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Parfum de folie
Parfum de folie
Parfum de folie
Livre électronique790 pages10 heures

Parfum de folie

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À propos de ce livre électronique

À la recherche du partenaire idéal, une jeune femme de Gatineau use habilement de ses charmes afin d'envoûter ceux qu'elle considère comme les plus beaux spécimens. Mais, à la suite de la disparition de plusieurs hommes, l'inspecteur Lucien Grenier et la biologiste Gisèle Tremblay sont appelés à débuter une enquête dans laquelle les comportements de séduction et les hasards de la fécondation jouent un rôle de premier plan.

LangueFrançais
ÉditeurGlobulia
Date de sortie4 juil. 2018
ISBN9782981051363
Parfum de folie

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    Aperçu du livre

    Parfum de folie - Francois Dionne

    Autres parutions aux éditions Globulia :

    Francois Dionne : 

    Obésité morbide  ISBN 978-2-9810513-1-8

    La danse des abeilles  ISBN 978-2-9810513-3-2

    Alex Vallière : (Série Clément Ophidioc)

    1 - La vengeance  ISBN 978-2-9810513-0-1

    2 - L’offrande de Dozmatot  ISBN 978-2-9810513-2-5

    3 - Les dieux en péril  ISBN 978-2-9810513-4-9

    Joëlle Brault : (Série L’île aux fées)

    1 - Mes vacances à la ferme  ISBN 978-2-9810513-5-6

    À paraître :

    Francois Dionne :  Souillures

    Parfum de folie

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et archives nationales du Québec et Bibliothèque et archives Canada

    Dionne, Francois

    Parfum de folie

    ISBN 978-2-9810513-6-3

    Révision : Odette Pelletier

    Comité de correction : Janie Piché et Mario Raby

    Illustration : Stéphane Dumais (http://www.stephanedumais.com/)

    Globulia

    136, chemin du Sixième Rang

    Val-des-Monts (Québec)

    J8N 7R3

    © 2013, Globulia

    Dépôt légal : Bibliothèque et archives nationale du Québec

    Bibliothèque nationale du Canada

    Tous droits réservés

    François Dionne

    Parfum de folie

    Globulia

    Antélogue

    Alors que, hors des mers, de rares représentants fauniques et floraux s’efforçaient à s’affranchir de leur écosystème aquatique ancestral en tentant de s’établir dans un environnement résolument hostile, bifurquant au ras des algues géantes ondulant sous les effets des courants, l’immense poisson ne semblait pas tourmenter par les essais de ces kamikazes de l’évolution et s'affairait plutôt à dénicher un emplacement approprié pour le frai. Confiné aux zones profondes, la peau recouverte d’une carapace solide sur sa partie antérieure, d’où son appellation de placoderme, ce spécimen de sexe féminin, dont les semblables dominaient en nombre les espaces marins depuis des dizaines de millénaires, n’avait cure des problèmes de colonisation terrestre de ses pairs devant affronter multitudes de volcans en éruption, rayonnements ultraviolets intenses et autres affres auxquels ils devraient rapidement s’adapter pour survivre dans ce milieu en changement. Ses ambitions actuelles s’avéraient tout aussi importantes, mais étaient régulées par son instinct. À la quête d’un site offrant un camouflage efficient et une oxygénation optimale pour le développement embryonnaire complet de sa future progéniture, elle cherchait du regard, de ses deux petits yeux dont un exemplaire se trouvait sur chacun des côtés latéraux de sa tête, lui accordant de la sorte une vision quasi panoramique. Spontanément, elle savait que cette unique période annuelle était arrivée puisque les coraux avaient fini de relâcher leurs immenses quantités de spermatozoïdes et d’ovules depuis quelques jours; leurs gamètes en errance se fiant au hasard pour rencontrer une cellule reproductrice libérée par un congénère avaient engendré d’épaisses nuées blanchâtres au fond des eaux, qui s’étaient quelque peu dissipées depuis, lui redonnant visuellement accès à certaines parcelles de son territoire de ponte. S’aventurant aux abords d’une zone parsemée de cailloux, elle plongea avec vivacité pour en balayer les aspérités. Grattant de toutes ses forces, elle ne réussit pas à en déloger la totalité, les rayons de ses nageoires anales s’avérant indéniablement trop mous pour accomplir cette tâche ardue. Mais, sans le faire de manière délibérée, elle détacha quelques polypes coralliens s’y étant agrippés suite à la récente colonisation; la plupart d’entre eux ne s’en réchapperaient pas et, par le fait même, ne parviendraient jamais à se fixer adéquatement à une deuxième reprise pour espérer atteindre l’âge adulte. Déçue, elle choisit donc de poursuivre sa route après cet essai infructueux. Se laissant alors dériver, elle passa au-dessus d’un emplacement occupé par de grands vers filiformes se dandinant en harmonie, positionnés à l’horizontal, une extrémité enfouie dans le sol, l’autre garnie de torsades de branchies plumeuses saillantes à la recherche d’oxygène. Comprenant que le terrain était probablement meuble à cet endroit, donc propice à la ponte, elle s’arrêta pendant un court moment pour jauger des environs. Cependant, ne sachant pas si ces animaux s’attaqueraient éventuellement à son frai lorsqu’elle l'aurait quitté, elle décida de continuer lentement son avancée avant de s’immobiliser soudainement en contre-haut d’une modeste élévation dénuée de végétation et de bestioles de tout acabit. Elle prit le temps d’analyser la situation pendant une longue période, scrutant les alentours afin de débusquer d’hypothétiques prédateurs. Puis, pleinement rassurée par l’actuelle absence d’apparence de vie, quoiqu’inconsciente du fait qu’une faune carnivore pouvait se tapir sous la zone benthique et pourrait surgir suite à son départ, elle s’appliqua à creuser de sa puissante nageoire caudale dans le but de façonner une dépression dans le fond marin, créant ainsi de petits vortex subodorés par les tournoiements des grains de sable et de minuscules bulles. Ce travail préliminaire achevé, elle approcha son cloaque, l’ouverture par laquelle elle excrétait normalement, selon ses besoins, urine, fèces et œufs, près de la cavité et y effectua sa ponte.

    Bien qu’aucun mâle ne fût dans les parages, elle n’hésita pas à se départir de tout le contenu de son ventre dans l’espoir qu’un reproducteur les découvre assez rapidement et s’y intéresse avant qu’il ne soit trop tard. De toute manière, à l'instant où cette expulsion débutait, elle ne pouvait physiologiquement la cesser, sans compter qu’il était temps de le faire, car ses ovocytes étaient sur le point de se détériorer sous la compulsion d’une incubation interne prolongée. Malencontreusement pour elle, et pour les plus âgées des génitrices de son espèce, les mœurs avaient grandement changé depuis l’atteinte de sa maturité sexuelle. À cette époque, il y avait toujours au moins un partenaire pour la suivre lorsqu’elle était œuvée, la harcelant presque à la faire fuir avant d’éjaculer sa laitance, itou par son cloaque, tout en se frottant contre les fruits de sa ponte. Attentive au déroulement de la fécondation, la jeune femelle qu’elle était se tenait généralement à quelques mètres de la scène pour s’assurer que le mâle accomplissait bien son devoir. Eût-il failli à la tâche qu’elle aurait attendu qu’un autre se pointe pour la parachever. Quoiqu’elle abandonnait à tout jamais sa descendance après ce moment, elle veillait à ce que cette dernière ait une partance adéquate.

