Projet Vulcain
Par Joseph Stroberg
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À propos de ce livre électronique
Après la fin de la Grande Tribulation des vingtième et vingt et unième siècles, l'Humanité a développé une toute nouvelle société. Celle-ci est organisée en sept grands groupes informels et non figés. Il n'existe plus de gouvernements ni d'administration et bon nombre de métiers ont disparu. Plusieurs personnages ordinaires vont être amenés à interagir plus ou moins directement pour faire face à une situation extraordinaire et développer un projet d'exploration spatiale.
Milton, un « veilleur » des anciens États-Unis, Myrdhas, un jeune de l'ancienne France en recherche d'identité qui s'interroge sur la légende du Grand Monarque, Thorkel, un « découvreur » parapsychique capable de voir à distance, Ilmina, une « navigatrice » de l'ancienne Italie, Noursultan, un chasseur d'Asie centrale et Lisane, une mère de famille « conciliatrice », voient leurs destins se croiser alors qu'une vague de crimes inexpliqués et la panne du « Réseau » viennent gravement perturber la paisible vie planétaire.
Le projet Vulcain répondra-t-il aux espoirs de l'Humanité de contacter une race extraterrestre susceptible de l'aider face à une situation dont les causes lui échappent ?
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Aperçu du livre
Projet Vulcain - Joseph Stroberg
Joseph Stroberg
Projet Vulcain
Les couloirs du temps
First published by Editions Dedicaces 2020
Copyright © 2020 by Joseph Stroberg
Publié par les Editions Dédicaces.
Tous les droits sont réservés. Aucune partie de cette publication ne peut être reproduite, stockée ou transmise sous quelque forme ou par quelque moyen que ce soit, électronique, mécanique, photocopie, enregistrement, numérisation ou autre sans l’autorisation écrite de l’éditeur. Il est illégal de copier ce livre, de l’afficher sur un site Web ou de le distribuer par tout autre moyen sans permission.
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Publisher LogoUn grand merci à Ginette.
Ce livre est dédié à Marielle, Michelle, Louise, Florence et Ginette.
Contents
1. Une vision du passé
2. Régresser ou non
3. Réparation ou préparation
4. Projet Vulcain
5. Mauvaise surprise
6. Black-out
7. Archives
8. Retour de chasse
9. Retour d’appel
10. Interlude
11. Rassemblement
12. Une dernière fois
13. Carnage
14. Légende sans tête
15. Retour aux sources
16. Bredouilles
17. Secours
18. Perdus
19. Cadeau
20. Artefact
21. Régression
22. Impuissance
23. Enquête
24. La faim
25. Départ
26. Rencontre fortuite
27. Pauvre Georgio
28. Massacrés
29. Demi-tour
30. Le choc
31. Ruines
32. Télépathie
33. Vertige
34. Décollage
35. Cogitation
36. Déconfiture
37. Formations
38. Télépathie
39. Décollage
40. Arts martiaux
41. Cubix
42. Le procès
43. Élémentaux
44. Nouveau défi
45. Vulcain
46. Contact
47. Révélations
48. Retour sur Terre
Épilogue
1
Une vision du passé
Milton survolait l’océan depuis déjà presque une heure en direction de Zoulande. Sous un soleil vif de cette fin de printemps, l’eau se parait de myriades de reflets chatoyants. Quelques baleines venaient de faire surface le temps de faire le plein d’air avant de replonger dans la vaste étendue marine. Veilleur aguerri, l’homme d’une quarantaine d’années ne se sentait pas l’esprit particulièrement poétique. La couleur des vagues et le mouvement des dauphins ne remuaient en lui aucune émotion particulière. Il était concentré sur son objectif. Il avait décidé ce matin d’aller faire un tour sur l’île du bannissement. Il voulait s’assurer que les Réfracs n’y échafaudaient pas quelques mauvais plans. Le reste tendait ainsi donc à passer en arrière-plan de sa conscience. Arborant une moustache naissante, les traits du visage anguleux, les cheveux en brosse, on aurait pu le prendre pour un colonel de l’ancien temps.
