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La Prophétie: Un thriller d'anticipation haletant
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La Prophétie: Un thriller d'anticipation haletant
Livre électronique439 pages11 heures

La Prophétie: Un thriller d'anticipation haletant

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À propos de ce livre électronique

La Bretagne s’éveille sous le chant des muezzins. Que s'est-il passé ?

Bertrand Laval vient de passer les six dernières années au milieu des océans. Lorsqu'il décide de s'amarrer au port de Brest, dans ce qu'il pense être la France qu'il a quittée, Bertrand se rend bien vite compte que le monde qu'il connaissait a totalement changé. D'une démocratie laïque, il revient dans un état religieux et islamique. Entrez avec nous dans un réseau de pouvoir où l'argent permet tout.

La Prophétie est un thriller alliant avec efficacité les mystères d'une symbolique du passé et l'angoisse d'un futur dystopique mondial. Sueurs froides garanties.

EXTRAIT

— Je vous écoute, Monsieur Laval.
Face à moi, un homme à la barbe finement taillée. Il a le regard doux et me tend la main pour que je me lève.
— Je m’appelle Bertrand Laval.
— Je sais, Monsieur Laval.
— Vous êtes...
— Je suis votre gardien.
— Je...
— Vous êtes français, je sais. Mais je vous répète que votre passeport date de la Cinquième République. Nous sommes obligés de faire une petite enquête. Rassurez-vous, vous n’êtes pas le seul dans ce cas. Ça doit pouvoir s’arranger rapidement.
— Vous voulez dire que la France...
— Quelle est exactement votre question, Monsieur Laval ?
— J’ai quitté la France sous le Président...
— Nous le savons. Nous décryptons en ce moment vos cinq premiers « Livres de bord ». Nous vous avons laissé le sixième, mais je vous demanderai de le clôturer et de nous le remettre. Vous êtes parti de New York il y a six ans, larguant les amarres de votre voilier en pleine guerre. Vous n’avez pas réglé les loyers de votre studio parisien depuis cette date. Vous n’êtes en ordre de rien : impôts, sécurité sociale, assurances... Mais ne me dites pas que vous n’avez pas eu connaissance des changements intervenus dans la Constitution ?
— Non.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Le Dan Brown bouillonnais. - La Dernière Heure

À PROPOS DE L'AUTEUR

Claude Rappé est journaliste, historien, spécialiste de l’Antiquité biblique et du Proche Orient.
Après plusieurs romans historiques, il signe ici, après des années de recherches, son premier thriller.
LangueFrançais
Date de sortie16 oct. 2017
ISBN9782930848273
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    Aperçu du livre

    La Prophétie - Claude Rappé

    PROLOGUE

    LIVRE DE BORD

    23 AVRIL - GMT : 03.59

    Heure locale d’été : + 2 heures

    NOM DU BATEAU : « L’ESPRIT »

    Skipper : Bertrand Laval

    Position : 4°45' W 48°28' N

    Vent NW 0,5 Nœud - Température : 12° Celsius Mer calme

    Grand-Voile + Génois + Trinquette + Artimon

    Cap : 68°

    Il est six heures. Le soleil, las d’éclabousser de vermeil la brume aurorale, se profile plus nettement sur l’horizon. Le silence est prégnant. Pas un souffle de vent. L’eau ne frémit pas.

    Je vais devoir lâcher la barre enserrée de mes doigts maigres, bleuis par le froid. Mes muscles crispés répondent avec lenteur à ma volonté.

    La côte est proche, riche d’exhalaisons de la terre.

    Le voilier pleure sa lassitude, le gréement geint, le mécanisme du gouvernail crisse, la coque gémit. La rouille suinte sur l’acier que les tempêtes ont gangrené.

    Je tends l’oreille. J’écarquille les yeux. J’espère un goéland, un banc de maquereaux, une risée. Rien…

    Je fixe la barre puis descends dans le carré : deux marches branlantes et le plancher flotte dans les fonds. Une forte odeur de mazout écœure.

    J’inspecte l’image que me renvoie un miroir brisé. Je devrais me raser. J’ai l’air d’un sauvage.

    À bord, il n’y a plus d’électricité ni carte ni émetteur. Le moteur est invalide.