    Toutefois, puisqu’elle serait instinctivement délaissée par la majorité des éléments masculins de la nouvelle génération, la masse gélatineuse étalée dans cette cuvette oscillerait désormais entre deux destinées : devenir le repas de prédateurs ou être arrosée par le sperme d'un vieux spécimen de son espèce, cette deuxième éventualité n’excluant malheureusement pas la possibilité ultérieure de la première. Avec la ferme intention d’empêcher l’ingestion précoce de sa future progéniture et de la défendre, elle demeura dans les parages, tournoyant au-dessus du dépôt. Cette surveillance perdura pendant une trentaine de minutes, sans qu’elle perde espoir.

    Soudain, son attente sembla récompensée puisqu’un mâle apparut au loin. Long et robuste. Souhaitant lui indiquer l’endroit où se localisait la ponte, elle tourbillonna au-dessus des centaines d’œufs. Puis, après quelques secondes, agacée par son inertie et ne voulant pas manquer sa chance, elle augmenta sa circonférence de nage afin de se rapprocher de lui, de l’inciter à la suivre. Elle se montrait empressée, cependant consciente qu’il faisait peut-être partie intégrante du groupe transitionnel. Car nul doute, quoiqu’aucun signe précurseur ne puisse garantir l’issue évolutive des importants changements, ne subsistait quant aux minces probabilités de survivance de ceux de son espèce encore affublés des anciennes caractéristiques. Bien que celles-ci se fussent avérées efficaces pendant des millions d’années, les récentes mutations des éléments de la nouvelle génération semblaient mieux adaptées à l’environnement et à l'implantation de plus de descendants. Ainsi, désormais en nombre réduit au sein de la population, il leur devenait petit à petit difficile de se croiser tant au sens propre que figuré et, de surcroît, ce qui ne facilitait pas les choses, il était toujours impossible de se reconnaître au premier coup d’œil. En fait, seul le tâtement des nageoires aurait permis une amorce de distinction; malheureusement, celui-ci ne faisait pas encore partie de la parade amoureuse effectuée par les mâles. Et comme si cela n’était pas assez, cette lacune de partenaires potentiels accentuait la consanguinité et affaiblissait davantage les placodermes répondant aux critères obsolètes, les entraînant dans une déchéance pouvant ultimement mener à leur remplacement. Inconscient des tourments que subissaient présentement certains représentants de son espèce, sans malice, le grand mâle s’avança et entreprit des mouvements de zigzag dans l'entourage de la femelle afin, à son tour, d’attirer malicieusement son attention. Cette dernière, quoiqu’initiatrice de la rencontre, fit mine de rien, réjouie de la tournure de sa démarche primordiale d’abords. Derechef, l'animal entama une spirale aux rayons s’accroissant autour d’elle. Affriandant en vain de le rapprocher des œufs, elle finit par abandonner temporairement cet objectif et le suivit. Réalisant qu’elle s’était retournée dans sa direction, il augmenta la cadence pour l’aviser de sa puissance de nage. Il ne pouvait en être autrement à moins qu’il ne soit un spécimen lent, car pour la parade nuptiale de la plupart des poissons, cette caractéristique était invariablement la première à être mise en valeur puisqu’il s’agissait d’un élément essentiel à la fuite de prédateurs autant qu’à la poursuite de proies, la première ayant primauté sur la deuxième. Pour débuter, de par les mouvements coordonnés de son corps élancé allié à ses muscles vigoureux, il tenta de lui prouver que ces locomotions, en filant aussi bien en ligne droite qu’en instaurant des changements de cap, s’avéraient rapides et s’opéraient en synergie lors d’une stratégie d’escapade. Puis, assuré de la justesse de la démonstration de la démarche précédente, gueule ouverte, il s’évertua à effectuer diverses plongées afin de simuler des attaques vers une source de nourriture.

    Après plusieurs minutes d’allers-retours incessants, persuadé qu’il l’avait convaincu de ses qualités de nageur, il entreprit de lui signifier sa digne appartenance au groupe des placodermes. Il s’approcha alors d’un rocher et se retourna pour voir si elle le suivait. Malheureusement pour lui, la femelle avait pris ses distances, s’ingéniant à essayer de le rapieuter vers ses œufs qu’il n’avait pas encore remarqués. Constatant qu’il était insensible à son déplacement racoleur, elle se résolut à le rejoindre. Poursuivant sa démarche de séduction, il se frappa lourdement la tête et le thorax sur un des côtés plats de la masse de pierre et ce, à maintes reprises pour lui démontrer la solidité de ses plaques protectrices. La frôlant délibérément entre chacun des chocs afin de lui exhiber sa carapace sans égratignures, il se reculait de plus en plus à chacune de ses tentatives, acquérant ainsi plus de vitesse. Ce petit manège insensé pour les autres espèces marines des parages représentait un signe évident de santé; une forme d’attestation que son alimentation s’avérait suffisante et contenait les minéraux essentiels à la formation de cet attribut de renfort. Par le fait même, il lui indiquait l’invulnérabilité de son système nerveux central sous-jacent et sa résistance à d’éventuelles attaques de front. Puis, calmant ses ardeurs après avoir quelque peu dépassé son seuil de tolérance à la douleur, il passa tranquillement à l’étape suivante de son rituel, immuable, gagnant du temps pour reprendre ses esprits.

    Il batifola au-dessus d’elle, les opercules constamment refermés afin de ne pas exposer ses branchies; en s’alignant avec les scintillements de la lumière pénétrant tant bien que mal la surface agitée, il chercha à se dérober de son attention. Encore là, ce segment de sa parade amoureuse aurait pu s’annoncer étrange pour qui n’était pas poisson. Ainsi, grâce à l’aspect blanchâtre de sa partie ventrale, il se confondait parfaitement avec les lueurs provenant du haut des flots, s’octroyant une dissimulation contre de possibles prédateurs pouvant se trouver sous lui. Ayant terminé sa ronde, il se rapprocha d’elle, gueule à gueule, pour lui signifier qu’il était toujours là, comme s’il s’était vraiment soustrait de son champ de vision. Elle feignit de le remarquer, car elle ne l’avait jamais quitté du regard, quoique, fallait-il l’avouer, sa manœuvre s’était révélée assez efficace. Plongeant sous la femelle, il se dirigea vers le fond afin d’y occulter ses teintes dorsales foncées et de se fondre au gravier sans bouger. Conquise par ses atouts de camouflage, elle fit instinctivement battre ses nageoires pectorales à un rythme accéléré pour lui faire accroire qu’elle le croyait dérobé, au sens figuré et non pas au sens propre.

    Puis, après être remonté perpendiculairement à sa hauteur, il se positionna adéquatement dans l’angle d’entrée de la lumière afin de lui montrer la longitude parfaite de la mince ligne latérale sombre qui séparait horizontalement les faces obscures et pâles de son corps. Celle-ci était ponctuée d’une série de pores par lesquels quelques filets d’eau se frayaient un passage. Cette particularité physiologique servant à mesurer les vibrations hydriques associées à la force des courants, la vitesse de nage et à discerner la provenance des agitations des alentours se devait d’être efficiente en tout temps puisqu’elle permettait également les voyagements nocturnes et les descentes en eaux profondes où les lueurs peinaient à se rendre. Pour lui prouver l’efficacité de cette caractéristique anatomique, il se mit à tournoyer autour d’elle tout en ondulant de haut en bas en suivant toujours la même trajectoire.

