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L’invité inaperçu
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Livre électronique326 pages4 heures

L’invité inaperçu

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À propos de ce livre électronique

Depuis leur retour de Londres, les trois Incorrigibles et leur courageuse gouvernante, mademoiselle Penelope Lumley, sont extrêmement occupés. Malgré l’éducation canine qu’ils ont reçue, tout-petits, les enfants s’adonnent maintenant à l’observation des oiseaux sans s’attirer d’ennuis… du moins, pas encore. Et un cadeau déconcertant soulève des questions difficiles quant aux raisons pour lesquelles Penelope a été laissée à l’Académie Swanburne pour filles pauvres mais intelligentes et sur ce qui expliquerait pourquoi ses parents ne se sont jamais donné la peine de revenir la chercher. Mais le mystère de sa famille n’est pas le seul à résoudre. Lorsque la mère de lord Fredrick revient le voir après une longue absence, accompagnée de l’illustre amiral Faucet, des secrets effroyables tombent de l’arbre généalogique des Ashton. Et lorsque la précieuse autruche de course de l’amiral se sauve dans la forêt, les Incorrigibles doivent déployer toutes leurs habiletés pour la traquer. La chasse pour l’autruche en fuite est commencée. Mais Penelope est inquiète. De retour dans la nature, les enfants oublieront-ils les livres et la poésie pour retrouver leurs comportements de loups qui hurlent à la lune? Et s’ils ne veulent plus jamais retourner au Domaine Ashton?
LangueFrançais
Date de sortie4 févr. 2014
ISBN9782897332310
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    Aperçu du livre

    L’invité inaperçu - Maryrose Wood

    PREMIER CHAPITRE

    La nursery est encalminée, et Penelope reconsidère sa décision.

    — Lumahou, regardez. Quel oiseau ?

    — Je crois bien qu’il s’agit d’une sittelle. Beowulf, faites attention !

    Beowulf Incorrigible tendait si bien le cou, les hanches appuyées sur le bord de la fenêtre, que sa gouvernante, mademoiselle Penelope Lumley, craignit qu’il basculât.

    — Sittelle ? Pas fauvette ? Croâ ! Croâ !

    La réplique de Beowulf retentit comme un cri d’oiseau, tandis que Penelope saisit fermement son élève par les chevilles pour le remettre dans une position plus sûre, derrière l’appui de la fenêtre. L’oiseau en question (au deuxième coup d’œil, il s’apparentait plutôt à la famille des fauvettes, selon Penelope) pencha la tête de côté, comme pour dire « Je sais ce que je suis, mais qu’êtes-vous ? ». Après quoi, il voleta hâtivement vers la cime des arbres.

    — Qu’il s’agisse d’une sittelle ou d’une fauvette est peut-être discutable, répondit vivement Penelope en refermant les fenêtres grandes ouvertes de la nursery et en prenant soin de pousser les verrous par mesure de prévention. Mais vous, Beowulf Incorrigible, n’êtes aucune sorte d’oiseau. En aucun cas vous ne pouvez vous envoler par la fenêtre.

    — Désolé, Lumahou.

    Le garçon lança un regard mélancolique en direction du départ de l’oiseau, mais il ne protesta point. À la place, il se retira dans le coin le plus reculé de la nursery, où il entreprit de construire de hautes tours vacillantes avec des cubes de bois, puis de les faire chavirer, n’en retirant qu’un infime soupçon de satisfaction.

    Penelope retourna s’asseoir et tâcha de reprendre sa lecture. Mais la nursery lui sembla tout à coup étouffante, sans la merveilleuse brise estivale qui avait fait bomber et danser les rideaux toute la matinée. Le frère aîné de Beowulf, Alexander, avait passé la dernière heure à prétendre que les rideaux gonflés de vent étaient les voiles d’un navire. Leur sœur, Cassiopeia, s’était portée volontaire pour jouer à la guetteuse de pirates, alors qu’Alexander se tenait vaillamment sur le pont de son vaisseau imaginaire, naviguant allègrement à l’aide du sextant de cuivre brillant, qui était alors sa possession préférée.

