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Retour en France: Octobre 1918
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Retour en France: Octobre 1918
Livre électronique342 pages4 heures

Retour en France: Octobre 1918

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À propos de ce livre électronique

Alors que la fin de la guerre et proche, un jardinier tente d'échapper aux derniers combats.

Dans un petit village de l’Aisne occupé par les Allemands depuis les premiers jours de la Grande Guerre, un jardinier un peu simplet a traversé les tumultes de l’Histoire sans jamais céder aux pièges que lui tendaient les circonstances. En octobre 1918, alors, qu’enfin, s’approchent les jours de l’arrivée des troupes françaises en pleine reconquête des territoires perdus depuis quatre ans, il quitte sagement le village pour aller se réfugier dans une cachette connue de lui seul. Il espère ainsi se protéger des combats qui s’annoncent tout en étant bien décidé, le moment venu, à accueillir les Français chez lui.
Malgré son astuce et son bon sens prudent, il n’échappera pas aux derniers déferlements de la guerre sur sa terre natale. Unique habitant au milieu des soldats bleus, il assiste aux ultimes affrontements meurtriers avec l’ennemi en déroute, ne sachant si son village, dont il se sent seul et impuissant dépositaire, survivra à cette terrible épreuve.
Quelques-uns des personnages de ce drame racontent avec lui les circonstances de ces jours furieux où ils ont pu croiser ce bonhomme effacé mais debout, jusqu’au dernier jour, dans ce village raboté par l’Histoire.

Découvrez, dans ce roman historique, le récit de gens simples qui ont dû, contre leur gré, faire face à l'horreur de la guerre.


EXTRAIT

Dès ce matin plus aucune hésitation n’est permise. Rester dans le village devient trop dangereux. Devant la caserne Scheer, l’ancienne maison Fourier, les quelques soldats et gendarmes allemands qui se tiennent là, à commenter les dernières nouvelles le lui signifient bien à travers leurs mines renfrognées et leur regard soupçonneux. L’inéluctable catastrophe dont on entend gronder les prémices là-bas du côté de la Fère les menace chaque jour un peu plus.
Le bruit de la canonnade nettement plus fort ne laisse guère de doute : les combats se rapprochent encore. Ils devraient atteindre le village dans les heures qui viennent.
Coco a bien réfléchi. Bientôt, on risque de se battre dans les rues. Impossible pour lui d’y assister, ni même de se cacher. Il lui faut trouver un abri sûr, loin des balles perdues.
Ce sentiment d’urgence le presse chaque jour depuis une semaine que l’offensive française s’est déclenchée. Sa vie dans le village est devenue pénible. Par crainte, par jalousie, les Allemands le traitent plus durement qu’à l’habitude. On le rudoie, on lui donne des ordres secs pour aller réparer une chaussée, transporter du bois, nettoyer des feuilles mortes. Parfois, un soldat le suit pour le surveiller dès qu’il a fini, il le pousse sur l’épaule pour lui faire vite regagner la cour où les territoriaux aux ordres du Landwache ui donneront de nouvelles tâches à accomplir. Il sent que sa présence incongrue dans ces lieux leur est devenue insupportable.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Alexis de Rougé vit et travaille à Paris où il est né. Il conseille de grandes entreprises sur leur management et leur organisation. Enseignant en université, musicien, il mène une vie exigeante et diversifiée entre ses interventions, ses écrits et sa famille de quatre enfants. Historien de formation, il a toujours gardé cette passion pour les destins de gens simples pris dans les tempêtes du passé. Il aime à raconter leur histoire en imaginant leur destinée face aux événements grands ou petits. Il y travaille avec constance pour faire cohabiter l’imaginaire et les faits réels dans une scénographie qui sonne comme un récit, une chronique, un témoignage. Retour en France est son cinquième roman.
LangueFrançais
Date de sortie21 déc. 2018
ISBN9782378777135
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    Aperçu du livre