    Cessant ses mouvements qui l’essoufflaient, mais tout en poursuivant ses prouesses séductrices, il desserra tranquillement ses opercules, dévoilant ainsi ses branchies d’un beau rouge vif, signe tangible qu’il effectuait salutairement, en sens inverse l'un de l’autre, les transferts d’oxygène et de gaz carbonique entre la partie liquide de l’océan et ses vaisseaux sanguins. Rusé, il savait que ceux-ci étaient fortement colorés puisqu’actuellement saturés en air pur suite à la sollicitation musculaire reliée aux récents déplacements rapides ayant fait traverser l’eau salée via sa gueule. Puis, il ralentit la cadence d’ouverture jusqu’à une discontinuation complète pour lui souligner qu’il pouvait monopoliser l’ensemble de l’oxygène circulant dans son sang, l’utiliser parcimonieusement sans s’intoxiquer de la haute concentration de dioxyde de carbone résultant de cet arrêt volontaire de ventilation. Toute cette manigance se voulait une démonstration signifiant qu’il pourrait aller chasser en profondeur, qu’il était en mesure de survivre dans un milieu où le précieux gaz respiratoire se faisait rare et qu’il en serait de même pour sa progéniture. Puis, après un moment à n'en plus finir, asphyxié, il reprit son rythme normal en espérant que la période passée à souffrir avait été assez longue pour impressionner la femelle.

    Se rapprochant d’elle, aguicheur, il frotta sa partie postérieure contre son corps dans l'intention de l’enduire de sécrétions de substance lipidique. Comme plusieurs organismes aquatiques, les placodermes produisent cette matière hydrophobe servant à repousser les molécules d’eau dans le but d’augmenter leur hydrodynamisme. En agissant ainsi, il avait l’idée d’en faire bénéficier sa probable partenaire. Son recouvrement terminé, de la tête, il la tassa hardiment en guise d’invitation à le suivre pour qu’elle puisse en tester l’efficacité. Dans un ballet asynchrone, ils se déplacèrent pendant plusieurs minutes. Malheureusement pour elle, son cavalier, plus véloce qu’elle, dictait les trajectoires et s’éloignait sans le savoir de la ponte. Puis, en pleine locomotion, il vint aiguillonner sa nageoire dorsale contre son ventre, l’éperonnant grâce à la dureté des rayons épineux la composant. Il s’amusait également à replier cet appendice rapidement afin de lui exposer son aptitude à se mouvoir promptement. Cette particularité morphologique, outre son rôle natatoire, servait à entraver l’entrée dans la gueule d’un possible prédateur. Ce dernier se piquait alors en essayant de déglutir sa victime s’il l’avalait à partir de la queue; d’où le fait qu’un poisson ne pouvait en ingérer un autre de cette taille que par un face à face.

    Stoppant ses manœuvres, l’incitant indirectement à l’imiter, il fit du surplace devant elle pour lui faire voir ses rangées de dents finement aiguisées. Puis, il se tourna un peu afin d’exhiber l’angle de sa dentition, courbée vers l’arrière dans le but de bien saisir ses proies et de leur empêcher toute tentative de fuite. Ensuite, s’étant réservé le meilleur pour la fin, il fit claquer sa puissante mâchoire et vint la mordiller pour lui faire fièrement montre de toute sa rigidité. Soudain, il partit pour revenir quelques minutes plus tard, un immense tentacule dans la gueule. Impressionnée, elle réalisa qu’il avait dû déployer de considérables efforts pour arriver à déchiqueter ce membre d’une pieuvre. Il déposa l'offrande sur le fond marin et l’enjoignit à s’en régaler. S’immisçant entre les deux, elle travailla à en déchirer une part, mais n’y parvint pas tant la chair était coriace, caoutchouteuse. Appréhensif, il s’approcha du morceau et l’écharogna pour elle. Quoique peu affamée, elle en prit quelques bouchées pour lui manifester qu’elle acceptait, que son œuvre de séduction s’était montrée digne d’elle.

    Ayant fièrement complété le tour d’horizon de ses attributs, pendant qu'elle mordillait la viande, il se dirigea derrière elle et agrippa sa nageoire dorsale à l’aide de sa robuste mâchoire. La contraignant, l’immobilisant, il la tira vers l’arrière afin de la pénétrer de ses appendices génitaux. Sans succès. Cette première résistance ne le découragea point bien que, par la suite, la femelle se sauva pour se positionner près de sa ponte. Peu effarouché, il la suivit en s’évertuant à recommencer la démonstration de certains de ces atours. Rendue sur place, elle cessa ses mouvements. C’est alors qu’il tenta à nouveau l’intromission de ses gonopodes en forme de crochets tandis qu’elle s’ingéniait à le farder en flottant au-dessus de ses œufs en espérant qu’il y relâcherait erronément sa semence en essayant de la saillir. Après quelques efforts infructueux, il en conclut qu’elle était un élément constitutif de la vieille version de l’espèce et qu’arroser ce frai de son sperme serait un pas en arrière pour l’évolution des placodermes.

    Il quitta, en quête d’une compagne apte à recevoir ses nageoires transformées, ses gonopodes par lesquels coulaient dorénavant ses spermatozoïdes destinés à procréer suite à une fécondation interne. Pourtant, il aurait dû s'apercevoir que cette femelle ne faisait pas partie de la récente mouture de poissons puisqu’elle ne cherchait pas à camoufler ses œufs au sein d’algues vertes comme le faisaient dorénavant tous les éléments les plus évolués de son espèce, ceux dont la gestation s’effectuait plus rapidement. Lui-même n’engendrerait pas une lignée prolifique s’il ne parvenait pas à s’adapter à cette situation. Était-ce parce que certaines femelles de la nouvelle génération rejetaient systématiquement les mâles comme lui, aux gonopodes trop lisses, aux extrémités trop effilées? Ou était-ce parce qu’elles savaient instinctivement que sa mâchoire s’avérait trop faible pour retenir longuement une partenaire lors de la pénétration? Que l’un n’allait pas sans l’autre!

    De toute manière, quoiqu’il n’en fût pas conscient, ses descendants verraient plutôt le bout de leurs gonopodes s’effilocher en tentant de le grossir, se bradant en se divisant en cinq appendices qui se replieraient vers l’intérieur au lieu d’aller vers l’extérieur comme le dictait le nouveau mode de copulation, et qui, ultimement, se transformeraient en orteils palmés pour ses placodermes précurseurs des amphibiens.

    Prologue

    Sous un soleil de plomb, entassé comme toujours à l’extérieur entre les quatre hautes clôtures de fils barbelés, le contingent d’humains ne bougeait guère. Mais pouvait-on encore prétendre les qualifier d’humains? L’affirmative de la réponse ne tenait qu’à quelques bribes de langage phrasé s’ébruitant en étant le plus évocateur possible. Mais en toute subjectivité, ils l’étaient probablement plus que ceux qui les conservaient en captivité! Plus que ceux qui les avaient numérotés de façon permanente d’encre bleue sur les bras!

    Quoiqu’ils fussent tous soumis aux mêmes fluctuations climatologiques, la rouspétance contre celles-ci s’avérait le lot quotidien des nouveaux arrivés, puisque les anciens, dorénavant conscients qu’ils n’avaient point d’influence sur ces éléments naturels, s’étaient résignés et avaient détourné leurs récriminations vers diverses incidences moins banales, mais devenues pernicieusement aussi intangibles sans qu’ils s’en rendent compte. Habitués d’avoir une forme de contrôle sur elles, ces dernières leur glissaient tranquillement des mains tout en occupant de plus en plus leurs esprits : que ce soit par l’imposition sans condition des heures de lever et de coucher, du contenu des repas... lorsqu'il y en avait, de la privation du droit de se soulager quand le besoin s’en faisait sentir et de toutes autres régulations biologiques désormais transformées en source de frustration, sinon de malheur. Affaiblis par le manque de nourriture, déshydratés au point que nulle larme ne pouvait jaillir, harassés par une détresse psychologique liée à un sort incertain... Non! Plutôt liée à l’incertitude du moment où leur sort deviendrait finalement certain, leurs regards pataugeaient dans le vide, bien qu’on pouvait parfois y déceler certains soupçons d’émotions, la frayeur, la haine, la honte et la résignation figurant parmi les plus communes.