    Avec la fermeture des fenêtres, ce jeu avait dû, lui aussi, prendre fin.

    — Pas de vent, annonça Alexander, mouillant son doigt et le tenant en l’air pour confirmer ses doutes. Nous sommes encalminés. Jetez l’ancre, matelot !

    — À vos ordres, capitaine. Mal de mer, de toute façon, obéit Cassiopeia d’une voix morose.

    Elle était la plus jeune des trois enfants Incorrigibles et, pouvait-on affirmer à juste raison, la plus téméraire. À vrai dire, elle aurait préféré une querelle avec les pirates, car elle éprouvait une légère rancune à leur égard, depuis le récent voyage des Incorrigibles à Londres. Aussi avait-elle espéré pouvoir enfin leur « clouer le bec », comme le veut l’expression.

    (Les amateurs de théâtre parmi vous pourront peut-être fredonner quelques mesures des Pirates en vacances, l’opérette en haute mer dont la première fut désastreuse et à laquelle les Incorrigibles et leur gouvernante eurent le grand malheur d’assister au cours de leur séjour à Londres. Si vous en faites partie, vous avez une petite idée de la raison de l’amertume de Cassiopeia. Dans le cas contraire, il vous suffit de savoir qu’une intense aversion pour les pirates, surtout les pirates chantants, qui, heureusement, représentent une espèce rare, s’était enracinée chez la fillette, et avec bonne raison.)

    Hélas, il n’y aurait pas de coups d’épée ce jour-là. Les ­voiles avaient été affalées, et l’enfant s’était affaissée dans l’un des fauteuils douillets de la nursery pour faire cliqueter les boules de son boulier, d’un côté et de l’autre, encore et encore.

    Penelope nota l’humeur brisée de ses trois élèves, déconcertée. Elle regrettait déjà d’avoir fermé les fenêtres. Elle l’avait fait dans le but de souligner l’importance de la sécurité, bien entendu, mais après réflexion, peut-être qu’un avertissement à Beowulf aurait été aussi efficace. Car jusqu’à ce qu’elle fermât les fenêtres, les enfants avaient été absorbés par des activités éducatives : Beowulf avait observé les oiseaux, Alexander s’était exercé à l’art de la navigation, et Cassiopeia avait brandi des menaces colorées sous le nez de pirates invisibles, ce qui consistait en un bon exercice pour l’imagination, sans mentionner l’enrichissement rapide du vocabulaire de la fillette. (« Je vais vous fileter comme des maquereaux, ouaf ! » était un exemple des plus raffinés.)

    Mais à ce moment, les trois enfants Incorrigibles étaient fâchés et s’ennuyaient, une combinaison dangereuse qui inciterait toute personne d’un jeune âge à mal se comporter, sans parler de trois enfants ayant été élevés dans la forêt par des loups, ce qui les avait rendus particulièrement enclins à l’espièglerie.

    Il y eut un fébrile toc-toc-toc à la fenêtre. C’était Noisettaou, l’écureuil audacieux aux yeux de perle que les enfants avaient, extraordinairement, transformé en animal de compagnie. Le garnement poilu vivait dans les arbres, comme tout écureuil raisonnable, mais les enfants l’avaient si bien apprivoisé qu’il courait souvent le long d’une ­branche basse et effectuait le saut héroïque jusqu’au bord de la ­fenêtre, où Cassiopeia lui offrait des friandises et tâchait de lui enseigner les bases de l’arithmétique, au moyen de glands qu’elle avait conservés expressément à cette fin. À cet instant, le rongeur perplexe ne pouvait que se coller le nez contre la vitre et la frapper de ses minuscules pattes de singe, tandis que sa queue duveteuse fouettait anxieusement l’air de gauche à droite.

