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Les questions que se posent les jeunes sur l'Islam: Itinéraire d'un prof
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Les questions que se posent les jeunes sur l'Islam: Itinéraire d'un prof
Livre électronique342 pages4 heures

Les questions que se posent les jeunes sur l'Islam: Itinéraire d'un prof

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À propos de ce livre électronique

Un enseignant apporte des réponses aux questions que tout le monde se pose

Il était temps que l’on cède la place et que l’on donne la parole aux jeunes. Dans tout ce qui se lit aujourd’hui dans les médias, dans les analyses des experts de tous bords, il était temps de remonter le courant et de s’arrêter auprès de cette jeunesse musulmane qui a des questions et qui veut des réponses. Parce que ces questions nous intéressent tous.
C’est un prof qui s’y colle, et pas n’importe lequel. Hicham est musulman et croyant. Il a été jeune (et ne l’a pas oublié), il est passé par toutes les phases de questionnement qu’il raconte avec beaucoup d’humour et d’humilité. C’est un prof ouvert, attentif qui, dans ce livre, apporte des réponses à des questions précises.
Parce que, tout compte fait, on n’a pas trouvé mieux que de s’intéresser, d’éduquer, de porter les jeunes pour faire avancer une société. Il nous semble qu’il est plus que temps de passer aux travaux pratiques et concrets.
Un livre qui s’appuie sur les compétences à développer dans le cadre du nouveau cours d’EPC.

Un livre facile d’accès pour tous : jeunes, parents, professeurs, personnels associatifs et médiateurs inter-culturels.

EXTRAIT

Au fur et à mesure de nos discussions, Mustapha détricotait complètement la rhétorique salafiste, et même s’il ne m’en avait pas complètement sorti à l’époque, il avait semé dans mon esprit ce qu’il fallait de bon sens pour rendre cette sortie inéluctable sur le moyen à long terme. Je me remémore parfois, non sans un sourire, ses critiques acerbes de certaines billevesées salafistes :
« La barbe obligatoire ? Ça veut dire quoi ça, que Dieu le très miséricordieux va te brûler pour l’éternité toi, ton rasoir Mach 3 et les poils que tu auras coupés ? »
« Comment ça on n’a pas le droit de lever les mains lorsque l’on fait do’a ? Que tu lèves les mains ou les pieds, faire do’a c’est faire do’a, il y a un moment où il faut arrêter le délire. »
Ou encore mon préféré :
« Écoute Hicham, tu sais quand je travaille à la mairie il y a parfois un petit chat qui vient dormir à côté de moi. Je préfère cent fois lui parler à lui qu’à un salafiste, je préfère même parler à un âne que parler à un salafiste. »

À PROPOS DE L'AUTEUR

Hicham Abdel Gawad a 30 ans, il est professeur de religion islamique auprès de jeunes de 12 à 18 ans. Il est détenteur d’un master en Sciences des religions et est formateur en dialogue islamo-chrétien, intervenant pour des cours universitaires concernant la neutralité et la religion. Il est également co-rédacteur du rapport sur le dialogue inter-religieux « Convictions et croyances face aux défis sociétaux » (2013).
LangueFrançais
Date de sortie7 mars 2017
ISBN9782390091165
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    Aperçu du livre

    Les questions que se posent les jeunes sur l'Islam - Hicham Abdel Gawad

    Un livre singulier et salutaire

    Préface de Rachid Benzine

    Au milieu de l’énorme production de livres en français qui parlent d’islam, voilà un livre singulier et salutaire. Professeur de religion islamique au service d’élèves âgés de douze à vingt-deux ans, universitaire et chercheur sur l’éthique habermassienne appliquée au dialogue islamo-chrétien, Hicham Abdel Gawad s’est donné pour défi de raconter à la fois son propre itinéraire intellectuel et spirituel, et de faire entendre les questionnements de ceux qu’il a pour mission « d’élever », de faire grandir et parvenir à une certaine maturité. Le résultat est une plongée passionnante, pour nous lecteurs, dans l’univers des jeunes croyants musulmans d’aujourd’hui, mais aussi une formidable provocation lancée aux institutions islamiques afin qu’elles entreprennent un vrai travail d’adaptation de leur discours et des lois religieuses aux réalités – et aux intelligences – du monde contemporain.

