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Solitude: Roman
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Livre électronique155 pages2 heures

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À propos de ce livre électronique

Tout quitter, aller vivre sur une île déserte… C’est ce qu’a fait Ysi. Cacher son chagrin loin de tout et surtout loin des autres, s’exiler sur une île pas plus grande qu’un confetti sur la Méditerranée. Mais c’est oublier que la vie réserve bien des surprises.
De rencontres improbables au fil d’un temps qui s’étire sans autres contraintes que celles que l’on se fixe, naîtront des amitiés indéfectibles, unies dans la quête commune du bonheur d’autrui.
LangueFrançais
Date de sortie13 nov. 2020
ISBN9791037714244
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    Aperçu du livre

    Solitude - Brigitte Marie Michel

    Chapitre 1

    Ça a commencé comme une blague. Une boutade lancée par Xavier à l’heure du déjeuner. On était assis à une table. La table je devrais dire, la même table du même restaurant où nous mangions une salade sur le pouce pendant notre pause de 12 h 15 à 13 h 15. Il y avait Xavier, mon binôme au rayon déco du BHV de la rue de Rivoli, Lulu qui s’asseyait toujours face au miroir pour pouvoir observer discrètement Amandine du rayon jouet à la table d’à côté (nous n’étions pas les seuls à avoir nos petites habitudes), et Dimitri qui faisait sa prière silencieuse les yeux mi-clos avant la première bouchée. Je ne sais plus exactement pourquoi : je devais râler comme à l’accoutumée sur les clients quand Lulu a dit :

    — Ysi, tu as choisi le pire métier au monde si tu n’aimes pas les gens. Question relations de merde avec le genre humain, y a pas mieux que d’être derrière un comptoir avec son nom épinglé sur sa blouse.

    Xavier a ri.

    — Tu finiras sur une île déserte et quand on viendra te voir tu nous lanceras des galets.

    — Vous vous moquez mais oui c’est bien possible. J’ai pas choisi cette vie, ce travail, ni aucun de nous d’ailleurs. Si j’avais eu le choix, je ne serais pas ici !

    Dimitri m’a regardé moqueur.

    — Moi je connais une île. Ça fait 20 ans qu’elle est à vendre, pourtant elle n’est pas chère, mais sa propriétaire est une excentrique. Jusqu’à présent, elle a refusé tous les acheteurs qui se sont présentés, même ceux qui étaient prêts à payer beaucoup plus. Elle attend la bonne personne, tu devrais tenter ta chance.

    J’ai haussé les épaules, mais j’y ai pensé toute la journée, un peu comme un refrain idiot qu’on n’arrive pas à s’enlever de la tête. Le soir, j’ai tapé « îles à vendre » sur Google. Il y en avait plein, elles étaient toutes magnifiques mais rien à moins d’un million d’euros. Je me suis demandée ce que Dimitri entendait par « pas cher » et du coup je n’ai pas réussi à dormir. J’imaginais cette île quelque part, petite bien sûr, puisqu’elle était « pas chère », juste assez grande pour moi et cette saleté de chagrin que je traînais depuis que Tristan avait tiré sa révérence. Mon preux chevalier vaincu par le crabe qui lui avait grignoté les poumons et puis le cerveau et finalement tout le corps. Je me voyais m’étendre sur le sable blond d’une plage bordée par des cocotiers (forcément, il y avait des cocotiers). Un endroit enfin où je pourrai penser à lui, chose que je m’interdisais de faire, parce que mes jours étaient pleins de gens que je n’aimais pas suffisamment pour leur donner le spectacle de mon désespoir, et que mes soirées étaient abruties par les séries télé qui emplissaient ma tête jusqu’au sommeil de vacuité bienfaitrice. Je n’étais pas encore prête pour penser à lui. 5 ans c’était trop court, la blessure, le manque étaient encore béants et surtout, je ne voulais pas lui faire l’insulte de penser à lui dans cet appartement minable, entre mes journées de travail au BHV et les problèmes de chasse d’eau ou d’humidité aux encoignures des fenêtres. Je ne voulais pas qu’il pense que je lui en voulais justement. Ce n’était pas sa faute s’il était tombé malade, s’il ne pouvait plus travailler, si j’avais été obligée de prendre le premier boulot qui s’était présenté, parce que je n’étais plus dans la course question carrière. J’avais fait une pause de 18 ans. 18 années merveilleuses où ma seule tâche avait été d’aimer Tristan. 18 ans, autant dire une vie. Tous mes diplômes, tous mes savoir-faire, tout cela ne valait plus rien. Même pour m’embaucher comme vendeuse au BHV ils m’avaient fait une faveur, parce que je connaissais quelqu’un qui connaissait quelqu’un.