    Personne n’osa ouvrir la fenêtre, bien sûr. Mais le son réprobateur ne pouvait être ignoré. Le toc-toc d’un écureuil seul, attristé et à la recherche d’un en-cas, se faisait alors insistant :

    Toc ! Toc-toc ! Toc-toc-toc ! Toc-toc-toc-toc !

    Si vous avez déjà reniflé le bec d’un carton de lait pour juger si son contenu était buvable, puis que vous vous êtes mis à vous demander si le lait passait réellement de frais à suri d’un seul coup, dans une grande coagulation tourbillonnante, ou s’il surissait peu à peu, par petites étapes de caillement, et le cas échéant, à quel moment du phénomène le caillement devenait-il évident pour le nez humain, tout comme le choix sage de boire un verre de limonade à la place, alors vous avez une certaine idée de la situation délicate dans laquelle se trouvait Penelope. Elle avait du moins compris que l’atmosphère de la nursery avait commencé à surir, pour ainsi dire, et que la cause de ce phénomène avait quelque chose à voir avec les fenêtres qu’elle avait fermées. Cependant, elle ne savait pas exactement comment les choses avaient si mal tourné, et si rapidement. Elle ne savait pas non plus si la matinée était complètement gâchée, ou s’il y avait toujours espoir de remettre de la joie dans l’air.

    Elle fronça les sourcils et fit pianoter ses doigts sur la couverture de son livre. Elle était devenue gouvernante des Incorrigibles un peu moins d’un an plus tôt, et chacun des enfants avait fait de remarquables progrès sco­laires. Malgré tout, leur gouvernante avait toujours l’impression de devoir fréquemment « apprendre sur le tas », en quelque sorte. À ce moment précis, c’est ce qu’elle éprouvait.

    — Aimeriez-vous répondre à un jeu-questionnaire sur les verbes latins ? proposa-t-elle sans enthousiasme.

    Les enfants firent non de la tête et soupirèrent. Beowulf avait abandonné la construction de tours et mâchonnait alors les cubes de bois. Alexander administrait de petites poussées de sextant à sa sœur, et celle-ci empoignait son boulier d’une manière suggérant qu’elle allait bientôt le projeter à l’autre bout de la pièce.

    « Que devrais-je faire ? se demanda Penelope, car elle savait reconnaître un désastre imminent lorsqu’elle en voyait un venir. Devrais-je rouvrir les fenêtres au risque de paraître sotte, puisque je viens tout juste de les fermer ? Ou devrais-je plutôt les laisser fermées et tenter d’égayer les enfants d’une autre manière ? Ils aimeraient peut-être que je leur fasse la lecture… »

    Mais elle ressentit à ce moment un pincement aigu de culpabilité, car Penelope reconnaissait qu’elle avait d’abord quitté Beowulf des yeux parce qu’elle avait atteint une partie tout à fait passionnante du livre qu’elle tenait entre ses mains à l’instant même et elle s’apercevait que par conséquent, elle avait temporairement oublié, juste pour un petit moment bien sûr, qu’elle était une gouvernante d’enfants dans une nursery.

    Le volume en question faisait partie de la collection Allez, hop, Arc-en-ciel !, que Penelope adorait par-dessus tout. Dans le récit qu’elle lisait, l’héroïne, Edith-Anne Pevington, inscrit son fidèle poney, Arc-en-ciel, dans un défilé de poneys et conducteurs. Une fois sur place, la méprise comique entre deux selles semblables entraîne la rencontre d’Edith-Anne et d’un garçon nommé Albert, qui prévoit aussi de participer à la parade. Son poney marron, Météore, est aussi fougueux et nerveux qu’Arc-en-ciel est doux et calme.