    Je croise une photo. Je l’ai contemplée tous les jours, six années durant, comme on se tourne vers la Vierge. Je la prie encore, même si les larmes ne noient plus mes yeux.

    — Sofia… dis-je sans pouvoir ajouter un mot.

    Je lui ai tant parlé. Ce tendre monologue des paumés qui s’accrochent à l’amour perdu comme à une épave. Elle m’a aidé à vivre, à espérer. Je l’aime toujours à en mourir. Curieux paradoxe, cet amour m’a aidé à survivre durant de longues années. Est-elle en vie ? Où ? Que fait-elle ? Est-elle heureuse ?

    Pourquoi suis-je addict à cet impossible partage ?

    Je sens ma Bretagne toute proche. Je vais débarquer en France. Je rêve d’un café noir, bouillant et d’un croissant sorti du four.

    Le vieux génois claque. Une brise ? Je me précipite à l’avant, tire sur la toile jaunie. Elle me gifle avant de sombrer sur le pont. Les émerillons ont lâché. Seuls la grand-voile étranglée de ris et l’artimon rebelle portent encore « L’Esprit ».

    — Mon Dieu, laissez-moi rentrer chez moi !

    Ma prière est sans ferveur, mon espoir exsangue.

    À genou sur un pont de teck moisi, je contemple ce misérable ketch qui m’a emmené au bout du monde.

    Que suis-je encore ? Que reste-t-il de ma mémoire ?

    Il y a presque six ans que je n’ai pas vu la civilisation, plus de deux mille jours que j’erre comme un fou dans les rugissants, jetant l’ancre au hasard d’îles surgies du néant.

    Tout m’a paru irréel, inéluctable.

    Mes paupières cernées de sel s’ouvrent péniblement. Un ciel peint des bigarrures d’une aube volontaire s’émancipe de la pénombre. Mes yeux ne voient presque rien, éblouis par la lumière naissante. L’orchestre des eaux accorde sa mélopée sur des rochers démasqués par la marée descendante.

    — Va mon bateau ! Une dernière fois…

    L’eau devient huileuse. L’air se gorge d’haleines terrestres. La mer et la côte se convoitent. La coque valse. Nous croisons un sac en plastique. Des reflets de gasoil dessinent des arcs-en-ciel sur un chenal balisé. La vie n’est pas loin. Je coche l’entrée du port sur une carte dessinée par mes soins. Il y a un amer à découvrir, j’en suis sûr : le Petit Minou. Le premier des deux phares qui annoncent la rade de Brest.

    Le temps s’étiole, plus long que l’absence. Une lueur… Le brouillard me la dérobe. Elle réapparaît, emmitouflée dans un tissage de vapeur balayé par le spectre du soleil levant.

    Je distingue alors les deux phares.

    Je les ai observés des années durant, lorsque mon grand-père nous embarquait sur son yawl. Le Petit Minou me rassure. En m’alignant sur le phare du Portzic, j’évite les roches. La passe est large.

    Autrefois, le Portzic annonçait, après de glaciales journées de navigation, les crêpes au chocolat et les bols de cidre. Lorsqu’en mer, les crachats d’embruns salés giflaient nos joues irritées et que l’eau grise se glissait entre nos cols et nos manches, ma sœur et moi réprimions un frisson pour que grand-père ne nous qualifie pas de marins d’eau douce. Complices, nous nous regardions, bercés par l’espoir des caresses de grand-mère qui nous attendait devant la cheminée ronflante…

    Les phares de Brest, c’était notre récompense.

    — On a essuyé un noroît de force six ! Ce ne sont pas des mauviettes, lançait alors le marin.

    À son apaisant sourire, grand-mère mariait ses yeux plissés de douceur puis versait une rasade de calvados à son homme et des chocolats fumants à ses deux petits-enfants.

    Ma terre bretonne…

    Les phares de Brest…

    Ils furent les compagnons d’une enfance étrange. Beffrois de mes vantardises scolaires inspirées de légendes de mer que j’inventais comme d’autres enfants racontaient les films vus à la télévision.

    Aujourd’hui, tels des anges gardiens, ils me ramènent chez moi.

