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Les combattants du royaume de jade: Tome 1
Les combattants du royaume de jade: Tome 1
Les combattants du royaume de jade: Tome 1
Livre électronique300 pages6 heures

Les combattants du royaume de jade: Tome 1

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À propos de ce livre électronique

Une équipe de fiers combattants sont à la recherche de la mère de l'un d'entre eux, abandonné à la naissance.

Un jeune maître de Tai chi appelé Li-Bai, une fille experte en bâton de combat, deux moines guerriers, un expert en kung-fu et un molosse d'une taille extraordinaire parcourent la Chine à la recherche de la mère de Li Bai. Cette dernière, porteuse d’un lourd secret, l'a abandonné bébé dans un monastère, puis est retournée vivre dans la communauté chrétienne de Pékin.
Cette traversée du pays dans des régions plus variées les unes que les autres va se transformer en parcours initiatique où l'amitié et les talents propres de chaque protagoniste permettront de vaincre les dangers auxquels ils seront confrontés tout au long du voyage. Vengeance d'une triade secrète, soldats impériaux à leur recherche, chasseurs d'éléphants sans morale, pirates en mer, révolte des boxers, ire de l’impératrice Cixi, vengeance d’un malfrat anglais : rien ne les épargnera. Arriveront-ils tous à Pékin sains et saufs ? Li Bai retrouvera-t-il sa mère ? Lui dévoilera-t-elle le secret de son abandon ?

Découvrez le premier tome des Combattants du royaume de jade, une série épique dans la Chine impériale !


EXTRAIT

L’homme qu’affrontait Li Bai était un maître de Shuai Jiao, un style proche de la lutte. Nommé Hu Huang, ce dernier n’avait perdu aucun combat à ce jour. Il était bâti comme une montagne. Doté d'un corps massif et d'un visage taillé à la serpe, l'homme était impressionnant. Les muscles noueux qui barraient ses avant-bras en autant de lignes impressionnantes semblaient façonnés pour briser ses adversaires. Li Bai, quant à lui, était solidement campé de profil, ses pieds écartés à hauteur des épaules. L'un de ses bras en forme de « S » était pointé vers son adversaire, l’autre replié à la taille, prêt à jaillir. Si son esprit était déterminé, son corps, lui, avait chassé toute rigidité. Tout jeune déjà, on lui avait enseigné que le bambou était capable de résister aux vents les plus forts, alors que des souffles moins puissants déracinaient les arbres les plus valeureux…
L’attaque fut foudroyante.
La masse de Huang fondit sur lui, comme propulsée par une catapulte, dans un mouvement aussi puissant que violent. C’est ce qu’espérait Li Bai. Tournant sur lui-même sans que ses pieds ne semblent quitter le sol, il balança son poing dans les omoplates de son adversaire. Le coup toucha sa cible, tandis que les serres qui servaient de mains au lutteur ne rencontrèrent que le vide. L’impact fit chuter l’homme du centre. Porté par son élan, il effectua un roulé-boulé et se remit sur ses pieds, furieux de sa lenteur et de l’anticipation du jeune bonze. Li Bai ne lui laissa pas le temps de ruminer sa surprise, qu’il attaquait déjà. Sa jambe décrivit une courbe à une vitesse inouïe en direction du visage enluminé. Pas assez rapide toutefois pour le lutteur chevronné.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né dans le Nord de la France, Éric Van Hooland se passionne depuis son plus jeune âge pour les romans d’arts martiaux où la capacité extraordinaire de certains hommes dans le domaine du combat dépasse parfois ce que la plus vive imagination ne saurait inventer. Consultant dans la vie et ancien champion de boxe française, il réussit à offrir un roman d’aventures fait de dépassement de soi, d’exotisme, de découverte et d’actions dans une période trouble de la Chine du début du 20 ème siècle.
LangueFrançais
Date de sortie21 déc. 2018
ISBN9782378777036
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    Aperçu du livre