Vêtu d’un simple maillot blanc et d’un pantalon moulant, tenue classique en cette époque, notamment pour l’économie de tissus que cela permettait, il pilotait un uv (utilitaire volant) pris un peu plus tôt dans le quartier est de Jackson. La petite localité se situait en Louisiane, au nord de l’ancienne Nouvelle Orléans. La grande ville se trouvait aujourd’hui sous les eaux. D’autres veilleurs habitaient nettement plus près du Pacifique et pouvaient accomplir aussi bien que lui ce type de travail de reconnaissance. Cependant, ces modèles d’uvs avaient une autonomie quasi illimitée, fonctionnaient par antigravitation et puisaient leur énergie de propulsion dans le champ électromagnétique terrestre. Sa présente inspection ne représentait donc pas un luxe ni un grand gaspillage de ressources. La technologie utilisée, assez vieille, ne permettait pas le voyage interplanétaire. Mais au moins, elle ne polluait pas et autorisait quand même une vitesse d’une dizaine de milliers de kilomètres par heure, de quoi faire le tour complet du globe en 4 heures si besoin était. La plupart des villages et des quartiers de villes en disposaient en général d’une ou deux poignées, quantité habituellement suffisante au regard du faible nombre de déplacements vraiment nécessaires. Les veilleurs en étaient les principaux usagers. Cependant, des découvreurs et des constructeurs pouvaient aussi en avoir besoin dans le cadre de leurs activités. Les premiers les utilisaient pour leurs expéditions de recherche archéologique, botaniques, fauniques, etc. Et les seconds pour le transport de matériaux de construction. N’importe qui pouvait accessoirement en bénéficier, pour acheminer des ressources agricoles ou alimentaires vers d’autres villages en manque momentané, ou encore pour évacuer des blessés vers un centre de soin. Dans les cas assez rares où trop de gens souhaitaient simultanément utiliser les uvs disponibles, on faisait souvent appel à un conciliateur. Celui-ci déterminait les degrés d’urgence et tentait d’accommoder au mieux tout le monde, en proposant si nécessaire des solutions de remplacement.
Alors qu’il poursuivait tranquillement son vol, Milton songeait à la différence fondamentale entre la vie pendant la Grande Tribulation et celle d’aujourd’hui. Les notions de propriété privée et de biens publics avaient disparu peu après l’effondrement du Nouvel Ordre Mondial. Maintenant, plus personne ne s’appropriait quoi que ce soit, à part les psychopathes réfractaires — d’où leur surnom de Réfracs — qui ne pensaient toujours qu’à eux. L’Humanité ne gaspillait plus les ressources offertes par la Terre et ne les considérait plus comme son dû. Les individus tendaient naturellement à partager ce qu’ils trouvaient comme ce qu’ils créaient. En fin de compte, cela bénéficiait à tous, y compris en retour aux donateurs.
Même si le petit uv pouvait contenir 3 passagers et une tonne de fret, aujourd’hui personne n’avait voulu l’accompagner. Traverser trop rapidement l’ancien territoire des États-Unis depuis l’est, puis la monotonie de l’océan Pacifique ne tentait pas grand monde dans son quartier. Milton en profitait pour cogiter. Pourtant, cette fois-ci sa réflexion fut de relativement courte durée, car il venait d’apercevoir un point singulier à proximité de l’horizon, légèrement sur sa gauche. Il changea de cap pour s’en approcher en ralentissant. Le point grossit rapidement pour devenir une frêle embarcation. Lorsqu’il fut assez près pour distinguer son contenu, ce qu’il vit le stupéfia : une femme enceinte s’y trouvait allongée ! Vivait-elle encore ? Pour le vérifier, et au besoin lui porter secours, il n’avait pas d’autre choix que d’amerrir, ce qu’il fit sans tarder.
Avant de sortir de l’uv, Milton le régla sur poursuite automatique, afin qu’en dépit des vagues il puisse se maintenir à proximité du rafiot. Il ouvrit l’unique portière du véhicule en forme de sphère aplatie et sauta dans… la barque. Il ne s’agissait que de cela : une ancienne barque comme on n’en fabriquait plus que dans quelques villages reculés peu disposés à bénéficier des technologies modernes. Pourtant, ceux qui produisaient les uvs avaient des machines et de grands moyens pour le faire. Ils pouvaient au besoin donner certaines de leurs créations. Cependant, les individus et les collectivités tendaient de moins en moins à réclamer ce dont ils n’avaient pas vraiment l’usage et dont ils pouvaient parfaitement se passer. Tout dépendait d’abord de leur mode de vie librement choisi.
