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Écologie et cultures populaires: Les modes de vie populaires au secours de la planète
Écologie et cultures populaires: Les modes de vie populaires au secours de la planète
Écologie et cultures populaires: Les modes de vie populaires au secours de la planète
Livre électronique312 pages3 heures

Écologie et cultures populaires: Les modes de vie populaires au secours de la planète

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À propos de ce livre électronique

Paul Ariès livre une théorie à contre-courant et pourtant réaliste : les plus écolos ne sont pas ceux que l'on croit !

Ce livre est d’abord un coup de gueule contre l’idée selon laquelle il n’y aurait rien de bon à attendre des milieux populaires au regard de la situation écologique.

Les élites auraient donc raison : « Salauds de pauvres qui consommez si mal ! ». Ce discours discriminant est susceptible de contaminer ceux qui à gauche se disent les plus conscients des enjeux planétaires et sociaux. Pourtant tous les indicateurs prouvent que les milieux populaires ont un meilleur bilan carbone, une meilleure empreinte écologique que les milieux aisés, y compris quand ces derniers ont des pratiques « écolos ».
Iconoclaste, Paul Ariès invite à relativiser les thèses de Veblen et de Bourdieu sur l’imitation par les milieux populaires des modes de vie des riches. Certes, « les riches détruisent la planète », mais l’auteur démontre que les gens ordinaires, les « gens du commun », ne sont pas des riches auxquels il ne manquerait que du capital économique, social, culturel et symbolique.
Sans succomber à un nouvel angélisme au regard des consommateurs populaires, car il reste encore beaucoup à faire, l’auteur invite à renouer avec toute une tradition historiographique, littéraire, cinématographique qui autrefois valorisait bien davantage le peuple.
Ce livre est également un cri d’espoir, car en entretenant d’autres rapports à la vie, au travail, à la consommation, à la propriété lucrative, au temps... Les gens du commun, non pas ceux d’ailleurs ou d’autrefois, ne pourraient-ils pas être les principaux acteurs de la transition écologique, et par là même contribuer à « sauver la planète » ?

Avec cet ouvrage richement documenté, l'auteur démontre que la préservation de la planète ne dépend pas seulement d'un changement venu d'en haut.

EXTRAIT

Tous les indicateurs prouvent que les milieux populaires ont un bien meilleur « budget carbone », une bien meilleure « empreinte écologique », un bien plus faible écart par rapport à la « bio-capacité disponible », un bien meilleur indice « planète vivante » (concernant l’impact des activités sur la biodiversité), un « jour de dépassement de la capacité régénératrice de la planète » plus tardif, une moindre emprise sur la « déplétion » des stocks non renouvelables en raison d’une moindre utilisation de la voiture et de l’avion mais aussi parce qu’ils font durer plus longtemps leurs biens d’équipements. Bref, par rapport à l’objectif d’émettre quatre fois moins de GES (Gaz à effet de serre) par rapport à 1990, si les riches ont « tout faux », les milieux populaires font déjà bien mieux.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Paul Ariès, politologue, rédacteur en chef du mensuel les Zindigné(e)s (ex-le Sarkophage), est aussi délégué général de l’Observatoire international de la gratuité et co-organisateur de nombreux forums nationaux ou internationaux avec des villes ou des associations comme Emmaüs, ATTAC, CADTM, etc.
Il est l’auteur d’une quarantaine d’ouvrages.
LangueFrançais
ÉditeurUtopia
Date de sortie20 févr. 2018
ISBN9782919160877
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    Aperçu du livre

    Écologie et cultures populaires - Paul Aries

    2012.

    PREMIÈRE PARTIE

    À LA RECHERCHE DES MILIEUX POPULAIRES

    Les milieux populaires sont beaucoup plus écolos que les enrichis et même que beaucoup d’écologistes. Je consacrerai donc deux premiers chapitres à exposer succinctement cette vérité incontestable, avant de m’interroger, dans un troisième et quatrième chapitres, sur les raisons qui poussent les élites à refuser de croire ce que leurs savants démontrent chiffres en mains.