    Les combattants du royaume de jade - Eric van Hooland

    Le combat

    Shaoshan (Province du HUNAN) – 1899

    L’affrontement, un combat sans arme appelé shǒubó, se tenait un peu à l’écart du hameau, dans une maison de thé réservée pour l’occasion. Les tables et les chaises avaient été poussées sur le côté. Une large surface avait ainsi été créée pour que les combattants puissent exercer leur art sans être gênés. En limite de cercle siégeait une dizaine de personnes. De riches donateurs autorisés à assister au combat, pour l'essentiel. Au centre, les protagonistes se tenaient face à face, immobiles. Rien dans leur posture ne trahissait une quelconque inquiétude. Pour un combattant averti pourtant, la tension qui émanait d’eux était palpable, presque insoutenable. Les deux hommes étaient on ne peut plus différents. D’un côté se tenait un guerrier entre deux âges, musculeux et râblé, de l’autre, un beau jeune homme à la peau pâle, plus grand que les jeunes gens de sa génération.

    Le plus âgé des combattants, vêtu d’une veste de coton à manches courtes, bougea son pied dans un mouvement furtif. Ce geste, presque invisible pour le commun des mortels, modifia subtilement son angle d’attaque. Le jeune moine en face de lui avait une respiration paisible. Presque trop tranquille pour être naturelle. Il ne cilla pas. Du moins en apparence, car sa concentration était à son paroxysme et sa vigilance décuplée. Ouvert à toutes les parties du corps de son adversaire, son esprit s’était réajusté au mouvement, sans que le moindre signe visible ne le laisse présager. Bai sentait que le moment était proche où il allait savoir si sa technique, acquise par des années d'efforts et de souffrance, allait se révéler efficace. Un moment de vérité en quelque sorte…

    Moine originaire de Yunnanfu, dans le Yunnan, le jeune Li Bai était le disciple le plus doué de Yang Baoxing, un maître de Tai-Chi-Chuan exilé dont on disait qu’il avait été le compagnon d’entraînement de Yang Luchan, l’instructeur de la garde impériale. À la suite d’une querelle dont personne ne connaissait le motif, Yang Baoxing avait migré vers le Sud, déterminé à fonder sa propre école d’arts martiaux. Il avait été accueilli à bras ouverts par les moines du temple Yuantong, appelé aussi temple de la compréhension de toute chose, fondé sous les Tang. Peu après son arrivée, un jeune garçon avait été amené par sa mère en pleurs. Porteuse d’un secret devenu trop lourd pour elle, elle l'avait confié aux moines, et s'en était allée...

    C’était la première fois que Li Bai quittait sa province pour se mesurer à ce qui se faisait de mieux dans l’une des grandes régions de l’intérieur. Shaoshan était une bourgade de la province de Hunan. Nichée dans une vallée arborée et entourée de montagnes bienveillantes, elle était prospère. Eu égard à la topographie du terrain, les champs qui entouraient le village étaient de taille relativement modeste, mais nombreux et prolifiques. Les montagnes retenaient les nuages, ces derniers amenaient la pluie, et l'eau favorisait la croissance des végétaux. Pour commercer avec les autres provinces, le fleuve Xiang faisait gagner de nombreux jours de route en transperçant ou contournant les montagnes, et permettait de ne manquer de rien. Cumulant chaleur et humidité, la région était considérée comme l’un des greniers à riz du pays. Cette richesse, comparée à d'autres régions de Chine, se retrouvait dans le charme des maisons aux toits superposés et à l'allure replète des habitants.

    Cet endroit avait été choisi en fonction de sa tranquillité et de son relatif isolement. Depuis peu, les combats publics avaient été interdits dans cette partie du pays. Il était de bon ton de ne pas attirer l’attention d’un haut fonctionnaire, sous peine de se voir infliger le supplice de la cangue. Mais discrétion et village où tout le monde se côtoyait relevaient du paradoxe. La moindre rumeur se répandait à la vitesse du vent, et les cancans bourgeonnaient comme les fleurs au printemps. Autant dire que cacher un combat de cette tenue, relevait de la gageure.