    Ayant perdu, répétons-le, sans l’avoir dit, mais seulement sous-entendu, la plupart des êtres chers qui comptaient pour eux, d’aucuns, inconsolables, avaient demandé qu’on écourte immédiatement leurs souffrances; sans se lasser, ils exhortaient l’abrégement de leurs calvaires. Au moins, leurs corps pourraient servir de subsistance à leurs compatriotes pendant que les gardes hilares regarderaient ces opportunistes cannibales se chamailler, confirmant ce qu’on leur avait inculqué sur l’infériorité de cette race. Mais peine perdue, ou plutôt peine augmentée, car on se faisait dès lors un malin plaisir de ne pas les satisfaire, de les laisser en vie. La compassion ne semblait pas faire partie des critères d’embauche de ceux les fixant dans l’enclos. De toute manière, l’organisation ne privilégiait pas ces exécutions singulières : trop chérantes avait décrété le führer. Surtout trop personnelles puisque c’était accorder trop d’importance à un seul individu lorsque le but avoué était d’éliminer tout le peuple. L’exterminateur gaspille-t-il son temps à tuer les coquerelles une à une à l’aide d’un simple maillet? avait-il si souvent mentionné à ses subalternes, autant pour leur répéter l’objectif à atteindre que pour se réconforter dans ses convictions. N’est-ce pas que les gaz s’étaient révélés plus efficaces pour éradiquer cette peste? disait-il régulièrement, fier de son allégorie. Par conséquent, jamais ils n’avaient acquiescé à leurs adjurations.

    Pour tous, qu’elle perdurât des jours ou des semaines, l’attente s’avérait interminable, plus lourde, plus longue que la vie éternelle qu’ils obtiendraient bientôt. Les hommes, démolis, avaient parfois quelques sursauts de virilité en suppliant à hauts cris de laisser souffle aux épouses et enfants. Tandis que, parmi les femmes, on chuchotait que certaines, grâce à leurs grâces, avaient été graciées et que leur nouvelle destinée entre les murs du Blockhaus 24A s’avérait moins qu’enviable; elles préféreraient désormais grandement périr plutôt que subir...

    Ainsi, cette combientième journée, morne et sans espoir, ne s’était pas annoncée différente des précédentes jusqu’au moment où quelques gardiens, poussant des chariots surmontés de marmites rouillées, se dirigèrent vers la clôture métallique en haranguant les prisonniers.

    - Nous n’allons pas mourir aujourd’hui, ils nous apportent finalement de la nourriture, murmurèrent quelques-uns en les apercevant. Sinon, ce serait un gaspillage de nous gaver, se réjouirent-ils. Surtout qu’ils ne sont pas vraiment des adeptes de la tradition réservée au dernier repas du condamné.

    - Dommage, soupirèrent une minorité d’individus qui de toute façon n’avaient pas l’intention de manger.

    - Peu importe, brailla un adolescent, cette popote est tellement infecte qu’on croirait qu’ils y ont font mijoter des rats.

    - Qui te dit qu’ils ne le font pas? commenta un autre en riant jaune, puis en imitant le cri strident de cet infâme rongeur.

    Rapidement, la plupart de ceux ayant émis des doléances reculèrent en se retirant de la masse, histoire d’éviter les déplacements chaotiques de leurs pairs tendant leur bol vide depuis des jours.

    - Tant mieux si vous n’en prenez pas, car il n’y en a jamais suffisamment pour tous! fulmina un captif désillusionné en se faufilant à travers eux.

    Ce fameux bol qu’ils avaient reçu percé de plusieurs trous pour empêcher qu’ils n’y emmagasinent l’eau de pluie représentait dorénavant leur seule possession. Ainsi, autant pour ne pas le perdre que pour s’en servir comme élément protecteur, la plupart le trimbalaient sur la tête pour se soustraire des rayons solaires. Le passant au travers des fils de barbelés, chacun recueillit une portion de soupe sans réelle consistance et de couleur douteuse. Dès lors, ils se devaient de se dépêcher à le ramener vers eux et à le porter au-dessus de leur visage, leurs mains disposées dessous en forme de cône afin de tenter, tant bien que mal, d’égoutter le précieux repas dans leur bouche grand ouverte. Quand le liquide avait terminé sa trop rapide coulée, en étouffant momentanément quelques-uns, mouillant les habits de la grande majorité, de leurs ongles sales ils grattaient le fond du récipient pour en soutirer les quelques parties solides : généralement des nouilles pas assez cuites. D’urgence engloutie, nullement repus, il leur semblait que cette ration n’avait fait qu’attiser leur faim. Plusieurs retournaient alors près de la clôture pour en quémander une deuxième, leur estomac prévalant sur leur fierté. Surtout que c’était toujours en vain... qu’il reste de la mangeaille ou pas dans les gros chaudrons, les gardiens n’accordaient jamais ce privilège. Mais, l’eussent-ils fait pour l’un que celui-ci se serait fait probablement rudoyé par les autres prisonniers, que ce soit pour lui voler sa part ou pour le punir de ce favoritisme. Ce n’est pas que les soldats n’y avaient pas pensé, mais leur supérieur le leur avait interdit en voulant limiter les escarmouches parmi les captifs. « Il faut conserver une belle apparence à la marchandise », leur avait-il déclaré. D’ailleurs, pour s’amuser, pour les provoquer, après qu’ils eurent servi ceux qui désiraient l’être, ils déversaient systématiquement les surplus sur le sol, et preuve que cette nourriture était infecte, jamais n’avait-on vu quelconques animaux s’en approcher pour la laper.

    Alors que la plupart se désolaient encore de cette maigre pitance après plusieurs jours de jeûne, soudain, sans avertissement, arriva près du seul portail un des commandants du camp. Les pieds écartés, il semblait les narguer en affichant un air de supériorité.

    - Guten Tag!

    Malgré qu’il hurla des ordres qu’ils ne comprenaient pas, des insultes qu’il leur haranguait dans une langue de base dans l’espoir qu’ils en saisiraient quelques mots, ceux en attente d’une ration supplémentaire cessèrent leurs demandes et, d’instinct, ceux qui étaient accroupis se levèrent. Promptement, tous se rassemblèrent en troupeau pour lui faire face, comme pour se prémunir d’une attaque imminente.

    - Kleine erschrocke Schweine, rigola-t-il.

    Du canon de sa mitraillette, il pointa une jolie demoiselle et tonitrua des instructions à ses subalternes. L’un d’eux ouvrit alors la barrière et fit signe à la jeune femme de sortir. Pendant ce temps, nul n’essaya de s’enfuir, pas même ceux souhaitant la mort, conscients que ce petit défi ne leur occasionnerait que de violents coups suivis d’un douloureux retour dans l’enclos sans obtenir de soins appropriés. Poursuivant son inspection, il intima un déplacement vers l’arrière à ceux se tenant en périphérie devant lui.

    - Nein! gueula-t-il.

    Tous ceux au front se retirèrent tandis que le mouvement de foule propulsa de nouveaux corps vers l’avant.

    - Junges Fräulein! cria-t-il à une jeune femme aux longs cheveux noirs. Komm hier.

    Malgré une certaine réticence, elle s’accola presque à l’homme après avoir marché mollement vers lui.

    - Ziehe dich aus! hurla-t-il en mimant les gestes.

    Avec pudeur, la demoiselle choisie se dévêtit en tremblant. D’un mouvement de cou, il lui fit saisir qu’elle devait tourner sur elle-même. Lentement, langoureusement.

    - Das Gut! Du bist schön! déclara-t-il joyeusement en s’approchant d’elle alors qu’elle s’exécutait. Blockhaus 24A, lui murmura-t-il à l’oreille.