    Retour en France - Alexis de Rougé

    Table of Contents

    Prologue

    1

    Samedi 12 octobre 1918 : la fuite

    2

    Un Colonel au château

    3

    Le village et la Grande Guerre

    4

    Marthe

    5

    L’année grise

    6

    Le soldat perdu

    7

    Coups de guerre

    8

    L’espion et les pigeons

    9

    Lundi 14 octobre 1918 : Dans la cachette du bois de la batterie

    10

    Le gendarme et le Kaiser

    11

    Mercredi 16 octobre 1918 : Les combats se rapprochent

    12

    Le prisonnier de l’est

    13

    Jeudi 17 octobre 1918 : La guerre franchit les rivières

    14

    D’ouest en est

    15

    Vendredi 18 octobre 1918 : La nuit de la libération

    16

    Samedi 19 octobre 1918 : Le dernier habitant

    17

    Dimanche 20 octobre 1918 : Esprits du village

    18

    Révolution

    19

    Lundi 21 octobre 1918 : Et s’ils revenaient ?

    20

    Mardi 22 octobre 1918 : Affrontements

    21

    Mercredi 23 octobre 1918 : Enrôlé

    22

    Jeudi 24 octobre et vendredi 25 octobre 1918 : Devant la « Herrmann Stellung »

    23

    Les tirailleurs

    24

    Vendredi 25 octobre 1918 : Ferrière

    Epilogue

    Annexes

    Bibliographie – Sources

    Notes

    Alexis de Rougé

    Retour en France

    Octobre 1918

    Roman

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    © Lys Bleu Éditions—Alexis de Rougé

    ISBN : 978-2-37877-713-5

    Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

    Prologue

    Soir du 31 août 1914 – Nouvion sur Serre

    — Mon capitaine, il faut que vous passiez, le pont va sauter !

    Je pousse un soupir de dépit. Devant moi, la grande rue du village est encombrée de gens, bêtes, carrioles meubles, paquets de toutes sortes, plongée dans un indescriptible désordre. Comme depuis la Belgique, j’ai l’impression de toujours revoir les mêmes scènes : visages écarquillés de femmes, échevelées, enfants qui trébuchent, hissés par le bras à leur en déboîter l’épaule, regards effrayés qui n’osent croiser le mien…

    Les réfugiés affluent, pris de panique et de court par l’avancée des armées allemandes que nous n’arrivons pas à contenir.

    Une explosion là-bas à l’entrée nord du village… L’ennemi nous canonne jusqu’ici… Il est plus proche que nous ne le croyions…

    — Capitaine, les positions sont établies sur l’autre rive ! 

    C’est un jeune sous-officier du 8e régiment d’infanterie qui me prévient.

    — Très bien ! Préparez les tours de garde…

    Je réponds sans conviction. Je ne doute pas un seul instant que cette position ne tiendra même pas la nuit et qu’il faudra l’abandonner avant le lever du jour.

    Devant moi, une automobile tente de se frayer un passage jusqu’au pont en ferraille qui enjambe la rivière. Elle n’a aucune chance d’y parvenir.

    — Mon capitaine ! Venez ! Nous allons bientôt faire sauter le pont !

    Cette fois c’est le lieutenant du génie qui m’interpelle, son soldat n’ayant pas réussi à me faire bouger la première fois.

    — Oui ! J’arrive… Mais il faut que je sache si tout le 148e est passé ou non !... Savez-vous si, ici, la vallée est praticable à gué ?

    — Oui mon capitaine, ce n’est pas très humide, ça passe quand même. Des civils ont réussi à traverser depuis hier…

    Des civils… Combien vont encore essayer de traverser cette nuit ?

    Depuis ce matin que le Général Hely d’Oissel, chef d’état-major du Général Lanrezac, commandant la cinquième armée française, m’a demandé de parcourir la vallée où doit s’établir l’arrière-garde chargée de protéger notre retraite pour ce soir, je ne fais que voir des colonnes de gens apeurés qui se pressent dans une hâte désespérée devant les ponts, les gares, les carrefours… Aucun n’a osé m’adresser la parole. On sent leur moral inquiet, vacillant. Ils ont peur.

    Notre armée française, au lieu de les protéger, recule. Elle les bouscule même, pour effectuer sa retraite le plus rapidement possible dans l’espoir de se recomposer plus au sud, sur l’Aisne ou la Marne.

    Bientôt il n’y aura plus personne entre ces réfugiés et les hordes prussiennes.