    Né et élevé en banlieue parisienne il y a une trentaine d’années, devenu enseignant en Belgique dans une discipline – l’enseignement des religions – qui n’existe pas dans le système scolaire laïque français, Hicham Abdel Gawad fait vraiment figure « d’enfant du siècle » – du XXIe siècle s’entend. En effet, il est complètement représentatif de cette jeunesse issue des immigrations des anciens empires coloniaux qui se trouve porteuse de diverses appartenances parfois conflictuelles, et qui doit inventer une nouvelle identité à la fois maghrébine (ou africaine) et européenne, à la fois religieuse et sécularisée. Au sein d’une Europe occidentale largement déchristianisée, il appartient à ces nouvelles générations qui, dépositaires de l’héritage islamique, viennent réintroduire du religieux dans des sociétés qui ont voulu s’affranchir de toute contrainte religieuse. Il est aussi la preuve de l’émergence, sur la scène européenne, de jeunes intellectuels musulmans libéraux qui feront certainement de plus en plus parler d’eux dans les années qui viennent. Car s’il s’affirme croyant de l’islam, Hicham Abdel Gawad n’en est pas moins un défenseur de la liberté de penser et de conscience, un avocat de la liberté de ne pas croire comme de la liberté de croire, et un supporter absolu des systèmes démocratiques fondés sur le principe de la séparation des domaines et des pouvoirs et sur celui de la tolérance. Surtout, Hicham Abdel Gawad considère que l’une des principales grandeurs de l’homme est de se poser des questions, et son histoire, son engagement professionnel et son livre constituent une vraie célébration du questionnement.

    « Enfant du siècle », Hicham Abdel Gawad l’est, aussi, en raison du fait que son appropriation personnelle de la foi musulmane, qu’il a reçue de ses parents, s’est réalisée non pas dans la fréquentation des mosquées... mais à travers son investissement dans les forums communautaires qui se sont multipliés sur le Net depuis plus de vingt ans, puis dans des études universitaires. Ce qu’il nous raconte de ses « passes d’armes » électroniques d’adolescent ou de jeune adulte avec des chrétiens évangéliques islamophobes, avec des bahaïs tout autant en conflit avec l’orthodoxie islamique, ou avec des rationalistes de culture musulmane, met en lumière l’importance de la Toile dans la recomposition du paysage religieux mondial, et tout spécialement quant au déploiement de l’islam et quant à la reconfiguration du visage de celui-ci.

    Son livre est rare et précieux à plus d’un titre. Ainsi, il n’est pas dans la tradition culturelle maghrébine de « se raconter », de faire retour sur soi et de mettre sur la place publique sa « révision de vie ». Avec beaucoup de pudeur et de vérité, sans fanfaronnerie aucune, Hicham Abdel Gawad nous rapporte les interrogations successives et les errements intellectuels et spirituels qui ont été les siens quand il a eu l’âge de seize ans, puis celui de dix-neuf ans, ou encore quand il est entré dans la décennie des vingt ans à l’heure du surgissement d’Al-Qaida et de l’effondrement des Twin Towers. Il nous partage ses découvertes et ses enthousiasmes d’étudiant en sciences religieuses de l’Université Libre de Belgique puis de l’Université Catholique de Louvain, et ses difficultés de jeune enseignant confronté à des élèves n’ayant pas l’habitude et le goût de l’effort intellectuel. En le lisant, on refait le chemin qui a été le sien, le parcours intérieur qui l’a fait passer d’une foi qui avait besoin de certitudes, à une foi qui ne craint pas les remises en question radicales. On revisite avec lui, également, les controverses universitaires actuelles sur les origines de l’islam, la composition du Coran et la réalité historique du Prophète Muhammad. On croise le prédicateur sud-africain Ahmed Deedat, dont le discours apologétique a bénéficié de tant d’audience au sein des communautés musulmanes dans les années 1980-1990, et de grandes figures contemporaines de l’islamologie, qu’il s’agisse de celles de « l’école déconstructiviste » (telles que son professeur Guillaume Dye) et de celles de « l’école structuraliste » (Angela Neuwirth et Michel Cuypers en particulier). En sa compagnie, on se met à faire de la critique textuelle, de la philologie, de l’histoire critique, de l’anthropologie, de la philosophie et de l’étude comparée des religions.