    Ils ont changé la couleur du premier. Je perçois le faisceau blanc bégayant avec les feux des cargos qui dansent au large, au cœur du rail. Son hâle rougeâtre est terni par une lumière verte arrosant son flanc. Derrière moi, perce encore l’onde du grand phare de la pointe Saint-Mathieu.

    Que de souvenirs étranges et cruels étranglent mon bonheur ! Je me laisse porter par le courant jusqu’au Portzic aux contours éclaboussés des mêmes lueurs vertes. Je rase la digue du port commercial. Il ne faut pas que je rate l’entrée sur bâbord, juste avant les bancs annoncés par la bouée cardinale sud du Port de Moulin Blanc. « L’Esprit » a un fort tirant d’eau. Je ne connais pas l’amplitude de la marée. Et sans sondeur…

    Des ombres ramènent leurs lignes de pêche sur mon passage. Je me faufile entre deux bouées. Il fait encore sombre. Où sont les lumières des docks, les cabines des chalutiers éclairées par leurs néons blafards ?

    Le voilier avance, je ne sais par quel miracle. Le quai approche. J’ai presque envie de freiner la lourde épave d’acier qui peut s’avérer rétive à la manœuvre. Mais comment ? Les amarres usées, négligemment lovées, traînent sur le pont. Elles me seront utiles.

    — C’est ici que tu vas prendre ta retraite… dis-je à mon bateau.

    Je tente de reconnaître les lieux.

    Mais la nuit persiste et seule une aura de lumière verte arrose le port.

    Soudain…

    Un cri retentit. Comme une lamentation, amplifiée par des haut-parleurs au volume trop puissant, déformant les sons.

    — Allah Akbar… Allah Akbar…

    Ça vient de la tour des Affaires Maritimes et court partout comme un tocsin.

    Je ne peux pas m’être trompé à ce point.

    Je suis bien à Brest.

    Je suis en France.

    Des groupes de femmes voilées courent çà et là.

    La présence d’un docker me rassure. Je lui lance une amarre qu’il glisse dans un anneau puis il me demande :

    — D’où venez-vous ?

    — Je suis français, m’entends-je dire, par habitude d’être étranger.

    — Moi aussi je suis français ! répond l’homme, étonné. Mais d’où venez-vous ?

    Mon angoisse s’apaise.

    — Ce serait long… Du Horn… Enfin… ce fut ma dernière escale…

    Il m’aide à amarrer le bateau, puis à me hisser sur le quai. Je sens mes jambes m’abandonner. J’entends ce chant en arabe. Ma vue se voile. Je perds conscience. Le choc avec le pavé me paraît sourd, le sol moelleux. Je n’ai pas mal. Je suis vivant. Je suis en France. Je suis chez moi, bercé par la lancinante complainte d’un muezzin qui honore un autre dieu que le mien. Ce dieu qui m’accueille en mon port de Brest…

    C’est donc lui que je remercie d’être vivant avant de m’évanouir.

    J’entends des voix, des ordres.

    Des portes claquent. Des serrures sont verrouillées. Ça sent le mauvais café… et une odeur de produit antiseptique, comme ceux qu’on utilise dans les hôpitaux pour désinfecter. J’émerge d’une étrange torpeur. Un matelas gris, à même le sol, libère quelques cafards surpris par une lampe murale brutalement allumée dans la cellule. Je vois un bout de ciel mauve entre les barreaux d’une fenêtre sale.

    Une main de Fatima a été gravée sur les murs.

    Je savais qu’une main me serait tendue à mon retour. Je crie sans être entendu. Il y a un tel vacarme. J’appelle à nouveau.

    Un homme me répond, au travers d’un judas.

    — Où suis-je ?

    — Vous êtes en France. Vos papiers ne sont pas en règle. Vous avez un passeport français datant de la Cinquième République. Demain, vous comparaîtrez devant un juge.

    — Mais…

    — On va vous donner des médicaments et à manger.

    Je regarde ma montre arrêtée.

    — En quelle année sommes-nous ?

    — C’te question ? En mille quatre cent trente…

    — Je… je voudrais parler à quelqu’un…

    J’entends le bruit d’un verrou qu’on libère.