    Des explosions encore là-bas, en aval de la rivière. Les obus progressent au même rythme que les fuyards, tombant toujours autour des mêmes.

    — Capitaine !

    J’en ai assez qu’il m’appelle celui-là !

    Le général m’a dépêché pour m’assurer que les positions de l’arrière garde se fixeraient sur la rive sud de la rivière. Rivière… Malgré les pluies d’il y a trois jours, qui ont achevé de délaver le moral de nos hommes, le ruisseau qui passe là n’impressionne pas. La faible pluviosité de l’été a fait son œuvre. Cette zone habituellement marécageuse se retrouve desséchée. Il pousse sur le sol endurci, tout un fouillis de broussailles rugueuses aux floraisons blanchâtres. Cette vallée ne constituera pas un obstacle pour les régiments allemands, gavés de succès, qui courent à nos basques. Nous avons eu beau faire face hier, et les combattre vigoureusement, cela n’a pas suffi. Nos ennemis sont là, au nord, derrière nous, à l’ouest, dans notre flanc où nos alliés se sont effondrés, et peut-être même devant nous maintenant, en train de disloquer notre ligne dont la cohésion fragile cède un peu plus chaque jour.

    Il faut que je voie par moi-même. Je descends la rive pour me risquer sur les berges du cours d’eau. Devant moi, de l’autre côté, une sorte de falaise assez raide se dresse. Elle court le long de la rivière vers une carrière de craie, partiellement recouverte par des débris de remblais plâtreux. Plus loin vers la droite, vers l’ouest, et donc vers l’ennemi présumé qui nous canonne depuis ce matin, la vallée s’élargit. Le cours d’eau se perd dans les herbes. Il devient difficile d’en discerner le parcours. Le soleil déclinant me dissimule les détails du paysage. Quelle belle lumière !

    Je tombe sur deux civils empêtrés dans leurs valises trop lourdes qui débordent d’affaires en désordre : une femme et un homme, entre deux âges. Ils me regardent, pris sur le fait, comme deux gamins qui auraient fait une bêtise. La femme s’avance vers moi et me demande avec un solide accent du nord :

    — Mon officier, c’est maintenant qu’ils vont arriver ?

    — Oui c’est maintenant…

    Je réponds en cherchant des mots pour les rassurer.

    Je mesure l’absurdité de leur situation. Comment pourraient-ils s’attendre à aller plus vite que les cavaliers, les cyclistes et les fantassins aguerris qui sont à nos trousses ? Que peuvent-ils espérer ? Mieux vaut pour eux rester chez eux et attendre que l’orage passe…

    J’essaie de les en convaincre sans trop y croire… L’homme me fixe avec ses yeux ronds, un peu éberlué. Il me fait penser au ravi de la crèche…

    — Vous avez raison mon officier, ça fait des heures que je lui dis ! On reste dans la maison ! Moi j’abandonne pas mon chez-moi, c’est tout ce que j’ai !

    — En attendant, arrête de causer et viens m’aider à porter tout ça ! crie la femme

    — Non je t’ai dit ! Tu vois ce que nous dit l’officier, hein ! Il vaut mieux rester !

    — Viens t’en donc, on trouvera le train vers le haut de…

    Sa phrase n’a pas le temps de finir qu’un gros obus de 150 s’écrase sans crier gare à une centaine de mètres de nous en aval. Le souffle est étourdissant. La femme est tombée assise, hébétée sous le choc alors que l’homme regarde là bas, l’air toujours aussi stupéfait, noyé dans une nuée de poussière blanche.

    — Rentrez au village et terrez-vous dans les caves en attendant que ça passe. La canonnade ne durera pas…

    — La canonnade… Ah oui… Nous ça fait quatre jours qu’on l’entend là haut vers le plateau ! On avait des canons français, avec des généraux aussi, chez nous hier !

    Puis il se tourne vers la femme qui se relève.

    — Allez viens grande sœur, laisse donc tout ça, on n’en a pas besoin, et rentrons à la maison. Dans un quart d’heure on y sera et tu me serviras un petit verre.

