Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Quatorze: Thriller
Quatorze: Thriller
Quatorze: Thriller
Livre électronique238 pages3 heures

Quatorze: Thriller

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Ils sont treize. Ils viennent du Chili, de France, de Pologne, du Canada et n’ont rien en commun, sauf le but de leur expédition : l’ascension d’un sommet mythique parmi les quatorze plus hauts du monde. Ils ont lié leurs destins dans cette cordée mal assortie : l’un pour l’amour de la montagne, l’autre pour la performance, un autre encore pour y monter un fauteuil roulant et prendre une revanche sur la vie... Mais à quel prix ?
Déjà la tempête se lève. Et des coups de feu résonnent sur le glacier. Il y aurait, là-haut, quelque chose de plus dangereux que la nature implacable ? Une GoPro retrouvée quelques mois plus tard par un alpiniste solitaire permettra de faire toute la lumière sur les drames qui se sont joués.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Aymeric Vinot est né à Bonn en 1989. À vingt ans, il part en expédition avec un ami sur le Cho Oyu, qui, avec ses 8201 mètres, est le sixième sommet le plus haut de la planète. Quelques années plus tard, après des études à HEC et un premier travail dans une startup, il décide de se consacrer à l’écriture. Quatorze est son premier roman.
LangueFrançais
ÉditeurMontblanc
Date de sortie27 avr. 2020
ISBN9782365450928
Quatorze: Thriller

Auteurs associés

Lié à Quatorze

Livres électroniques liés

Thrillers pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Quatorze

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Quatorze - Aymeric Vinot

    ÉTÉ 2015

    HAUTS PLATEAUX DU TIBET

    La caméra est posée dans un coin de la tente-mess. Elle en capture l’essentiel, même si certains personnages sont coupés. Une dizaine d’alpinistes sont attablés. À en juger le ton des conversations et les effusions d’accolades, il s’agit d’une scène d’adieu. La table est encombrée de bouteilles de bière de marque Everest, les sons se superposent en un joyeux brouhaha.

    Un homme, remarquable par son gabarit, tape sa cuiller contre son verre. Le silence se fait : « Gégé va parler ! » Au moment où il s’apprête à prononcer le premier mot, un bourdonnement le surprend : bzzt, bzzt, bzzt. Pendant quelques secondes, personne ne réagit, puis un corps – on ne voit pas son visage – farfouille derrière lui. Ses mains poilues réapparaissent à l’écran, elles tiennent un énorme téléphone.

    – C’est un SMS de Gonzalo !

    – Alors ?!!

    – Qu’est-ce qu’il dit ?

    – Je vous le lis : Roberto…

    La voix tremble.

    – Roberto… est mort.

    Le dénommé Gégé est statufié, les bras en l’air. Sans le son, on pourrait croire que quelqu’un a appuyé sur le bouton « pause ». L’autre continue :

    – Tombé dans une crevasse. Je continue l’ascension. Je devrais bientôt atteindre le sommet. Signé : Gonzalo.

    Les corps s’animent de nouveau. Les commentaires fusent à droite, à gauche, piques sans destinataire, exclamations sans visage :

    – Alors… Ils étaient bien ensemble ? Je n’y comprends rien ! On ne l’a pas croisé, là-haut !

    – Cornegidouille ! Roberto ! Le meilleur d’entre nous !

    – C’est quoi, ce message pourri ?

    (des cris et des sanglots)

    – … enterre son meilleur ami en deux lignes ?

    – … pousse dans les crevasses…

    – … continue comme si de rien n’était. Je ne comprends pas ! Voilà qui ne lui ressemble pas. Ce n’est pas très… romantique, dans le sens…

    (des pleurs de femme)

    – Qu’il se la mette dans le cul, sa montaña mágica !

    – En même temps, comment veux-tu qu’il s’épanche dans un SMS limité à trois cents caractères ?

    – La dernière fois que j’ai parlé à Roberto, c’était pour l’engueuler : il était en train d’uriner à l’endroit où je pelletais ma neige…

    (les pleurs s’intensifient)

    – … La dernière image qu’il aura eue de moi, c’est…

    – À la fin, il devait penser à sa femme et à ses enfants, pas à ta grande gueule…

    – Merde ! Qui va leur annoncer la nouvelle ?