    Hicham Abdel Gawad s’avère être un authentique pédagogue, c’est-à-dire un homme qui a le souci de transmettre du savoir et, plus encore, d’éveiller des intelligences. Un enseignant qui aime vraiment les élèves qui lui sont confiés, et qui est habité par le désir d’entrer réellement en relation avec eux. Il sait regarder chaque jeune dans la totalité de sa personne, avec toutes les virtualités qui peuvent être les siennes. Ce qu’il écrit sur le respect des élèves mériterait d’être rappelé dans tous les établissements scolaires du monde. En tout cas, son livre est en grande partie le produit de sa relation forte à ceux qu’il a la charge d’enseigner, et par lesquels il ne craint pas – au contraire ! – de se laisser enseigner lui-même. Soucieux non pas d’imposer des vérités prétendument indiscutables à ses élèves – comme peuvent le faire d’autres professeurs de religion –, mais préoccupé de faire surgir leurs questionnements, il n’a pu que constater que la pensée religieuse musulmane classique véhiculée par les institutions islamiques contemporaines se montre incapable de répondre de manière convaincante à ce qu’il appelle « le tribunal des jeunes ». D’où ce travail qu’il nous offre, par lequel, fort de la recherche qu’il mène depuis vingt ans, il esquisse des réponses qui participent à la construction d’une nouvelle théologie musulmane et à l’apparition d’une ijtihad maghrébo-européenne moderne. Alors que les institutions islamiques qui se mettent en place en Europe sont plutôt enclines à répondre aux interpellations du monde par des fatwas, des avis juridiques, Hicham Abdel Gawad privilégie – pour tous – l’effort de penser et d’inventer.

    Très judicieusement, Hicham Abdel Gawad a sélectionné dix questions que des jeunes lui ont posées, et qui font partie de celles qui reviennent souvent dans les esprits non seulement de jeunes musulmans, mais aussi chez beaucoup de ceux qui s’interrogent en face de l’islam et à propos du texte coranique. Chacune de ces questions ouvre des champs immenses de réflexions, car les unes et les autres touchent à des problématiques fondamentales telles que la notion de « Parole de Dieu » et celle de « Révélation », la rationalité des narrations religieuses, la place du symbolique dans le discours coranique, la mise en scène de la violence dans les textes religieux, les rapports entre les sexes, la place du hadith dans la compréhension de la Révélation et dans la construction de l’islam, le travail des imaginaires, les controverses islamiques à l’encontre des juifs et des chrétiens, les potentialités de radicalisation contenues dans les textes fondateurs – Coran et hadith – et dans leur instrumentalisation... Avec érudition et souci d’être compréhensible par le plus grand nombre – à commencer par ses élèves – ; avec courage aussi, l’auteur de ce livre apporte des réponses largement convaincantes qui sont autant de chemins d’intelligence et de liberté pour ceux auxquels elles sont destinées. Dans son métier qui a des allures de vocation, Hicham Abdel Gawad n’a de cesse d’encourager ses élèves à « prendre la parole ». On lui sait gré de l’avoir prise lui-même !

    Rachid Benzine

    INTRODUCTION

    Être jeune et musulman aujourd’hui, qu’est-ce que c’est ? Est-ce un acte de foi souverain ou du suivisme familial ? Est-ce un héritage culturel profond ou un phénomène de mode ? Est-ce le déploiement d’une spiritualité vivifiante ou une affirmation identitaire d’anticonformisme ?

    Je ne sais pas¹.