    La confusion entre les selles est rapidement résolue, mais la rencontre avec Albert laisse Edith-Anne troublée et incapable de faire autre chose que de tresser et recommencer à tresser la crinière et la queue déjà parfaitement tressées d’Arc-en-ciel, seulement pour se changer les idées et tâcher de ne pas penser à cette nouvelle connaissance distrayante. Arc-en-ciel enrubanné était le titre du livre, et le défilé de poneys constituait la pièce maîtresse de l’intrigue, mais cette ren­contre accessoire avec Albert avait si bien captivé l’imagination de Penelope qu’elle avait eu un mal fou inhabituel à refermer le livre, même si dans la vraie vie, ses propres élèves grimpaient aux fenêtres, entre autres choses. À vrai dire, Albert lui rappelait un jeune homme parfaitement gentil nommé Simon Harley-Dickinson, qu’elle avait rencontré à Londres. Elle se demandait souvent si elle allait le revoir un jour…

    C’était une fauvette, marmonna Cassiopeia à Beowulf, au moment où elle repoussa Alexander de son boulier.

    — Cesse de baver et dessine-le.

    Quelque peu encouragé, Beowulf délaissa ses cubes de bois mâchonnés et sortit son carnet de croquis.

    — Pour le livre guide, annonça-t-il, avant de se mettre au travail.

    Les mots « livre guide » causèrent un autre pincement au cœur de Penelope, mais celui-là fut différent, non seulement parce qu’elle avait elle-même récemment perdu un livre guide plutôt inhabituel qui lui avait été offert en cadeau (nous en reparlerons plus tard), mais aussi parce que Penelope avait demandé aux enfants de créer eux-mêmes un livre guide, un projet qui, lui aussi, se révélait être problématique.

    Le livre devait s’intituler Les oiseaux du Domaine Ashton, observés depuis la fenêtre de la nursery, mais après trois jours d’observation assidue des oiseaux, même Penelope devait ­admettre que seuls les oiseaux les plus ordinaires et franchement inintéressants manquaient d’imagination au point de passer leurs journées à traînasser près de la maison. Les ­sittelles, fauvettes, moineaux et l’occasionnelle tourterelle étaient tous des oiseaux parfaitement acceptables, certes, mais où se cachaient les chouettes sages et mystérieuses ? Les milans royaux, planant allègrement grâce à leurs larges ailes infatigables ? Ou les faucons pèlerins, avec leurs serres tranchantes et leurs yeux aiguisés capables d’apercevoir une appétissante souris des champs au sol, à des centaines de mètres dans le ciel ?

    Manifestement, aucune de ces nobles espèces ne comptait faire son apparition à la fenêtre de la nursery. Cependant, emmener ces trois enfants élevés par des loups et à moitié civilisés faire une promenade dans les bois serait assurément imprudent, n’est-ce pas ? Qui sait de quelle manière ils se comporteraient s’ils s’aventuraient trop loin de la maison ?

    Toc ! Toc-toc ! Toc-toc-toc ! Toc-toc-toc-toc !

    Puis, silence. Car même Noisettaou, dont le cerveau n’était pas plus gros qu’une noisette de taille moyenne, avait trouvé quelque chose de plus intéressant à faire.

    À ce point-ci, il est important de mentionner que mademoiselle Penelope Lumley, dont le seizième anniversaire de naissance marquerait le calendrier deux mois plus tard, possédait une grande sagesse pour une si jeune personne. Elle devait cette qualité aux années qu’elle avait passées à l’Académie Swanburne pour les filles pauvres mais intelligentes, où elle avait reçu non seulement une solide éducation, mais aussi le bon sens intemporel de la fondatrice de l’école, Agatha Swanburne, qui était reconnue pour ses précieux mots de sagesse (qui sont presque tous aussi utiles aujourd’hui qu’à l’époque de mademoiselle Lumley : une bonne chose à savoir).