    Quelques adolescents se chamaillaient. Attirés par ce spectacle prometteur, ils se tortillaient pour voir au travers des palissades de bambous dressées tout autour de la maison de thé. Elles avaient été assemblées à la hâte pour isoler la demeure des regards curieux, et de larges interstices permettaient aux jeunes garçons de satisfaire leur curiosité. Le plus jeune garnement, mais non le moins intrépide, avait six ou sept ans, tout au plus. Il se nommait Mao Zedong. Ce dernier, bien des années plus tard, ferait basculer la Chine de son socle millénaire. Mais pour l’heure, c’était un chenapan au visage rond et aux allures de caïd, excité tout comme ses camarades par l’événement. Jouant fermement des coudes, il essayait sans grand succès pour l'instant d’en être l’un des témoins privilégiés.

    Comme plus aucun adversaire du Yunnan n’était en mesure d’inquiéter son disciple, Yang Baoxing avait décidé de parfaire l’éducation du jeune moine en organisant ce combat. Lui-même l’avait fait bien des années plus tôt. Des affrontements avec des experts d’arts martiaux différents du leur permettaient vraiment de s'étalonner dans l'efficacité de leur art. La progression de son protégé et la renommée de l’école passaient invariablement par des duels comme celui-ci. En espérant que la victoire couronne le déplacement, bien évidemment...

    L’homme qu’affrontait Li Bai était un maître de Shuai Jiao, un style proche de la lutte. Nommé Hu Huang, ce dernier n’avait perdu aucun combat à ce jour. Il était bâti comme une montagne. Doté d'un corps massif et d'un visage taillé à la serpe, l'homme était impressionnant. Les muscles noueux qui barraient ses avant-bras en autant de lignes impressionnantes semblaient façonnés pour briser ses adversaires. Li Bai, quant à lui, était solidement campé de profil, ses pieds écartés à hauteur des épaules. L'un de ses bras en forme de « S » était pointé vers son adversaire, l’autre replié à la taille, prêt à jaillir. Si son esprit était déterminé, son corps, lui, avait chassé toute rigidité. Tout jeune déjà, on lui avait enseigné que le bambou était capable de résister aux vents les plus forts, alors que des souffles moins puissants déracinaient les arbres les plus valeureux…

    L’attaque fut foudroyante.

    La masse de Huang fondit sur lui, comme propulsée par une catapulte, dans un mouvement aussi puissant que violent. C’est ce qu’espérait Li Bai. Tournant sur lui-même sans que ses pieds ne semblent quitter le sol, il balança son poing dans les omoplates de son adversaire. Le coup toucha sa cible, tandis que les serres qui servaient de mains au lutteur ne rencontrèrent que le vide. L’impact fit chuter l’homme du centre. Porté par son élan, il effectua un roulé-boulé et se remit sur ses pieds, furieux de sa lenteur et de l’anticipation du jeune bonze. Li Bai ne lui laissa pas le temps de ruminer sa surprise, qu’il attaquait déjà. Sa jambe décrivit une courbe à une vitesse inouïe en direction du visage enluminé. Pas assez rapide toutefois pour le lutteur chevronné. Ce dernier para le coup avec ses avant-bras massifs, amortissant le choc d’un retrait du buste. Il se replaça dans le mouvement. Malgré la courte opposition, le colosse semblait déjà essoufflé. L'intensité des échanges l’avait ébranlé plus qu’il ne l’aurait imaginé. Il se repositionna sur ses cuisses puissantes, se faisant la promesse de ne pas reproduire la même erreur. La quarantaine sonnante et trébuchante, il se savait moins rapide que son adversaire du moment. Mais sa force prodigieuse était une arme qui avait terrassé bien des prétendants. À condition toutefois qu’il arrive à se saisir du blanc bec à la peau pâle. Ce dernier semblait l’attendre, désormais, immobile, les jambes semi-fléchies, paré d'une tranquillité déconcertante. La différence des deux styles était flagrante. D’un côté on pouvait voir la puissance à l’état brut, de l’autre, un combattant qui basait toute sa technique sur le déséquilibre et l’explosivité. Li Bai n'était pas naïf. Il savait que si l’expert de Shuai Jiao arrivait à le saisir, le combat était perdu. L'efficacité de Hu Huang était basée sur la lutte au corps à corps qu’il maîtrisait à merveille. Sa puissance prenait alors tout son sens. Même si Bai appréhendait relativement bien les rudiments de cette forme de rixe, il se savait moins fort que l’homme épais comme un roc qui se dressait devant lui. Si le lutteur le saisissait, il perdait le combat ; c'était aussi simple que cela. Li Bai fit le vide en lui. Pendant un combat, aucune pensée nocive ne devait perturber sa concentration. Ses fibres se mobilisèrent vers son unique objectif : la victoire. Il se sentait plus vivant, qu’en importe quelle autre circonstance de la vie. Son esprit pouvait déceler la moindre vibration de son environnement, mémoriser le plus petit mouvement de son adversaire. Jusqu'à deviner au souffle lourd du combattant, son état de fatigue. Jusqu’à entrevoir les tensions qui parasitaient son esprit.