    – Ça ne peut être que Gonzalo, vu comme ils étaient proches.

    – Gonzalo ? Tu penses bien qu’il économise son souffle et les batteries de son téléphone. À cette heure, il ne doit plus être très loin du sommet…

    – Tu veux les appeler, toi ?

    – Non… Mais c’est horrible de penser qu’ils ne le sauront pas avant demain ou après-demain. Alors que…

    – Je n’ai pas trop envie de me faire du souci pour Gonzalo mais… vous ne croyez pas que c’est imprudent de sa part d’essayer d’atteindre le sommet, tout seul, avec ses demi-pieds ?

    La suite de la conversation est couverte par des bruits d’hélicoptère. La tente ondule sous la tempête de rotors.

    – … secours… !

    Vacarme assourdissant. Puis le bruit s’estompe et s’éteint.

    – Qu’est-ce qu’il se passe ? Ils font demi-tour, ou quoi ?

    – Attends, je vais voir dehors.

    – Hé, ça tremble, non ?

    – Tu as raison ! C’est quoi ce…

    La scène bringuebale. On ne sait pas trop si quelqu’un s’est saisi de la caméra, ou si le monde oscille pour de bon. L’objectif se retrouve en plein dans l’axe de l’auvent de la tente. Une petite femme grassouillette se dirige vers l’entrée. Elle écarte les deux pans.

    – Oh Bonne Mère…

    Quelqu’un doit avoir la main sur l’appareil car la scène se focalise sur l’extérieur de la tente. On entend une voix masculine dire « fuck, fuck, fuck ». D’abord, on ne comprend pas bien ce qui l’impressionne : dehors, il n’y a qu’un grand rideau de brouillard tiré sur la montagne ; puis l’avalanche le perce. Elle avance sans bruit, mais son souffle avale tout sur son passage. Elle projette des nuages de neige à plusieurs dizaines de mètres de haut. On dirait qu’un cumulus fond droit sur l’objectif.

    Il est difficile de savoir ce qui se passe dans la tente. Des gens bougent et crient, « avalanche » et « merde » sont les seuls mots qu’on entend distinctement. Des taches obscurcissent l’objectif, l’histoire de quelques secondes, preuves furtives de la débandade. Le nuage continue d’avancer. Désormais, il est trop gros et trop proche pour que la caméra le capture dans son ensemble. On ne voit qu’un tourbillon blanc, et les pans de la tente sur les côtés.

    Plus que quelques instants avant l’impact. Quelqu’un hurle encore. Le souffle de l’avalanche démâte d’un coup la tente. La caméra voltige.

    L’indication suivante clignota sur l’écran noir : 25 avril 2015 / piste 97.

    Je demeurai immobile le temps de reprendre mon souffle. Puis je récupérai la carte mémoire. Je la triturai du bout des doigts, sans vraiment la regarder. Piste 97. Que contenaient les quatre-vingt-seize précédentes ?

    J’aurais dû être en train de passer la frontière népalaise. Le sort en avait décidé autrement : la veille, tandis que j’arpentais la vallée glaciaire en direction de sa moraine ouest à la recherche d’un endroit où établir un campement de fortune, j’avais buté sur un caillou, et je m’étais étalé de tout mon long sur la glace. J’étais sur le point de l’envoyer valdinguer d’un coup de pied rageur quand un scintillement orange, reflet des derniers rayons du soleil, avait attiré mon attention : il ne s’agissait pas d’une pierre, mais d’une GoPro.