    En revanche, ce que je peux affirmer sans l’ombre d’un doute, c’est qu’être jeune et musulman aujourd’hui, c’est se poser des questions. En tant que professeur de religion islamique dans le secondaire et intervenant régulier dans le supérieur, notamment auprès de jeunes adultes, ces questions participent à la fois de mon quotidien, mon métier et mon engagement social. En tant que musulman convaincu depuis l’enfance, ces questions relèvent de mon histoire personnelle : être jeune et musulman, c’est ce que je fus hier et c’est le centre de mon travail aujourd’hui.

    Être jeune et musulman aujourd’hui, c’est être pris dans un océan de discours. Certains de ces discours sont conservateurs, d’autres sont modernistes, certains plaident pour une théocratie, d’autres penchent vers l’humanisme… D’autres, enfin, relèvent franchement de l’appel à la haine. Quand on a 18 ans et que l’on est musulman, la tête pleine d’idéaux, de révoltes, de projets, de frustrations, de rêves, etc., que peut-il bien se passer au contact de tous ces discours ? Quelle est la place de l’adulte ? Du parent ? Du professeur ? Ces questions, j’en étais moi-même l’objet lorsque j’avais 18 ans. Je me les repose aujourd’hui, presque une génération plus tard, face à des jeunes musulmans qui ont à leur tour 18 ans. On pourrait se dire qu’ayant moi-même vécu la situation, les réponses devraient couler de source. La réalité, comme souvent, est plus complexe que ce que l’intuition laisse imaginer.

    Une génération, c’est en effet beaucoup. Le développement de l’Internet, des réseaux sociaux, des sites de mise en ligne de vidéos, sans oublier le développement rapide de multiples librairies islamiques… Tous ces éléments ont profondément changé l’horizon religieux qui se présente au jeune musulman désireux de s’instruire sur sa religion. Quelle est la place du professeur de religion islamique dans cette configuration ? Dans quelle mesure sa parole peut-elle être perçue comme pertinente ? Professeur de religion : un professeur comme les autres, et pas comme les autres en même temps ? Ce bouquin ne prétend pas apporter de réponses définitives à ces questions. Il relève plutôt d’un témoignage, de mon témoignage, sur les questionnements fondamentaux qui m’ont amené petit à petit à faire de la religion islamique le centre de ma vie, d’abord personnelle et par la suite professionnelle. Le lecteur pourra en ce sens constater que le livre se scinde en deux grandes parties.

    Une première partie durant laquelle je relate l’essentiel de mon cheminement religieux sur le plan intellectuel et émotionnel. Ayant atteint l’âge de la vingtaine autour de l’époque faisant immédiatement suite au 11 septembre 2001, le cheminement qui a été le mien et que je tente de retranscrire ici est singulier dans le sens où les projecteurs étaient à cette époque quasiment tous dirigés vers cette religion que l’on appelle islam, peu connue du grand public et paradoxalement peu connue de moi-même malgré mon identité musulmane. En effet, ayant grandi en France, pays singulièrement laïque, je n’ai pu bénéficier d’aucune formation scolaire en matière religieuse. Mon environnement familial, profondément croyant mais peu pratiquant, n’a pas non plus été immédiatement la source d’informations vers laquelle je me suis tourné pour étancher ma soif de connaissance. Sans l’école et en dehors de la famille, que m’est-il resté comme alternative ? Quelles en ont été les conséquences ? C’est tout l’objet de la première partie.

    La seconde partie traite plus précisément de questions posées par mes propres élèves. Mon parcours de vie m’ayant petit à petit orienté vers l’enseignement de la religion islamique, je me suis trouvé, comme dit plus haut, face à un public changé par une génération de développement technologique, notamment autour des moyens de communication en ligne et des réseaux sociaux virtuels. Le monde a changé, la jeunesse a changé, et avec elle les questions que se posent les adolescents musulmans. Je me suis en effet vite rendu compte que nos jeunes musulmans d’aujourd’hui osent des questions qui ne me seraient jamais passées par la tête à l’époque où j’avais leur âge. Paradoxalement, ils sont aussi confrontés à des discours traditionnels, voire fondamentalistes, que j’avais eus l’occasion de goûter moi-même durant mon adolescence, à l’époque où ces discours venaient à peine d’apparaître. Aujourd’hui ces discours pullulent de partout.