    Grâce à cette faculté extraordinaire, il perçut le mouvement en préparation. Pas assez précisément cependant pour l'anticiper complètement. D’un cri rauque, Hu Huang bondit la tête la première, misant sur une esquive de Li Bai sur le côté droit. Le coup de tête, ancêtre du Jiaodi, un ancien sport où les adversaires portaient un casque à cornes pour essayer de frapper leurs opposants, faillit être fatal à Li Bai. Le cou de taureau le frôla d’un cheveu. Il s’effaça de justesse et se replaça dans la ligne de vide, effectuant au dernier moment un mouvement d’épaule pour faire chuter le lutteur. Alors que l’homme tombait sans rien pouvoir faire pour se rétablir, le moine lança le tranchant de sa main contre le cou palpitant. La main dure comme de l'acier s’immobilisa au contact de la peau.

    Le combat était gagné.

    Si le coup avait été porté, Hu Huang serait mort…

    Mais la victoire n’était pas plus douce pour autant.

    Jetant un regard à son mentor, Li Bai lut la déception dans les yeux de Yang Baoxing. Le sort du combat s’était joué sur un coup de dé, le jeune homme le savait, son mentor également. Il baissa les yeux, attristé que son vieux maître ne lui ait jamais montré le moindre signe de contentement. Toutes ces années, il n'avait eu de cesse d’essayer de le rendre parfait… sans y arriver, de toute évidence. Le retour au monastère allait être bien long…

    Le larcin

    Londres – Mars 1899

    À l’époque, Londres était la métropole la plus peuplée sur terre. Avec un peu plus de 6 millions d’habitants, la ville n'arrêtait pas de grossir, jour après jour. En fonction de l’endroit où vous viviez, vous passiez d’un monde à un autre. Dans l'East End, à White Chapel notamment, on ne parlait pas de niveau de vie, mais de survie. Les quartiers étaient tous plus minables les uns des autres, n’engendrant que la misère, la détresse ou la peur.

    Le travail pourtant ne manquait pas.

    Les tanneries et les fonderies se multipliaient, chassées pour la plupart des quartiers Ouest réservés aux plus riches : les nez poudrés n'en supportaient plus les odeurs. Les salaires dans l'East End étaient dérisoires. Pour autant, le flux de main d’œuvre ne diminuait pas, alimenté par les arrivées incessantes des immigrants juifs ou irlandais qui fuyaient les pogroms ou la famine. Cet exode avait pour inconvénient de raréfier les logements décents, transformant les autres en bouges sordides qui alimentaient un cycle sans fin de misère, de trafic et de sang.

    Les prostituées, toujours plus sollicitées, constituaient une confrérie à part entière. Les filles de joie étaient soit réparties dans les soixante lupanars de White Chapel, soit tapinaient aux abords des rues passantes. Cette catégorie était un problème, car rarement surveillée par les maquereaux qui ne pouvaient assurer la protection de plusieurs travailleuses à la fois. Les règlements de compte, qui accompagnaient généralement les revenus générés par le plus vieux métier du monde, se comptaient à la pelle, faisant de ces quartiers les plus dangereux qui soient.

    Les dernières années avaient même vu la constitution de comités de vigiles, suite entre autres, à la panique générée par les meurtres de Jack l’Éventreur. Cette unité de bras cassés rassurait les filles sur le trottoir, même si côtoyer cette engeance hétéroclite constituait peut-être un danger plus grand encore que de croiser le tueur en série en personne. Les hommes recrutés étaient ceux habitués aux « coups de main ». Très souvent des caïds locaux qui avaient grand besoin de l’étiquette de respectabilité que leur offrait ce job. Du coup, les candidatures ne manquaient pas.