Milton se déplaça tant bien que mal dans l’embarcation secouée par la houle. Il dut même poser la main sur le fond pour éviter de s’affaler. Tout près maintenant du visage de la femme, il l’examina pour y repérer des signes de vie. Revêtue d’une combinaison classique qui mettait ses rondeurs en valeur, elle respirait très faiblement et son pouls était à peine perceptible. Elle semblait en état de choc, probablement en déshydratation avancée. Elle ne disposait d’aucune boisson et d’aucun aliment. Depuis combien de temps dérivait-elle ? Vu son état, peut-être avec des organes déjà endommagés, il n’y avait pas un instant à perdre. Il émit mentalement une alerte prioritaire sur le Réseau, pour l’envoi d’un secours médical d’urgence tout en mentionnant sa position approximative. On le trouverait plus précisément grâce à la connexion télépathique maintenue et par l’uv dont il allumerait le moment venu le signal balise pour renforcer ce lien psychique avec les récepteurs du message qui se mettraient à sa recherche.
Ce fut une équipe de secouristes de l’ancienne Colombie britannique qui répondit en premier. Composée d’un veilleur, de deux découvreurs spécialisés en médecine et d’un constructeur expert en ressources et matériels médicaux, elle décolla précipitamment pour se porter au secours de la femme. Au même moment, alors que Milton s’abandonnait à dévisager cette dernière en ne pensant plus à rien, il fut pris d’une vision.
Il se vit… en femme. Il était une femme… Dans un lointain, très lointain passé. La ville qu’il (ou plutôt qu’elle) connaissait s’effondrait. Et lui, ou plutôt elle… Comme c’était troublant! Il, elle, ELLE s’activait pour fuir, cherchant une embarcation. LUCIDA, elle s’appelait Lucida… Elle pleurait la disparition de son amant qui venait de sombrer sous les flots. BALDIRRRRR… Baldirrrr… Te reverrais-je? Où seras-tu? Qui seras-tu? Bélidana, ma Mère, pourquoi sombres-tu ainsi? Que t’a-t-on fait? Qu’ont fait les Reptiles? ELLE fuyait… fuyait… Cherchait désespérément de quoi s’échapper avant que l’océan ne l’engouffre à son tour… Mon Dieu! Milton réalisait qu’il s’agissait de… de la fin de l’Atlantide! Elle… elle vivait plus de 13 500 ans dans le passé! Je vivais il y avait plus de 13 500 ans!… Elle fuyait… Elle trouva une embarcation suffisamment libre et petite pour la manier seule. Entre deux voiliers… Vite, elle coupa brutalement l’amarre de sa lame et sauta dans la chaloupe pour fuir… Fuir de la ville qui s’effondrait. La ville? Non, le pays… le continent. Tout s’effondrait. Les bombes reptiliennes avaient fait leurs œuvres. Et tout ce travail qui risquait d’être perdu à jamais…
Elle n’avait aucune réserve alimentaire et encore moins à boire. Il lui faudrait trouver le moyen de survivre sur les flots. Elle saisit les rames pour s’éloigner des navires. Ceux-ci commençaient à s’agiter du fait de l’effondrement progressif des quais. Leurs amarres tendaient à les attirer par le fond et finiraient par rompre. Elle manœuvra en vitesse, évitant de se trouver broyée par les mouvements désordonnés des deux voiliers voisins. Sa barque était munie d’une petite voile montée sur un ingénieux dispositif sans mât, mais s’en servir ici serait trop délicat. Deux barres horizontales reliées par deux courtes verticales étaient fixées au travers d’une ogive rotative au sommet, à hauteur d’homme, d’un large poteau. La toile était tendue entre les barres horizontales. Sous la plus basse, des cordages partiellement enroulés autour de l’ogive assuraient l’orientation de la voile selon l’endroit où ils se trouvaient fixés sur le pourtour de l’embarcation. Trop de manœuvres en vue pour sa piètre expérience de la mer ! Elle préféra n’utiliser que les rames et pour cela déboîta l’ogive du poteau. Sans l’adrénaline qui semblait décupler ses forces, elle n’aurait jamais pu y parvenir seule. Mais là, ce fut plutôt facile et rapide.