    — Je vous écoute, Monsieur Laval.

    Face à moi, un homme à la barbe finement taillée. Il a le regard doux et me tend la main pour que je me lève.

    — Je m’appelle Bertrand Laval.

    — Je sais, Monsieur Laval.

    — Vous êtes…

    — Je suis votre gardien.

    — Je…

    — Vous êtes français, je sais. Mais je vous répète que votre passeport date de la Cinquième République. Nous sommes obligés de faire une petite enquête. Rassurez-vous, vous n’êtes pas le seul dans ce cas. Ça doit pouvoir s’arranger rapidement.

    — Vous voulez dire que la France…

    — Quelle est exactement votre question, Monsieur Laval ?

    — J’ai quitté la France sous le Président…

    — Nous le savons. Nous décryptons en ce moment vos cinq premiers « Livres de bord ». Nous vous avons laissé le sixième, mais je vous demanderai de le clôturer et de nous le remettre. Vous êtes parti de New York il y a six ans, larguant les amarres de votre voilier en pleine guerre. Vous n’avez pas réglé les loyers de votre studio parisien depuis cette date. Vous n’êtes en ordre de rien : impôts, sécurité sociale, assurances… Mais ne me dites pas que vous n’avez pas eu connaissance des changements intervenus dans la Constitution ?

    — Non.

    — Ça me paraît difficile à croire, Monsieur Laval. Vous verrez un cadi demain. Si vous avez le souvenir d’un ami, d’une famille ou d’un avocat, dites-le nous !

    — Un cadi ?

    — Oui, le juge musulman chargé d’appliquer la loi coranique…

    — Mais… nous sommes en France…

    — On va vous apporter un repas et de quoi écrire, Monsieur Laval. Je vous invite à consigner ce dont vous vous souvenez. Cela pourra vous être utile. Bon appétit Monsieur Laval ! Al-hamdoulillah¹


    ¹ Louanges à Allah

    PREMIÈRE PARTIE

    Site archéologique d’Ougarit

    RAS SHAMRA – Syrie - 23 avril

    Six ans plus tôt…

    Il y a dans le déhanchement de Sofia un zeste de chorégraphie orientale.

    Est-ce cette accablante canicule qui la rend animale, le visage et le chemisier trempés de sueur ? En l’absence de maquillage, ce regard de louve un peu mélancolique me transperce l’âme. Je la contemple comme une sculpture, ode à la grâce, à la féminité, à la beauté.

    En Bretagne, j’ai passé mon enfance à entendre : « Vivement l’été ! » Ici, à Ougarit, nous suffoquons sous une incandescente chaleur.

    Une timide brise du sud, gorgée de pestilences, importe d’Irak une poussière de sable sulfurée des gaz brûlés des champs de pétrole. Nos masques de tissu jetés chaque soir filtrent les particules polluantes.

    Plusieurs fois par jour, les ouvriers se tournent vers La Mecque pour honorer Allah.

    Bien que chrétien non pratiquant, et sans doute pour cette raison, je m’incline avec eux et rends grâce pour l’eau pompée de l’Euphrate même si elle est infestée de larves de moustiques.

    En dehors de ma passion amoureuse pour Sofia, je ne sais plus ce que je suis venu faire ici, sinon gratter le sol pour y chercher ce qu’on trouve n’importe où dans le monde pour autant qu’on explore la terre, des tessons et des bouts de métaux corrodés.

    Nous nous sommes rencontrés lors d’une conférence de Michel Onfray. J’étais là par la volonté d’une copine journaliste qui partageait ses cartons d’invitation pour ne pas rester seule. Tel un rocker fatigué, Michel signait des autographes. Je me ruais sur le buffet et monopolisais le bar à champagne lorsqu’une jeune femme m’adressa la parole.

    — Vous êtes fan ? demanda-t-elle, évoquant le discours du philosophe.

    — Je préfère le Don Pérignon… mais comme celui-ci est gratuit.

