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Le travail flexible et atypique
Le travail flexible et atypique
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Livre électronique461 pages6 heures

Le travail flexible et atypique

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À propos de ce livre électronique

Le contrat de travail à temps plein et à durée indéterminée est censé être le contrat « standard » gouvernant les relations entre employeurs et salariés. Protecteur des intérêts du salarié, cette forme d’emploi peut se heurter au souhait des entreprises de disposer d’une main-d’œuvre flexible qui s’adapte aux fluctuations de la demande et aux changements technologiques.

Les statistiques montrent qu’au Luxembourg, les formes flexibles et atypiques de travail restent en-deçà de la moyenne européenne, mais que leur taux est en augmentation.

Le contrat à durée indéterminée en soi offre une certaine flexibilité dite ‘interne’ au niveau de la durée, de l’horaire, du lieu, des fonctions, de la rémunération ou encore de la résiliation pour motif économique. Pour mieux maîtriser les effectifs de l’entreprise (flexibilité externe), l’entreprise peut avoir recours à des formes précaires d’emploi, tels que le contrat à durée déterminée, le travail intérimaire et les diverses formes de contrats d’insertion, qui sont strictement encadrées par le Code du travail. En dehors d’un cadre légal précis se développent par ailleurs d’autres formes de travail flexibles, tels que la fausse indépendance, les contrats dits « zéro heures », le travail intermittent, le portage salarial, les Minijobs ; encore peu présents au Luxembourg, ces contrats connaissant une progression remarquable dans nos pays voisins.

Cette problématique très actuelle n’a pas encore fait l’objet d’analyses juridiques détaillées en droit luxembourgeois. Pour cette raison, l’auteur a décidé de se pencher sur les réponses que notre droit social apporte actuellement et pourrait apporter à l’avenir à l’encadrement des relations d’emploi pour trouver un équilibre entre la sécurité recherchée par les salariés et la flexibilité souhaitée par les employeurs.
LangueFrançais
Date de sortie13 juil. 2016
ISBN9782879749921
Le travail flexible et atypique

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    Le travail flexible et atypique - Jean-Luc Putz

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    ISBN 978-2-87974-991-4

    ISSN 2305-5642

    Conventions collectives citées

    Chapitre I

    Introduction

    1. Notion de travail atypique

    2. Point de vue de l’employeur

    3. Point de vue du salarié

    4. Incidence d’ordre public

    5. Facteurs favorisant le recours au travail atypique

    1    Les besoins de flexibilité des entreprises se heurtent souvent aux désirs de stabilité des salariés. La pratique invente de nouveaux modes d’organisation du travail, et le droit – souvent avec retards – doit leur fournir un cadre juridique adéquat. Cet ouvrage se penche sur les réponses fournies par le droit luxembourgeois aux nouvelles formes de travail. Si à l’étranger, la doctrine s’intéresse aux formes émergentes de travail, aucune étude juridique ne s’est encore intéressée à notre connaissance à la situation spécifique du Luxembourg. Nous tentons donc une première approche, mais dans bien des cas, nous devons constater l’absence de réponse fournie par notre droit.

    La mission du droit du travail est d’établir un juste mais délicat équilibre entre d’un côté les besoins des entreprises et d’un autre côté la protection du statut des salariés. Ce travail est réalisé, pas toujours à perfection, tant par le législateur que par la jurisprudence. Par exemple, le recours aux contrats précaires est clairement encadré par la loi, tandis que l’encadrement du licenciement économique est une œuvre essentiellement jurisprudentielle.

    2    Besoin de s’adapter. L’entreprise est une entité vivante. Elle doit sans cesse s’adapter à la demande des clients, aux variations des prix d’approvisionnement, au progrès technologique, à l’apparition de nouveaux concurrents, etc. (réactivité industrielle). Elle est exposée à des fluctuations sur lesquelles elle n’a aucune emprise, tels par exemple la conjoncture économique, des changements de mode ou des variations saisonnières.