    Nous verrons qu’il est impossible de comprendre pourquoi nous ne voulons pas voir les potentialités écologiques des milieux populaires sans expliquer, au préalable, comment les milieux populaires sont rendus invisibles. Il nous faudra aussi reconnaître qu’au mépris traditionnel des milieux populaires par les classes aisées s’ajoute, de plus en plus, une véritable haine sur la base d’une culpabilisation des appauvris/déculpabilisation des enrichis. Nous pourrons alors, mais alors seulement, montrer comment il serait possible de changer de regard, non seulement sur la richesse et la pauvreté, mais sur les milieux populaires et leurs modes de vie spécifiques.

    Nous prendrons alors le temps de nous demander si ces milieux populaires, enfin redevenus visibles et légitimes, peuvent devenir le grand sujet historique capable d’impulser la nécessaire transition écologique et sociale. Il nous faudra rejeter toute tentation d’angélisme, tout comme nous rejetons les thèses de Veblen, d’Élias et de Bourdieu sur la domination totale.

    Ce refus de tout angélisme est d’autant plus nécessaire que même si les milieux populaires font beaucoup mieux que les enrichis, ils ne sont pas exempts de critiques et leur bilan carbone n’est pas à la hauteur des enjeux. Nous achèverons cette première partie du voyage en sondant les écarts entre appauvris et enrichis en matière de transports, de logement et d’alimentation, histoire de donner du grain à moudre aux politiques.

    1.

    Les milieux populaires plus écolos que les classes aisées

    Je porterai immédiatement le fer au point le plus sensible : les milieux populaires ont un bien meilleur bilan écologique que les classes aisées, constat que n’arrivent même plus à camoufler les études commanditées par les services officiels ou ceux des firmes. Nous verrons plus loin que ce bilan des milieux populaires reste cependant encore beaucoup trop élevé¹. Il ne s’agit donc nullement de les idéaliser. Les gens du commun ne vivent pas en effet en dehors de la société, de sa conception du bonheur, de son agression publicitaire, de son marketing envahissant, mais aussi et avant tout de ses structures de production, de sa division du travail, de ses inégalités de revenus et de patrimoine, de ses choix en matière de fiscalité, de santé, d’aménagement du territoire, de la tolérance de l’État au regard des stratégies d’obsolescence industrielle, de la capacité des classes aisées à privatiser les services publics, à casser les biens communs, etc.

    Bref tout un ensemble de facteurs décisifs pour la transition². Nous pouvons dire à propos des classes aisées qu’elles ont « tout faux » et au sujet des milieux populaires qu’ils pourraient « mieux faire ».

    Ce que l’on sait, ce que l’on cache

    Les centres de recherches, qu’ils soient publics ou privés, ne donnent pas exactement les mêmes chiffres, mais ils s’accordent tous cependant pour reconnaître que « ceux d’en bas » sont plus « écolos » que ceux d’en haut. Cette vérité est connue de tous les spécialistes, que ce soit ceux de l’ADEME³, du ministère de l’Écologie et du Développement durable, des ONG ou même ceux de l’OBCM (Observatoire du bilan carbone des ménages)⁴, tous bien obligés d’admettre que « Les revenus les plus élevés affichent des bilans carbone globalement plus mauvais que la moyenne » et que les milieux populaires font donc mieux.

    La collectivité nationale n’a jamais estimé utile de lancer de grandes études quantitatives et qualitatives sur ces différences de bilan selon les milieux. Signe, une fois encore, que l’orientation des recherches n’est jamais neutre, même au sein d’institutions publiques comme le CNRS ou l’ADEME. On doit déplorer en outre que, lorsque ces chiffres existent, ils ne sont jamais utilisés pour étudier les déterminants de classe des budgets carbone, mais pour établir des écarts par rapport à une norme (norme définie selon les styles de vie insoutenables des milieux aisés…).