    Je lui offris une coupe dont elle se saisit en souriant…

    Sofia comprit rapidement que cet exercice exigeait une longue expérience. J’avais, en pique-assiette de cocktails mondains, une certaine habileté à happer les coupes brandies aux invités de plus petite taille. Je proposai donc, sous les protestations de quelques victimes, une deuxième coupe à la jeune femme. J’attendis quelques secondes qu’elle m’en réclame une autre, qu’elle prétendit destinée à l’une de ses amies. Elle me rendit le second verre vide et ingénument celui de l’amie inexistante. C’est ainsi que je devinais que nous avions un point commun : une faiblesse pour le champagne.

    Plus tard dans la soirée, abandonnant lâchement ma copine journaliste, je suivis Sofia jusqu’à sa voiture. Nous arrivâmes tard chez elle où, pour ne pas paraître inculte en matière d’antiquités, je contemplai les nombreuses pièces qu’elle avait ramenées de ses fouilles archéologiques. Elle n’attendit pas que je lui pose des questions. Se pelotonnant contre moi, elle me versa sur le corps le contenu d’une bouteille de champagne qu’elle venait d’ouvrir. Elle était là, nue, une larme mousseuse sur les lèvres. Le vin glissa en cascade sur sa poitrine où elle convia mes mains à la caresse.

    On n’était pas là pour étudier l’archéologie, c’est sûr !

    Je me targue auprès de mes potes d’être impudique, mais lorsqu’une femme a envie d’un homme, nous sommes lents.

    Je fus violé par Sofia.

    Dire qu’elle et moi vécûmes ce que nos seuls corps éprouvèrent est mentir. J’eus l’impression de tenir ma propre âme dans mes bras. Je sus, à l’instant de cet acte d’amour, que cette femme serait mon avenir. Je perçus immédiatement dans cet euphorique émoi qu’un jour, je m’en repentirais. Mais qui refuserait un bonheur intense par crainte du lendemain ?

    Elle m’engagea comme contremaître sur un chantier archéologique qu’elle dirigeait en Syrie. Ce qui me libéra d’incessantes entrevues chez Pôle Emploi où la conseillère désespérait de m’imposer comme pigiste dans le « canard » du coin. Je suis un journaliste honnête, donc au chômage, depuis un article qui plut à mon rédacteur en chef, mais déclencha la colère, l’heure suivante, du financier du groupe. Le lendemain, je remplissais d’autres colonnes, celles d’un formulaire d’admission au chômage.

    Je n’ai pas vu grand-chose de la Syrie. C’était avant la révolte contre le régime d’el Hassad. Damas et ses grandes artères fleuries de superbes créatures qu’Allah a créées pour me convertir à l’idée que la grâce et la beauté féminine sont d’abord orientales. Très vite, la découverte des origines grecques de Sofia me confit en dévotion autant que ma ferveur le put.

    J’entr’aperçus Alep, la ville de Saladin, le temps d’immortaliser la citadelle sur mon appareil photo.

    Peu après, je me retrouvai sur un chantier de fouilles, à surveiller des Bédouins sédentarisés qui cherchaient dans la poussière ce que je ne pouvais leur décrire.

    Avant de tomber amoureux fou de Sofia, j’avais une inclinaison naturelle à la paresse, à l’alcool et aux conquêtes féminines.

    Ses aller-retours permanents entre Damas et Paris me laissèrent de longues plages de liberté. Un soir, dans un des chalets construits au bord de la Méditerranée, elle me surprit avec une jeune autochtone. Elle pleura. Je compris qu’elle m’aimait. Les jours suivants, elle installa entre nous un silence insoutenable. Je dus me résoudre à dormir sous la tente des Bédouins.

    Quinze jours passèrent et je commençais à trouver la punition excessive et ce sevrage pénible. Je glissai quelques dollars dans le carnet de service du chef des Bédouins, l’invitant à arracher des cuisines la jeune Syrienne qui me consolerait de la froideur de Sofia.

    Au cours d’une de ces soirées alourdies de mouton grillé et diluées par des litres d’arak, alors que j’étais ivre, Sofia me cueillit une deuxième fois, lutinant la jeune fille.

    Elle hurla, pleura, me gifla. Personne ne m’avait jamais giflé. Alors, plutôt que de riposter, je préférai manifester ma colère autrement. Je me saisis d’une chaise, me glissai sous la tente où étaient exposés deux mois de trouvailles archéologiques, et pris d’un coup de sang, détruisis ces vestiges de l’Histoire. C’était là le crime le plus abject qu’on puisse commettre contre une archéologue.

