Plat du jour: Roman
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À propos de ce livre électronique
Je franchis le large perron et sonnai. Au juger, j’attendais déjà à la porte depuis cinq minutes. Aussi avais-je eu tout le loisir d’en détailler les aspects le plus infimes ; je commençais à perdre patience et allais tourner les talons lorsqu’elle s’ouvrit sur la silhouette maigre et voûtée d’un personnage qui ressemblait trait pour trait à Nestor. J’avais l’impression de revivre Tintin. Tout cela n’avait plus rien à voir avec la réalité ; je devais m’être trompé de rêve. Par contre je ne pouvais encore savoir que je ne m’étais pas trompé de cauchemar.
Découvrez ce roman et frissonnez face aux mystères qu'offre l’existence. Parfois, la vie transforme les rêves en cauchemars !
EXTRAIT
Une sensation de liberté me gonflait le ventre ; je n’avais plus à tenir compte des centaines de réservations que les grandes maisons m’avaient imposées jusque-là et dont la gestion avait fait ma réputation de sérieux. Je pouvais enfin me laisser aller à mon délire culinaire et mettre en forme ce à quoi j’avais tant rêvé. J’avais fait la promesse écrite à Mont-Rey de lui faire connaître l’innocence gastronomique et si, malgré mon infinie capacité de trahison, j’y avais un point d’honneur, c’était parce que je considérais mon art comme le seul bastion moral que je n’aurais trahi pour rien au monde. L’éthique rejoignait l’esthétique et j’avais quelque part la certitude que l’acte de nourriture procédait d’une métaphysique universelle du corps puisque son contraire, l’anorexie, en était le pendant destructeur ; c’était probablement la raison pour laquelle j’avais été fasciné dès mon enfance par la figure mythique du serpent Ouroboros qui se dévore lui-même et dont le mystère provoquait en moi un mélange d’effroi et d’excitation intenses.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Patrick Castelijns est né à Paris en 1947 d’une mère hongroise et d’un père néerlandais. Féru de philosophie, de littérature et de poésie, admirateur de Céline, Kerouac, Deleuze, il publie en 1969 un recueil de poèmes intitulé Le Cœur résumé. En 1975, il s’installe aux Pays-Bas comme restaurateur, où il demeure chef de son restaurant durant trente ans. Maîtrisant parfaitement plusieurs langues, en 2006 il traduit en néerlandais Les Bohémiens de A.G.L. Pelleport (avec une introduction de Robert Darton), et Ensemble, c’est tout d’Anna Gavalda en 2009.
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Aperçu du livre
Plat du jour - Patrick Castelijns
1
Le parc dans lequel je venais de pénétrer me rappelait ces campagnes trop vertes et trop humides de ces films anglais, où deux personnages falots en imperméable gris échangent des platitudes qu’emportent vers nulle part de lasses volutes de fumée qui s’échappent élégamment de leurs fume-cigarettes.
Au fond se tenait une impressionnante bâtisse dont l’architecte n’avait pu trancher entre une sorte de château de Moulinsart et une villa baroque de faubourg début de siècle. Les murs, construits de meulières lisses et blanches d’une facture à la régularité douloureuse, reflétaient tristement les derniers rayons d’un soleil fatigué de fin d’automne. Le propriétaire ne devait pas avoir de souci d’argent. Par contre les toitures des quatre tourelles d’un goût douteux, qui encadraient le bâtiment, présentaient ces petites tuiles rouges que l’on voit souvent en Belgique, surtout dans les Flandres. Entièrement isolée, cette propriété me parut immense.
Mon excellente réputation de cuisinier m’avait précédé dans cette nouvelle fonction que je n’avais nullement sollicitée ; on était venu me chercher sans m’avertir, une nuit à la sortie du « trois étoiles » dont j’étais le chef, juste après mon service qui se terminait toujours à deux heures du matin. On m’avait proposé un contrat illimité, un salaire double de celui que je gagnais et une avance de six mois pour... « vous établir ». Je devais m’en tenir à une stricte discrétion quant à mon employeur qui serait mon seul et unique client ; celui-ci ne recevant jamais, je n’aurais à exercer mes talents que pour lui.
— Les gens de maison, hasardé-je ?