    Dans une série de gestes étonnamment prévenants, il entoure les épaules de la femme et l’accompagne dans une marche rendue plus alerte par l’abandon sur place des paquets. Ils remontent la rive nord vers le village. Là bas, dans la lumière horizontale du soleil, on aperçoit sur le pont l’embouteillage de personnes et d’objets, que des griftons à bout de nerfs essaient de réguler.

    — Merci mon officier ! me lance l’homme, une fois de l’autre côté.

    Je lui fais un signe de la main.

    — Allez viens Coco ! dis la femme dans un soupir.

    « Coco » s’exécute, reprenant le bras de sa sœur. Les deux silhouettes se fondent bientôt dans le chaos criard des réfugiés, fendant la masse, évitant les obstacles qui surgissent devant leurs pas… Marchant, à contre-courant du flux incessant de civils et de soldats retardataires qui convergent vers le pont, ils ressemblent à un rocher dans les remous d’un torrent.

    On n’aura peut-être même pas besoin de le faire sauter ce pont-là. Il risque de céder sous le poids des réfugiés.

    La nuit va bientôt tomber. Je dois rentrer à l’état-major, à plus de trente kilomètres. Mais avant il faut que je m’enquière encore une fois du sort du 148e régiment d’infanterie. Restés de l’autre côté du fleuve, là-bas à l’ouest, où ils se sont sérieusement accrochés avec l’ennemi toute la journée d’hier et ce matin encore, contre la 1ère armée prussienne, ils cherchent sans doute à retrouver le gros de nos troupes qui fonce vers le sud.

    Je ne sais quelle information rapporter à mon Général…

    — Capitaine ! Il faut y aller maintenant !

    Je regarde mon caporal qui me hèle du pont. Celui-ci est maintenant entièrement dégagé. Comment diable ont-ils fait ? Il faut remonter, je m’y résous à contrecœur. Mon cheval doit encore être attaché du côté de la gare, cachée derrière un petit bois aux feuilles jaunissantes.

    Un peu plus loin, vers le village, au-delà de l’usine délabrée qui doit être une distillerie, un château, une grosse maison aux dehors cossus, éteinte dans le soir, domine de la hauteur de ses faîtières l’entrée du village.

    Le pont vient de sauter.

    Il est tombé par une extrémité, dans la rivière. Pas sûr que cela les retienne beaucoup… Je traverse à cheval, à peine dix centimètres de profondeur. Le terrain marécageux autour ne demande qu’à rendre son eau dès qu’on le piétine. Je repars vers l’ouest, toujours plein d’espoir de voir surgir quelques éléments du 148e ou de la division de cavalerie, qui les accompagne depuis trois jours.

    Au mieux ils ont déjà atteint la grande forêt qui couvre notre retraite au sud. Au pire ils sont encore au confluent, vers la Fère. Envoyé par l’État-Major, le capitaine de Malherbe doit leur apporter l’ordre de retraite accélérée là-bas. J’espère qu’il y est parvenu, et qu’ils sont déjà partis.

    Pour ce soir, le gros de nos troupes est bien passé, marchant vers le sud, vers Laon et la vallée de l’Aisne.

    Je regarde là-bas vers le nord, pas de trace d’avant-garde ennemie. Je m’attends à les voir déferler du haut du plateau comme des barbares. Il commence à faire vraiment noir par là-bas, l’obscurité aidera peut-être les retardataires, les égarés, les blessés et les perdus…

    Dix jours que nous alternons marches épuisantes et combats acharnés. Aucun de nos soldats n’a pris de vrai repos depuis le 15 août. Les ordres et les contre-ordres les ont mis en branle sans cesse comme des marionnettes. Et pourtant ils ne se sont pas battus comme des marionnettes ! Dans ces journées effroyables du 22 et du 23 août¹, en Belgique, sur les hauts de la Sambre, ils ont lutté contre les vagues incessantes d’ennemis toujours renouvelées, sous un feu d’enfer auquel les nôtres ne pouvaient même pas répondre…

    Quatre jours de retraite nous ont sortis du piège ou l’ennemi nous enfermait en Belgique. Il a fallu reconstituer les unités décimées, remplacer les officiers tombés comme des mouches, supplanter les commandants défaillants… Mon général travaillait nuit et jour, à transcrire et diffuser les ordres du Général Lanrezac, lui-même sous pression, en plein conflit avec le haut commandement, dont il discutait encore les ordres.

