L'évaluation et la réparation du dommage corporel: Questions choisies (Droit belge)
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À propos de ce livre électronique
Injuste car cette atteinte est, dans notre droit, traitée différemment selon son origine : pathologique ou accidentelle, avec ou sans responsabilité d’un tiers, indemnisable ou non selon le régime juridique dans lequel – par hasard – elle s’inscrit. Aléatoire selon la qualité des experts qui auront à connaître de son estimation, d’une part, et des juridictions en charge de son évaluation, d’autre part.
Le présent ouvrage tente ici de faire état de la situation en apportant un éclairage actuel et novateur sur les questions suivantes :
• La création et la mise en place du Fonds des accidents médicaux institué par la loi du 31 mars 2010 : un tableau complet et critique des conditions et des modalités d’intervention de cette nouvelle institution est présenté.
• La notion d’état antérieur et son application pratique : l’influence des prédispositions de la victime ou de son état antérieur sur l’étendue de son droit à réparation, a toujours retenu l’attention de la doctrine. Cette notion est analysée ici en assurance maladie-invalidité, en accident du travail et à la lumière de l’arrêt de la Cour de Cassation du 2 février 2011 qui semble mettre fin à de nombreuses controverses.
• L’utilisation des statistiques en expertise : le rapport final de l’expert doit être le reflet d’un travail précis et scientifiquement documenté. Sont ainsi examinées les différentes méthodes et les applications pratiques de l’utilisation, par les experts, des données de la littérature scientifique.
Un ouvrage qui complètera utilement la bibliothèque de toute personne impliquée dans la matière de la réparation du dommage.
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Aperçu du livre
L'évaluation et la réparation du dommage corporel - Collectif
UTTE
Indemnisation des dommages résultant de soins de santé: la loi du 31 mars 2010
¹
Pascal S
TAQUET
Avocat au barreau de Bruxelles
Licencié en Psychologie
« Le traitement n’est pas sans risque.
Notez, la maladie non plus ! »
Introduction
L’atteinte à l’intégrité physique d’une personne est ressentie et décrite comme l’injure ultime. Pourtant, sa « réparation » est le plus souvent injuste et aléatoire.
Injuste car cette atteinte est, dans notre droit, traitée différemment selon son origine: pathologique ou accidentelle, avec ou sans responsabilité d’un tiers, indemnisable ou non selon le régime juridique dans lequel – par hasard – elle s’inscrit².
Aléatoire selon la qualité des experts qui auront à connaître de son estimation, d’une part, et des juridictions en charge de son évaluation, d’autre part. La création et la mise en place d’un nouveau mode d’indemnisation étaient donc non seulement nécessaires mais indispensables.
La loi du 31 mars 2010³ est le fruit du constat de deux échecs. Celui du régime de la responsabilité médicale qui recueille l’insatisfaction de tous les acteurs, qu’ils soient patients, professionnels de la santé ou assureurs, d’abord⁴.
Celui de la loi du 15 mai 2007 relative à l’indemnisation des dommages résultant de soins de santé qui a fait l’objet de très virulentes critiques pour être finalement abrogée sans être entrée en vigueur, ensuite⁵.
En s’inspirant du modèle français⁶, le législateur entend, par cette nouvelle loi, régler l’indemnisation de certains dommages résultant de soins de santé⁷.
Le législateur a prévu un système « à deux voies », laissant ainsi à tout patient le choix de réclamer l’indemnisation de son dommage par le biais:
d’une procédure amiable organisée par le Fonds des accidents médicaux (encore dénommé ci-après le Fonds ou le F.A.M.); ou
d’une procédure judiciaire devant les cours et tribunaux si ledit dommage trouve son origine dans la responsabilité d’un prestataire de soins.
S’agissant d’un système alternatif, la personne lésée ne pourra en aucun cas être indemnisée deux fois pour un même dommage en ayant recours cumulativement aux deux branches du système.
Si le recours à la procédure devant le F.A.M. est facultatif, celle-ci a vocation d’être plus rapide, plus simple et moins onéreuse que la procédure judiciaire. Le législateur espère ainsi que les personnes lésées préféreront recourir à la procédure devant le Fonds des accidents médicaux et éviter les affres de la procédure judiciaire.