— Ils s’occupent d’eux-mêmes, le Maître ne supporterait pas que son chef exerçe son art pour d’autres que lui. »
Je devais me présenter le jour même au château. Je fis remarquer que mon actuel contrat stipulait une clause de préavis d’un mois. On me donna une semaine pour me « débrouiller ». Je signai le contrat ; en échange il m’en fut remis un double, la somme promise en liquide et une carte de visite qui ne comportait qu’un nom : « ABÉLARD DE MONT-REY-SELROUX ». J’empochai l’argent, glissai la carte de visite dans mon portefeuille et repliai le contrat en quatre que je gardai à la main et demandai :
— Et l’adresse ?
— Sur le contrat ».
À partir de ce moment, ma vie venait de basculer.
Le matin même avant de me rendre au restaurant je recherchai dans mon carnet d’adresses le numéro de téléphone d’un collègue que je connaissais depuis pas mal d’années. Nous avions commencé ensemble, après l’obtention de notre certificat d’aptitude professionnelle, dans la même maison où nous avions été engagés en tant que commis de cuisine. J’étais plus âgé que lui ayant perdu quelques années à l’université. La formation « à la dure » que nous avions subie tous deux avait fini par nous rapprocher et faire de nous presque des amis. Plus versatile que moi il avait quitté l’établissement pour courir de maison en maison afin d’« engranger l’expérience » comme il aimait à dire.
De fait, à part lui je n’avais pas d’ami ; j’avais perdu de vue les anciens du lycée malgré la promesse, « juré craché », que nous nous étions faite de nous retrouver dix ans après le bac à une date précise, à tel ou tel endroit où je fus le seul à me rendre le jour dit. Je passai la journée à la terrasse du café stratégique, personne ne vint et je repartis. J’avais vingt-neuf ans et perdais d’un seul coup mes dernières illusions sur l’homme et la fidélité. J’appris bien plus tard que c’était une coutume chez tous les lycéens et que bien peu s’y tenaient ; Patrice Breughel y ferait allusion dans une de ces chansons des années quatre-vingt-dix.
Les seules relations que j’entretenais appartenaient toutes au métier. Nous nous rencontrions entre cuisiniers de temps à autre dans un café ou sur une terrasse autour d’un verre. Nos conversations se limitaient « aux arts de la bouche » et surtout aux nouvelles tendances qui s’y exprimaient ; nous échangions à ce propos nos propres découvertes en matière de cuisson : à la vapeur, à la chinoise, en émulsion, en friture. Nous nous passionnions pour les avantages du mariage de tel fruit avec telle viande ou poisson pendant des heures. Jamais nous n’évoquions d’autres sujets, tels que la politique ou les femmes ce qui nous aurait paru parfaitement incongru. Nous étions des puristes, peut-être même des intégristes de la cuisine.
Vadim était toujours parmi nous. Vadim Haffez, c’était son nom, chef d’un « deux étoiles » il avait acquis une forte notoriété dans notre milieu ainsi que parmi les gourmets en remplaçant les matières grasses animales par des huiles en émulsion d’herbes ou de sirops aigres-doux divers. Ainsi avait-il révolutionné la sauce béarnaise en substituant une « gastrique » au citron vert alimentée d’échalotes très douces à l’antique gastrique au vinaigre blanc et son montage au beurre cru par un montage à l’huile d’olive catalane émulsionnée d’estragon. Comme moi il était possédé par la même passion de cuisiner mais différemment ; alors qu’il ne restait pas plus d’un an dans une maison, je m’incrustais des années dans la même afin de m’en pénétrer entièrement et pour finir par y inscrire ma marque. Aussi étais-je devenu indispensable dans la dernière, mon départ allait être difficile à négocier et c’était la raison pour laquelle j’espérais le débaucher de sa maison pour lui proposer ma place ; la perspective d’un nouvel emploi le déciderait à coup sûr. Encore faudrait-il convaincre le propriétaire.
— Vous connaissez son immense talent, il est plus inventif que moi !
— Oui mais plus volage aussi et moins stable.
— La responsabilité de trois étoiles le calmera, j’en suis sûr et nous avons un second qui est un vrai roc qui ne craint aucun « coup de feu » à l’épreuve des pires stress.
— Bien, je vais y réfléchir.
— Je n’ai pas trop de temps, Monsieur, à peine une semaine !
— Une