    Penelope fit tambouriner ses doigts sur la couverture d’Arc-en-ciel enrubanné, tâchant d’imaginer ce qu’Agatha Swanburne aurait dit par rapport à cette situation. Et en réalité, la réponse lui vint spontanément à l’esprit.

    « Maintenant, je sais exactement quoi faire, songea-t-elle, car selon Agatha Swanburne, il est plus facile de changer de bottes que de changer d’idée, mais il est beaucoup plus facile de changer d’idée sur le fait de porter ou non des bottes que de changer le temps qu’il fait dehors. »

    Il s’agissait de l’un des énoncés les plus énigmatiques de la grande dame, mais à ce moment, il faisait l’affaire. Penelope se leva de son fauteuil et se dirigea résolument vers les fenêtres.

    — Les enfants, j’ai bien réfléchi, et je m’aperçois que j’ai fait une erreur.

    Elle tira les rideaux de côté.

    — D’abord, je crois que votre livre guide a besoin d’un meilleur titre que celui que je vous ai d’abord suggéré.

    Les oiseaux du Domaine Ashton, observés depuis la fenêtre de la nursery, mauvais ? demanda Alexander, les sourcils froncés.

    — Je crois que nous pouvons l’améliorer, répondit Penelope.

    Sur ce, elle ouvrit encore plus grand les fenêtres. Les rideaux se gonflèrent aussitôt et ballonnèrent joyeusement à l’intérieur de la pièce.

    Les oiseaux du Domaine Ashton, observés sans sauter de la fenêtre ? suggéra Beowulf en battant l’étoffe dansante qui le fouettait malicieusement.

    — Ce serait certainement un pas dans la bonne direction.

    Penelope inspira profondément ; l’air sentait les lilas, et on entendait le doux bourdonnement des abeilles et des chants d’oiseaux tout à fait prometteurs au loin.

    — Par contre, je dirais que c’est la partie sur la fenêtre qui a besoin d’être modifiée.

    Elle avait alors toute l’attention des trois enfants. Elle plia ses mains devant elle et regarda ses élèves avec une expression solennelle qui était plutôt difficile à maintenir, car elle pouvait voir Noisettaou (au contraire des enfants, faisant à cet instant dos à la fenêtre), qui était de retour et réalisait une danse festive précipitée parmi les branches des arbres.

    — J’ai reconsidéré ma décision. À l’évidence, un livre guide rédigé en regardant par une fenêtre est une tâche trop ardue. À la place, je propose que nous allions dehors pour observer les oiseaux dans leur habitat naturel, si l’on peut dire.

    Les oiseaux du Domaine Ashton qui vivent dehors, déclara Alexander, fouillant partout pour trouver ses chaussures.

    Les oiseaux dans les champs et les arbres, clama Beowulf, l’air absolument ravi.

    Oiseaux, oiseaux, oiseaux, chantonna Cassiopeia en faisant semblant de battre des ailes. Oiseaux !

    Penelope oscilla de la tête, l’air songeur.

    — Ce sont toutes de belles suggestions de titres. Mais je propose d’intituler notre livre guide Les oiseaux du Domaine Ashton qui vivent dehors, observés de près par trois enfants brillants et obéissants qui ne s’échapperont pas dans les bois sous aucun prétexte. D’accord ?

    — D’accord, acquiesça Alexander, esquivant d’un côté et de l’autre le rideau valsant.

    — D’accord, ahouuuuu ! hurla Beowulf, oubliant ses mots pendant un instant.

    — Oui, ouaf ! jappa Cassiopeia, qui était encore moins capable de s’en empêcher que ses frères, lorsqu’elle était excitée.

    Penelope réprima un sourire. Le lait suri ne pouvait être « désuri », mais les trois enfants Incorrigibles étaient manifestement faits de matière différente et plus résiliente, et d’une certaine manière, à ce moment, Penelope se sentait profondément fière d’eux.