    Steeve Rockwood en faisait partie.

    À vingt ans, l’homme avait déjà une réputation sulfureuse dans le milieu. On le disait violent et sans pitié dès qu’il fallait terroriser ou liquider quelqu’un. Né probablement d’amours interdits, il avait été abandonné à quelques jours à peine au pied de l’église Christ Church, puis placé en orphelinat. À l’époque, les orphelinats servaient plus à se débarrasser d’enfants dont on ne voulait pas, plutôt qu’à leur assurer un avenir. Les sévices psychologiques, sexuels et physiques n’étaient pas rares, voire recommandés par une société qui rejetait ces progénitures.

    À l’âge de dix ans, Steeve s’était enfui de l’institution après avoir égorgé le surveillant principal, un dénommé Purple. Fortuitement, il avait appris que ce dernier voulait lui couper le tendon de la cheville pour l’envoyer mendier et alimenter ainsi les revenus de l’établissement. Ce souhait n'avait jamais été réalisé. On avait retrouvé l'homme baignant dans son sang, au petit matin pluvieux. Malgré l’absence de l’un des jeunes pensionnaires, l’affaire avait été classée sans suite. Les meurtres étaient légion dans ce secteur, et la police pas assez nombreuse pour n’en résoudre ne serait ce que la moitié. Et du reste, les bobbies démotivés par trop d’affaires semblables n’en faisaient pas une priorité. Les meurtriers finissaient normalement par être serrés. La seule vraie inconnue était de savoir quand.

    On avait vraisemblablement entendu parler de lui quelques années plus tard. Quelques témoins avaient décrit un homme lui ressemblant terriblement, ayant mis le feu à un entrepôt douteux, avant de disparaître au plus fort de l’incendie. L'enquête avait été expéditive. Le même laxisme policier s’en était suivi, laissant un sentiment d’impunité dans l’esprit immature du jeune délinquant. Ce dernier traînerait cette assurance d’invulnérabilité toute sa vie durant, ses barrières morales s’étant peu à peu envolées. Rockwood était donc rapidement passé du stade de l’enfant innocent à celui de bandit sans remords. Le beau visage qui plaisait tant à la gente féminine, cachait sous ses formes bien modelées, un monstre pour qui rien d’autre n’existait que sa propre satisfaction…

    Né par hasard ou par malheur, sorti d’on ne sait quel taudis ou de quel bouge, de père et de mère inconnus, Rockwood n’avait d’autre but dans la vie que de sortir de l’anonymat. Et le seul chemin qui s'ouvrait à cette ambition était celui de la violence et du crime. 

    Pour l’heure, il avait rendez-vous avec un certain Jack Opkins dans l’une des nombreuses brasseries qui égrenaient Cable Street, non loin des docks. Appelée « the Dock Tripe », la taverne apparut au sortir d'une venelle. Pris dans ses pensées, Rockwood entendit le son saccadé de la cloche au dernier moment. Il recula précipitamment pour se mettre à l'abri du premier porche venu. Un fiacre tiré par deux chevaux nerveux et dirigé par un cocher qui ne l’était pas moins le frôla, projetant de la boue sur ses vêtements.

    — Maudits chevaux, grommela le jeune homme en frottant les tissus neufs. Il portait pour l’occasion une veste en tweed propre, et s'était aussi acheté une casquette plate assortie.