    Des larmes embuèrent alors son regard.

    - Ne pleure pas! Conserve tes fluides pour ton entrecuisse. Dans quelques heures, tu en auras besoin si tu ne veux pas trop souffrir lors de ma visite! prononça-t-il dans sa langue maternelle afin qu’elle puisse le comprendre.

    La délaissant, il se retourna vers l’enclos, question de repérer de nouveau le costaud qu’il avait aperçu avant de jeter son dévolu sur la jeune beauté.

    - Vorauszahlung!

    L’appelé n’obtempéra pas. Sans réitérer son ordre, l’officier fit un léger signe de la main à une sentinelle se trouvant près de lui. D’un pas rapide, ce dernier se propulsa vers le prisonnier et lui assena un coup de crosse de fusil sur le devant de la cuisse. Sous la douleur, le captif fléchit et se retrouva sur le sol. Après avoir disposé son arme en bandoulière, sans ménagement, le soldat l’agrippa à la manche et le tira jusqu’à son supérieur avant de le laisser choir comme un vulgaire sac de patates. Furieuse, la victime se releva péniblement puis se tint debout en face de l’Allemand. Le fixant dans les yeux, le commandant lui fit comprendre qu’il n’était pas en position de force malgré sa stature. S’avouant vaincu, le jeune homme baissa le regard. Puis, après avoir rigolé du peu de bravades démontré par le gaillard, le gradé plaça ses deux pouces dans sa bouche afin de lui écarter les dents tel qu’on le faisait pour vérifier une partie de la valeur d’un cheval.

    - Ja. Das ist sehr gut!

    Insolent, le détenu mordit alors son persécuteur. Sans crier gare, ce dernier lui flanqua un coup de genou dans l’entrejambe. Sous l’impact, l’homme relâcha sa prise et se plia en deux.

    - Du bist für den Blockhaus 24 A nicht gut! s’époumona-t-il en créant l’hilarité chez les militaires. Ein Untermensch!

    Au gré des humeurs du commandant, le tri se poursuivit ainsi pendant plus d’une demi-heure. Puis, dénombrant les sélectionnés, en fonction des ordres qu’il avait reçus, il se rendit compte qu’il avait jeté son dévolu sur deux de trop. Sa pensée balança pendant quelques secondes. Finalement, il retourna les deux derniers choisis dans l’enclos avant que la barrière ne se referme définitivement pour la journée en émettant son grincement habituel.

    Escortée par quelques sentinelles, et indirectement par le regard de tous les leurs, quasi désormais anciens compagnons d’infortune, la file de mobilisés se dirigea vers une grande bâtisse de briques rouges. Nul ne savait ce qui les attendait, par contre, tous étaient conscients qu’ils ne reviendraient jamais dans l’enclos. Aussitôt passé le portique, l’odeur acariâtre de l’eau de Javel pénétra leurs narines et quelques-uns poussèrent des sons de désagréments avant de porter l’intérieur de leurs coudes devant leur nez. Les gardes, habitués des besoins de désinfections de certaines zones de confinement, n’en firent pas de cas. De toute façon, tels des bergers, ils s’évertuaient à aligner les prisonniers vers une immense aire d’attente et devaient rester stoïques afin d’afficher une marque d’autorité. Affolés, les sujets sélectionnés avaient compris, à coups de matraque pour certains, qu’ils devaient se tenir adossés au mur en un seul rang, à une bonne distance l’un de l’autre. Quand le silence fut rétabli, que la peur fut devenue muette, du bout de sa baïonnette, le commandant désigna la personne semblant la plus âgée du groupe; en fait, il s’agissait de celle qui, fortement irritée par les effluves, s’était tue la dernière. Deux sentinelles vinrent la saisir et la traînèrent dans une petite salle aux parois blanches pendant que la horde, plutôt la harde de malheureux demeurait silencieuse.

    La porte refermée, sans la ménager, ils la déshabillèrent avant de la forcer à s’allonger sur un lit métallique dépourvu de draps. Les lignées de sueur suintant de tout son corps se refroidirent au contact de la surface tout en drainant une bonne partie de la crasse qui recouvrait sa carcasse. Alors qu’un des soldats pointait son arme devant son visage, les autres en profitèrent pour l’immobiliser. Sanglée aux chevilles, aux poignets et sur le front, la vieille femme blêmit à la vue du long couteau qui venait d’apparaître dans son champ de vision. Elle comprit rapidement que la suite des évènements se déroulerait de façon non civilisée; sans anesthésie. Pour ne pas empoisonner les tissus, l’opération allait s’effectuer à froid. Mais pouvait-on vraiment parler de civilisation lorsqu’un peuple s’en prenait à un autre sans raison sérieuse? Le décimant à une cadence inimaginable! Le rythme de son cœur augmenta, mais pas autant qu’elle aurait voulu; pas assez pour qu’il flanche. Puis, elle aperçut ce qui l’attendait. Machiavélienne, une des sentinelles apporta un grand pot transparent dans lequel flottaient des yeux, tous bleus, comme les siens. Sans cérémonie, il le posa sur le lit, près de sa tête. Une forte odeur de formol envahit l’air au moment où le couvercle en fut retiré. Plissant instinctivement les narines et resserrant ses paupières dans le même réflexe, elle provoqua un sentiment de frustration chez l’homme tenant le couteau. De son pouce sur sa joue et de son index appuyé sur son sourcil, il l'obligea à ouvrir l’œil droit. Sans préparation supplémentaire, il inséra sa lame et la désorbita avant de couper le nerf optique. Malgré la douleur, elle ne s’était pas évanouie. Heureux de son endurance, il en profita pour la forcer à entrouvrir ses paupières gauches et plaça devant elle le globe oculaire excisé. Cette situation le faisait toujours sourire; l’œil qui regarde l’œil! Après l’avoir jeté dans le bocal tel un œuf dans le vinaigre, il s’attaqua au deuxième.

    Sa tâche accomplie, constatant avec dédain qu’il n’y avait rien d’autre de potable à soutirer de cette chair flétrie, le même dilemme s’imposa encore : tuer pour tout suspendre, autant le souffle de sa victime que son propre plaisir, ou laisser mourir, à bout de sang, dans l'agonie, dans un des coins de la pièce, dans l'irrespect.

    Ce sera trop long et il n’est pas certain qu’elle en crèvera.

    Bon prince, il introduisit la pointe de son arme dans une des orbites évidées et alla lui transpercer le cerveau afin d’apaiser ses souffrances. Reluquant les diverses parties du corps, il jugea de nouveau que celles-ci n’étaient pas dignes de conservation. Il ordonna qu’on vienne chercher le cadavre et qu’on s’occupe de nettoyer la table d’opération pendant qu’il retournerait dans la pièce attenante où les autres désignés patientaient. Témoins sonores de la précédente scène, chacun de ceux-ci paniquait à l’idée d’être le prochain à être interpellé, mais depuis que les cris avaient cessé, comme si cela était possible, à leur grand étonnement, leur niveau de nervosité avait augmenté. Il entra puis scruta la petite foule agglomérée dans un des coins de la salle tout en souriant. Il n’aimait pas qu’on les place en ligne, mais cela n’était pas de son ressort puisque lui aussi devait suivre les ordres de son supérieur ; malgré tout, il se permettait parfois quelques libertés. Il préférait les voir regroupés ainsi, tel un troupeau de gazelles attendant que le lion fonce sur eux tout en gardant l’espoir de ne pas être le malheureux attrapé. Il avait un penchant pour ce jeu de cache-cache, surtout pendant les premières inquisitions, lorsque les proies étaient encore nombreuses et que les participants involontaires conservaient l’espérance de ne pas être choisis. Cependant, vers la fin de l’exercice, las, il se désolait d’observer la résignation sur les visages de ceux jusque-là épargnés, ces derniers ayant finalement compris qu’ils ne s’en étaient sauvés que temporairement. Soudain, il trouva ce qu’il appréciait le plus depuis qu’il avait été chargé de ce service. Oblitérant son regard de ses paupières, il inspira profondément, puis, toujours les yeux clos, expira par la bouche en esquissant un sourire digne du marquis de Sade. Ses mains séparées à la hauteur de son nombril, les doigts à demi repliés formant un arc de cercle, il jaugea de la teneur de ce qu’il avait aperçu en essayant de l’imiter. Consciemment, il tenta d’estimer l’ordre de grandeur de ce qu’il avait vu. Incertain, il ouvrit les yeux et remonta son attention pour la déposer sur les seins de la jeune femme, sans aucune lubricité, seulement pour en évaluer le niveau de distension créée par la lourdeur laticifère.