    J’avais regardé autour de moi, l’air de demander à la cantonade si quelqu’un revendiquait l’objet manifestement hors d’usage, mais mes yeux n’avaient rencontré que l’immense étendue blanche ceinte de murailles de glace et de rocs ; ils s’étaient accrochés quelques secondes sur les vestiges d’une gigantesque avalanche – sans doute provoquée par le séisme de magnitude 7,8 qui avait frappé la région en avril dernier, et fait plusieurs dizaines de milliers de victimes, surtout au Népal. J’ignorais alors si des alpinistes avaient péri ici. Les blocs de glace et les rochers grands comme des camions qui avaient été charriés jusqu’au camp de base ne laissaient guère de place à l’espoir. Peu de temps avait passé depuis ces événements tragiques ; juste l’été et la mousson, qui avait couvert la scène de son épais manteau blanc, tandis que les trombes d’eau inondaient les rizières et les vallées, quelque cinq mille mètres plus bas. Je pensais être la première personne à visiter ces lieux depuis la catastrophe – la région s’en relevait à peine : les secours devaient se focaliser sur les zones habitées, et les touristes ne reviendraient pas avant plusieurs saisons. Exception faite, bien sûr, des alpinistes, race autrement plus résiliente ; le contingent d’une nouvelle expédition débarquerait d’ici quelques semaines, à l’automne, en quête du Graal qui les obnubilait tous : les 8000. Quitte à planter la tente dans un cimetière de glace.

    C’était sans arrière-pensée que j’avais pénétré dans cette vallée, dont il se trouvait qu’elle constituait l’accès à la voie normale d’un de ces fameux sommets flirtant avec le toit du monde. Elle se situait sur mon itinéraire transhimalayen, c’est tout, et je ne comptais d’ailleurs pas m’y attarder, refroidi par l’ambiance austère des lieux. Dès le lendemain, j’étais censé basculer, après la traversée d’un haut col, côté népalais, et fuir le Tibet, ses espaces arides, et ses fonctionnaires pointilleux. J’avais calqué mon périple sur les odyssées de mes héros, les Tesson, Poussin et autres aventuriers modernes, dont les récits me faisaient rêver le jour, et veiller la nuit. Comme eux, je ne m’étais pas embarrassé de permis de trek, permis de séjour ou autres paperasseries. Je voyageais avec un minimum de ressources et l’espoir de me faire héberger chez l’habitant – quand il y en avait. Quant à ma route, je la dessinais au jour le jour, en fonction de mes envies et de mes besoins, et ce depuis le départ de ma randonnée, cinq mois plus tôt.

    J’étais tombé sur cette caméra. Elle reposait à plusieurs centaines de mètres de l’endroit qui servait de camp de base aux alpinistes venus gravir le sommet : elle avait dû être propulsée comme un fétu de paille par le souffle de l’avalanche. C’est à peine si j’avais reconnu l’objet, tellement il était abîmé. J’étais à deux doigts de le jeter, mais ma bonne conscience m’avait commandé de le ranger dans une pochette et de le mettre dans mon sac. Le geste était dérisoire : il aurait fallu des dizaines de personnes et des semaines de travail pour nettoyer la montagne de tous les détritus dont les expéditions successives l’encombraient : bouteilles vides d’oxygène, résidus de corde fixe, conserves, tentes abandonnées, cadavres gelés.

    Plus tard, après avoir dressé ma tente, adossé à un gros bloc, tandis que ma soupe mijotait et que le ciel tissait ses constellations, je ressortis ma trouvaille. Depuis plusieurs jours, je n’avais pas rencontré âme qui vive, alors, tout ce qui pouvait rompre la monotonie était bienvenu. Je la triturai ; le déclic vint : l’appareil était en ruine, mais la carte mémoire était peut-être intacte. Je la sortis et la testai : le format était compatible avec ma propre caméra. Je regardai la première scène, les mains tremblantes d’excitation. Entendre des gens discuter, les voir s’animer, rire et pleurer : ces effusions de vie me firent un effet indescriptible. Je devais être seul depuis trop longtemps car j’eus l’envie, dès la première seconde, de les rejoindre dans leur tente-mess chaleureuse et bruyante, et de me mêler à leurs adieux… La vidéo m’avait happé. Le dénouement tragique de la scène m’émut jusqu’aux larmes : en quelques minutes, j’avais eu le temps de découvrir et de perdre des amis. À moins que… Est-ce que certains d’entre eux avaient pu en réchapper ?