    Le choix de comparer la situation des milieux populaires à celle des classes aisées semble évident, mais il est cependant fortement contestable, car il conduit d’une part à faire du mode de vie des enrichis la véritable norme (même si on concède que leur mode de vie n’est pas soutenable). Il conduit d’autre part à construire entre les deux une sorte de moyen terme qui, au regard des styles de vie, n’a aucune consistance sociale ni écologique. L’Observatoire international de la gratuité (OIG) a donc fait un autre choix en dissociant les « petits moyens » des « grands moyens », les premiers ayant un style de vie proche des autres couches des milieux populaires, alors que les « grands moyens » se rapprochent des classes aisées et se distinguent fortement des milieux populaires en termes de genre de vie⁵. L’échantillon de l’OIG inclut les retraités d’origine populaire (qui parfois ne touchent que 800 euros) avec les autres couches populaires, et non avec les retraités cadres ou libéraux, ce qui a pour effet immédiat de réduire les émissions des milieux populaires et d’augmenter celles des classes aisées. On perçoit ainsi que les taxinomies ne sont jamais neutres socialement.

    Qui émet quoi ?

    Le bilan carbone moyen d’un Français est de 7 388 kg/CO2 par an, ce qui est certes bien mieux que celui des Nord-Américains avec leur 20 tonnes/personne/an, mais reste cependant bien au-dessus du maximum planétaire possible pour sept, et bientôt huit, milliards d’humains. Cette moyenne nationale cache naturellement des disparités très importantes : les cadres supérieurs émettent 8 580 kg, les professions intermédiaires 6 585 kg, les employés 6 657 kg, les ouvriers 6 828 kg et les retraités 8 143 kg. Bref, toutes les enquêtes parviennent finalement au même constat : « les foyers disposant des niveaux de revenus les plus élevés affichent des bilans carbone globalement plus mauvais que la moyenne » ; « Les CSP et les tranches de revenus plus modestes affichent des niveaux d’émissions moindres » ; « Une surreprésentation des niveaux de revenus les plus modestes au sein de la population ayant un bon bilan carbone. » Ce constat d’une corrélation forte entre le niveau de revenu et les émissions de CO2 n’a rien de surprenant, puisqu’il exprime, au niveau des classes, ce qui se vérifie au niveau des pays. Ainsi plus le niveau de PIB est élevé, plus les émissions croissent.

    L’Étude « Milieux Urbains durables » de l’ADEME confirme les conclusions de l’OBCM : l’empreinte carbone est plus élevée pour les milieux aisés que pour les milieux populaires. Toujours selon les mêmes enquêtes, les milieux aisés sont surreprésentés (22 % des foyers avec revenu > 3 000 euros) au sein des personnes ayant un « mauvais bilan carbone » (> 7 320 kg/ CO2 par an), alors qu’ils sont sous-représentés au sein des familles ayant un « bon bilan carbone » (< 4 300 kg/ CO2 par an). Parmi les riches, les plus gros émetteurs sont les personnes âgées et les jeunes mais aussi les personnes vivant seules (> 4 392 kg de CO2/par an).

    Christian Baudelot et Roger Establet avaient publié, en 1979, Qui travaille pour qui ?⁶, petit manuel de l’exploitation des milieux populaires, ouvrage salué en son temps par toute la gauche, avant qu’elle n’abandonne majoritairement toute analyse en termes de classes et de lutte des classes. Inspirons-nous de leur démarche et demandons-nous « qui émet quoi ? », en sachant que celui qui émet plus que sa part prend celle des autres. Nous ne pouvons maintenir le mode de vie des Occidentaux enrichis que parce que le reste du monde consomme moins, vraiment beaucoup moins⁷. Ce n’est donc pas seulement que les classes aisées émettent davantage, c’est qu’en émettant autant, elles rendent totalement impossible une répartition plus juste du gâteau, mais aussi un changement des modes de vie.

