Borderline: Nouvelles
Par Sarah Poulain
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À propos de ce livre électronique
« Les travailleurs sociaux relativement déséquilibrés sont équilibrants. Il faut des gens un peu barjos pour s’occuper des personnes en grande souffrance. Mais derrière cet apparent déséquilibre, il y a une grande solidité ». Trouvée sur la porte du bureau d’une assistante sociale, cette mystérieuse citation illustre le propos de ce recueil de fragments. Morceaux d’écriture de soi, bribes de fiction, lambeaux de vies, débris de corps, éclats de rire, tessons de colère, Borderline, c’est l’histoire d’une équilibriste. Entre les lignes, au fil des pages, Rachel, la narratrice s'entoure de personnages cabossés, vulnérables, défectueux, mais résistants. Au bord du précipice de la folie, de la maladie ou de la vieillesse, Fatiha, François, Gisèle, Tatiana, Jean-Pierre, Béatrice déploient des efforts considérables pour combattre l'attrait du vide. Dans ce face à face intérieur entre la vie et la mort, ces femmes et ces hommes avancent sur un fil ténu, sauvés par le regard de l’autre. Ces parcours en marge invitent à regarder la bombe implosante que nous devenons parfois.
L'auteure, travailleuse sociale, met en scène son double littéraire dans ce recueil de nouvelles débordant d'humanité.
EXTRAIT
Vingt-quatre ans, la gorge nouée, le thorax oppressé et les intestins contrariés, Rachel a pris rendez-vous pour retrouver le sourire de son enfance. Marre de porter l’intelligence comme un fardeau et de n’être jamais assurée de sa place. Si le féminin d’imposteur n’existe pas, d’où lui vient la certitude de n’être jamais à la hauteur ? Ils font comment les autres pour s’arroger les premières places ? Qu’est-ce qui lui manque pour être comme eux ?
Vingt-quatre ans, des boucles brunes et des yeux émeraude, des mensurations enviables, mais ça aussi, Rachel, ça l’encombre. Alors elle coupe au carré, elle lisse, elle discipline et se met au régime. Vingt-quatre ans, un ami à quatre pattes et certains soirs, l’existence cadenassée au regard de son chien, à la littérature, aux rencontres masculines hygiéniques et nocturnes, Rachel porte la misère du monde dans un baluchon. À mesure qu’elle se voûte, sa colonne vertébrale part en vrille. Chaque semaine, Docteur Villemur l’attend résidence Évasion. Ville-Mur-Evasion, tout un programme ! Dans la salle d’attente, pas de trace des magazines féminins. Comment perdre trois kilos avant l’été ? Quelle amoureuse êtes-vous ? Qui couche avec qui ? Pas de place pour ces niaiseries chez le psychanalyste, juste de l’art, Basquiat, Dali, Modigliani, Picasso et Frida Kahlo. Apprenez-moi à regarder les rails sans franchir la balustrade, pleurniche-t-elle. Engoncée dans les fringues étriquées d’une enfance provinciale, embourbée dans le chaos d’une adolescence fracassante, de séance en séance, Rachel détricote les mailles du passé pour bâtir une couverture patchwork de survie.
À PROPOS DE L'AUTEURE
Sarah Poulain, née en 1973, vit dans son Perche natal. Travailleuse sociale, elle consacre son temps libre à lire, écrire et marcher. En attendant la suite de Belle de vie, premier roman publié en 2019, l’auteur nous invite à suivre Rachel, son double littéraire, au pays des cabossés et des défectueux.
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Aperçu du livre
Borderline - Sarah Poulain
Sarah Poulain
Borderline
Nouvelles
ISBN : 978-2-37873-914-0
Collection Blanche
ISSN : 2416-4259
Dépôt légal : mars 2020
© couverture Ex Aequo
© 2020 Tous droits de reproduction, d’adaptation et de
traduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays.
Toute modification interdite.
Éditions Ex Aequo
6 rue des Sybilles
88370 Plombières les bains
www.editions-exaequo.com
Table des matières
Préface
Résidence Évasion
Vivre, lire et écrire
À corps perdu
2000, la fin d’un monde
L’échappée
Gisèle et P’tite Bulle
Requiem pour un fou
Clair de lune
Une femme à quarante ans
Être là
Une guerre totale
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À Aïssatou, Armandine, Dorian, Emma, Jacques, Maria, Nadia, Nathalie, Ramatou, Régine, Sacha, Stéphane, Suzanne, Sylvie, Vavisy…
En souvenir des chemins sinueux parcourus à vos côtés,
En mémoire de nos capacités respectives à nager en eaux troubles,
En remerciement de la confiance que vous m’avez accordée.
« En équilibre au bord du gouffre, gouffre borderline
Toute ma vie à bout d’souffle,
Plus d’bien,
Plus d’mal (…)
J’ai tellement mal que je souris à m’en déchirer les lèvres
J’ressasse tous les souvenirs,
Y a plus rien d’bon qu’des mauvaises herbes
Sur l’île des jouets brisés
Des gens bizarres parlent de misère
Survivre, j’en suis capable, mais toi non,
J’te lève mon verre »…
Columbine, Borderline (2018)
Préface
Comme dans son précédent roman « Belle de vie », l’auteure nous assène avec virtuosité les fulgurances des bas-fonds d’une société aveugle.
Transformée en nouvelles, la vie de Rachel se divise entre espoir et désir d’en finir. Mais au-delà du mal-être de l’héroïne et de ses tentatives pour échapper à quelques destins tragiques, les rencontres, son professionnalisme, les sursauts de vie, l’amour en pointillés et des aventures burlesques apportent à notre lecture une clarté nouvelle. Celle de l’humanité qui suinte de la disgrâce et d’une fine analyse porteuse de bienveillance. Les descentes aux enfers ont le mérite de nous inviter à quitter un certain confort ou les clichés faciles de notre bien-pensance.
