perpétuée. Peut-être même était-il la réincarnation du teckel sur la lunette arrière, lui qui passait le plus clair de son temps à hocher la tête, à opiner.
Ce mouvement de balancier était devenu un réflexe conditionné. Il l’avait acquis à force de réunions publiques et d’audiences où l’on attendait de lui qu’il acquiesçât. Alors il acquiesçait. Vigilant et concentré, du moins en apparence, il adoptait systématiquement la posture de l’élu à l’écoute des préoccupations, ouvert aux autres, compatissant à volonté, qui partage et qui comprend. Hoche la tête silencieusement. Puis, le moment venu, prend la parole avec solennité pour signifier à ses interlocuteurs qu’il est forcément d’accord, qu’il trouvera la solution à leurs problèmes forcément.
Il en était à son cinquième rendez-vous de l’après-midi. Avaient au préalable défilé devant lui : les représentants d’une association de commerçants indisposés par des travaux de voirie dans leur rue, aménagements profitables à terme, certes, mais bon, pour le moment ; une pauvrette désemparée parce que, comprenez, seule avec un enfant en bas âge, je vous en prie mademoiselle, séchez vos larmes, il faut lui trouver une crèche plus près ; un artiste-peintre de renommée internationale dans son immeuble, ce tableau-là je vous l’offre, si si j’y tiens, œuvre admirable parmi tant d’autres, qui mériteraient tant d’être admirées, d’ailleurs si la municipalité avait la bonté de mettre une salle à disposition pour les exposer ; les ardents défenseurs de la ligue de protection des oiseaux de ville, rendez-vous compte ! sept églises, autant de clochers, et rien de prévu pour nicher dans des conditions décentes la chouette hulotte, en voie d’extinction, la chouette chevêche, pour ainsi dire exterminée, ni même la chouette effraie…
C’était désormais au tour du président et du trésorier des clubs de bridge, belote et rami réunis qui pleuraient misère sur l’aridité de leur sort, expliquaient leur difficulté à boucler le budget, besoin urgent de bénéficier de crédits supplémentaires de la municipalité, compétitions officielles à organiser, tapis et jeux de cartes à renouveler, les temps sont durs, s’il vous plaît. Monsieur le maire donnait l’impression de les entendre. La vérité est qu’il s’ennuyait prodigieusement.
La phase teckel venait de s’achever. Il leur dit que leur dossier était un bon dossier. Les assura de sa reconnaissance envers l’action admirable qu’ils mènent au service de l’animation dans les quartiers. Porterait un regard très attentif à leur demande. La faisait immédiatement instruire par les services compétents. Ne manquerait pas de les informer de la suite qui pourra lui être réservée. Les raccompagna jusqu’à l’accueil où se tenaient les huissiers. Prit poliment congé d’eux dans un sourire crispé. Et s’en retourna un peu las jusqu’à son bureau lambrissé.
Jetant un œil au passage par la baie vitrée, il fit le constat d’un attroupement sur la place de l’hôtel de ville. Pas la foule des grands jours, celle des soirées électorales, des manifestants en colère, du marché de Noël, de la fête de la musique ou du bal du 14 juillet. Non. Juste quelques dizaines de personnes penchées sur quelque chose ou quelqu’un, la routine en somme, pas de quoi paniquer, se contenter d’obtenir des renseignements fiables sur le pourquoi du comment, s’informer.
Il décrocha son téléphone. Pression du doigt sur la ligne directe de son chef de cabinet.
– Augustin ?
– Monsieur le maire…
– Allez donc voir ce qui se trame en bas.
Dans deux minutes il lui raconterait.
2
Fidèle serviteur, plus proche collaborateur, éminence grise, factotum, porte-parole et fusible le cas échéant : Augustin Viard était l’homme de toutes les situations. Il aurait réalisé n’importe quoi pour son patron, se taillerait les veines s’il le lui ordonnait. Deux mandats successifs, douze ans à ses côtés, lui avaient inculqué l’art d’être inféodé. Il aimait Victor Fontaine comme un père, pensait comme lui, prenait les mêmes intonations. Aussi discret qu’omnipotent, il tirait les ficelles selon les stratégies qu’ensemble ils avaient échafaudées, passait la pommade à ceux qui le méritaient, mordait au mollet quand les circonstances l’exigeaient. Un parfait homme de l’ombre, cerbère dans l’âme, intrigant à souhait. Il avait pleuré le jour où son maire n’avait pas été réélu député.
Si le chef de cabinet répondait au doigt et à l’œil aux injonctions de l’autorité suprême, ses relations étaient quelque peu différentes avec le reste du monde. Le reste du monde, il l’avait répertorié en trois ordres bien distincts. L’ordre des élus, d’abord, à commencer par les adjoints et les conseillers municipaux qu’il considérait comme des sous-produits du suffrage universel direct, redevables d’être là où ils étaient parce que le candidat Fontaine, au moment d’entrer dans la bataille des élections, avait bien voulu d’eux sur sa liste. L’ordre des fonctionnaires, ensuite, personnels des services de la ville, administratifs, techniques ou sociaux qui, pour le dire élégamment, avaient la charge de préparer les décisions que prennent les élus puis de les exécuter, en un mot d’être à la botte de qui l’on sait. L’ordre de la société civile, enfin, composé de multiples sous-ordres (simples citoyens, en majorité, jeunes ou moins jeunes, actifs ou inactifs, habitants des quartiers bourgeois ou des quartiers populaires, tantôt détachés de la vie publique, tantôt engagés, syndicalistes, militants, ressortissants des chambres consulaires, représentants de l’autorité judiciaire, des organisations professionnelles, des collectifs de défense de tout et son contraire, responsables des associations culturelles et de loisirs, abonnés aux spectacles, bénévoles des organisations humanitaires ou caritatives, licenciés dans les clubs sportifs, etc., etc.) qui formaient le bataillon de ceux qui méritent les meilleurs égards dans les six mois qui précèdent l’échéance électorale, le cortège de ceux qui ne se privent pas pour venir vous enquiquiner à longueur de temps avant et après.
Il y avait donc ces trois ordres distincts aux yeux du monde d’Augustin Viard et, à part, au sommet, dans une autre dimension, un homme, un seul, son maire : l’élu. Celui-là même qui l’appelait à l’instant sur sa ligne directe, vite, décrocher, mettre un point d’honneur à ne jamais le laisser patienter plus de deux sonneries.
– Augustin ?
– Monsieur le maire…
– Allez donc voir ce qui se trame en bas.
Pas la peine d’en rajouter, message reçu, il éteignit sa cigarette électronique, resserra son nœud de cravate, enfila sa veste, se leva,