L’indemnisation se fait conformément au droit commun de la responsabilité. Il s’agit donc d’une réparation à la fois intégrale et in concreto du dommage. Précisons-le d’emblée, la loi relative à l’indemnisation des dommages résultant de soins de santé n’institue pas une responsabilité « sans faute », dite encore « responsabilité objective ».
Le Fonds a pour mission d’organiser l’indemnisation des victimes de dommages résultant de soins de santé qui se sont produits sur le territoire belge, indépendamment de la nationalité ou du lieu de résidence du patient. Dans ce cadre, il se voit confier quatre rôles possibles:
Trier:
Le Fonds détermine dans quelle mesure le dommage résultant de soins de santé invoqué par le patient à l’appui de sa demande d’indemnisation résulte d’un accident médical sans responsabilité (aléa thérapeutique) ou s’il engage la responsabilité du praticien professionnel intervenu.
Indemniser:
Le Fonds indemnise les victimes de « complications dites anormales» survenant dans le cadre d’une prise en charge médicale sans responsabilité et entraînant un dommage qualifié de grave.
Garantir:
Le Fonds indemnise les victimes d’un dommage – quelle que soit sa gravité – résultant d’une prestation de soins de santé fautive en cas d’absence (ou d’insuffisance) de couverture d’assurance responsabilité professionnelle du prestataire de soins impliqué. En présence d’un assureur qui viendrait à contester la responsabilité du praticien assuré, le Fonds indemnise uniquement la victime d’un dommage qualifié de grave.
Assister:
Le Fonds donne, à la demande de la personne lésée ou de ses ayants droit, un avis quant au caractère raisonnable d’une offre d’indemnisation proposée par un prestataire de soins ou par son assureur. Il peut également organiser une médiation.
Nous reprendrons, dans le cadre de cet exposé, l’ordre des chapitres tels qu’ils sont présentés dans la loi.
Son champ d’application tout d’abord. Les acteurs intéressés sont des praticiens professionnels et des patients. Les prestations concernées renvoient tant à des soins de santé, soit à des actes positifs ayant pour objet de promouvoir, déterminer, conserver, restaurer ou améliorer l’état de santé du patient ou l’accompagner en fin de vie, qu’à l’absence de ceux-ci (mais uniquement alors en cas de responsabilité d’un prestataire de soins). Enfin, le dommage indemnisable doit trouver sa cause dans un accident médical sans responsabilité, lequel ne peut résulter uniquement de l’état de santé du patient et doit présenter un caractère anormal.
Avant de se pencher sur la création du Fonds des accidents médicaux et ses missions, nous envisagerons les conditions dans lesquelles ce dernier indemnise les personnes lésées. Nous constaterons à cette occasion que le Fonds peut également intervenir lorsqu’un dommage trouve sa cause dans un fait engageant la responsabilité d’un prestataire de soins si ce dernier ne bénéficie pas ou, de manière insuffisante, d’une couverture d’assurance professionnelle ou encore si son assureur conteste toute responsabilité.
La gravité du dommage intervient, dans certains cas, comme critère d’intervention du Fonds.
La procédure sera ensuite déroulée au fil de la demande, du traitement de cette dernière, de l’avis motivé donné par le Fonds et, enfin, des offres d’indemnisation qui seront formulées soit par le Fonds lui-même soit par l’assureur du prestataire de soins incriminé en cas de responsabilité de ce dernier.
1. Champ d’application
Les articles 2 et 3 de la loi spécifient à qui elle s’adresse et définissent notamment les notions de prestations de soins de santé, d’accident médical sans responsabilité et de dommage anormal, avant de préciser les contours et limites de celle-ci.
1.1. Le praticien professionnel
Il s’agit du praticien visé à l’arrêté royal no 78 du 10 novembre 1967 relatif à l’exercice des professions des soins de santé⁸ ainsi que du praticien ayant une pratique non conventionnelle visée dans la loi du 29 avril 1999⁹ relative aux pratiques non conventionnelles dans les domaines de l’art médical, de l’art pharmaceutique, de la kinésithérapie, de l’art infirmier et des professions paramédicales.
Les praticiens professionnels concernés par la loi sont donc non seulement les médecins mais également les dentistes, les pharmaciens, les accoucheuses, les kinésithérapeutes, les infirmiers, ainsi que les professions paramédicales regroupant notamment les assistants en pharmacie, les audiologues et audiciens, les bandagistes, les orthésistes, les prothésistes, les diététiciens, les ergothérapeutes, les technologues de laboratoire médical, les logopèdes, les orthoptistes, les podologues, les technologues en imagerie médicale et les ambulanciers (uniquement pour le transport non urgent des patients)¹⁰.
