De juin 1953 à décembre 1954, Nicolas Bouvier entreprend un voyage qui le mène de Belgrade à Kaboul. Il fera sa plus longue halte (près d’un an) en Iran. De ce périple, il a tiré un livre, L’Usage du monde, paru en 1963. Tombé dans l’oubli à la fin du XXe siècle, Bouvier est redevenu un modèle. Jean-Christophe Rufin, Erik Orsenna, Sylvain Tesson ou François-Henri Désérable se revendiquent de lui. Ce dernier avait entrepris en 2019 les démarches pour refaire l’expédition de l’écrivain-voyageur en Perse. Las, le Covid est venu interrompre son entreprise. Alors que les premiers bruits du soulèvement des femmes et des jeunes résonnaient en Occident, l’auteur d’Évariste (Gallimard), et lauréat en 2013 de la bourse écrivain de la Fondation Jean-Luc Lagardère, a relancé son projet. L’ambassade et les autorités de Téhéran ne s’y sont pas opposées. Pendant cinq semaines, du 9 novembre au 18 décembre, François-Henri Désérable a visité l’Iran, assisté à ses soubresauts, rencontré des gens de toutes sortes. Un voyage écourté d’une semaine après qu’il a été arrêté par les Gardiens de la révolution et surveillé de près. La suite s’annonçait trop dangereuse. Désérable a regagné l’Europe. Non sans se promettre de faire un livre de son road-trip au pays des mollahs. Celui-ci sortira au printemps. En attendant, il a rédigé pour le JDD ce témoignage unique sur un pays aujourd’hui presque inaccessible.
Téhéran
La plupart des articles sur les soulèvements qui avaient lieu depuis la mort de Mahsa Amini soulignaient que la peur avait Rien n’est plus faux. Elle avait peut-être gagné le camp d’en face, elle avait peut-être atteint le régime des mollahs, peut-être même que l’ayatollah Khamenei était pris de peur, à la nuit tombée, quand il se glissait sous ses draps et que s’embrasaient les rues duDepuis quarante ans, et même bien davantage, la peur était pour le peuple iranien une compagne de chaque instant, la moitié fidèle d’une vie. Les Iraniens vivaient avec dans la bouche le goût sablonneux de la peur. Seulement, depuis la mort de Mahsa Amini, la peur était mise en sourdine : elle s’effaçait au profit du courage.