    Je l’ai entendu dire à mon supérieur, avec son franc-parler caractéristique, « mais je ne peux pourtant pas exécuter des ordres idiots sans démontrer d’abord qu’ils sont idiots ! »².

    Hier et ce matin, nous avons livré deux jours de bataille farouche, sur un terrain improvisé, devant des ennemis largement supérieurs en nombre. Nos troupes n’avaient rien perdu de leur allant. Nous avons repoussé une armée allemande de l’autre côté de l’Oise, mais pour un temps seulement.

    Ce dimanche matin, j’ai assisté à la messe avec le Général, à Marle, où on faisait les paquets au plus vite pour déplacer l’État Major.

    « Grandjean, m’a-t-il dit dans la voiture, prenez un cheval et allez le long de la vallée de la Serre, vous assurer que les positions de l’arrière garde sont tenues ».

    Juste avant Crécy, j’ai sauté de la voiture et enfourché le cheval que me tenait un des fourriers de l’État-Major.

    Les attelages de l’artillerie qui nous a si bien soutenus hier franchissaient la rivière en bon ordre. Les civils, parqués sur les côtés, ne jetaient même pas un œil sur les convois.

    La vallée est peu encaissée, ouverte sur un paysage de larges champs aux ondulations paresseuses. Il y a du monde partout. Depuis la Sambre, on y est habitués. Des Belges, des gens du Nord, de la Thiérache, des Ardennes. Leurs défilés désordonnés bruissent de mille rumeurs sur les atrocités, les exécutions, les viols, les incendies que les Allemands perpétuent partout où ils passent.

    Nous gardons la tête basse. Rester concentrés, voilà ce qui nous préoccupe. Nous n’avons pas encore montré de quoi nous sommes capables. La bataille d’hier³ nous a rendu un peu de fierté. Nous y avons sévèrement éprouvé les régiments de la garde impériale prussienne. Mon général l’a dit : « nous aurons ces gens-là quand nous voudrons, à condition d’attaquer tous ensemble ! »

    Ce matin à l’aube est arrivé l’ordre de repli sur Laon. Encore de la marche pour les hommes ! Il nous faut couvrir cette distance en 24 heures… On marchera cette nuit.

    Ici, au soir, dans ce village qui semble si calme, j’ai retrouvé les hommes du génie et des Bretons du 10e Corps, tous occupés à positionner l’arrière garde sur la rive sud de la Serre. Pendant ce temps-là, plus loin à l’ouest, au confluent d’avec L’Oise, le 148e court à toute vitesse pour échapper aux Allemands.

    Il fait maintenant tout à fait noir… Je serai à l’état-major vers 22 heures, pour faire mon rapport au général…

    Je me décide à quitter la vallée de la Serre vers le sud. Cette nuit promet son lot d’angoisses et de travail frénétique pour garder l’armée en capacité de combattre. Dans le calme du soir, je jette un regard vers l’ouest ou l’horizon orange garde la dernière lumière du jour.

    Se découpant sur une hauteur, en ombre chinoise dans ce décor de feu qui s’éteint, je distingue la silhouette sinistre d’un uhlan⁴ prussien sur son cheval, sa tschapka sur la tête, sa lance interminable pointée vers le sol.

    Ainsi ils ont déjà passé la rivière…

    1

    Samedi 12 octobre 1918 : la fuite

    Dès ce matin plus aucune hésitation n’est permise. Rester dans le village devient trop dangereux. Devant la caserne Scheer, l’ancienne maison Fourier, les quelques soldats et gendarmes allemands qui se tiennent là, à commenter les dernières nouvelles le lui signifient bien à travers leurs mines renfrognées et leur regard soupçonneux. L’inéluctable catastrophe dont on entend gronder les prémices là-bas du côté de la Fère les menace chaque jour un peu plus.

    Le bruit de la canonnade nettement plus fort ne laisse guère de doute : les combats se rapprochent encore. Ils devraient atteindre le village dans les heures qui viennent.