    Le chef d’entreprise se voit ainsi obligé d’adapter en permanence les facteurs de production. Le « travail » au sens de main-d’œuvre, donc d’effort humain, est un facteur important. Il est d’autant plus important dans une économie qui se tertiarise et dans laquelle les facteurs de production matériels (locaux, machines et installations, etc.) passent au second plan.

    Pour l’entrepreneur, s’adapter signifie donc prendre des décisions à l’égard des personnes qui travaillent pour compte de l’entreprise.

    Il serait faux d’aborder la question de la flexibilité exclusivement du point de vue de l’employeur. Le salarié peut également légitimement aspirer à une certaine flexibilité, par exemple pour organiser sa vie familiale, intellectuelle, spirituelle ou sportive. Certains mécanismes, tels l’horaire mobile ( 108), lui garantissent une certaine flexibilité. Mais de manière générale, le droit du travail a pour objectif de protéger le salarié en lui accordant des droits dans l’intérêt de sa vie privée : droit au congé annuel, droit à toute une panoplie de congés spéciaux (p.ex. dans un but sportif, dans un but de formation), droit à un congé parental, limitation de la durée maximale de travail, etc. Au moment de l’embauche, il peut (tenter de) négocier des conditions flexibles et favorables. Mais au-delà, le droit lui offre peu de possibilités pour imposer sa volonté unilatérale à l’employeur. Cela paraît normal dans la mesure qu’il a accepté de se subordonner à l’employeur et de suivre ses ordres et que par ailleurs, ses desiderata personnels doivent souvent céder face aux exigences d’une organisation collective telle une entreprise. Enfin, il dispose d’une prérogative substantielle par rapport à l’employeur : il est libre à tout moment de résilier le contrat de travail avec préavis, sans devoir se justifier et sans devoir fournir le moindre motif.

    3    L’intérêt limité des statistiques. Nous ferons état dans notre travail de statistiques diverses. L’objet de notre contribution n’est cependant pas de fournir des chiffres exacts ou les chiffres nécessairement les plus actuels. Si des données statistiques sont présentées, elles le sont de manière sommaire et schématique, dans le but de montrer l’importance d’un phénomène et son évolution sur le long terme. Le juriste doit toujours regarder les statistiques avec un certain recul et il ne saurait être sensible aux variations sur le court terme, puisque ce n’est souvent que des années, parfois des décennies après l’apparition d’un phénomène que la législation sociale est adaptée ou que les juridictions supérieures tranchent. Ainsi par exemple, le projet de loi sur le travail à temps partiel a été déposé en 1983 ¹ et n’a abouti qu’en 1993 ² (« Une genèse longue mais fructueuse » ³). Pour le travail intérimaire, 5 ans séparent le dépôt du projet de loi ⁴ et le vote de la loi en 1993 ⁵. Sans compter qu’avant qu’un projet de loi ne soit déposé, il y a en principe déjà eu d’importantes discussions et tractations avec les acteurs intéressés.

    4    Le concept de « travail atypique » s’est imposé dans la littérature, tant sur la sociologie du travail que sur le droit du travail. Il ne s’agit cependant pas d’une notion juridique à proprement parler, mais plutôt d’une notion qui regroupe diverses formes de contrat ou mécanismes juridiques sur base du constat empirique d’une déviation de la norme. Notre Code du travail ne la mentionne que dans un seul article ⁶.

    Il n’existe pas de définition précise du travail atypique. La définition est plutôt négative, par démarcation d’une forme « typique » de travail à laquelle il est dérogé sur un ou plusieurs aspects. Puisque la structure du marché du travail évolue, la notion de travail atypique évolue de pair. Par exemple jusqu’au milieu du siècle dernier, le travail féminin pouvait être considéré comme étant un travail atypique, dans la mesure où il était peu fréquent⁷ (du moins dans certains secteurs), peu encouragé, et à de nombreux égards soumis à un régime juridique différent. Dans un mode essentiellement agricole, puis industriel, le travail intellectuel était aussi en quelque sorte atypique et peu répandu, et a ainsi donné naissance au statut dérogatoire – et convoité car favorable – de l’employé privé.