    Le lendemain, je ne pouvais pas repartir : pas avant d’avoir visionné les dizaines d’heures de film stockées dans la boîte noire que je venais de récupérer ; pas avant d’avoir épluché tous les indices à ma disposition. Je n’étais pas pressé. En compagnie de leurs souvenirs, je me sentais moins seul. Je pris les enregistrements, dans l’ordre chronologique cette fois. Au début, je dus m’accrocher : il y avait quelques scènes pittoresques, et beaucoup de déchets. L’heure du déjeuner approcha, accompagnée d’un léger mal de crâne. Je partis me dégourdir les jambes. Mes pas me menèrent vers le chaos de neige et de roche, au cœur de ce qui restait de l’avalanche, un peu en amont de l’endroit où j’avais posé ma tente. La coulée avait encombré la vallée de gigantesques blocs sur plusieurs centaines de mètres de large, et un bon kilomètre en longueur. Je parvins à me frayer un chemin à l’intérieur du labyrinthe de glace, puis je m’y laissai volontiers engloutir. Ici et là, des bouts de tissu orange, un piquet, des drapeaux à prières : cet endroit avait été habité. Mon imagination, engourdie par des journées de marche un peu monotones, s’épanouissait enfin.

    Les vestiges du camp de base ne me révélèrent pourtant aucun secret. J’emportai quelques bouts de tente avec moi, dont un qui disait… E25 ou peut-être… F25, et je les déposai à côté des débris de la caméra, devant mon propre auvent. L’après-midi, je repris mon visionnage. L’aventure avançait à un rythme d’escargot – « escargot », c’est d’ailleurs un mot qui revenait souvent dans la vidéo, sans que j’en comprenne le sens – mais je commençai à en apprécier les protagonistes. Agnès et Gérald d’abord, drôles et exubérants, puis tous les autres : Krysztof, Steve et Wallace, Davide, Roberto et Gonzalo, Monique, Michel et Prem, Dion aussi ; et Armand, dont on ne voyait jamais le visage, puisque c’est lui qui filmait, mais dont on devinait, au ton de sa voix et à la tournure de ses phrases, qu’il venait d’une autre époque – je l’imaginais avec une moustache en pointe, un chapeau sur le crâne, une pipe à la bouche, et la veste que les alpinistes portaient au début du siècle précédent, faite pour affronter les soirées mondaines plutôt que les tempêtes.

    La nuit me tomba dessus sans crier gare. Je n’avais pas envie de manger, pas plus envie de dormir. Je me décidai pour une balade nocturne. Je partis en direction de l’ancien camp de base, guidé à travers les pénitents blafards par la lumière de la lune, ma lampe frontale dans la poche. Malgré le froid et l’ambiance un peu lugubre, j’avançai le pas léger et l’esprit guilleret, avec le sentiment d’effectuer un pèlerinage vers un lieu familier.

    Je me perdis une nouvelle fois dans le dédale. Tout n’était qu’ombres, noires et bleues ; partout, des formes se dressaient, carrés, rectangles, pinacles de toutes tailles, et un vent froid et sec se faufilait dans les méandres de glace, produisant par la même occasion un sifflement sépulcral. Je ne suis pas du genre froussard, mais je dois avouer que mon enthousiasme se laissa peu à peu rattraper par l’angoisse. La chair de poule qui bourgeonnait sur mes bras n’était pas due qu’à la température. Qu’avais-je à craindre ici, à plus de 5 500 mètres d’altitude ? En dehors du printemps et de l’automne, les saisons propices à l’alpinisme himalayen, personne ne devait jamais fouler ces contrées inhospitalières.

    Qu’est-ce qui me poussa à chercher si longtemps, et de manière aussi méthodique ? Je ne sais pas. J’avais fini par allumer ma frontale : le faisceau attrapa une lanière en tissu qui dépassait d’une congère. Je tirai dessus. La sangle cassa net. N’ayant pas de pelle à disposition, je me résignai à creuser avec mes mains. Tant pis si je me brisais les ongles, si je me gelais les doigts, je voulais savoir ce qui se cachait dessous. Après quelques minutes de combat, le contenu d’un sac en toile était étalé sous mes yeux : des livres – toute la saga Millenium en anglais, la biographie de l’alpiniste Davide K., un carnet de bord.