    Ce sacrilège scella la fin de ma vie jusque-là ordinaire.

    OUGARIT - Syrie - 23-24 avril

    — Tu pars à quinze heures ! Samir va te conduire à l’aéroport de Damas. Tu prends un vol Royal Jordanian pour Amman avec, une heure plus tard, un transit pour Paris. Ta fiche de salaire est prête ainsi qu’une enveloppe pour les taxes douanières. Tout est sur ta table de nuit. Tes billets d’avion t’attendent au desk de Royal Jordanian. On a dû déclarer un sinistre. Tu signeras les papiers pour l’assurance. Adieu.

    Elle se lève et quitte le réfectoire. Trente personnes la suivent sans prendre leur petit déjeuner. Il y a parmi eux sept Français. Arnaud Sevin, l’historien responsable de la mission, me lance un regard d’incompréhension.

    Je sors. L’air est déjà chaud. Tous se réfugient sous la tente où sont entreposés les vestiges, tentant de restaurer ce qui peut l’être. Je descends la vallée, puis remonte vers les lieux de fouilles. Je ne sais que faire, que dire… Il faut que je parte. Il me reste cependant plusieurs heures à tuer.

    Sofia…

    J’ai détruit son travail, sa raison d’être. Je dirai même ses raisons d’être, l’archéologie et je le crois maintenant, moi. Elle m’aime. Obsédé par mes pulsions d’adolescent, je me sens idiot, même pas digne de lui demander pardon. Les autres, tous les autres, même ces Bédouins qui se demandent pourquoi on examine le sol depuis des mois, me méprisent.

    Un garde armé me lance :

    — Ne prononce plus jamais le Nom de Dieu dans notre langue !

    Puis crache sur le sol dans ma direction.

    Je m’en vais vers la colline. L’air y est déjà torride en cette heure matinale. Je gravis ce que les Syriens appellent un tell, un tertre formé par les sables. On y a abandonné les fouilles après plusieurs sondes électroniques.

    Je gratte le sol, avec la pointe de mon canif suisse, pour m’occuper comme si rien n’avait changé.

    Je fouille jusqu’à midi. Ils sont à table pour les grillades, le pain chaud et les yaourts. Je n’ai pas faim. Je ferme mon couteau. À mes pieds, un bruit m’interpelle. Un objet heurte ma bottine. Je me penche, la rétine éclaboussée d’un éclat de couleur jaune. Je reprends le couteau et lentement apparaît, sortant de plusieurs milliers d’années, une toute petite statue d’or, de la taille d’un doigt. On dirait une divinité antique assise sur un trône. Son bras levé tient un sceptre érodé. Le visage et la tiare sont intacts. Avec l’extrémité de la lame, je lime délicatement la surface. C’est de l’or massif ! Je vais hurler. Je crois même que je le fais. Personne ne daigne me regarder. Je ne fais plus partie de la famille. C’est bien de l’or, le plus pur que j’aie jamais vu de ma vie. Je crie, appelle à nouveau.

    — Sofia… j’ai trouvé quelque chose…

    Elle se tourne un instant vers moi puis reprend son cheminement vers les tentes.

    — Sofia, j’ai trouvé Dieu ! J’ai trouvé la statue d’El. Oui, ce doit être El, tu sais, celui que tu m’as montré dans le catalogue des dieux antiques. Tu m’avais dit que c’était le premier dieu sémite. Viens voir !

    Je serre l’objet dans les mains et cours vers les tentes. Un Bédouin arme une Kalachnikov et tire en l’air.

    — Si tu t’approches d’elle, je te tue !

    — Mais bande de cons, regardez ! Samir, toi, mon ami, viens au moins voir ce que j’ai trouvé…

    Je brandis la petite statuette. De loin, ils ne voient rien.

    Une seconde rafale.

    Sofia se retourne.

    — Arrête ! Laisse-le rejoindre sa tente !