    En adoptant une définition large, il s’agit donc de toute forme d’emploi qui remet en cause la façon typique, « normale » ou « traditionnelle » de travailler, notamment au niveau des modalités de travail (durée, horaire, lieu de travail), de la durée du contrat ou encore du statut légal (en particulier intervention d’un tiers). Il faut donc s’intéresser à la genèse d’une forme de travail considéré comme « typique ») (titre 1.1.) avant d’analyser quelles sont les cas dans lesquels il est dérogé à cette norme (titre 1.2.).

    1.1 Le chemin vers un travail « typique »

    5    Précarité issue de la liberté civile. La liberté contractuelle qui gouvernait initialement la relation de travail était nécessairement synonyme de précarité. Les parties pouvaient librement convenir d’un contrat à durée indéterminée ou à durée fixe. La résiliation unilatérale du contrat pouvait se faire moyennant de brefs préavis, sans devoir indiquer de motifs. La condition ouvrière était par nature instable et non sécurisée ; la plupart des ouvriers vivaient au jour le jour, sans possibilité d’épargner et sans avoir accès à l’emprunt, l’accès à la propriété immobilière étant utopique. Les seuls employés privés, peu nombreux, bénéficiaient depuis 1919 d’un minimum de stabilité.

    6    Le CDI comme standard. Après-guerre, les «  Trente Glorieuses  » ont été marquées par l’acquisition et la consolidation de nombreux acquis sociaux, notamment un début de protection contre le licenciement. Un cadre légal rigide s’est ainsi mis en place. Les entreprises proposaient des emplois souvent à vie et avec des perspectives de carrière, le travail étant cadencé d’après un rythme relativement régulier. Un standard s’est ainsi développé, à savoir celui du CDI à temps plein avec un horaire fixe de jour, sinon du moins un horaire prévisible et planifié d’avance. Avec la tertiarisation, la semaine de 5 jours – du lundi au vendredi – se généralise pour une large partie de la population salariée. Longtemps a prévalu la croyance que cette forme de contrat standard fournirait un cadre adapté aux relations de travail de toute nature.

    7    Réglementation du contrat employé dès 1919. La notion d’employé fait son apparition en droit luxembourgeois en 1895 ⁸ lorsque la loi encadre la saisie de la rémunération des « employés ou commis des sociétés civiles ou commerciales ». Les employés privés bénéficient d’un encadrement légal de leur contrat de travail dès 1919 ⁹. Cette loi constitue un « texte pionier » fixant la structure de la législation applicable aux employés pour l’avenir, les réformes de 1937, 1962 et 1972 ne faisant qu’étoffer et élargir ce cadre préexistant ¹⁰. Il faut cependant relever que les idées initiales pour réglementer le contrat d’employé ont été très innovantes pour l’époque ¹¹ (convention collective de travail, participation aux bénéfices, etc.), mais n’ont pas été reprises dans la loi finale. L’objectif était de garantir les employés « contre l’arbitraire et l’exploitation du patron ou de l’entrepreneur, et pour donner en même temps plus de stabilité à leur situation » ¹².

    8    Réglementation du contrat ouvrier en 1970. En 1962, Armand Kayser ¹³ observe que pour la grande majorité des travailleurs, seul le droit commun, constitué par le code civil et le code de commerce, est applicable dans leurs relations contractuelles avec leurs employeurs ; il s’agit des ouvriers de l’industrie, des métiers et du commerce, de la plupart des ouvriers de l’agriculture, des gens de maison et des ouvriers de l’État et des communes. Les conventions collectives et les usages devaient suppléer au défaut d’une réglementation légale plus poussée.