    J’ai spécifiquement retenu pour ce livre les questions les plus « croustillantes », celles qui pointent sans doute vers l’idée la plus centrale du témoignage que je propose ici : la théologie islamique classique actuelle ne se donne pas les moyens de répondre de façon convaincante aux questionnements des jeunes musulmans d’aujourd’hui.

    Les choses sont dites : à mon époque, déjà, les approches classiques peinaient à convaincre. Il en transparaissait des contradictions évidentes ou des sophismes donnant l’illusion du sérieux à ce qui ne relevait finalement que de la rhétorique bien huilée. Nous le savions au fond de nous-mêmes, mais nous n’en disions rien. Les jeunes d’aujourd’hui en disent quelque chose et c’est un véritable tribunal de la jeunesse qui se dresse pour la théologie islamique actuelle. Un tribunal qui ne laisse rien échapper à la raison, un tribunal qui ne pardonne pas les sophismes, un tribunal qui respecte les anciens, mais qui n’est pas disposé à les suivre aveuglément. C’est ce tribunal que je cherche ici à faire vivre au lecteur, un tribunal dans lequel le professeur de religion islamique est le premier à comparaître… Et ceci constitue mon témoignage dans ce tribunal ! Le verdict appartiendra autant aux jeunes qu’au lecteur qui, je l’espère, prendra autant de plaisir à lire ce livre que j’en ai eu à l’écrire.

    Hicham ABDEL GAWAD


    1. Fin du livre, merci d’avoir lu J.

    PREMIÈRE PARTIE :

    Itinéraire d’un français,

    futur professeur de religion islamique

    Chapitre 1 :

    Du questionnement de cour d’école à la première lecture du Coran

    Le souvenir le plus ancien que j’ai en matière de réflexion à caractère religieux remonte à l’école primaire, probablement en CE1 ou CE2. La question en jeu était paradigmatique de tout ce qui allait suivre dans ma vie : Dieu existe-t-il ? Pour moi, la réponse était claire : oui, Il existe, sinon comment expliquer notre propre existence ? Mais un échange avec un camarade de classe allait mettre en route un questionnement d’un genre nouveau.

    « Si Dieu n’existe pas, alors qui t’a créé ? »

    « Ma mère ! »

    « Et qui a créé ta mère ? »

    « Ma grand-mère ! »

    L’échange ne dura pas plus longtemps. L’argument me semblait à ce moment imparable : pour chaque humain engendré, il suffisait à mon contradicteur de postuler un humain engendreur : nul besoin d’un dieu. Bien entendu, avec le recul, je me rends compte que l’on se trouvait là face à une reformulation de l’argument cosmologique² au format cours de récréation, mais à l’époque ce petit échange était suffisant pour me faire prendre conscience de deux choses :

    – l’existence de Dieu n’est pas évidente pour tout le monde ;

    – prouver que Dieu existe est encore moins évident.

    Je n’irai pas jusqu’à dire que ce petit échange fut l’électrochoc primordial qui mit en marche mon questionnement sur Dieu, et encore moins qu’il me fit douter de l’existence de Dieu. En revanche, il me marqua suffisamment pour que je me pose cette question : comment se fait-il que j’éprouve autant de difficultés à convaincre quelqu’un de l’existence de

    Dieu, existence qui me semblait pourtant aussi évidente que 1 + 1 = 2 ? Cette question sera paradigmatique du questionnement fondamental qui me travaille jusqu’à aujourd’hui : qu’est-ce qui fait que l’on est convaincu par une idée ou non ?

    Mais pour l’instant je n’en étais qu’à l’école primaire, et durant cette période le questionnement sur Dieu en restera à ce bref échange de cour de récréation. Issu d’une famille croyante mais non pratiquante, Dieu restait à ce moment-là un être en marge de mon quotidien, une sorte de bienveillance universelle, incarnation idéelle de ce qui doit être. Parfois je me dis que tout aurait été plus simple si Dieu avait gardé cette place marginale mais universelle : marginal dans le quotidien, universel dans le bien dont Il était le nom. Cette conception de cour d’école primaire avait en prime la naïveté enfantine d’un islam n’étant finalement que l’expression arabe de l’universel divin tandis que le christianisme (dont je n’avais entendu parler qu’en corollaire de cet étrange inconnu qu’était Jésus Christ) n’était que l’expression française de l’universel divin. En gros : l’islam c’est pour les Arabes et le christianisme c’est pour les Français, mais c’est la même chose. Encore une fois, tout aurait été plus simple si les choses avaient effectivement été ainsi.