    Je reste là, hébété. Samir est le seul à ne pas être d’origine bédouine. Il est palestinien. Mais son poste privilégié et bien payé l’inféode à Sofia. J’ai bien envie de jeter l’objet vers eux, mais je ne sais pas pourquoi, je l’enfouis dans ma poche. Depuis des mois, on trouve des tessons, des éclats de poteries, des ossements, et là…

    Sofia me fixe.

    Puis me souffle tout bas, si bien que je ne peux que lire les mots sur ses lèvres :

    — Va-t’en !

    Impuissant, je regarde cet amour se déliter en quelques heures. Tout est tellement fragile. Je culpabilise. Je suis impardonnable. J’ai mal.

    Un jour, quand j’étais môme, pour épater les copains du lycée, j’ai tué un crapaud. J’aime pourtant les animaux. Le crépuscule tirait son rideau pâle sur les étangs. Les autres étaient rentrés chez eux, se moquant de moi, prétextant que je n’en aurai pas le courage. J’étais seul. Les brumes du soir montaient dans les branches des saules pleureurs, occultant peu à peu le chemin qui me ramènerait à la maison. Des ombres de furets, lièvres, musaraignes, oiseaux, loutres et belettes, couraient çà et là dans cette clairière que je connaissais par cœur. La panique me gagnait tandis que la nuit drapait de noir mon jardin d’enfance. La peur est un poison qui induit des pulsions malsaines. J’étais pressé d’achever ma victime. Souffrirait-elle ? Ressusciterait-elle ? Ce ne fut pas facile ! Le batracien était résistant. J’ai fait un carnage, l’écrasant de lourdes pierres, frappant de mon bâton jusqu’à l’inertie de l’animal. Puis, je suis rentré chez moi. J’ai pleuré. Le lendemain, je suis venu revoir le cadavre du crapaud qui séchait au soleil et j’eus honte. Je lui ai demandé pardon, mais la rédemption existe-t-elle quand on a détruit ce qu’on aime ?

    Cette fois, je viens de blesser une princesse. Je ne me le pardonnerai pas.

    Alors, pour tisser un ultime lien avec elle, je décide de garder cette petite statuette d’or.

    C’est ainsi que « dieu » passera la fouille de l’aéroport de Damas dans mon slip. L’or ne fait pas résonner les vieux détecteurs.

    Je suis cependant déterminé à apporter ma découverte au Louvre, dès mon arrivée à Paris.

    C’est un peu comme faire entrer notre histoire d’amour au Panthéon.

    Aéroport d’Amman

    Jordanie – 24 avril

    — Monsieur ? Monsieur ? Votre ceinture n’est pas attachée…

    — Merci…

    Le vrombissement des turboréacteurs fait trembler la carlingue. Je me suis assoupi durant les préparatifs au décollage.

    J’entends les ordres du commandant au cabin crew².

    Je ne sais que penser. Je suis là, comme un vandale et un voleur. Au fond d’un slip, collé à ma peau, une antiquité vieille de plusieurs milliers d’années me le rappelle. Je ne suis qu’une arnaque.

    Les roues du Boeing s’arrachent du tarmac. Dans moins d’une heure, nous serons à Amman.

    Par le hublot, je jette un dernier regard sur les collines qui entourent Damas, la ville des premiers chrétiens et des derniers islamistes. Quel destin !

    Alors que l’avion soulève du sol syrien quelque deux cents passagers et autant de bagages, je ressens une douleur intense. Ce n’est pas possible ! Notre histoire n’est pas finie.

    Je ne vis que par elle. Par quel miraculeux détour la vie nous amènerait-elle à nous croiser à nouveau ? Il le faut. Sinon rien n’existe là-haut…

    Je me mens pour ne pas pleurer, l’imaginant assise à mes côtés. Fermer les yeux, ne pas accepter son absence…

    Cinquante minutes plus tard, Amman se profile. Elle a l’air d’une capitale qui hésite. Nous sommes en Jordanie, chez des Palestiniens devenus sujets de monarques éduqués à l’anglaise, d’origine hachémite, arabes, musulmans, capitalistes. Les cellophanes couvrant les sandwichs jambon halal de la cafeteria de l’aéroport y sont verts, comme une des couleurs du drapeau, comme les draperies d’un mausolée islamique. Les biens nommés lieux d’aisance sont annoncés par un lent et malodorant ruisseau qui en émane.