    Au moment d’encadrer le contrat des employés, le législateur avait estimé qu’il valait mieux s’attaquer à une seule « face du problème » et de ne pas aborder la question ouvrière, afin de ne pas faire échouer l’initiative législative par des ambitions trop grandes. Ainsi, les ouvriers devront attendre jusqu’en 1970 pour voir leur contrat encadré par la loi¹⁴. Lorsque le législateur s’est enfin résolu à réglementer le contrat des ouvriers, il était acquis qu’une telle réglementation était indispensable. En particulier, on a constaté que le licenciement individuel était abandonné « à des usages désuets dont ce délai dérisoire de 8 jours de préavis » ¹⁵.

    9    Loi de 1989. La loi du 24 mai 1989 sur le contrat de travail a unifié des aspects importants du régime contractuel des ouvriers et employés. Cette loi a été précédée d’un long travail préparatoire remontant à 1979, lorsque le Conseil Économique et Social avait été saisi d’un avant-projet de loi portant réglementation uniforme du contrat de travail des salariés.

    A compter de 1989, ouvriers et employés seront soumis à un régime contractuel identique en ce qui concerne les points centraux de la formation et de la résiliation du contrat de travail. Vingt ans plus tard, en 2009, le Statut Unique balayera les dernières différences.

    Le principes énoncés dans la loi de 1989 guident encore notre législation actuelle, notamment en ce qui concerne la protection contre le licenciement des salariés travaillant sous CDI et les cas d’ouverture du CDD.

    10    Montée du travail précaire. Durant la crise économique des années 1970, les entreprises se sont mises à recourir à des formes dites atypiques de travail, tel le travail intérimaire, les contrats à durée déterminée et la sous-traitance temporaire de main-d’œuvre ¹⁶. L’évolution économique étant incertaine, les entreprises ont en effet hésité à embaucher à durée indéterminée.

    « Les pratiques de gestion de la main-d’œuvre adoptées par de nombreuses entreprises sous l’impact de la crise économique et se traduisant par le recours accentué aux formes dites atypiques de travail, à savoir le contrat de travail intérimaire, le contrat de travail à durée déterminée et la sous-traitance temporaire de main-d’œuvre »¹⁷.

    Le chômage qui résultera de cette crise s’avérera structurel et ne sera plus résorbé, ce qui fragilise la position de négociation des salariés ; en outre, l’ouverture des marchés fait passer la compétitivité des entreprises sur le devant de la scène et augmente leur besoin de flexibilité en matière de main-d’œuvre. Pour certains le chômage, donc la concurrence entre les salariés les faisant accepter des conditions de travail moins favorables, a soutenu le développement des formes de travail atypique. Pour d’autres, le chômage est induit par une trop forte réglementation du marché du travail et sa libéralisation, notamment à travers de nouvelles formes d’emploi, permettraient de créer des emplois (voir à ce propos  318). Le travail précaire gagne en importance, ce d’autant plus qu’il n’existe pas d’encadrement légal.

    Un autre facteur important est d’ordre législatif : en 1989, le droit du licenciement est profondément réformé. Si, jusqu’ici, il appartenait au salarié d’établir le cas échéant qu’il y avait eu abus lors du licenciement avec préavis, il appartiendra désormais à l’employeur de motiver tout licenciement et de fournir des preuves à l’appui. Or, un durcissement de la résiliation du CDI peut amener les employeurs à préférer d’autres formes de contrat plus souples.

    La segmentation du marché du travail ( 39) a ainsi été amorcée. Les plus chanceux entreront dans le marché primaire et bénéficieront d’emplois stables. Les autres devront se contenter de travail occasionnel ou irrégulier sur le marché secondaire, situation dans laquelle ils risquent de s’enliser ; comme le note Marcelle Stroobants¹⁸, cette forme de travail affecte avant tout les plus marginalisés, les plus faibles (femmes, jeunes, immigrés).