    Les classifications savantes

    Les différences de scores s’expliquent déjà par le choix de construire des artefacts plutôt que de partir d’une analyse en termes de groupes sociaux⁸. La critique sociologique des socio-styles retrouve ici toute sa pertinence. On sait que cette taxinomie sociale des années quatre-vingt a accompagné le développement de la pensée marketing et la crise du marxisme/freudisme : « À l’inverse, considérant que toute référence aux classes sociales ou aux CSP (catégories socioprofessionnelles) est désormais dépassée et revendiquant un empirisme radical, le CCA (Centre de communication avancée) propose une carte des mentalités et des socio-styles qui se veut une photographie sans a priori des faits sociaux […] La rupture, non seulement avec le marxisme, mais aussi avec la tradition sociologique qui se propose d’expliquer le social par le social, tient dans l’affirmation de l’autonomie des styles de vie par rapport aux conditions d’existence⁹. »

    Trente ans plus tard, c’est toujours le même type de taxinomie qui est utilisé pour dresser les profils écologiques de sous-parties de la population en procédant au même type de bricolages statistiques. Mais malgré ce rideau de fumée savamment entretenu, les experts que le système se donne sont bien obligés de reconnaître in fine l’existence de déterminations sociales sur les différents volumes des budgets carbone. Les faits sont en effet tellement têtus qu’ils forcent leurs classifications : « D’une façon générale, les empreintes les plus fortes sont celles des profils des Milieux les plus aisés (Bourgeoisie Installée » et Néo-Standing) et les empreintes les plus faibles celles des profils les plus modestes (Précaires Âgés, Éco Solidaires, Expérimentalistes Précaires, Consommateurs Populaires), ce qui est donc globalement cohérent. »

    Ce qui est moins « cohérent » intellectuellement c’est que cette vérité n’est pas prise en compte, à tel point que ces mêmes experts sont contraints d’admettre que « Les tentatives visant à expliquer les différences en termes de consommation énergétique sur la base des segmentations sociales sont pourtant rares […] ce manque de prise en compte de la variété sociale limite considérablement l’efficacité de nombreux programmes développés dans le but d’infléchir les modes de vie¹⁰. » Autrement dit on sait, au sein des institutions officielles, que l’analyse la plus juste devrait privilégier les déterminants sociaux, on sait même que ne pas le faire conduit à l’inefficacité, mais on continue pourtant à choisir de regarder ailleurs. Ainsi les experts admettent, chiffres en mains, que « la différentiation sociale explique les écarts d’intensité des consommations » mais que « de plus, en raison de différences en termes d’aspirations de vie, d’attitudes, de valeurs sociales ou en fonction des circonstances socio-économiques, des groupes sociaux différents ne réagiront pas de la même façon à une même intervention externe visant à influencer les pratiques de consommation ». Bref, si les politiques publiques avaient vraiment pour but d’être efficaces alors elles mettraient les milieux populaires au cœur de leur démarche ! Mais c’est justement ce choix que les décideurs et les experts ne font pas.

    Le prétexte d’une analyse multifonctionnelle

    Alors qu’au regard de la recherche du facteur 4¹¹, le choix devrait être de valoriser et de légitimer les modes de vie populaires, ce qui suppose déjà de les reconnaître et de les nommer pour ce qu’ils sont, ces mêmes experts choisissent de diviser ces milieux populaires en de multiples catégories qui, non seulement ne les reconnaissent pas, mais leur interdisent de prendre conscience d’eux-mêmes et noient leur créativité, au moyen du jargon technocratique, sous le vocable des démarches « bottom-up ». C’est déjà le même procédé qui avait été promu par les think-thank libéraux et conservateurs afin de disqualifier l’analyse de la pauvreté en termes d’un rapport social entre exploiteurs et exploités, entre enrichis et appauvris, au profit d’une approche dite multifonctionnelle, dont le principal effet fut de noyer le poisson en faisant de la pauvreté un problème individuel¹².

    Les experts multiplient donc les sous-catégories en croisant les critères avec pour conséquence l’évacuation des classes sociales et donc de leur lutte sur la conception de ce qu’est (ou pourrait être) une « vie bonne ». Peu importe d’ailleurs ici le nombre de profils retenu et les sobriquets avec lesquels on les affuble, puisque l’essentiel est de cacher les milieux populaires.

    L’étude sur les « Milieux Urbains Durables », réalisée pour l’ADEME et le MEDDTL¹³, avec le calculateur de la Cité des Sciences.