    On avait tout essayé : chimio, radiothérapie, mais aussi tous les rebouteux, énergétiseurs et charlatans qui croisaient notre chemin et ils devaient se refiler l’adresse parce qu’il y en avait beaucoup. Et quand ça n’a plus suffi de vendre ce que contenait la maison et qu’il a fallu vendre la maison pour payer tous ces beaux parleurs, Tristan a subitement dit stop. Il a dit « je te demande pardon » et il est mort. Comme ça. Et il m’a laissée toute seule. Et moi je n’étais pas prête.

    — Dimitri, tu sais cette île dont tu parles, t’étais sérieux ?

    Dimitri a levé un sourcil curieux et s’est remis à ses étiquettes.

    — Pourquoi ? Tu veux vraiment acheter une île ?

    — Pourquoi pas ? Mais bon t’entends quoi par pas cher ?

    — Je sais pas, je ne suis même pas sûr qu’elle soit encore en vente ou même qu’elle l’ait vraiment jamais été. Elle appartient à une femme richissime de mon village en Grèce. On l’appelle la comtesse. Son père était grec et sa mère russe et elle ne sort jamais de sa villa. Cette île c’est un peu la bonne histoire qui fait sourire tout le monde. Les mauvaises langues disent qu’elle fait ça pour faire venir les hommes. Quand les voitures montaient jusqu’au domaine les gens disaient : « Ah, la comtesse fait son marché ! » Mais apparemment elle n’en a jamais trouvé un à son goût, parce que je ne crois pas que l’île ait encore été vendue.

    — En Grèce ? C’est dans ton village ? C’est où exactement Dimitri ?

    Dimitri a laissé tomber ses étiquettes. Il m’a regardée droit dans les yeux et dans son regard j’ai vu les deux bleus : celui de la mer et celui du ciel quand ils se rejoignent sur les cartes postales, avec des maisons immaculées en arrière-plan et l’infini de l’horizon, et j’ai compris d’où venait sa nostalgie et ses prières silencieuses. Il était un naufragé comme moi, chassé du paradis pour errer sans fin et sans espoir dans les rayons d’un grand magasin parisien.

    — C’est un trou perdu, tu sais, tu auras du mal à le trouver sur une carte. Il n’y a rien là-bas, quelques pêcheurs, quelques paysans et beaucoup de vieux, mais tu vois je ne sais pas si je dois dire, malgré ça ou grâce à ça, c’est le plus bel endroit au monde. Préservé, pas de touristes, il n’y a même pas d’hôtel. Quand tu grandis dans un endroit comme ça et que la nécessité t’oblige à en partir, tu es orphelin pour le restant de tes jours. Mais il n’y a rien à faire là-bas Ysi.

    Rien à faire. C’est exactement ce que je voulais, ne rien faire. En avais-je les moyens ? Tristan était parti avant qu’il ne reste plus rien. J’avais pu acheter ce trois-pièces triste et délabré avec ce qui était resté une fois les dettes payées. Mais je n’avais rien d’autre.

    Et si, je lui en voulais. Mais sûrement pas pour cette misère. Je lui en voulais de m’avoir soustrait ces mois en plus, peut-être même une petite année pour me préserver. Je lui en voulais d’avoir renoncé à se battre. Ce maigre pécule qui nous restait n’aurait pas suffi à acheter l’espoir, mais je me serais bien contentée de vivre comme je le faisais depuis tant de temps, juste de sa présence. L’après n’avait aucune importance. Je savais très bien qu’après lui, il n’y aurait plus rien.

    J’ai invité Dimitri à manger à la maison. Il m’a expliqué comment on faisait pour se rendre à son village.

    — Tu vas vraiment partir là-bas ?

    — J’ai besoin de changer d’air et j’ai des jours de congés à prendre.

    — Je vais te donner l’adresse de mon cousin il loue des chambres au village. C’est un bourru, mais c’est un bon gars. S’il peut t’aider, je suis sûr qu’il le fera. Mais cette île vraiment… Même si elle est à vendre… Tu n’es pas sérieuse ?