    Un reflet particulier me fit détourner le regard : à quelques mètres de distance sur ma gauche, une doudoune flottait, emprisonnée dans un bloc de glace translucide. Je fis deux pas dans sa direction tandis que mes yeux balayaient la forme sombre du bas vers le haut, puis je fis un bond en arrière, halluciné par l’apparition du visage de Krysztof. Je le reconnus sans peine pour l’avoir aperçu plusieurs fois sur l’écran de ma caméra. J’étais à deux doigts de prendre mes jambes à mon cou, mais quelque chose dans son attitude me retint. Sa main était levée de manière bienveillante. Il me regardait, de ses yeux d’un bleu doux et apaisant qui contrastait avec les tonalités froides qu’on observe en altitude. La lumière de la lune faisait briller ses pupilles. Je laissai les battements de mon cœur se calmer.

    La rencontre me bouleversa. Je passai la nuit avec lui, à explorer les alentours. Le matin, je repartis vers ma tente, les bras chargés de nouvelles trouvailles : thon en boîte, brouillons de lettres, ustensiles de cuisine divers, équipement de montagne, des bouts de tente à n’en plus finir, deux carnets de bord, l’un écrit en polonais et parfois en anglais, l’autre en français, un appareil photo – la carte SIM également intacte ! –, un plateau et quelques pièces d’un jeu d’échecs, des vêtements, un téléphone satellite en miettes, d’autres livres : Le Bruit et la Fureur, Voyage au bout de la nuit…

    Je n’avais plus aucune envie de lever le camp. Je passai la journée suivante à regarder les vidéos et à déchiffrer les carnets que j’avais trouvés. Le soir, je repartis à la rencontre de mon compagnon, et à la recherche de nouveaux indices. En les épluchant, je découvris les noms, les sourires, les visages, les pensées, les joies et les craintes des hommes et des femmes qui avaient vécu ici. Je me passionnai pour eux, et je m’évertuai à reconstituer leur histoire. Au début, je me cantonnai aux faits ; puis mon imagination se chargea de combler les trous, jusqu’au dénouement et depuis l’origine : Katmandou…

    KRYSZTOF

    Mowimy po polsku. Pour une fois, on parle le polonais correctement. L’intérieur de la boutique Mera SHOP semble convenable, les deux hommes assis à l’entrée presque honnêtes : ils sont plus absorbés par leur partie d’échecs que par les chalands. Surtout, j’en ai ma claque du labyrinthe de Thamel et de mes vêtements moites qui me collent à la peau, comme ces pauvres gosses des rues, shootés à la glu, qui me chuchotent depuis ce matin : Girls ? Hash ?

    Je tente ma chance :

    – Dzien Dolni !

    Ma langue a été exportée à l’autre bout du globe par les légions d’alpinistes polonais qui s’attaquent aux sommets de l’Himalaya depuis quarante ans. Notre réputation nous précède : personne ne me fera l’affront des tarifs américains, européens, ni même israéliens. Nous sommes durs en affaire, hier par principe, aujourd’hui par nécessité. Depuis la chute de l’URSS, le cours du zloty rase les pâquerettes. Même dans l’un des pays les plus pauvres du monde, je galère. Et puis, il fallait me trouver une autre passion, oncle Jerzy : la montagne, c’est pour les riches…

    Je vais devoir faire comme d’habitude : me vêtir de compromis. Je fouille dans ma poche droite ; ma main passe au travers et vient toucher ma cuisse. C’est donc dans la gauche que dorment mes 100 000 roupies : toute ma fortune. En plus de cette somme, mon bagage se résume aux vêtements que je porte, à mes chaussures Trango et à leurs semelles usées, aux fripes que j’emporte pour mes ascensions dans les Tatras, à mes kilos de thon en boîte, à mon Guinness-Book édition 1995 et, bien sûr, à mon fauteuil roulant en kit – mon Sunrise ! Il me reste quelques heures pour rassembler les deux cents objets listés sur le bout de papier froissé que je brandis au nez des deux Népalais ; neuf, l’ensemble doit coûter bien dix fois mon pécule…

    Je suis arrivé à Katmandou la veille du grand départ – c’est un peu juste. Pourtant, j’ai quitté Katowice il y a plus de trois mois, dans mon vieux

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1