    11    Mutation du cadre économique. L’ouverture des marchés est double, à savoir tant sur le plan mondial que sur le plan européen (marché unique). L’économie se tertiarise avec le développement du secteur des services, secteur offrant moins d’emplois pour les personnes à faible qualification. Par ailleurs, certains services sont plus faciles à délocaliser ou à externaliser. Combinée avec une mobilité croissante des capitaux, la pression qui s’exerce sur les entreprise augmente, pression qui se répercuté sur leurs salariés. Les salariés sont autant exposés à la concurrence que les entrepreneurs.

    12    Nouveaux défis technologiques . Le développement des moyens technologiques modifie profondément l’organisation du travail. Pour les travailleurs intellectuels, les moyens de télécommunication réduisent la nécessité d’être présent à l’entreprise pour travailler. Pour certains, la technologie représente donc un gain de liberté et d’indépendance, au point même de poser défi au concept de « subordination » qui non seulement caractérise le contrat de travail, mais est aussi considéré comme critère justifiant l’existence d’une législation sociale protectrice. Pour d’autres par contre, les nouvelles possibilités techniques conduisent à un contrôle patronal omniprésent, créant ainsi une forme de « super-subordination » dans laquelle chaque geste est enregistré, analysé, contrôlé et le cas échéant sanctionné. Au-delà des possibilités classiques de suivre l’activité des salariés sur leurs ordinateurs ou de tracer le déplacement des véhicules de l’entreprise, l’Internet des objets ( Internet of things ) fait en sorte que chaque outil de travail générera en permanence des données. Avec les wearables (technologie portable) apparaissent des outils que le salarié porte sur lui, voire même des vêtements intelligents (gants, chaussures) ; le patron est toujours présent au bout du poignet. Par ailleurs, ce n’est plus le supérieur hiérarchique qui détecte les fautes et problèmes, mais de nouveaux algorithmes permettent d’analyser l’état du salarié en se basant par exemple sur son style de frappe, son rythme cardiaque ou sa courbe thermique.

    L’automatisation croissante de la production dans des « usines intelligentes » (dite « industrie 4.0 ») change aussi les besoins en main-d’œuvre. Le salarié ne doit plus être présent en permanence pour travailler, mais l’employeur a besoin d’une disponibilité sans faille pour intervenir lorsque l’automatisation atteint ses limites. Le concept de durée de travail, souvent vue comme une obligation d’être présent à l’entreprise 8 heures par jour, est ainsi mis à l’épreuve. L’informatisation du travail permet aussi de le scinder en petites portions qui peuvent être exécutées les unes indépendamment des autres et n’exigeant ainsi plus des heures de travail fixes pour tous les salariés ; cette séparation du travail en « micro-jobs » peut être organisée autour d’une plateforme en ligne ( 254). Cette évolution n’est pas sans rappeler l’introduction du travail à la chaîne, dont l’objectif était également de scinder le travail en petits gestes répétitifs, rendant le salarié échangeable à tout moment, que ce soit par un autre salarié ou – en cas d’évolution technologique – par une machine ou un algorithme.

    13    Besoin d’encadrement. Le droit peut parfois façonner la réalité, mais très souvent il se voit obligé d’accompagner les changements économiques afin d’en contrer les abus. Notre législation sociale devra ainsi tenir comptes des nouvelles formes d’organisation du travail, tout en fixant un cadre protégeant les intérêts des salariés. De nouvelles formes de travail verront le jour, et plutôt que de tenter de vainement les interdire, le législateur serait bien conseillé de les accompagner au plus tôt, afin de garder une part de contrôle.

    Les nouvelles technologies offrent d’ailleurs également de nouvelles perspectives pour assurer le respect de la législation. Une conformité légale « by design » permet de rendre une infraction à la loi tout simplement impossible, par exemple en empêchant le salarié d’accéder de nuit à son courrier électronique, en imposant des pauses en cas de travail continu devant écran ou encore en déviant l’appel si le salarié se trouve être en mouvement à plus de 10 km/h.