    — Très bien. Ne prenons pas plus de trois minutes pour rassembler notre équipement d’observation des oiseaux. Si nous avons de la chance, nous trouverons des espèces intéressantes avant l’heure du thé.

    — Hourra ! Hourra ! crièrent en chœur les Incorrigibles.

    Les enfants se mirent à rassembler leur équipement. Pour Alexander, son matériel consistait en son sextant, son carnet de croquis et des crayons bien taillés pour noter l’emplacement géographique précis de chaque observation. Cassiopeia balaya les miettes et les croûtes de pain restées dans le plateau du petit déjeuner et les enveloppa soigneusement dans un carré de lin ; elle s’en servirait pour attirer les oiseaux et les observer de près. Beowulf empaqueta son carnet de croquis et ses pastels ; il était un artiste talentueux très doué pour reproduire chaque oiseau dans toute sa gloire becquée et emplumée.

    Quant à leur gouvernante, mademoiselle Penelope Lumley, ses préparatifs englobèrent une course à la cuisine pour se procurer une gourde de lait frais bien froid et une grande provision de biscuits. Le lait, c’était parce que l’observation des oiseaux à l’extérieur se révélerait sans doute être un travail fatigant exécuté à la chaleur, et les enfants auraient bientôt soif.

    Les biscuits, c’était seulement pour les avoir à disposition, au cas où les Incorrigibles s’emporteraient et exigeraient d’être appâtés pour revenir dans un environnement plus civilisé. Les enfants avaient toujours trouvé les singeries des petites bêtes comestibles tout à fait fascinantes et pouvaient à peine les quitter des yeux (un avantage certain pour l’observation des oiseaux), mais leur capacité à se retenir de bondir sur ces petits animaux restait à prouver. Penelope faisait grandement confiance aux enfants, mais comme elle avait elle-même récemment commis une erreur, et qu’elle s’était donné du mal pour la réparer, elle savait trop bien qu’il n’était pas raisonnable d’exiger des autres d’être parfaits en tout temps.

    C’est aussi la raison pour laquelle, malgré un moment de tentation au cours duquel elle songea à quel point il serait plaisant de lire à l’ombre d’un chêne pendant que les enfants gambaderaient et dessineraient, elle laissa son livre Arc-en-ciel enrubanné­ à la nursery. Le plan consistait à sortir observer les oiseaux : elle devait surveiller les enfants de près ; aussi, Penelope ne voulait pas risquer d’être distraite, ne serait-ce que pendant une minute. Elle était leur gouvernante, après tout, et elle avait elle-même appris une bonne leçon ce jour-là.

    « Même s’il me tarde de savoir ce qui arrivera à ­Edith-Anne Pevington, à ce garçon intrigant prénommé Albert, au fougueux Météore et à ce cher Arc-en-ciel adorable, je mettrai mon livre de côté jusqu’à plus tard et je consacrerai toute mon attention à la tâche à accomplir », pensa-t-elle en insérant soigneusement entre deux pages son signet en vue de reprendre son récit où elle l’avait laissé.

    « Parce que faire deux choses en même temps, c’est comme faire chacune d’elles à moitié », conclut-elle.

    Que mademoiselle Penelope Lumley eût le don de créer des dictons accrocheurs n’était pas du tout surprenant, compte tenu de l’école qu’elle avait fréquentée. Qu’elle eût également la capacité d’apprendre de ses erreurs et de remplacer un plan mal conçu par un meilleur plan, bien, cela non plus ne surprendrait personne, connaissant la jeune gouvernante courageuse ou son alma mater.

    Car à l’intérieur comme à l’extérieur, Penelope était une fille de Swanburne jusqu’au bout des ongles.

    DEUXIÈME CHAPITRE

    Ce n’était pas exactement l’oiseau qu’ils s’attendaient à voir.