    Bientôt à terme. Cette prolongation de la chair via le cordon ombilical. D’une pierre, deux coups.

    Josef Mengele fut quand même déçu de constater qu’elle ne semblait pas porter de jumeaux et celle-ci l’aurait été encore plus que lui si elle avait su qu’il lui aurait laissé la vie sauve si elle avait abrité deux petits êtres. Deux cobayes qui lui auraient permis de faire des tests comparatifs : le plus chanceux des deux petits serait devenu le témoin, le point de référence tandis que son double aurait été, par des expériences inédites, celui auquel il aurait imposé... il aurait prescrit la déchéance. Sans oublier que trouver les conditions menant à des grossesses multiples aurait permis une augmentation rapide de la population allemande, de la nation aryenne.

    Garçon ou fille?

    Une pléiade de pensées l’envahit. Toujours les mêmes, sans toutefois, jamais ne devenaient-elles routinières. Un plaisir répété à chaque occasion. Comme un jouet trouvé dans une boîte de céréales, une boîte dont on doit rouvrir le rabat pour aller y puiser la surprise. Rabat qui parfois s’entaille facilement, qui en d’autres temps se dépaquette en s'écharpant sans qu’on le désire. Pour sa part, il préférait un charcutage, exécutant volontairement les déchirures. Après avoir pratiqué une incision d’une dizaine de centimètres à l’aide de son scalpel, il le laissait temporairement de côté avant d’insérer ses deux mains dans la fente en tirant sans ménagement l’abdomen déjà étiré, météorisé par le petit être vivant à l’intérieur. Les premières fois, il s’était évertué à le zieuter pour le déchiqueter, peu sûr qu’il parviendrait à l’écorcher. Mais depuis, fort d’exercices de compressions manuelles de balles de tennis, il ne doutait plus de ses moyens et prenait plaisir à regarder sa victime dans les yeux. Y voir la terreur lui apportait toujours un bonheur renouvelé, jamais n’avait-il ressenti la honte que les femmes essayaient de lui imposer par leurs larmes. Il ne remettait pas en cause que leurs pleurs tenaient plus à la fin de leur bébé qu’à leur propre survie. Quelle beauté incommensurable que l’instinct maternel, s’était-il dit à maintes reprises, mais sans néanmoins s’en émouvoir. Du doigt, il pointa la demoiselle au ventre gonflé. Instantanément, deux hommes se trouvant à ses côtés se ruèrent vers lui.

    Mais que pensent-ils? Qu’ils réussiront à la sauver? Qu’ils soient présents ou non n’y changera rien; elle se fera opérer tôt ou tard.

    Et plus tôt il le ferait, mieux ce serait pour lui. Il pourrait par la suite continuer son œuvre de manière méthodique sur les autres en se ressassant son intervention favorite, flottant dans un nuage de bonheur. Il aurait pu garder le meilleur en tant qu’apothéose, mais ce n’était pas ce qu’il préférait; il était du genre à recevoir la récompense avant ses efforts et non après. Mais, jamais ne faillait-il à ses tâches subséquentes; il était un vrai professionnel comme se plaisait à répéter son supérieur.

    Comprenant son signe de tête, quatre des sentinelles s’interposèrent afin de contrer les deux récalcitrants tandis qu’un cinquième s’empara de la jeune femme. Celle-ci sortie de la pièce, un des gardes referma brutalement la porte avant que les autres ne la poussent vers la petite salle.

    L’engrossée, attachée sur le même lit que la patiente précédente, soufflait profondément. Immaculée, la surface métallique ne recelait plus aucune trace rougeâtre; le führer abhorrait les mélanges sanguins, autant au niveau des saignées que des spécimens de races différentes, et ses instructions de désinfection devaient être respectées à la lettre. Les yeux fermés, sans le semondre, elle suppliait son dieu en silence, pour elle, pour l’enfant qu’elle portait depuis plus de huit mois, et comme le prônaient les enseignements de sa foi, pour l’individu se tenant devant elle, scalpel à la main.

    Sans attendre, ce dernier taillada son ventre, de sous son sein droit jusqu’à son nombril saillant. Elle demeura coite, mais accentua la vitesse à laquelle elle récitait intérieurement ses prières. Puis, de ses dix doigts, l’homme déchira sa peau. Reprenant son couteau, tel un médecin, il découpa son utérus et en sortit un minuscule corps agité de spasmes. De ses yeux remplis de larmes, elle l’implora de l’approcher de son visage. Ce qu’il fit, le cordon ombilical passant entre ses deux seins. Regardant le petit être, elle lui susurra quelques mots.

    - HaChem, tu t’appelleras HaChem, maintenant et pour l’éternité. 

    Puis, son fils baptisé, elle se força à rendre l’âme.

    « Une mère doit toujours mourir avant ses enfants; l’inverse est trop cruel » fut sa dernière pensée.

    Après avoir déposé l’enfant entre les cuisses ensanglantées de sa génitrice, il sentit un sentiment de puissance l’envahir avant de se mettre à crier pour qu’on vienne immédiatement laver le bébé en pleurs.

    - Cheveux noirs, yeux bruns. Un autre bâtard, se murmura-t-il. C’est un bon choix de l’éliminer. Et ce sera toujours un mâle de moins qui se serait éventuellement dressé devant nous pour nous affronter. 

    Quoiqu’affronter était un terme mal désigné tant les assaillants dominaient les assaillis en nombre, en armes, en stratégie, mais surtout en cruauté.

    Eût-ce été une fille qu’elle aurait pu commencer à engendrer une flopée de bâtards dans une quinzaine d’années!

    Il se remit à gueuler en annulant l’ordre qu’il venait de donner.

    - Laissez-le crever! commanda-t-il sans remords.

    Serrant son poing droit, il le brandit haut dans les airs, le bras tendu devant son visage.

    Lignée impure et sans avenir.

    Se retournant, il étira son autre bras et saisit un grand bol rempli de formol qu’une sentinelle lui présentait. Après en avoir dévissé le couvercle, il y plongea le bébé.

    Voyons voir si tu préfères ce liquide à celui dans lequel tu baignais dans ta chienne de mère.

    Refermant le couvert afin de s’éviter les désagréables vapeurs et probables éclaboussures, il regarda le petit corps tressaillir pendant quelques secondes avant de s’immobiliser.

    Il faudrait vraiment trouver un moyen de les enrayer à la source puisque les combattre entraîne quand même des pertes parmi les nobles soldats protégeant notre peuple et veillant à nos intérêts supérieurs.

    - C’est désolant, chagrinant, commença-t-il à prononcer solennellement comme s’il s’apprêtait à prononcer un important discours, de constater que ceux qui ont le privilège d’être sur la table d’opération ne réalisent pas qu’ils aident l’humanité ; qu’ils sont privilégiés, par leurs caractéristiques exceptionnelles, malgré leur origine répugnante, de participer à des expériences d'avant-garde, contrairement aux autres qui sont tout simplement gazés sans autres considérations. Quelle ingratitude de leur part!