    14    Formes ‘nouvelles’ d’emploi ? Les formes atypiques de travail sont souvent qualifiées de « nouvelles », mais il est possible de trouver dans notre histoire sociale des formes de travail qui y ont ressemblé. Pour les contrats à durée déterminée, il suffit de rappeler que jusqu’en 1989, l’employeur pouvait librement recourir à cette forme de contrat, qui n’avait donc rien d’atypique. Le télétravail actuel n’est pas sans rappeler le « domestic system » dans lequel les industriels et négociants – notamment dans le domaine du textile – fournissaient aux agriculteurs et ouvriers des matières premières pour confectionner les commandes à leur domicile. Les problèmes de l’époque refont surface : isolation du salarié, salaires à la pièce dérisoires, horaires de travail incontrôlables, etc. A lire le discours du député Brasseur, une forme ancienne de travail intérimaire (resp. de job-sharing ) avait également fait son apparition à la fin du 19 e  siècle et est venue concurrencer les ouvriers :

    « il y a une plaie qui existe et qui a été introduite dans note pays par des étrangers, par des Belges. Ce sont des entrepreneurs qui s’établissent dans un centre industriel et qui font des entreprises avec les grands établissements industriels soit pour faire les déblais à un prix convenu, soit pour extraire les mines ; ils ont autant par waggon. L’entrepreneur alors attire les ouvriers, et le plus souvent on se demande comment il est possible que le tâcheron ait pu faire la besogne à ce prix là, car le patron ne pourrait pas le faire à ce prix … les cheminots, comme on les appelle, qui sont embauchés par ces entrepreneurs et qui forment, dans le canton d’Esch, une véritable plaie pour la classe ouvrière »¹⁹.

    1.2 Les caractères atypiques

    15    Le tableau ci-après reprend les critères qui définissent le travail « typique » (ou « souhaitable » ou « optimal »), ainsi que les cas dans lesquels il y est dérogé et qui peuvent donc être considérés comme atypiques.

    On peut distinguer deux catégories de travaux atypiques, à savoir :

    – Ceux qui déplacent le risque économique. Le problème de toute forme de durée de travail flexible réside dans le fait que le risque économique (risque de fluctuation de la demande) qui habituellement réside sur le patron, sera supporté par le salarié.

    – Ceux qui bousculent la vie privée des salariés (lieu de travail, horaire).

    Une autre possibilité de classification consiste à distinguer entre flexibilité interne et flexibilité externe.

    – Par flexibilité interne, nous entendons la possibilité de modifier les conditions de travail des salariés existants.

    – Par flexibilité externe, nous entendons les formes de contrat qui permettent à l’entreprise de faire varier ses effectifs.

    Le choix entre ces deux formes de flexibilité incombe avant tout à l’employeur qui est – dans les limites de la loi – maître de la gestion de ses ressources humaines. Ce choix peut cependant aussi poser une question de solidarité, à chacun des salariés et également à leurs délégués et aux syndicats. Faut-il préférer garder ses avantages, quitte à ne pas renouveler les salariés précaires, voire à accepter que certains des salariés en CDI soient licenciés ? Ou est-il préférable de mutualiser l’effort, chacun faisant un effort pour maintenir l’emploi ?

    Il n’est pas rare de voir que plusieurs de ces critères se cumulent. Ainsi par exemple, les CDD sont plus fréquents à être à temps partiel que les CDI²⁰.

    16    Travail frontalier. Le travail frontalier présente certaines spécificités au Luxembourg. Il est cependant difficile de le considérer comme étant un travail atypique, puisqu’il représente près de la moitié des salariés du secteur privé. Les règles du droit du travail ne changent par ailleurs pas en fonction du lieu de résidence du salarié. Au Luxembourg, les travailleurs frontaliers ne peuvent donc être considérés comme travailleurs atypiques, ni par leur nombre, ni par leur statut juridique. Néanmoins, dans les faits, cette catégorie de salariés se démarque sur certains points. Les frontaliers étaient plus affectés par la baisse des recrutements survenus depuis la crise économique (2009/2010) ²¹. Par contre, « de 2003 à 2010, les catégories socioprofessionnelles ont largement changé, avec une part de frontaliers occupant un poste de directeur ou de cadre supérieur en forte hausse » ²².