Cela signifie que les psychologues, sexologues, psychothérapeutes, etc., ne relèvent pas du champ d’application de la loi relative à l’indemnisation des dommages résultant de soins de santé. Seuls, dans le domaine de la santé mentale, le psychiatre, par sa qualité de médecin, et l’infirmier(ère) (psychiatrique ou non) sont nommément visés par la loi.
De la même manière qu’il y a lieu de regretter cette exclusion dans le cadre de la loi relative aux droits du patient, il faut la déplorer dans le cadre de la présente loi. En effet, les prestations effectuées par ces thérapeutes sont des prestations de santé telles que définies par ces deux lois. Une solution consisterait à étendre la notion de relation « thérapeutique » en modifiant la définition de praticien professionnel qui pourrait ainsi être « toute personne amenée à entretenir, de manière habituelle, qu’elle soit rémunérée ou non, une relation au cours de laquelle seraient accomplis des actes ayant pour objet ou présentés comme ayant pour objet ou encore pouvant être considérés comme ayant pour objet des soins de santé, et ce sans préjudice des compétences reconnues aux praticiens visés à l’arrêté royal no 78 du 10 novembre 1967 relatif à l’exercice des professions des soins de santé »¹¹.
Les praticiens qui, dans le futur, tomberaient éventuellement sous le champ d’application de l’arrêté royal no 78 intégreraient automatiquement le champ d’application de la présente loi.
1.2. L’institution de soins de santé
L’institution de soins de santé renvoie à tout établissement dispensant des prestations de soins de santé au sens de la loi et réglementée par la loi relative aux hôpitaux et à d’autres établissements de soins coordonnée le 10 juillet 2008¹², à savoir, notamment, les hôpitaux généraux ou psychiatriques et universitaires, les habitations protégées et homes de séjour provisoire, les associations de services psychiatriques et relatifs aux soins palliatifs, les maisons de repos et de soins, les maisons de soins psychiatriques, les centres de soins de jour et les centres pour lésions cérébrales acquises.
Si les maisons de repos pour personnes âgées ne sont pas incluses, l’exposé des motifs relève toutefois que les patients de ces institutions peuvent malgré tout être couverts par la présente loi dans la mesure où leur dommage découlerait d’une prestation de soins de santé dispensée par un praticien professionnel¹³.
Sont également englobés l’hôpital militaire de Neder-Over-Hembeek ainsi que les centres de transfusion sanguine¹⁴ et les laboratoires de biologie clinique¹⁵.
1.3. Prestation de soins de santé
Seul le dommage trouvant sa cause dans une « prestation de soins de santé » au sens de la loi sera pris en compte dans le cadre d’une éventuelle indemnisation.
Par prestation de soins de santé, la loi entend en son article 2, 4°, les « services dispensés par un prestataire de soins en vue de promouvoir, de déterminer, de conserver, de restaurer ou d’améliorer l’état de santé du patient ou de l’accompagner en fin de vie », reprenant ainsi la définition des soins de santé donnée par la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient¹⁶.
Cette définition des soins de santé se veut extrêmement étendue et a donc pour vocation de couvrir des prestations telles que le fait de procéder à une contraception, à une interruption volontaire de grossesse, à une procréation médicalement assistée ou encore à des accouchements, mais aussi à l’amélioration de l’esthétique du patient sous réserve de bénéficier, dans ce cas, d’un remboursement auprès de l’Institut national d’assurance maladie-invalidité (INAMI)¹⁷.
Il s’agit donc de donner à cette définition « une interprétation large, de manière à couvrir l’ensemble des actes de soins posés par un prestataire de soins à l’égard d’un patient »¹⁸.
Il y a lieu de conférer à la notion de prestation de soins une définition d’autant plus étendue que l’exposé des motifs évoque également la possibilité de la survenance d’un dommage anormal à la suite d’une absence de prestation de soins de santé (laquelle engage alors la responsabilité du prestataire de soins)¹⁹.
Trois hypothèses spécifiques ont fait l’objet de précisions dans le cadre de l’exposé des motifs.
