CEUX QUI PARLENT de la terre et ceux qui la travaillent, ceux qui la défendent et ceux qui la connaissent, n’ont jamais paru aussi éloignés. Les écologistes sont essentiellement élus des métropoles et ne sauraient pas faire pousser une carotte ; les agriculteurs votent tout sauf EELV et font rimer écolo avec bobo. Les pratiques suivent. On plante des arbres dans les villes et on abat les haies dans les campagnes (plus de 20 000 kilomètres par an, un rythme qui s’accélère dramatiquement).
Cet étrange divorce est fondé sur un présupposé commun : la séparation hermétique entre nature et culture, dont l’anthropologue Philippe Descola a montré à quel point elle structurait la civilisation occidentale. L’idéal de l’écologie politique serait de parquer les êtres humains dans des barres d’immeuble, au nom de la réduction des émissions carbone, et de laisser tout autour la nature à elle-même, dans des espaces de renaturation () inspirés des principes de l’écologie profonde. L’idéal de la FNSEA serait que les bien nommées « cultures » soient indépendantes de la nature et de ses aléas, et que le paysan devenu « chef d’exploitation » puisse piloter sa ferme depuis son labo, armé de drones, de robots de traite et de tracteurs intelligents. On déplore d’un côté les misères de l’anthropocène, entraînant la sixième extinction de masse des espèces sur notre planète ; on invoque de l’autre les merveilles du progrès humain, assimilé aux avancées de la technique et à la hausse des rendements. Dans les deux cas, aucun dialogue possible entre nature et culture(s).