    Mieux vaut enjamber les corps endormis à même le sol et grimper à l’étage pour atteindre les toilettes attenant au restaurant fast food, mieux entretenues. Un soldat à l’uniforme mal repassé me lance des phrases et des gestes que je ne comprends pas. Il veut que je redescende vers le ruisseau d’en bas. Je lui explique en « arabanglais » que les femmes nettoient les latrines et que je ne souhaite pas montrer mon intimité à ces êtres considérés ici comme inférieurs. Il va engueuler les préposées au nettoyage, leur reprochant sans doute d’être des femmes. Il faut dire que l’effervescence est exceptionnelle en ces jours de pèlerinage à La Mecque. Amman est une des étapes pour les musulmans. Ils sont nombreux à y attendre leurs avions, venant de tous pays d’Europe, d’Afrique ou du Moyen-Orient. D’autres viennent d’Asie, des Amériques. Ils dorment par terre, avec femmes et enfants, tout de blanc vêtus, telle une émouvante congrégation d’enfants d’Allah.

    Je gravis marche après marche l’escalator que je n’ai jamais vu fonctionner. Je m’engouffre dans les toilettes « hommes » et tente sans succès de fermer la porte d’un cabinet puant.

    J’emballe à nouveau le petit dieu El dans des serviettes en papier recyclé. Réajustant mes vêtements, je me dirige vers la porte d’embarquement pour Paris.

    — Transit ! Transit !

    À peine reçu cet ordre scandé telle une insulte pour engager les touristes à rentrer dans la zone d’embarquement, mon téléphone portable sonne. Je décroche, fébrile, prêt à dire à Sofia que je l’aime.

    — Bonjour, Monsieur Laval. Mon nom est Eli Adam. Écoutez-moi bien ! Vous allez prendre le vol 237 à destination de New York. Bon vol, Monsieur Laval !

    Un bip. Je raccroche. Je me surprends à dire merci, puis tente de retrouver le numéro de l’appelant sur mon écran. Il y est inscrit : « numéro inconnu ». Je fais immédiatement le rapport avec ce que j’ai dans le pantalon. Prétextant un oubli de bagages, je tente de m’excuser dans un arabe approximatif et sors de la zone d’embarquement sous les regards dubitatifs des douaniers. Je fonce vers l’étage aux toilettes, croise le soldat qui cette fois me sourit comme si on avait vécu « septembre noir » ensemble, me réfugie dans un cabinet, retire la statuette de mon slip et me mets à chercher un endroit pour la cacher. Dans la réserve d’eau des toilettes ? Je réfléchis. Il faut que je sois rapide.

    La porte s’ouvre sur deux hommes à la mine patibulaire et habillés de costumes sombres.

    Un frisson m’électrise le dos.

    — Nous aimerions vous offrir un verre, Monsieur Laval, me dit l’un d’eux avec un accent américain. Votre avion décolle dans une heure et trente-neuf minutes. Cela nous laisse tout le temps.

    J’ai bien envie de décliner l’invitation, mais je me dis qu’une bonne discussion devant un coca sera moins éprouvante qu’une fouille corporelle.

    — Eli Adam est collectionneur d’antiquités bibliques. Il veut vous rencontrer.

    J’observe mes interlocuteurs. On dirait les Blues Brothers du film. Ils portent des lunettes noires datant des années cinquante. Leurs costumes stricts en tissu bleu nuit ne dénotent pas du souvenir que j’ai de ce chef-d’œuvre du cinéma. Négligemment jetés sur leurs bras, il y a deux imperméables froissés. Leurs cravates ficelles démodent davantage encore leur air de mauvais garçons.

    — Vous êtes attachés à quel gouvernement ?

    — Nous sommes américains, mais détachés de tout gouvernement…

    — N’est-ce point…

    — Malhonnête ? Et voler une antiquité ?

    — Justement, je comptais…

    — Remettre cet objet aux autorités jordaniennes ?

    — Non, mais…

    — Syriennes ?

    — Écoutez… Je… Qui êtes-vous ?

    — Nous travaillons pour Monsieur Eli Adam.

    — Très bien. Je vais donc vous remercier

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