    En vérité, les choses sont restées ainsi relativement longtemps. Il faut en effet faire un saut conséquent, à mes 16 ans, avant que la machine du questionnement religieux ne reprenne du service, à l’époque où j’allais lire pour la première fois une traduction du Coran. Le jour où je pus mettre la main sur ladite traduction, j’étais content d’avoir enfin accès au livre qui était censé être mon livre en tant que musulman. Pour moi, le Coran c’était en arabe, et je ne connaissais pas un seul mot de cette langue. Durant longtemps, il n’était donc pas autre chose que ce que mon père m’en récitait et en comprenait lui-même³. Là, pour la première fois, j’allais avoir accès directement à la Parole de Dieu, autant dire, dans ma petite tête d’adolescent, à Dieu lui-même. Rien cependant ne pouvait me préparer au face-à-face direct avec ce Coran-Parole-de-Dieu.

    Il est difficile pour moi de décrire précisément l’impact émotionnel que suscita la lecture des premiers versets de la sourate 2 – La génisse – qui fait immédiatement suite à la sourate 1 – L’ouverture – relativement courte et liturgique. La sourate 2 est en effet la sourate la plus longue du Coran et l’une des plus complexes, c’est aussi l’une des sourates qui débutent avec des formules éminemment impressionnantes au sens étymologique du terme : elle injecte littéralement une pression intérieure. Qu’on en juge⁴ :

    [2:1]

    Alif, Lam, Mim.

    [2:2]

    C’est le Livre au sujet duquel il n’y a aucun doute, c’est un guide pour les pieux.

    [2:3]

    qui croient à l’invisible et accomplissent la prière et dépensent [dans l’obéissance à Dieu], de ce que Nous leur avons attribué

    [2:4]

    Ceux qui croient à ce qui t’a été descendu (révélé) et à ce qui a été descendu avant toi et qui croient fermement à la vie future.

    [2:5]

    Ceux-là sont sur le bon chemin de leur Seigneur, et ce sont eux qui réussissent (dans cette vie et dans la vie future).

    [2:6]

    [Mais] certes les infidèles ne croient pas, cela leur est égal, que tu les avertisses ou non : ils ne croiront jamais.

    [2:7]

    Dieu a scellé leurs cœurs et leurs oreilles ; et un voile épais leur couvre la vue ; et pour eux il y aura un grand châtiment.

    [2:8]

    Parmi les gens, il y a ceux qui disent : « Nous croyons en Dieu et au Jour dernier ! » tandis qu’en fait, ils n’y croient pas.

    [2:9]

    Ils cherchent à tromper Dieu et les croyants ; mais ils ne trompent qu’eux-mêmes, et ils ne s’en rendent pas compte.

    [2:10]

    Il y a dans leurs cœurs une maladie (de doute et d’hypocrisie), et Dieu laisse croître leur maladie. Ils auront un châtiment douloureux, pour avoir menti.

    [2:11]

    Et quand on leur dit : « Ne semez pas la corruption sur la terre », ils disent : « Au contraire nous ne sommes que des réformateurs ! »

    [2:12]

    Certes, ce sont eux les véritables corrupteurs, mais ils ne s’en rendent pas compte.

    [2:13]

    Et quand on leur dit : « Croyez comme les gens ont cru », ils disent : « Croirons-nous comme ont cru les faibles d’esprit ? » Certes, ce sont eux les véritables faibles d’esprit, mais ils ne le savent pas.

    [2:14]

    Quand ils rencontrent ceux qui ont cru, ils disent : « Nous croyons » ; mais quand ils se trouvent seuls avec leurs diables, ils disent : « Nous sommes avec vous ; en effet, nous ne faisions que nous moquer (d’eux) ».