    Jour 1

    Il avait argumenté à maintes reprises que ce n’était pas le type de dossier qu’il avait l’habitude de mener, plaidé que d’autres étaient plus qualifiés et motivés que lui pour se frotter à ce genre de mission. Car oui, il avait utilisé ce terme au lieu de celui d’enquête dans une vaine tentative d’en être déchargé, avait-il tenu à préciser. Ce dernier mot avait bien fait rigoler son supérieur étant donné le travail à effectuer. Mais rien n’avait pu y faire; il y avait été affecté et ne pouvait s’en soustraire. Sujet de railleries de ses collègues, il s’était résigné et avait embarqué dans son automobile afin de se diriger vers l’Outaouais. Le périple, prévu d’une couple d’heures, s’était finalement éternisé en attente dans le trafic tout en lui donnant, ce qui n’était pas pour lui déplaire, l’aval de chialer à sa guise.

    Autant à son départ...

    Que font tous ces camions? Je ne peux pas croire que la quasi-totalité de ces produits de consommation ne pourrait pas être transbordée par train. Il ne doit pas avoir si urgence que cela s’ils ne transportent pas de denrées périssables. L’industrie du camionnage doit contribuer généreusement aux caisses politiques des partis au pouvoir, se répétait-il à chacune des fois qu’il réussissait à dépasser un de ces poids lourds. De plus, je suis certain que ce serait beaucoup plus économique et assurément moins polluant de les enlever de la circulation pour la vaste majorité d’entre eux. Sans compter que cela préserverait nos chemins puisque l’on sait que le passage d’un seul poids lourd chargé équivaut à ceux de quarante et un mille voitures.

    ... que vers son point d’arrivée.

    Mais pourquoi ces foutus Ontariens roulent-ils dans la voie de gauche s’ils vont si lentement? Tassez-vous à droite! Maintenant, je comprends pourquoi une vitesse minimale doit être respectée sur les autoroutes, avait-il pensé à maintes reprises en approchant d’Ottawa. On devrait également changer la couleur de leurs plaques d’immatriculation pour qu’il n’y ait pas de possibilité de les confondre avec celles des conducteurs québécois.

    Abdiquant devant le manque de rapidité de plusieurs, il s’était inventé une maxime pour les qualifier et essayer de tempérer son impatience en la répétant mentalement.

    Ils devraient tous être coiffés des chapeaux de pépère, même les jeunes; comme cela, on pourrait les repérer d’avance.

    Cette nouvelle marotte lui trottait encore dans la tête au moment où, les dents serrées, soufflant entre ses lèvres, l’homme, après avoir emprunté un carrefour giratoire, gara finalement sa voiture en face de la petite clinique du boulevard Saint-Joseph. Sortant de son véhicule tout en observant distraitement les murs stratifiés en planches de cèdre clouées horizontalement, mais sans vraiment porter une quelconque considération au reste de la devanture, il se morfondit de nouveau sur la pertinence de l’investigation qu’on lui avait confiée. Il eut à le faire puisque cela lui était sorti de l’esprit lors de sa calomnie contre les conducteurs à l’avancée digne des tortues. En fait, il ne rechignait pas contre les motifs sous-jacents à cette enquête, mais sur le bien-fondé du choix qu’avait fait son supérieur en le désignant. Désemparé par l’aspect insolite lié aux faits reprochés, pendant le début du trajet, il s’était sondé sur la façon dont il aborderait son interrogatoire. Ne parvenant pas à dénicher une bonne question initiale, il s’était finalement rendu compte qu’il n’en avait même pas de suivantes... Ayant perdu espoir après plus d’une demi-heure de réflexion, il avait décidé de glisser un disque compact dans le lecteur et d’inonder son cerveau de la musique de Fear Factory afin de canaliser son attention sur autre chose. Maintenant qu’il avait quitté la voiture et que le silence avait repris ses droits, ses doutes avaient resurgi de plus belle.

    Mais comment suis-je censé approcher ce problème? En est-ce vraiment un ou s'agit-il d'une simple lubie de la part de la plaignante?

    Conscient de sa mauvaise préparation, honteux de la manière dont il avait éludé le sujet lors de son déplacement, il s’accota sur la portière et sortit son fameux calepin à l’effigie des Nordiques. Il consulta distraitement les premières feuilles, en déchira partiellement quelques-unes puisque certaines étaient mal insérées dans le boudin en plastique. Il bougonna encore plus intensément en constatant qu’on y retrouvait des éléments de la dernière enquête qu’il n’avait pas pu mener à terme et qu’on avait présentement déléguée à quelqu’un d’autre afin de le muter à Gatineau en invoquant l’urgence de la situation. Il eut envie d’arracher ses petites notes, mais se retint de le faire, confiant que les événements qu’il aurait à interpréter seraient vite dénoués et qu’il pourrait rapidement retourner à sa précédente enquête et tourner la page. Il se marra de ce mot d’esprit. Puis, scrutant le ciel, plissant les yeux, plus sous l’effet d’une tentative de recherche pensive que de celui du soleil, il soupira de dépit. Il rebaissa son regard et trouva finalement un endroit approprié pour inscrire ses futures remarques. Après avoir tapoté son calepin du bout de sa mine à quelques reprises, il y griffonna quelques idées en rafale, s’ingéniant à s’insuffler une quelconque inspiration.

    Bébé.

    Embryon.

    Fœtus.

    Ovule.

    Sperme.

    Neuf mois.

    Horloge biologique.

    Insémination.

    Couleur.

    Plainte.

    Bébés. 

    Tout en apposant l'accent aigu sur le deuxième « é », il réalisa que ce nom commun figurait déjà en tête de liste.

    J’ai dû faire le tour du sujet pour que je revienne si rapidement au début de la boucle. C’est assez pathétique... et dire que le patron croit que je suis le plus qualifié pour résoudre ce problème.

    Il entoura à plusieurs reprises la lettre « s » après avoir raturé le terme au singulier.

    - Si je pouvais caviarder ce premier mot, je le ferais immédiatement, rigola-t-il en se remémorant l’apparition de ce vocable associé aux nombreuses irrégularités perpétrées par le parti libéral du Québec et révélées pendant les audiences de la commission Bastarache.

    Je me demande bien ce qui est advenu du rapport incriminant relatant les inconduites de ce gouvernement pourri, autant dans sa gestion que dans son organisation. Encore un autre qui a été tabletté et qui n’aura aucune conséquence sur ces malhonnêtes acteurs. De fait, à la lumière des recommandations qui n’ont pas été suivies, je crois même qu’ils ont dû le déchiqueter au lieu de le conserver. Et ce ne sera probablement guère plus reluisant avec la commission Charbonneau!

    - J’espère au moins que l’opinion publique leur en tiendra vraiment rigueur lorsque les gens auront à voter, soupira-t-il. Malheureusement, on ne peut pas vraiment compter sur les journalistes pour le leur rappeler pendant la prochaine campagne électorale, parce que pour ce qui est de la dernière, le parti libéral a tout de même obtenu un nombre incroyablement élevé de votes! Pourtant, ce serait leur rôle d’effectuer un bilan objectif du mandat qui s’achève. Je ne sais pas pourquoi ils ne sont pas plus professionnels... la plupart d’entre eux ne font généralement que relayer de l’information sans se questionner sur sa pertinence et sur le fond de vérité, ragea-t-il en se ressassant cette conclusion pour une énième fois. Quelle bande d’imbéciles! Et que dire de ceux obéissant de manière pleutre aux consignes de leurs patrons ou propriétaires des médias. Qu’ils sont donc à-plat-ventristes!