Alors que Lucida prenait le large en ramant frénétiquement, des habitants, criant et paniqués, se précipitaient à leur tour au port. Leur affolement rendait leurs mouvements incohérents et plusieurs bateaux se heurtaient dangereusement. Les cordages finissaient par être trop sollicités et certains se rompaient sous la tension. Les autres devenaient difficiles à libérer. Aussi, elle observa tristement les accidents prévisibles. Certains s’entassaient inconsidérément dans le même navire, le faisant chavirer. D’autres se battaient ou s’entretuaient. Rares furent les chanceux à pouvoir prendre le large. Et aucun ne put la suivre là où le destin la guidait. Désormais, elle se trouvait seule, avec son bébé en son ventre.
Fatiguée, Lucida lâcha les rames. Près de l’horizon, Athal’an ne subsistait plus que par la pointe de certains hauts bâtiments. Le reste était déjà sous les eaux. L’effondrement avait été suffisamment lent pour ne pas créer de raz-de-marée, mais trop rapide pour que beaucoup survivent. Le dôme lui-même s’était éteint. Elle ignorait si son concepteur, Yul, avait survécu. Elle ne savait pas combien de Bélidaniens avaient pu s’échapper. Les «lézards» n’étaient plus les seuls perdants. Ils s’étaient bien vengés. Le continent entier était en train de sombrer…
Lucida avait dérivé sur l’océan pendant plusieurs jours sans manger et sans boire. Par chance, elle n’avait pas eu à subir de tempête et les monstres marins avaient semblé se désintéresser de la maigre pitance qu’elle pouvait représenter. Cependant, son corps déshydraté avait fini par la conduire trop rapidement au bord de l’épuisement et de la mort. Elle avait trouvé ironique de flotter sur un océan et de ne guère pouvoir boire si elle ne voulait pas mourir encore plus vite à cause du sel. La fraîcheur des nuits lui avait malgré tout permis de récupérer quelques gouttes d’eau grâce à sa lame sur laquelle l’humidité de l’air se condensait. Poussée par les courants, elle avait dérivé longtemps, forme à demi consciente allongée au fond de sa frêle embarcation. Les quelques bricoles et l’argent qu’elle avait dans son petit sac ne lui avaient servi à rien…
La vision cessa. Milton était secoué de spasmes et de sanglots. Il (elle) se remémorait Baldirr, leur vie commune et trop brève à Bélidana… l’Atlantide! Le flux mémoriel semblait intarissable. Une porte s’était ouverte en lui, le connectant à elle, ce qu’elle avait été, ce qu’il était devenu. La femme, là… qui gisait… Elle était le pont entre son passé et son présent. Pourquoi elle? Pourquoi ici et maintenant? Pourquoi vivait-elle ce qu’il avait vécu il y avait si longtemps? Et Baldirr… Baldirr? Où es-tu mon amant? Qui es-tu maintenant? Vis-tu toujours ici? Ou bien es-tu retourné chez les tiens? Sur… Vijnia ? Sur VULCAIN !? C’est ainsi que nous appelons ta planète? Vulcain?! Pas celle de cette ancienne série de science-fiction, qui avait encore quelques émules de nos jours, comme curiosité archéologique. Non, la vraie planète! Celle cachée dans le Système solaire. Solix. Bélidana… Vijnia… Vulcain… ces planètes… J’ai le vertige… Baldirr! Mon amour!… Où es-tu? Tu me manques tant! Où es-tu? Où te caches-tu? Te retrouverais-je un jour?… Milton pleurait maintenant à chaudes larmes, secoué, ébranlé par les souvenirs de ce qu’il (elle) avait vécu, chamboulé par les révélations qui ne cessaient de venir à sa conscience. Solix, c’était la Terre, c’était Bélidana. Bélidana dont le continent central Athal’an, l’Atlantide, avait sombré. Et Vijnia était la plus proche planète du Soleil, masquée par la température extrême de son atmosphère, la même que celle de la surface solaire : environ 6000 degrés! Comment la vie avait-elle pu se développer sur cette fournaise pire que Vénus et Mercure? Pourquoi n’avait-elle été découverte que récemment? S’interrogeant, Milton retrouvait peu à peu ses esprits. Il revint à la femme dans la barque.