    Coco a bien réfléchi. Bientôt, on risque de se battre dans les rues. Impossible pour lui d’y assister, ni même de se cacher. Il lui faut trouver un abri sûr, loin des balles perdues.

    Ce sentiment d’urgence le presse chaque jour depuis une semaine que l’offensive française s’est déclenchée. Sa vie dans le village est devenue pénible. Par crainte, par jalousie, les Allemands le traitent plus durement qu’à l’habitude. On le rudoie, on lui donne des ordres secs pour aller réparer une chaussée, transporter du bois, nettoyer des feuilles mortes. Parfois, un soldat le suit pour le surveiller dès qu’il a fini, il le pousse sur l’épaule pour lui faire vite regagner la cour où les territoriaux aux ordres du Landwache ⁵ lui donneront de nouvelles tâches à accomplir. Il sent que sa présence incongrue dans ces lieux leur est devenue insupportable. Lui, Claude Chevalier, dit « Coco », le dernier habitant de Nouvion, qui a réussi à survivre dans son village malgré les bouleversements de quatre ans de guerre, sent que son temps de quitter les lieux est venu. Il doit partir s’il ne veut pas devenir la victime d’un geste d’humeur ou de dépit de la part de n’importe lequel de ces soudards avec qui il vit depuis toutes ces années.

    Plusieurs fois ces derniers jours, il s’est fait héler par un sous-officier, ou par un soldat même. On lui commande d’ouvrir immédiatement les portes d’une maison abandonnée, de porter des planches, on lui exige un renseignement… Il fait l’idiot, celui qui ne comprend pas. On le rabroue brutalement. Il a pris un coup de pied ou deux. On le traite comme un chien errant.

    C’est ce qu’il est devenu. Sans plus aucun habitant français dans le village, ni aucun Allemand qui le reconnaisse, il n’est plus qu’une anomalie de l’Histoire, destinée à être écrasée comme un moustique dans les soubresauts de la guerre revenue.

    Les pillages se multiplient. Des soldats, sentant leur départ proche, fracturent les maisons, saisissent tout ce qui peut encore l’être : du linge, des objets, des meubles. Il en a même vu partir avec les pierres descellées d’une cheminée. Comment pourraient-ils donc les transporter jusqu’à chez eux ?

    Les Allemands ne plaisantent plus. Finie la jovialité bonhomme des débuts, la victoire rigolarde qu’ils arboraient comme une guirlande de fête. Les visages fermés le fusillent déjà. Il a beau se cacher un peu plus, sortir le moins possible, éviter les rencontres, il sait bien qu’un jour très proche, écœurés par le ressentiment, ils s’en prendront à lui. Et ce jour-là, plus rien ne pourra le sauver.

    Lorsqu’il est passé hier soir à la Kommandantur, l’ancienne mairie, pour faire viser sa carte de travail⁶, le feldgendarme⁷ de service lui a à peine adressé la parole. Il l’a dévisagé, les yeux plissés, méfiant comme un rat. Cette démarche hebdomadaire, si habituelle pour lui depuis quatre ans, apparaît subitement absurde. Dans quelques heures, ce sous-officier vieillissant aux épaisses moustaches blanches va devoir défendre sa vie contre ses ennemis. Que lui souciera de viser des paperasses administratives alors ?

    Coco réfléchit et observe. Il va profiter de la corvée des déchets du Lazarett – l’hôpital de campagne situé dans les granges de la ferme Fourier, pour se soustraire à la vigilance molle de ses gardiens.

    Il règne dans le village une confusion certaine. Chaque jour, des véhicules le traversent dans les deux sens. Les premiers transportent des troupes et des caissons de munitions vers le front, environ deux camions ou autocar par jour. Les autres reviennent de la zone des combats, chargés de blessés, parfois entassés sur des brancards par deux ou trois. On les réceptionne dans la cour du Lazarett avant de les orienter vers les bâtiments ou de les soigner dehors.

    Quand les véhicules n’encombrent pas les rues, un flux continu de soldats à pied défile dans ces deux directions. Ils passent par groupes d’une dizaine, commandés par un Kapo⁸. Ceux qui reviennent du front sont presque tous blessés, légèrement. Ils arborent des pansements à

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