    Arrivé devant la taverne, il ôta son couvre-chef et entra. L’endroit était sombre, juste éclairé par quelques lampes à gaz de charbon, lesquelles peinaient à transpercer le brouillard épais de leur propre combustion. Rockwood plissa des yeux pour évacuer le picotement des fumées âcres, et essaya de repérer l’homme de main d’Edgard Hooper. Pour les affaires le concernant, c'était son seul et unique contact. Il le repéra enfin. Le bonhomme était occupé, une bière à la main, une paire de fesses sur les genoux. Assis dans un coin du tripot en compagnie d’une « dame » dont on devinait sans peine les motivations profondes, il était aux anges. Tout en se frayant un passage entre les chaises éparses, Rockwood poussa sans ménagement un ivrogne. L'homme tanguait dangereusement. Il marqua un arrêt pour s'assurer que l'individu ne lui chercherait pas des noises. Mais le voyant se rattraper par miracle à une chaise pour éviter une chute, il continua. Aucun risque. Le soûlot n’était plus en capacité de comprendre quoi que ce soit. Son équilibre retrouvé, les yeux vitreux accrochèrent les chopes en céramique rangées derrière le bar, trouvant là une destination de premier choix. À part ces trois clients et le patron derrière le comptoir qui avait adopté la religion de ne rien voir de ce qui aurait pu lui être préjudiciable, la taverne, à cette heure, était déserte.

    — T’es en retard, fait l’homme sec en guise de bienvenue. La brune au décolleté béant gloussa en lorgnant Rockwood de la tête aux pieds.

    – Qu’est-ce que vous buvez ? demanda Rockwood en ignorant délibérément la remarque désobligeante et en faisant mine de ne pas voir la bécasse.

    — Une Porter…

    — Dites donc à votre traînée d’aller me chercher la même chose, et qu’elle dégage ensuite. Quant à toi ma grande, fit-il en se tournant vers la fille, ôte rapidement ce sourire niais de ta face de souillon, ou tu regretteras toute ta vie d’avoir fourré tes miches dans ce trou à rats…

    La fille écarquilla les yeux de surprise. Puis, consciente du danger, elle se précipita vers le bar, ramena la chope de bière en tremblant et fila sans demander son reste. 

    Rockwood vérifia la propreté du contenant en levant le verre en direction d'une lampe. Ça pouvait aller. Il engloutit une gorgée en marquant bruyamment sa satisfaction. Après s’être essuyé les lèvres d’un revers de main, il regarda enfin l’homme au profil de fouine qui l’avait convoqué.

    — Alors ?

    — Cette fois nous passons aux choses sérieuses, commença l’homme qui regardait disparaître son trésor avec contrariété. Monsieur Hooper est convaincu que t’es l’homme qu’il nous faut.

    — On arrête les garrottes ?

    La fouine se recentra sur son interlocuteur.

    — D’autres peuvent s’en occuper. Pour toi désormais, nous voyons plus grand.

    Rockwood ne put s'empêcher d’exprimer sa satisfaction en grimaçant de plaisir. Les garrottes consistaient à repérer un individu dont on savait qu’il avait des valeurs sur lui. Cela sous-entendait qu’on l’avait suivi plusieurs jours durant pour connaître ses habitudes. Quand la victime pénétrait dans une flaque d'ombre, Rockwood l’immobilisait avec deux autres complices, et l’étranglait purement et simplement pour lui subtiliser ses biens. Cette pratique ne gênait pas le jeune truand outre mesure, mais elle devenait dangereuse. Les proies potentielles n'osaient plus s'aventurer loin de chez elles. Quant à faire le coup dans les beaux quartiers, autant ne pas y penser. Ces derniers étaient surveillés en permanence par les bobbies, et si vous étiez serré, c’était le bagne assuré en Nouvelle Galles du Sud. Heureusement, le gibet au bois noirci d’Execution Dock n’était plus en service depuis 1834 !

    C'était une bonne chose pour Rockwood, car le supplice pour un meurtrier comme lui n'était pas tout rose. La pendaison était trop rapide pour ceux considérés comme la lie de l'humanité. On enchaînait donc l’individu de la tête aux pieds, puis on le suspendait au gibet jusqu’à ce que mort s’ensuive. Autant dire que ce divertissement n'intéressait pas beaucoup de candidats. Pour ajouter au spectacle, le corps n'était descendu du gibet que quand les membres se détachaient, ce qui pouvait prendre plusieurs années pour un individu aux segments solides…

    Comme Rockwood ne touchait que dix pour cent du butin, le jeu n’en valait pas la chandelle. Il se voyait dans un habit plus large que celui qu'il endossait actuellement. Cela faisait maintenant plus de deux ans qu’il travaillait pour Hooper, et il attendait ce moment depuis longtemps. Mais il était important de ne pas montrer son impatience à ce bouffe merde de Hopkins.