    Elle distingue douze profils « écolos » tirés de la segmentation des Sinus-Milieux, d’abord développée, dans un autre contexte, en Allemagne par la société Sinus-Institut. Cette segmentation comporte deux dimensions principales : d’une part le niveau socio-économique qui inclut le niveau d’études, de revenus et de statut social ainsi que la catégorie socioprofessionnelle ; d’autre part, la dynamique du changement socioculturel qui comprend les aspirations, les motivations et le système de valeurs des individus. La segmentation Sinus-Milieux distingue initialement neuf milieux représentant chacun 10 à 12 % de la population (« Milieu Traditionnel Conservateur », « Milieu Précaire Âgé », « Milieu de la bourgeoisie Installée », « Milieu de la France Tranquille », « Milieu Consommateur Populaire », « Milieu Précaire Jeune », « Milieu Intellectuel », « Milieu Néo-Standing », « milieu expérimentaliste »).

    Les classes populaires se trouvent ainsi dispersées entre plusieurs profils, dont les noms ont un caractère psychologisant voire méprisant et elles sont loin d’y apparaître comme « créatrices ». Elles sont données comme « laissées pour compte de la modernisation », « ne se sentant pas reconnues », « se sentant dépassées », « mal à l’aise dans ce monde en perte de valeurs du passé », « attachées aux traditions et à la morale », etc. Bref, rien de bien valorisant, même si on révèle que leur bilan carbone est meilleur que celui des enrichis. Ces derniers se trouvent moins divisés en milieux distincts, leurs appellations sont plus positives : ces « Milieux » seraient « conscients d’appartenir à l’élite », « fiers de bien maîtriser leur vie », « ouverts au multiculturalisme », « privilégiant l’épanouissement personnel et le développement de soi au conformisme et à la réussite sociale », etc.

    Même les tares de ces Milieux au regard de leurs émissions deviennent positives : « bien que gros consommateur d’activités culturelles et de voyages », le « Milieu Intellectuel » manifeste une « certaine distance vis-à-vis de la consommation en tant que telle », de même que le « Milieu de la Bourgeoisie Aisée » qui « valoriserait la tolérance et le dialogue » et serait prêt à « d’importantes dépenses pour une meilleure qualité de vie », etc.

    Mieux vaudrait donc appartenir aux enrichis qui détruisent la planète plutôt qu’aux milieux populaires qui la préservent !

    Description narrative ou globaliverne ?

    La construction de ces profils ne prétend même pas permettre de mieux coller à la réalité, puisque le seul intérêt de ces « individus fictifs » serait de pouvoir être décrits sous forme narrative ! Le risque, bien sûr, c’est que les histoires qu’on nous raconte soient des histoires à dormir debout. Les gouvernants de droite comme de gauche sont ainsi censés inventer des politiques de transition écologiques en partant de profils « Éco-Solidaires », « Éco-Élite 1 », « Éco-Élite 2 », « Classe Créative 1 », « Classe Créative 2 », « Précaires Âgés », « Traditionnels Conservateurs », « Consommateurs Populaires », « France Tranquille », « Bourgeoisie Installée 1 », « Bourgeoisie Installée 2 », « Intellectuels », « Néo-Standing 1 », « Néo-Standing 2 », « Expérimentalistes Précaires », « Précaires Jeunes ».

    Outre l’abus de majuscules caractéristique de ce type de pensée, on note que si la bourgeoisie est citée comme telle à deux reprises, ni la « classe ouvrière », ni les « paysans », ni les « employés » n’apparaissent dignes de leurs noms. Les milieux populaires se retrouvent dissous dans différentes catégories comme « Traditionnels Conservateurs », « France Tranquille », « Expérimentateurs Précaires », « Précaires jeunes », « Précaires Âgés » et « Consommateurs Populaires ». Ce classement masque davantage qu’il n’éclaire. Oserais-je une comparaison avec la fameuse formule de Brecht : « Si le peuple ne partage pas le point de vue des dirigeants, la meilleure solution serait de changer… le peuple ».