    Comme vous le savez peut-être déjà, « alma mater » est un terme latin qui signifie « mère nourricière ». « Nourrir » signifie « alimenter et faire grandir » ; par conséquent, une mère nourricière serait une mère qui vous a alimenté et élevé, afin que vous deveniez la jeune femme ou le jeune homme bien charpenté(e) que vous êtes sans doute en voie de devenir.

    De nos jours, l’alma mater est le nom que donnent les gens à l’école où ils sont allés et, espérons-le, où on les a nourris au moyen d’innombrables bouchées de connaissances délicieuses provenant d’un vaste buffet d’apprentissage succulent. Toutes les jeunes filles pauvres mais intelligentes diplômées de ­l’Académie Swanburne considéreraient leur école comme étant leur alma mater ; certaines apposeraient peut-être même une petite pancarte vaniteuse à l’arrière du chariot tiré par leur poney qui dirait : « Vous venez tout juste de vous faire dépasser par une fille de Swanburne. »

    Mais mademoiselle Penelope Lumley ne possédait pas de poney, même si elle aurait adoré en avoir un. Et pour elle, les mots « alma mater » avaient toujours tenu une signification spéciale, intime, et, jusqu’à récemment, assez triste dans l’ensemble.

    Car Penelope avait été inscrite à l’Académie Swanburne alors qu’elle était une toute petite fille, pas plus âgée que Cassiopeia ne l’était à ce moment (c’est-à-dire, cinq ou six ans, tout au plus), et durant toutes les années qui avaient suivi, elle n’avait pas reçu un seul mot de sa mater — soit, mère — ni de son père. La « mater » et le « pater » de Lumley semblaient avoir complètement disparu du paysage dès l’instant où ils avaient déposé la petite Penny à l’école. Ils n’ont jamais envoyé de cadeau à son anniversaire ni de note de félicitations à la suite des examens finaux (même si, année après année, leur vaillante fille se classait première). La carte de souhaits de rétablissement n’est pas non plus venue la fois où Penelope avait eu la varicelle et avait dû prendre des bains de lait chaud pendant trois jours pour apaiser les démangeaisons insupportables.

    Elle n’avait jamais reçu de lettres, de télégrammes ni de cartes postales imagées. Elle n’avait reçu aucune note, c’est-à-dire, jusqu’à sa récente aventure à Londres avec les enfants Incorrigibles. Juste avant le voyage, Penelope avait reçu un livre guide de la part de son ancienne directrice de Swanburne, la gentille et élégante (et, comme Penelope l’avait aussi découvert, secrète et mystérieuse), mademoiselle Charlotte Mortimer. Le livre guide était intitulé Guide Hixby de Londres copieusement illustré : avec références historiques, descriptions architecturales et allusions littéraires, bien que Penelope préférât l’appeler le « Guide Hixby », puisqu’on ne compte que vingt-quatre heures dans une journée. Mais au lieu de la grande cloche Big Ben et du palais de Buckingham, les illustrations montraient des lacs alpins aux eaux cristallines, des prés d’edelweiss, des alouettes des champs, des lièvres et autres animaux du paysage suisse.

    (Certains d’entre vous se demandent sûrement si les élans cadrent bien dans les scènes du même acabit. Malheureusement, non. Les élans n’ont pas été aperçus en Suisse depuis de nombreuses années. Par souci d’exactitude scientifique, veuillez rayer l’élan de votre esprit. Si vous en êtes incapables, pensez plutôt au bouquetin, un type de ­chèvre agile et féroce aux grosses cornes en forme de spirales. À la rigueur, les marmottes feront l’affaire, mais en aucun cas ne devriez-vous songer à un élan. Pas. D’é. Lan. Les lecteurs d’entre vous dont l’esprit est dépourvu d’élan peuvent maintenant poursuivre leur lecture.)

    Au fil de ses lectures, Penelope était devenue passionnée du Guide Hixby, malgré ses particularités, car les illustrations étaient charmantes et les descriptions étaient écrites sous forme de vers guillerets et parfois énigmatiques.

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