    17    Situation au Luxembourg. Il n’existe que peu de publications qui s’intéressent au travail atypique au Luxembourg. En ce qui concerne les formes « classiques » de travaux atypiques, le Luxembourg reste en bonne position dans la moyenne européenne. Le taux de CDI est élevé au Luxembourg. De même, le travail à temps partiel est moins développé que dans d’autres pays – ce qui avait d’ailleurs incité le législateur à revoir la législation afin que l’offre de postes à temps partiel s’agrandisse.

    Paul Zahlen retient que :

    « d’une manière générale, le travail ‘atypique’ est moins développé au Luxembourg que dans l’EU-15 en moyenne. Le temps partiel et les contrats à durée déterminée sont moins fréquents dans notre pays que dans les pays voisins. Quant aux horaires de travail atypiques, ils sont également moins fréquents au Luxembourg que dans l’EU-15 en moyenne et que dans les pays voisins, à l’exception de la Belgique. Néanmoins, des formes de travail ‘atypique’ semblent se développer au Luxembourg. Le temps partiel progresse, de même que le travail temporaire. La part des contrats à durée déterminée (CDD) augmente fortement, plus particulièrement chez les jeunes »²³.

    18    Selon son étude sur les nouvelles formes d’emploi publiée en 2015 par Eurofound ²⁶, le Luxembourg se démarque de la plupart des autres pays par le fait qu’une seule forme « nouvelle » a été trouvée (le prêt temporaire de main-d’œuvre), tandis que dans certains pays de nombreuses formes nouvelles ont fait leur apparition. Le Luxembourg se montre dès lors assez peu innovateur et préfère une approche classique.

    Le principal but recherché par l’employeur en recourant au travail atypique est de gagner en flexibilité dans la gestion des ressources humaines et donc de faire des économies pour augmenter sa rentabilité. Le travail atypique fait aujourd’hui partie de toute gestion des ressources humaines dans les entreprises.

    19    Flexibilité interne . La flexibilité interne (heures supplémentaires, chômage partiel, comptes d’épargne-temps, rémunérations variables) permet de réaliser des économies sans modifier les effectifs. Mais la flexibilité interne a nécessairement des limites ; ainsi, les heures de travail et de repos ne peuvent pas indéfiniment être reportées, les salariés ne peuvent sans cesse être changés de poste. La flexibilité interne peut également engendrer certains coûts. Un investissement administratif et organisationnel est nécessaire, par exemple pour dresser les POT ou pour gérer un compte épargne-temps. Le cas échéant elle peut emporter l’obligation de payer des majorations, en particulier en cas de prestation d’heures supplémentaires.

    20    Flexibilité externe. La flexibilité externe permet à l’entreprise de s’adapter en modifiant les effectifs (flexibilité numérique), tout en évitant les rigidités liées au CDI classique, notamment quant à la procédure de licenciement.

    Elle peut présenter le désavantage d’emporter des coûts relativement élevés pour l’entreprise, à savoir : les coûts liés au recrutement ; les coûts liés à l’intervention d’un intermédiaire (agence d’intérim, entreprise de portage, etc.) ; les coûts relatifs à la formation initiale (et perte de cet investissement en cas de départ du salarié). Un emploi durable évite les coûts de formation et d’embauche et peut à ce titre être préféré par l’employeur.

    Lors de l’encadrement législatif du travail intérimaire, le législateur a estimé qu’« il appartient aux grandes entreprises luxembourgeoises, dans leur propre intérêt, non point d’utiliser des moyens de flexibilité externe, mais de développer davantage des formules de flexibilité interne, telle que la gestion prévisionnelle de l’emploi »²⁷.