Que faisait-elle à dériver ainsi, comme Lucida il y avait si longtemps? Quel était le lien? Survivrait-elle comme j’ai pu survivre alors? Aurait-elle son enfant comme j’ai pu mettre au monde celui de Baldirr? Baldirr, mon amour! Je me languis tellement de ta présence, de ta conscience si pure, de ton esprit si particulier!… Et voilà qu’il (elle) replongeait dans son chagrin! Pourquoi cela lui arrivait-il? Pourquoi ces souvenirs si cruels? Que de questions sans réponse! Maudirait-il ce jour spécial, ce jour qui lui a fait rencontrer son passé? Rencontrer? Percuter! Il avait pris cela de plein fouet! Il en était encore complètement ébranlé lorsqu’enfin les secours arrivèrent sans prévenir.
— Bonjour Milton ! Salua Mike, l’un des 4 arrivants.
— !? Milton sursauta. Oh ! Bonjour, je ne vous attendais pas si tôt.
— Si tôt ? Nous avons quand même mis 45 minutes à venir !
— Quarante-cinq minutes? Tant que ça?! Et comment m’avez-vous trouvé? Je n’ai même pas eu le temps d’allumer le signal balise !
— Pas difficile ! Nous avons revécu aussi ton souvenir, tu étais resté branché sur le Réseau.
— Hein !? Oh mon Dieu ! répondit Milton en rougissant. Désolé. Je ne voulais pas…
— Ce n’est pas grave. Nous avons pleuré avec toi, Milton, ou plutôt Lucida? Sans le vouloir, tu es devenu archéologue et ce que tu as ramené va bouleverser certaines de nos connaissances. Mais ne nous attardons pas dessus pour l’instant. Nous devons soigner la femme et découvrir qui elle est. À ces mots, Mike sortit son matériel et examina le corps allongé.
— … Elle est complètement déshydratée. Les dommages au foie, aux reins et à quelques autres organes sont presque irréversibles. Heureusement, nous avons tout ce qu’il faut ici pour la ranimer et la remettre en condition, à commencer par une perfusion. Nous allons l’embarquer et continuer le traitement sur le chemin du retour vers un centre de soin plus important pour la suivre à plus long terme jusqu’à sa guérison complète.
— Merci… Merci, se contenta de répondre Milton.
— Nous te donnerons des nouvelles au fur et à mesure.
— Merci encore.
— De rien, cher Milton. Sans toi, elle serait morte. À ces mots, les Canadiens se retirèrent en soulevant la femme à l’aide d’un brancard autoporteur, puis tous entrèrent dans l’uv deux fois plus gros que celui de Milton. Celui-ci les imita pour reprendre le chemin du retour sans même finir sa visite projetée. Les Réfracs attendraient un autre jour…
2
Régresser ou non
Ce matin-là aurait dû être analogue à ceux des jours précédents. Cependant, Myrdhas se sentait anormalement fébrile, même en tant que jeune adolescent aux hormones stimulantes. Il ressentait confusément le besoin de faire quelque chose de neuf. Suivre ceux de sa bande dans leurs jeux hyper virtuels ne le tentait pas… ne le tentait plus ? Il aspirait à quelque chose d’autre. Une soudaine soif de s’ancrer davantage ? Retrouver ses racines ? Peut-être… De vagues émotions le parcouraient, sorties d’il ne savait où, et allant vers il ne savait quoi. De manière relativement urgente, il avait besoin de comprendre… Comprendre son passé, trouver son héritage, savoir qui il était… Avant de quitter le lit et sa petite chambre dans sa maison rustique, il repensa à certains événements de sa jeunesse.
Ses parents étaient morts lorsqu’il avait dix ans, dans un des rares attentats réalisés par les Réfracs, par ceux que les veilleurs n’avaient pu repérer et qui en bons psychopathes sévissaient encore ici ou là dans l’ombre. La plupart des autres de leur espèce, ceux qui demeuraient réfractaires à toute idée de processus de guérison, avaient été exilés à Zoulande, une île quelque part dans l’Océan Pacifique. Là, ils pouvaient joyeusement s’entretuer s’ils le voulaient, ou concourir pour le titre de plus grand tyran. Ils ne pouvaient plus que s’en prendre à eux-mêmes et à leurs confrères sans conscience. Quelques veilleurs survolaient Zoulande plus ou moins régulièrement pour vérifier l’état des lieux et s’assurer que des inventions démoniaques n’allaient pas surgir de leurs cerveaux malades. Car en dépit de l’absence de moyens technologiques à leur disposition, avec ce type d’êtres on n’était jamais à l’abri d’avoir de mauvaises surprises. L’Histoire humaine en fournissait malheureusement de trop nombreux exemples. L’Histoire ! Voilà par quoi il allait commencer !