1.3.1. Le don d’organe
La question du prélèvement d’un organe chez un donneur vivant a été envisagée. Selon l’exposé des motifs, dès lors qu’il n’est pas un patient à qui des soins de santé sont dispensés, il ne bénéficie pas de l’application de la présente loi sauf en ce qui concerne les prestations de soins réalisées lors du prélèvement de tissu ou d’organe.
Même si le statut du donneur est particulier, nous pensons pouvoir déduire de l’exposé des motifs que toutes les conséquences « anormales » ou « étrangères » au prélèvement d’organe lui-même entrent dans le champ d’application de la présente loi.
En effet, l’objectif du législateur « est d’éviter dans toute la mesure du possible qu’une personne qui reçoit une prestation de soins de santé soit exclue du bénéfice de la loi »²⁰. De plus, « il serait discriminatoire de priver le donneur du régime des garanties prévues par le présent projet »²¹.
1.3.2. Les infections nosocomiales
Les infections nosocomiales suivent le même régime que les autres types de dommages et entrent donc dans le champ d’application de la présente loi²².
1.3.3. Le non-respect de la loi relative aux droits du patient
La violation des dispositions de la loi sur les droits du patient n’a pas pour vocation d’être couverte par la présente loi dès lors qu’il ne s’agit pas d’un dommage résultant de soins de santé²³.
1.4. Le patient
Le terme « patient » renvoie à la personne physique à qui des soins de santé sont dispensés, à sa demande ou non.
Cette définition est la même que celle figurant dans la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient.
L’expression « à sa demande ou non » entend reprendre tous les soins de santé, qu’ils soient réalisés en urgence sans que le patient puisse interagir, qu’ils soient demandés par le patient lui-même ou encore par un tiers, lequel pourrait être le représentant du patient en cas d’enfant mineur, l’employeur ou l’assureur²⁴.
Si la victime du dommage résultant de soins de santé est incapable de faire valoir ses droits, l’exposé des motifs rappelle que seul son représentant légal en vertu du droit commun (par exemple: les parents ou le tuteur d’un enfant mineur, l’administrateur provisoire) a qualité pour demander la réparation des dommages subis par le patient devant le Fonds²⁵.
Les proches d’un patient peuvent être des victimes « indirectes » de l’accident médical subi par celui-ci et peuvent par conséquent demander réparation de leur dommage, qu’ils supportent « par répercussion »²⁶.
1.5. Dommage résultant de soins de santé
L’article 2, 6°, définit ce qu’il y a lieu d’entendre par « dommage résultant de soins de santé ». Il s’agit d’un dommage qui trouve sa cause dans une prestation de soins de santé et qui découle:
soit d’un fait engageant la responsabilité d’un prestataire de soins:
L’exposé des motifs précise que la notion de fait couvre aussi bien un acte qu’une omission pouvant engager la responsabilité d’un prestataire de soins²⁷.
La notion de « dommage résultant de soins de santé » est donc la catégorie générique, le primum movens permettant un éventuel bénéfice de la présente loi²⁸.
Le concept de responsabilité a été préféré à celui de faute, estimé plus restrictif. « En effet, la notion de faute, contractuelle ou délictuelle, est trop restrictive et n’inclut pas notamment la responsabilité du fait des choses et d’autrui, notamment dans le cadre de l’article 1384 du Code civil »²⁹.
Le F.A.M. pourra être, le cas échéant, sollicité dans le cadre de dommages résultant de soins de santé qui trouvent leur origine dans le vice d’une chose sous la garde d’un prestataire de soins.
soit d’un accident médical sans responsabilité:
Le concept d’« accident médical sans responsabilité » a été préféré, pour des raisons de difficulté de traduction néerlandaise, à la notion d’« aléa thérapeutique »³⁰.
L’aléa médical est défini par la jurisprudence comme « un événement dommageable survenu au patient sans qu’une maladresse et plus généralement une faute quelconque puisse être imputée au praticien et sans que ce dommage se relie à l’état initial du patient ou à son évolution prévisible »³¹.
Rappelons que la survenance d’une complication connue et publiée dans la littérature scientifique ne doit pas être systématiquement considérée comme un aléa thérapeutique et donc exempte de toute faute. Il s’agirait d’un raccourci scientifiquement erroné. En effet, la survenance d’une complication connue