    — Qu’est-ce que vous entendez par quelque chose de plus grand ?

    — Disons quelque chose qui te rapportera plus que ton salaire de vigile et d’étrangleur réunis, mais qui comporte aussi plus de risques.

    — C’est à dire ?

    — Un coup de main sur les docks dans deux jours ; une marchandise qui intéresse mon boss.

    — Et qu’est-ce que je devrais faire exactement ?

    — Ce que tu sais faire le mieux ; éliminer les emmerdeurs qui se mettraient en travers de notre chemin. Mais sois rassuré, ça ne devrait pas être trop dur, puisque la marchandise sera déjà à quai. Quant aux docks, il ne devrait pas y avoir grand monde, car ces satanés Irlandais fêteront la Saint Patrick en se saoulant dans les tavernes du coin. Du coup, en raison du manque de main-d’œuvre, un congé exceptionnel a été donné à l’ensemble des travailleurs.

    — Hum… Et pour les autres membres de l’équipe ?

    — Six gars fiables ; tu connais pas, fit Hopkins agacé. Écoute, t’en sais assez pour nous dire si tu veux y être, oui ou non. Si t’es d’accord, tu me le dis tout de suite et je te donne les détails, sinon on s’quitte maintenant et tu retournes à tes garrottes. Mais attention à ta réponse, Rockwood, la chance tape rarement deux fois à la même porte.

    Le jeune Anglais fit semblant de réfléchir à la proposition pour laisser entendre qu’il était homme à décider seul de son avenir. Bien évidemment sa décision était déjà prise. Pour sûr qu’il allait faire ce coup-là ! C’était le marchepied qui le mènerait vers des coups plus juteux. Il tendit la main à la fouine pour sceller le pacte, et vida d’un trait le reste de sa chope de bière. Ses yeux pétillaient d'excitation…

    Tenace, la brume s'agrippait aux quais en un voile vaporeux. À cette heure tardive, les longues enfilades de bâtiments en briques rouges étaient quasi désertes, détonantes de la légion de bateaux qui mouillaient en rangs serrés. Dans cette partie de Londres, les lampadaires alimentés à l’électricité n’avaient pas encore été installés. Seuls quelques vieux spécimens au gaz éclairaient timidement les clippers américains en provenance de la Louisiane, et les bateaux à voile locaux destinés au commerce interport. Une poignée de nouveaux cargo-boats à vapeur tanguait doucement un peu plus loin, juste retenus par les chaînes d’ancrage qui grinçaient à chaque mouvement d’eau. Même le martèlement des tonneliers au travail, la dernière corporation à fréquenter les quais ce jour-là, s’était éteint depuis peu. En cette soirée de fête, on avait décidé de stopper l’activité des docks toute la nuit. Seules quelques fumeries d’opium réparties ci et là, accueillaient leur lot d'habitués, des squelettes ambulants pour la plupart, qui pour rien au monde n'auraient loupé leur séance d'évasion chimique. Dans la léthargie qui était la leur, de toute façon, ils n’étaient pas d’un grand danger pour la troupe en maraude. Les hommes se faufilèrent discrètement jusqu’à la vieille bâtisse érigée au milieu du quai. Il se trouvait que les graines de pavot étaient justement l’objet du raid. Une cargaison venait d’arriver la veille au soir en provenance du Bengale. La région indienne sous contrôle britannique était la principale pourvoyeuse de cette marchandise si spéciale. Après un contrôle rigoureux, les sacs avaient été déchargés à l’intérieur de l’entrepôt 22. Il ne s’agissait pas de pavot ordinaire, mais bien du Papaver somniferum, le pavot somnifère dont la résine servait à confectionner l’opium. Cette drogue était un véritable poison, mais elle se vendait bien. Il se disait sur les docks que les fumeurs d’habitude, ceux qui consommaient huit pipes par jour, mourraient dans les cinq à six ans, tandis que les fumeurs modestes succombaient après vingt ans…

    Comme le pavot était à l’état brut, le gouvernement anglais ne prenait pas la peine de le faire garder, ce qui n'était bien évidemment pas le cas

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