Myrdhas se redressa vivement et sauta du lit. Il dévala l’escalier pour rejoindre le rez-de-chaussée et y prendre son petit déjeuner. Les deux autres ados qui vivaient avec lui dans cette maison rénovée de l’ancien temps étaient déjà sortis. Où ? Ils se trouvaient sans doute encore à la ludothèque du village pour s’y perdre une fois de plus dans un univers virtuel, bardés de capteurs sensoriels et immergés dans un caisson d’isolation. Cela paraissait paradoxal à Myrdhas : se couper sensoriellement du monde concret pour vivre des sensations purement artificielles issues de technologie informatique !
Plusieurs villages et quelques quartiers des rares villes encore viables s’étaient dotés de ce genre de moyens à la demande de leur jeunesse. Mais les produire réclamait un gros investissement. Il fallait du temps et de l’énergie, même avec les machines capables d’en fabriquer d’autres, elles-mêmes faites pour créer des ordinateurs à leur tour aptes à assembler des appareils divers… Bref, il ignorait combien d’étapes et d’engins intermédiaires pouvaient être nécessaires pour aboutir à élaborer ce type de jeux virtuels, mais les villages avaient dû travailler dur pour se procurer de quoi les obtenir. Aussi, à Birzouf-la-Malouine, les jeunes devaient attendre leur tour pour bénéficier des trois seuls exemplaires disponibles. Heureusement, la plupart, dont Myrdhas, avaient vite découvert le potentiel addictif et dangereux pour l’équilibre psychique d’un abus de cette virtualité. Malgré cela, quelques autres, dont ses deux comparses, tendaient à sombrer de plus en plus profondément et longtemps dans les univers factices qui y étaient proposés.
Alors qu’il mastiquait délicatement son gruau d’avoine aux fruits secs, Myrdhas échafaudait son programme de la journée : principalement aller à « l’École » pour y faire des recherches historiques et notamment découvrir comment le monde était pendant la Grande Tribulation. C’est ainsi que l’on avait fini par nommer la période noire pendant laquelle le Nouvel Ordre Mondial s’était érigé jusqu’à devenir une puissante et brève dictature planétaire. Elle s’était révélée brève dans une perspective historique, mais longue aux dires de ceux qui l’avaient vécue, s’il en croyait les aînés du village.
Dans ce monde de liberté presque absolue où ils vivaient maintenant, beaucoup d’enfants et de jeunes tendaient à négliger la préparation de leur vie adulte, leur formation en vue d’une activité créatrice, leur culture générale… Cependant, ils se rattrapaient habituellement tôt ou tard, notamment devant le besoin de rembourser leur dette sociale annuelle. Pour cela, ils devaient créer, servir ou aider de manière constructive pendant un nombre équivalent d’heures. Et comment le feraient-ils sans aptitudes concrètes suffisantes, sans connaissances indispensables selon les activités envisagées, sans ressources intérieures développées et stimulées ? Heureusement, dès leur jeunesse, on leur enseignait, par l’exemple, la vertu du sens des responsabilités, qualité sans laquelle ne peut s’assumer véritablement une réelle liberté.
L’irresponsabilité, synonyme d’insouciance, d’imprévoyance et de laisser-aller, menait à la déchéance, et elle-même conduisait souvent soit à la perdition, soit à l’emprisonnement d’un ordre ou d’un autre, fût-il psychique. Ceci, Myrdhas l’avait très tôt compris, d’autant plus que sans parents, il avait dû apprendre plus rapidement que bien d’autres jeunes, à s’assumer. Ce n’est pas qu’il manquait d’adultes de bonne volonté dans son entourage. Il le devait surtout à sa fierté aussi bien qu’à la difficulté pour lui d’envisager quelqu’un apte à remplacer son père ou sa mère. À seulement 15 ans, tandis que ses dents de sagesse étaient loin d’émerger, il était plus mature que nombre d’adolescents de l’ancienne ère dans la plupart de ses nations. Pour autant, sans ses parents pour le stimuler ou le guider, il n’avait pas encore découvert sa voie ni demandé de passer au statut d’adulte. Ainsi pour l’heure, il n’avait pas à se préoccuper de crédit à rembourser. Tout lui était gratuit grâce à la générosité des créateurs et des serviteurs du monde.