    21    Coût du turn-over. Selon une étude réalisée par Kristell Leduc , la rotation de la main-d’œuvre dans les entreprises (turn-over) est relativement élevée. Ainsi, environ la moitié des entreprises de plus de 50 salariés affichaient entre 2004 et 2006 un taux de rotation de 5 à 10 % ; 6,6 % des entreprises remplaçaient même sur cette période de deux ans 40 postes sur 100. Le turn-over est le plus élevé dans le secteur de l’horesca et le moins élevé dans l’industrie et la construction. Les entreprises seraient plus enclines aujourd’hui à retenir leur personnel afin de réduire leur « turn-over », coûteux (difficultés et frais de recrutement, de formation) et pouvant jeter une image négative sur l’entreprise ²⁸. Il s’agit aussi de valoriser les formations, compétences et expériences acquises en interne. Selon cette même analyse, deux critères joueraient un rôle essentiel, à savoir la satisfaction des salariés vis-à-vis du mode de gestion de la main-d’œuvre ainsi que les conditions salariales. Cette étude ne surprend pas lorsqu’elle arrive à la conclusion qu’un salarié sera plus enclin à rester dans son entreprise si celle-ci offre un salaire et des primes plus attractifs que ses concurrents. Mais elle souligne également l’importance des pratiques de gestion de ressources humaines ; elle relève un taux de rotation plus faible de la main-d’œuvre dans les entreprises ayant pris des mesures en faveur des salariés au niveau des horaires et de la pénibilité du poste.

    22    Démotivation et rentabilité . Les salariés précaires développent logiquement un lien moins fort avec leur entreprise. Il s’agit d’une main-d’œuvre volatile, toujours à la recherche de conditions de travail plus favorables. Cette moindre identification à l’entreprise peut se traduire par une moindre motivation au travail et une moindre qualité de la prestation. La cohabitation, sur le même lieu de travail, entre des salariés permanents et des salariés externes au statut moins favorable peut aussi être à l’origine de tensions et de dissensions et peser sur le climat social dans l’entreprise.

    23    Insécurité juridique . Si l’employeur se montre trop innovateur en recourant à de nouvelles formes de travail ou en imposant des clauses contractuelles peu usuelles, il s’expose à un risque juridique non négligeable. Si la légalité de sa démarche est remise en cause et que les clauses sont annulées ou les contrats requalifiés, il risquera de devoir rétroactivement débourser davantage que dans ses prévisions. Ce constat est particulièrement vrai au Luxembourg, où il n’y a que peu de jurisprudence en la matière. Citons l’exemple de l’entrepreneur qui voulait copier au Luxembourg le modèle français du « portage salarial » et qui au final a été condamné à une amende de 3 500 euros et a été obligé d’abandonner son projet.

    24    Le travail atypique est généralement vécu par le salarié comme étant une contrainte supplémentaire, détériorant la qualité des conditions de travail. Il est plus exceptionnel que la flexibilité et l’atypicité rencontrent les désirs des salariés. Ainsi, le type de contrat de travail est un élément clé de la satisfaction au travail et de la qualité des conditions de vie et de travail des salariés. D’autres facteurs influent cependant également, telle la qualité des relations sur le lieu de travail (p.ex. problèmes de harcèlement) ou le contenu du travail (p.ex. travail monotone, charge de travail excessive engendrant du stress).

    3.1 Avantages

    25    Un des arguments classiques avancés pour présenter le travail atypique comme étant également dans l’intérêt du salarié consiste à dire qu’il permettrait de mieux associer vie privée et vie familiale. Ce constat peut s’avérer exact pour certaines formes de travail, tels l’horaire mobile, le télétravail ou le travail à temps partiel. Ce dernier permet notamment aux femmes qui donnent naissance à

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