    Puis, distraitement, il relut à voix haute l’enseigne placardée au-dessus de la porte.

    - Clinique de fertilité biologique de Gatineau.

    Mais j’en doute, malgré leur devise, les Québécois ne se souviennent pas, autant individuellement que collectivement... même parmi ceux qui se préoccupent vraiment des affaires publiques, se désola-t-il. Ils oublient tellement vite, pas comme s’ils passaient l’éponge, mais plutôt comme s’ils s’en foutaient. Je ne peux pas comprendre pourquoi les citoyens ne se sentent pas plus concernés que cela par les décisions des dirigeants. Ne réalisent-ils pas les impacts que cela aura immédiatement sur leur propre vie? Sont-ils trop stupides pour en saisir pleinement  toutes les portées? Ou désillusionnés? Ils acceptent sans rechigner les mensonges et promesses non tenues, comme si cela allait de soi. En plus de ne pas s’intéresser à ce qui se déroule dans leur province, les analystes couvrant les médias soutiennent que le peuple québécois est celui qui se passionne le moins de ce qui se passe à l’étranger, que les gens n’ont aucune idée des développements diplomatiques, économiques ou culturels internationaux. Dire que plein d’événements s’y tramant ont ou auront des répercussions directes et indirectes sur nos destinées. Après cela, on s’étonne de constater que les individus d’ici se font manipuler sans réagir et affirment que tous les partis politiques sont du pareil au même. Quel manque d’éducation! Quelle mollesse d’esprit!

    Il referma sans délicatesse son calepin et le fourra dans une de ses poches.

    On devrait exiger que les électeurs répondent correctement à un questionnaire ne contenant aucune partisanerie avant de leur permettre de prendre part au scrutin. Tu ne connais pas les enjeux; tu dois t'abstenir de poser un X à côté du nom d'un candidat! C’est assez simple et ce ne serait pas déraisonnable! Ce petit test doit également être rédigé en français! Tu ne comprends pas cette langue, tu n'as pas le droit de vote! C'est pourtant logique. C’est sûr que ça va diminuer le taux de participation... et puis? Pourquoi ceux qui ne saisissent rien auraient-ils le privilège d’intervenir et d’imposer leurs opinions? Pour ce qu’elles valent! Qu’on laisse entre leurs mains l'élimination des concurrents des émissions de télé-réalité, c’est bien assez suffisant pour eux. Et dire que pour cela, ces gens payent pour que leur choix soit comptabilisé! Quelle bande de colons!

    Il marcha vers la bâtisse et poussa la lourde porte avant d’en contempler la tranche en stoppant son entrée.

    Elle est pleine. C’est bien du bois massif, pensa-t-il en cognant dessus à l’aide de son poing.

    Il releva alors la tête en roulant ses yeux vers l’arrière.

    Mais pourquoi donc est-ce que je m’arrête à ces détails? Est-ce pour masquer ma pitoyable préparation? Pour retarder l’échéance de la rencontre?

    - Est-ce qu’on vous a répondu, monsieur? questionna la réceptionniste d’un ton désagréablement rauque.

    Désarçonné, il dirigea son regard vers la source sonore après avoir considéré les alentours pour vérifier si elle s’adressait vraiment à lui.

    - On dirait ben qu’y a des centaines de maringouins qui sont rentrés pendant que vous niaisiez à écornifler je ne sais trop quelle patente, grognassa-t-elle d’une voix inaudible en faisant mine d’en taper un voletant devant elle. Peut-être que ça vous dérange pas, mais moi, je suis poignée icitte toute la journée et je n’ai pas envie de me faire piquer parce que vous êtes demeuré planté là comme un idiot. Quand vous allez partir, vos amies bibittes ne vous suivront pas, poursuivit-elle à voix basse alors qu’il fermait la porte puis s’approchait du comptoir derrière lequel était assise la dame qui l’avait interpellé.

    Il posa ses mains sur ses tempes.

    - Est-ce que je peux vous être utile? demanda-t-elle d’une façon qui ne correspondait résolument pas aux mots de sa requête.

    Sans donner suite verbalement, il pencha sa tête sur le côté et se mit à examiner les ongles de la femme puisque son visage bougonneur, sans sourire, n’incitait vraiment pas à la contemplation. Déjà, la tronche de la femme ne lui revenait pas, et cela lui semblait réciproque.

    Le bas est peinturluré d’un vernis jaune, tellement pâlot qu’on en voit les lunules. L’extrémité est verte et se termine bizarrement avec un fignolage carré qui détonne avec la forme naturellement arrondie du bout des doigts.

    Inconsciemment, il plaça ses deux mains en face de son visage, paumes renversées, et les considéra comme jamais il ne l’avait fait auparavant, du moins, depuis qu’il n’était plus un poupon. Désarçonné, il osa de nouveau un regard vers les doigts de la réceptionniste.

    Comme si ce n’était pas assez, les ongles de ses auriculaires sont percés et portent chacun une petite boucle d’oreille en forme d’anneau. Elle doit gaspiller un temps énorme à faire tout ce fla-fla inutile. Il lui aurait été plus profitable d’apprendre les bonnes manières que de trimer sans relâche sur cela. Le contenant avant le contenu... comme bien des gens, s’attrista-t-il.

    Afin d’attirer son attention, elle commença à bouger frénétiquement ses longs doigts devant lui. Ayant perdu la chance d’observer ses apparats, il fit la moue.

    Est-ce un de ces fatigants de sourd-muet qui nous montrent leur maudite carte avec des signes de langages dessus? se demanda-t-elle, exaspérée, sans cacher l’impatience qui s’était formée dans les traits de son visage. Un de ces quêteux de la société qui veut de l’argent sans travailler.

    - Bonjour monsieur, déclara-t-elle lentement en ouvrant grand la bouche en supposant que sa récente assertion s’avérait patente.

    Sans se donner la peine de répondre, l’homme se pencha.

    J’en étais certain, se réjouit-il. Elle porte des sandales et a le même arrangement sur ses ongles d’orteils, y compris les deux bijoux de pacotille.

    Il la dévisagea, plus pour chercher une lueur d’intelligence dans ses yeux que pour lui signifier son désarroi.

    Imagine-t-elle vraiment qu’il y a quelqu’un sur la planète, excepté elle, qui trouve cela joli?

    L’individu hocha la tête.

    Probablement les autres greluches de son genre!

    - Pensez-vous que l’Europe devrait imposer des sanctions économiques à la Grèce afin que ses dirigeants instaurent des mesures d’austérités draconiennes légitimant l’effacement de la dette nationale s’élevant à cent vingt pour cent du PIB?

    - Quoi?

    - Rien du tout, mademoiselle.

    - Que puis-je faire pour vous? s’impatienta-t-elle.

    Et ces cheveux auburn... c’est tellement évident qu’il s’agit d’une teinture bon marché achetée au dépanneur du coin. À moins qu’elle ne l’ait concoctée elle-même... apparemment une mixture de carottes écrasées diluées dans de la sauce soya délayée avec de l’eau de Javel.

    L’homme s’égaya de sa réflexion.

    Je me demande pourquoi cette coloration est surtout l’apanage des bonnes femmes d’un certain âge qui n’ont pas beaucoup d’éducation. C’est comme une constante. Plutôt un avertissement, comme lorsque les vaches étaient marquées au fer rouge.

    - Est-ce que vous êtes ici pour donner du sperme?

    Déstabilisé, il demeura coi.

    Je n’avais pas d’idée des questions que j’allais poser, mais là, je suis complètement interloqué par la sienne!

    - Non, répondit-il en écarquillant les yeux, tout en constatant que la

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