    — Je ne sais pas. J’ai besoin de rêve ça fait tellement longtemps que je n’en ai pas eu…

    Dimitri est resté silencieux il s’était perdu loin, très loin dans les recoins les plus intimes de son être. On est resté comme ça assis dans la cuisine à regarder par la fenêtre le flot incessant des voitures qui passaient sur le boulevard, fenêtre fermée à cause du bruit et des poussières d’échappement qui me noircissaient les étagères en un rien de temps. Puis il s’est levé mais avant de partir sur le pas de la porte il m’a dit :

    — Tu as raison, il faut avoir des rêves. Peut-être que c’est ce qui nous tue tous. Ne plus avoir de rêves, que du quotidien. Si j’en avais la force, je viendrais avec toi. Mais une fois là-bas je n’aurais plus envie de revenir et j’ai une pension alimentaire à payer, je ne peux pas. Toi au fond tu es libre. Je sais que ça va te choquer ce que je vais te dire, parce que je connais ton histoire, mais finalement tu as de la chance dans ton malheur parce que tu es libre et que ta vie n’appartient qu’à toi. Moi ma vie elle appartient à mon banquier, à ma fille, à mon ex-femme, aux années qu’il me manque pour ma retraite, alors tu comprends les rêves que j’ai, c’est triste mais c’est plus une augmentation de salaire qu’une île sur la méditerranée.

    Je ne vous dirai pas où est cet endroit, parce que oui, Dimitri ne mentait pas, c’est le plus bel endroit du monde et pour qu’il le reste, il doit rester caché. Mais bon, je ne me fais pas trop d’illusions et je sais bien qu’un jour ou l’autre, des hordes de touristes envahiront ses rues désertes et que d’innombrables échoppes d’authentiques souvenirs grecs « made in China » fleuriront partout dans le village. Tout ce que je peux dire c’est qu’il m’a fallu 3 heures d’avion, 4 heures de car et 30 minutes de taxi pour me retrouver sur la place du village devant la maison d’Anton. C’est une bâtisse blanche aux volets bleus comme sur les dépliants touristiques mais en plus défraîchie. Le bleu a viré au gris sale et le blanc est zébré de fissures rafistolées au mortier. Le village est adossé à la falaise et d’où je suis on ne peut pas voir la mer, mais elle est partout. Elle est dans l’air, dans le bruit, dans les odeurs. Elle est là, elle me parle. Île ou pas île, je sais déjà que je ne repartirai pas. Je frappe à la porte mais personne ne répond. Anton n’a pas de téléphone et de toutes les façons mon portable ne passe pas. Je décide de l’attendre mais au moment où je fais demi-tour je me heurte à un homme. Ce n’est pas Anton ou alors si c’est lui il ne ressemble pas du tout à la description qu’en a faite Dimitri. Il est grand, bel homme et habillé comme un dandy. L’homme dit quelques mots en grec, puis en anglais devant mon air dépité, mais ni l’une ni l’autre ne semblent être sa langue natale. Je lui réponds en anglais et là il me sourit franchement.

    — Française ?

    — Oui ! Vous aussi ?

    — Oui. Il me tend la main. Julien, enchanté. Que venez-vous faire dans ce trou perdu ?

    — Je cherche Anton j’ai loué une chambre pour une dizaine de jours.

    — Vous ne verrez pas Anton avant la fin de la journée. Il est parti en mer. Mais s’il vous attendait, il vous a sûrement fait préparer une chambre. Venez, vous n’allez pas rester dehors. Vous auriez pu rentrer, la maison n’est jamais fermée. Il n’y a que 2 chambres ici et Anton lui dort sur son bateau. On sera vite fixé.

    Julien m’entraîne à l’étage. Effectivement dans la chambre libre le lit a été fait. Il pose ma valise qu’il a galamment portée.

    — Bon, ben vous n’avez plus qu’à vous installer en attendant le retour du maître de céans.

    Il me sourit. Il est complètement incongru presque anachronique dans cette chambre rustique. Je sais qu’il le sait et qu’il en joue. Il s’incline légèrement. Je croise son regard pétillant. Il doit être plus jeune que ce que laissent à penser ses traits creusés et ses cheveux blanchis. Je lui donne une petite soixantaine tout au plus. J’inspecte la chambre. Elle est parfaite, petite et propre. Un plancher de bois, un lit de fer une petite table de chevet et une armoire dont on doit coincer la porte avec un bout de bois pour qu’elle reste fermée. Pour la toilette, il faut descendre dans le petit cagibi à côté de la cuisine, m’explique Julien. Un unique robinet, une grande bassine qu’on peut poser sur un fourneau quand on veut chauffer l’eau les mois d’hiver. Pour le reste, on peut se faire un café dans la cuisine, à condition d’en remettre quand il n’y en a plus. Et pour les repas c’est chez Georgina tous les soirs à 19 h. Là, l’unique bistrot du village au coin de la rue, « vous avez dû passer devant ». La seule règle c’est de ne pas être en retard. Georgina ne supporte pas quand on est en retard, parce que le poisson quand il est trop cuit, il perd toute sa texture

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