Bon, il avait trop à faire aujourd’hui ! Il devait aller à « l’École », unique endroit de formation et de connaissance de Birzouf, petite localité de deux mille et quelques individus dans un coin perdu de l’ancienne France. Ce pays n’existait plus en tant que tel. Il avait été pratiquement détruit par l’Europe du Nouvel Ordre Mondial, et achevé lors de l’avènement du Nouveau Monde. Ce qui demeurait était l’âme collective du lieu, l’Esprit français qui n’avait pas totalement disparu. Malgré la succession des immigrations massives et forcées stimulées par l’Ancien Système, le meilleur de la France restait, sans en avoir gardé les tares. Mais le pays n’avait plus de frontières définies. D’ailleurs, ce concept de « frontières » paraissait désormais étrange. Aussi, c’est une des choses sur lesquelles allaient porter les recherches de Myrdhas à l’École.
Oui, l’âme française existait toujours, même si la nation n’avait plus de sens ni d’assise concrète. La culture locale avait comme ressuscité lors de la mort du NOM (le Nouvel Ordre Mondial). Et la langue française avait repris du poil de la bête, désormais la plus parlée sur la planète, stimulée par l’apparition du Grand Monarque. Encore une énigme à résoudre! Qui était-il? Comment un personnage aussi insignifiant et issu de la plèbe, sans lignée de sang royal, un individu qui n’avait jusqu’alors guère fait parler de lui avait-il pu ainsi acquérir une telle renommée et exercer une telle guidance?
Alors que Myrdhas poursuivait ses cogitations, il se dirigeait maintenant vers l’édifice circulaire abritant l’École. Comme la plupart des autres constructions du village, sa forme avait été retenue en raison de sa rationalité économique. En effet, elle permettait le maximum d’espace intérieur pour un minimum de murs et de déperditions thermiques. Ses pièces étaient organisées en zodiaque, en douze secteurs, autour d’une grande salle centrale. En Bélier se trouvait le bureau des décisions, généralement occupé par un navigateur. En Taureau et Vierge, des bureaux de constructeurs. En Gémeaux, Sagittaire, Verseau et Poissons, des découvreurs et des motivateurs. En Balance, un ou plusieurs conciliateurs, selon les jours. En Cancer, des veilleurs. En Lion, une aire ludique. En Scorpion, les salles de bain et toilettes (ceci n’était pas nécessairement sympathique pour les natifs de ce signe – rire). En Capricorne, un organisateur.
La grande salle comprenait tout l’espace destiné à la consultation des archives de divers ordres (vidéo, audio, informatique, papier, microfilmé…) que l’on avait pu rescaper ou restaurer depuis la Grande Tribulation. Divers appareils, produits et artefacts s’y trouvaient également stockés. On pouvait les utiliser pédagogiquement, pour des démonstrations ou pour des exercices pratiques, dans divers domaines tels que l’archéologie, les sciences physiques, la médecine, les arts, des activités sportives demandant peu d’espace, etc. Autant dire que le bâtiment n’était pas minuscule: son diamètre mesurait même un peu plus de cent mètres, les salles zodiacales occupant les dix derniers mètres du rayon. Chacune d’elle, en forme d’arc de cercle, couvrait donc approximativement deux cent vingt mètres carrés, et la pièce centrale circulaire cinq mille. Malgré tout, l’architecture du toit en coupole était relativement simple. On l’avait usinée en matériaux légers, mais résistants. La construction n’avait demandé qu’un an d’investissement en travail pour une cinquantaine d’hommes et de femmes du bourg. S’y étaient ajoutés occasionnellement des intervenants extérieurs, en provenance de quelques villages voisins ou plus lointains, en raison de leurs expertises particulières réclamées.
Myrdhas pénétra dans le bâtiment par l’entrée sud, utilisant un couloir de presque quatre mètres de large situé entre les bureaux Gémeaux et Cancer. Quelques dizaines de pas plus tard, il se retrouva dans la grande salle, cherchant alors du regard l’endroit le plus approprié pour commencer ses investigations. L’impression d’espace était augmentée par la hauteur du plafond : la coupole, en forme de sphère aplatie, culminait quand même à 55 mètres du sol ! Cela aurait représenté un immeuble d’environ 17 ou 18 étages pendant la Grande Tribulation. De telles constructions avaient d’ailleurs été abandonnées, démembrées ou détruites, en raison des conflits ou, depuis, de leur caractère