    Si les profils utilisés pour « désespérer Billancourt » changent d’une étude à l’autre, ils ne permettent même pas d’obtenir des chiffres incontestables. Il suffit de comparer ceux donnés au sujet de l’empreinte écologique (hectares globaux par habitant). Les empreintes globales varient de 3,3 à 7 Hag (hectare global par habitant) selon les petits et les gros consommateurs, pour le calculateur de la Cité des sciences, de 3,9 à 12 pour le calculateur suisse du GFN (« Global Footprint Network ») et de 4,4 à 18,6 pour le calculateur belge de WWF-Belgique, soit une amplitude deux fois plus grande. Des écarts de même grandeur se retrouvent au niveau des autres indicateurs. L’indicateur GFN donne pour l’alimentation un écart de 1 à 6, pour le logement de 1 à 8, pour les transports de 1 à 12 alors que l’étude de l’OBCM donne 1,77 pour le logement, 1,38 pour les transports et 1,29 pour l’alimentation.

    Le mode de vie écolo des milieux populaires

    L’étude sur les milieux « Urbains durables » note une amplitude d’un facteur 9 entre les profils les plus sobres (« Consommateurs Populaires », « Expérimentalistes Précaires », « Précaires Jeunes ») et ceux qui présentent l’empreinte la plus forte (« Bourgeoisie Installée 1 » et « Bourgeoisie Installée 2 »). On ne peut qu’être agréablement surpris de cet écart qui montre la possibilité de diminuer rapidement les émissions, si on parvient à rapprocher l’empreinte moyenne de celle des gens ordinaires. Cette meilleure empreinte des milieux populaires est d’autant plus méritante que toute l’organisation de la société, tant sur le plan matériel qu’idéologique, n’est pas de nature à permettre une faible empreinte.

    Considérons aussi que cette empreinte des milieux populaires serait encore meilleure s’ils bénéficiaient des mêmes logements que les classes aisées, puisque le chauffage peut aller jusqu’à 95 % de leur empreinte logement. Considérons également que cette empreinte des milieux populaires serait encore meilleure s’ils n’étaient pas contraints, de par le coût du foncier, d’aller vivre toujours plus loin des lieux d’activités professionnelles, les obligeant ainsi à des déplacements biquotidiens énergivores, malgré leur beaucoup plus grande utilisation des transports en commun.

    Ainsi l’enquête « Déplacements » de la Communauté urbaine de Lille Métropole montre qu’un ménage habitant en centre-ville émet 1,1 tonne/an alors qu’un ménage périurbain atteint 3,4 tonnes/an. Ces 2,3 tonnes excédentaires ne résultent que faiblement de choix individuels : ils pourraient donc être réduits en rendant la ville aux milieux populaires¹⁴.

    Ce bon bilan écolo des milieux populaires relève d’une fausse évidence. C’est une évidence puisque chacun pressent intuitivement ce constat : les milieux populaires consommant moins, ils émettraient moins de CO2. C’est cependant une fausse évidence puisque ce constat est aussitôt refoulé. Nous avons ici, une fois de plus, la preuve que savoir ne suffit pas pour convaincre et être convaincu pour agir conformément à la raison.

    Nous ne pourrons pas voir que les milieux populaires sauveront la planète tant que nous continuerons à accepter qu’ils demeurent largement invisibles. Nous devons donc d’abord combattre l’invisibilité des milieux populaires, ce qui suppose de nous interroger sur les modalités de sa construction¹⁵.


    1. Nous traiterons de cette question dans le chapitre 2 de la seconde partie, « le retour des partageux ».

    2. Nous aborderons tous ces thèmes dans la seconde partie de ce livre.

    3. ADEME, Agence de développement et de maîtrise de l’énergie.

    4. Enquête réalisée par IPSOS et le cabinet Green Inside.

    5. Marie Cartier, Isabelle Coutant, Olivier Masclet, Yasmine Siblot, La France des « petits-moyens ». Enquêtes sur la banlieue pavillonnaire, La Découverte, coll. « textes à l’appui », 2008.

    6. La petite bourgeoisie en France, Petite

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