    [2:15]

    C’est Dieu qui Se moque d’eux et les endurcira dans leur révolte et prolongera sans fin leur égarement.

    Chaque verset, chaque phrase, chaque mot retentissaient dans mon esprit de jeune adolescent comme de véritables coups de tonnerre. Rien, absolument rien de ce que je m’imaginais de Dieu ne se vérifiait dans cet enchaînement de versets littéralement impressionnants. Chaque pas supplémentaire dans la démarche de lecture qui était la mienne m’entraînait dans un univers qui m’était totalement étranger : pour chaque aspect de la religion que j’avais jugé marginal, il y avait un verset qui en affirmait au contraire le caractère capital. La croyance en Dieu, la pratique de la prière, le paiement de la Zakat⁶ ; « si tu le fais tant mieux, sinon ce n’est pas l’essentiel tant que tu restes une personne intègre », voilà ce que j’aurais répondu sur ces sujets jusqu’à cette nuit. En l’espace de quelques versets, tout a été bouleversé : la croyance en Dieu, la prière et la Zakat, ce n’est pas du « si oui tant mieux, sinon tant pis », c’est du « si oui tu entres éternellement au paradis, sinon tu entres éternellement en enfer », en tout cas dans la lecture directe que je faisais des versets.

    Éternellement. Déjà, à l’époque, je prenais toute la mesure de cette idée singulière qu’est l’éternité : l’effacement du temps qui passe, la présence immuable dans un immédiat ininterrompu qui n’a d’autre promesse que lui-même… Et tout ça pour quoi ? Pour avoir cru en Dieu et prié ou au contraire pour ne pas avoir cru ou ne pas avoir prié ? Tout semblait disproportionné, à la limite du pensable : l’éternité de Dieu me consumait littéralement au fur et à mesure que je tentais de donner sens au Paradis et à l’Enfer. Et ce Dieu, qui était-Il vraiment ? Assurément pas la naïve bienveillance universelle que je m’imaginais : visiblement Il châtie, Il fait « croître la maladie d’hypocrisie » (cf. verset 10), Il se moque même de ceux qui se moquent de Lui (verset 15). Page après page, je me suis enfoncé dans un paradoxe « d’incompréhension éclairante ». Incompréhension car j’étais à mille lieues de saisir le moindre enjeu du Coran comme événement dans l’histoire, mais éclairante car je ressentais malgré tout pour la première fois l’impression de découvrir vraiment Dieu : le Dieu de mon livre, de ma religion, pas le Dieu de ma tête.

    Il faut en effet garder à l’esprit que bien que cette première lecture du Coran ait relevé du coup de tonnerre, cette lecture est restée une lecture croyante. Je n’ai en ce sens été ni traumatisé ni même choqué par ce que je lisais ; j’ai en revanche été bouleversé : tout mon univers de sens religieux a été mis sens dessus dessous. Rien de ce que je considérais secondaire n’était secondaire, et rien de ce que considérais innocent n’était totalement innocent : sortir avec une fille, quel mal ? Boire de l’alcool tant qu’on ne devient pas alcoolique ou que l’on ne va pas conduire un véhicule par la suite, quel mal ? Ne pas croire en Dieu, finalement, qu’est-ce que ça peut Lui faire ? Et voilà que je tombais sur des versets comme suit :

    Sourate 17

    32. Et n’approchez point la fornication. En vérité, c’est une turpitude et quel mauvais chemin !

    Sourate 5

    90. ô les croyants ! Le vin, le jeu de hasard, les pierres dressées, les flèches de divination ne sont qu’une abomination, œuvre du Diable. Écartez-vous-en, afin que vous réussissiez.

    Sourate 2

    39. Et ceux qui ne croient pas (à nos messagers) et traitent de mensonges Nos révélations, ceux-là sont les gens du Feu où ils demeureront éternellement.