Ce recueil de nouvelles n’expire pas seulement l’indignation, mais nous éveille, nous attendrit et nous invite à accepter la différence. Les banlieusards incompris, les femmes battues, les prostituées, les petites frappes, les familles déchirées, nous entraînent avec fougue dans leur simple quête de respect, d’humanité et d’exaucement des rêves multicolores de leurs enfants. Quant au courage de Rachel face à la maladie, il expurge d’un trait de page l’arrogance de nos petits problèmes.
Émotion littéraire salutaire.
Jean-François Rottier
Résidence Évasion
Vingt-quatre ans, la gorge nouée, le thorax oppressé et les intestins contrariés, Rachel a pris rendez-vous pour retrouver le sourire de son enfance. Marre de porter l’intelligence comme un fardeau et de n’être jamais assurée de sa place. Si le féminin d’imposteur n’existe pas, d’où lui vient la certitude de n’être jamais à la hauteur ? Ils font comment les autres pour s’arroger les premières places ? Qu’est-ce qui lui manque pour être comme eux ?
Vingt-quatre ans, des boucles brunes et des yeux émeraude, des mensurations enviables, mais ça aussi, Rachel, ça l’encombre. Alors elle coupe au carré, elle lisse, elle discipline et se met au régime. Vingt-quatre ans, un ami à quatre pattes et certains soirs, l’existence cadenassée au regard de son chien, à la littérature, aux rencontres masculines hygiéniques et nocturnes, Rachel porte la misère du monde dans un baluchon. À mesure qu’elle se voûte, sa colonne vertébrale part en vrille. Chaque semaine, Docteur Villemur l’attend résidence Évasion. Ville-Mur-Evasion, tout un programme ! Dans la salle d’attente, pas de trace des magazines féminins. Comment perdre trois kilos avant l’été ? Quelle amoureuse êtes-vous ? Qui couche avec qui ? Pas de place pour ces niaiseries chez le psychanalyste, juste de l’art, Basquiat, Dali, Modigliani, Picasso et Frida Kahlo. Apprenez-moi à regarder les rails sans franchir la balustrade, pleurniche-t-elle. Engoncée dans les fringues étriquées d’une enfance provinciale, embourbée dans le chaos d’une adolescence fracassante, de séance en séance, Rachel détricote les mailles du passé pour bâtir une couverture patchwork de survie.
— Vous parlez comme du Pennac ! Je vous entends écrire, dit-il.
Nausées, embouteillages, annulations.
— Bien des fois, je vous ai maudit, dit-elle.
— Le mot dit ne tue pas.
Allongée sur une méridienne face à un tableau de Paul Klee, Rachel s’autorise à devenir une femme qui écrit.
Vivre, lire et écrire
Quelques années plus tôt, Rachel domine la place de l’évêché où les enfants de Black-City courent après un ballon. Black-City pour les uns, Bab-El-Oued pour les autres, zone interdite pour les touristes, le paradis pour elle. Rachel franchit les frontières et rejoint son destin sur cette place, où Peter lui demande : Ça vous dirait de passer un bon moment avec moi ? Rachel ne répond pas, mais elle suit Peter dans un appartement squatté par les fumeurs de ganja où ils font l’amour. Entre raï, rap et reggae, elle sourit d’être là, parmi ceux qui galèrent, avec ou sans papiers, avec ou sans travail. Peter lui propose un Rastababy. Ici, tout est possible.
Black-City, c’est aussi Jean le Rasta, Patrick né Carlos, Djamila qui fait un bébé Isaac avec Patrick, Bahia qui cherche sa place, Taoufik dit Toto qui « flotte », Hans et sa petite famille, Denis et Annabelle, Mario, ses femmes et ses nombreux enfants, Castamao l’épicier, le boulanger arabe et son pain chaud la nuit, le boucher arabe qui vend sa viande plus chère aux blancs, le centre islamique et ses cassettes de propagande, le marché aux effluves épicés et le café réservé aux hommes.
Black-City, c’est les cafards, la gale, l’insalubrité, le loyer oublié, l’électricité coupée, l’eau aussi, mais on y partage le dernier steak et un paquet de pâtes. Malgré les regards curieux de désir et de haine sur sa peau blanche, Rachel se sent ici chez elle. Rachel et Peter mélangent leurs cultures, leurs couleurs, leurs langues, et il lui dit merci. Le Cap-Vert et la France se découvrent. Le chaud et le froid, le noir et le blanc, ils s’aiment à la vie à la mort, sans peur et défient la terre entière. C’est le début d’un amour fort et fragile, destructeur, charnel, délicieux et exclusif.
Chez Rachel et Peter, les mots sont rares, inutiles et violents. Peter ne comprend pas tout, il a souvent du mal à exprimer ce qu’il veut dire, lui au moins fait l’effort de parler français. Rachel comprend presque tout, mais elle n’essaie pas de parler créole.
Les mots s’échangent autour des repas :
— Qu’est-ce qu’on mange ce soir ?
— Du riz aux lentilles, du riz aux haricots rouges, du riz aux poivrons, du riz au thon, du riz blanc, mais du riz !
Les mots servent aussi pendant l’amour :
— Reste dans moi toute la nuit, caresse-moi, embrasse-moi partout, défonce-moi.
— Prends-moi dans ta bouche, caresse-moi avec ta langue, c’est bon mon amour.
Et puis, parfois :
— Nique ta race !
— Va te faire enculer !
À court de mots, il leur reste le regard, le