    Ces versets, particulièrement virulents, côtoyaient au demeurant d’autres versets qui, eux, me rappelaient déjà beaucoup plus la bienveillance universelle que je m’imaginais ainsi que l’éducation que mes parents m’avaient donnée :

    Sourate 2

    177. La bonté pieuse ne consiste pas à tourner vos visages vers le Levant ou le Couchant. Mais la bonté pieuse est de croire en Allah, au Jour dernier, aux Anges, au Livre et aux prophètes, de donner de son bien, quelque amour qu’on en ait, aux proches, aux orphelins, aux nécessiteux, aux voyageurs indigents et à ceux qui demandent l’aide et pour délier les jougs, d’accomplir la Salat et d’acquitter la Zakat. Et ceux qui remplissent leurs engagements lorsqu’ils se sont engagés, ceux qui sont endurants dans la misère, la maladie et quand les combats font rage, les voilà les véridiques et les voilà les vrais pieux !

    Sourate 4

    135. Ô les croyants ! Observez strictement la justice et soyez des témoins (véridiques) comme Dieu l’ordonne, fût-ce contre vous-mêmes, contre vos père et mère ou proches parents. Qu’il s’agisse d’un riche ou d’un besogneux, Dieu a priorité sur eux deux (et Il est plus connaisseur de leur intérêt que vous). Ne suivez donc pas les passions, afin de ne pas dévier de la justice.

    Si vous portez un faux témoignage ou si vous le refusez, [sachez que] Dieu est Parfaitement Connaisseur de ce que vous faites.

    Sourate 19

    96. À ceux qui croient et font de bonnes œuvres, le Tout Miséricordieux accordera Son amour.

    Cette ambivalence du doux et du virulent, du Dieu qui aime et qui déteste, de la grâce divine et de la punition divine n’a pas été vectrice d’une mise en doute de ma religion mais plutôt d’une reconsidération radicale, complète et surtout inattendue de mes priorités en tant que croyant musulman en Dieu. Tout allait alors tourner autour d’une nouvelle question : qu’est-ce que Dieu attend de moi et est-ce que ce que j’ai fait jusqu’à présent est allé dans le sens de cette attente, ou non ?

    Il faut dire que dans cette quête de ce que Dieu veut de moi, le Coran n’aura finalement été que d’une aide très relative. Il s’agit en effet d’un texte redoutable de complexité, les histoires s’y enchaînent sans cohérence familière⁷, les styles d’écriture (pour ne pas dire les genres littéraires) sont extrêmement variés et, surtout, les contenus narratifs sont on ne peut plus évasifs. Un lecteur du Coran familier avec la culture biblique aura en effet une impression initiale de retrouver ses marques : il y est question de figures bibliques telles qu’Abraham, Ismaël, Isaac, Jacob, même Moïse et Jésus y sont mentionnés. Mais cette impression initiale cédera vite le pas à une impression seconde : celle d’être complètement désarçonné par le caractère allusif des narrations associées à ces figures. Dit autrement, le Coran mentionne des figures issues de la tradition biblique mais sous le modèle de l’anecdote : sans connaissances préalables des histoires desdites figures, il est impossible de reconstituer les récits les concernant. Et ces connaissances préalables, je ne les avais tout simplement pas.

    À ce caractère allusif des récits coraniques à l’endroit des prophètes s’est ajouté un deuxième point qui m’a aussi interpellé lors de ma première lecture du Coran : je n’y trouvais que très peu de règles alors que l’islam avait déjà la réputation d’être une religion particulièrement normative. À cette époque, j’avais déjà commencé à entendre un certain nombre de choses sur l’habillement, la façon de manger, de parler et même sur les pratiques sexuelles. Mais, au fur et à mesure des pages tournées, je ne trouvai aucune matière soutenant ces multiples dispositions. Ce dont je ne me rendais pas compte, et dont je n’aurai conscience que beaucoup plus tard, c’est que le Coran est un texte très peu normatif. Sur environ 6 234 versets répartis dans 114 sourates, seuls environ 200 versets relèvent de normes ou règles, soit environ 3 % du contenu total… Une fois la dernière page lue, le constat était clair pour moi : je n’en savais quasiment pas plus sur les règles

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