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Code Ancolie: Les enquêtes de Pierre Benoit, #3
Code Ancolie: Les enquêtes de Pierre Benoit, #3
Code Ancolie: Les enquêtes de Pierre Benoit, #3
Livre électronique469 pages5 heures

Code Ancolie: Les enquêtes de Pierre Benoit, #3

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À propos de ce livre électronique

Paris, en 1928. Des écrivains, tous candidats à la présidence de la Société Des Gens de Lettres, sont retrouvés morts.

 

Aux côtés du commissaire Fortalembert, le romancier Pierre Benoit mène une enquête au sein du monde littéraire parisien qui le conduit à briguer lui-même la présidence de la SGDL. Au fil des investigations, il apparait cependant que d'autres intérêts pourraient être en jeu au niveau international et conduire à l'utilisation de méthodes criminelles autrement plus implacables…

 

Pierre Benoit (1886 – 1962), qui fut lui-même authentiquement président de la Société Des Gens de Lettres en 1929, mène avec Code Ancolie la troisième de ses enquêtes, dans un texte mêlant à nouveau fiction et réalité historique.

LangueFrançais
Date de sortie4 avr. 2020
ISBN9781393210887
Code Ancolie: Les enquêtes de Pierre Benoit, #3
Auteur

Hervé Gaillet

Passionné d’histoire, Hervé GAILLET anime le blog La plume et le rouleau (www.laplumeetlerouleau-overblog.fr) depuis près de vingt ans. Une Belle pour le Soliloque est sa deuxième exofiction policière, après Derrière les lignes qui a obtenu le Prix Alterpublishing  2017. Il y fait, une nouvelle fois, revivre le grand romancier de l’entre-deux-guerres Pierre Benoit, écrivain et académicien (1931) dont il contribue à conserver la mémoire au sein de l'Association des Amis de Pierre Benoit.

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    Aperçu du livre

    Code Ancolie - Hervé Gaillet

    Code Ancolie

    AlterPublishing

    Photo de couverture :

    Toute reproduction interdite – Photo déposée par l’auteur

    ––––––––

    .

    ––––––––

    © AlterPublishing, 2020 - 1 ère édition

    ISBN : 979-8631649026

    Du même auteur, chez le même éditeur :

    Aventures

    LA CINQUIÈME NOUVELLE (2014)

    Policier - Série : Les enquêtes de Pierre Benoit

    DERRIÈRE LES LIGNES (2017 - Prix AlterPublishing)

    UNE BELLE POUR LE SOLILOQUE (2018)

    L’écrivain Pierre Benoit,

    Vers 1925

    Remerciements à :

    Jean-François Charpentier,

    Bernard Côme et

    Philippe Tulli,

    devenus les complices des aventures de Pierre Benoit

    Deux questions intriguent depuis longtemps les biographes de l’écrivain et académicien (1931) Pierre Benoit :

    • Pourquoi a-t-il rompu brutalement, à la mi-1928, avec l’actrice Renée Leflers avec laquelle il entretenait une liaison depuis environ trois ans et avait même, en 1926, fait des projets de mariage ?

    • Pourquoi Pierre Benoit, plutôt hostile au microcosme littéraire parisien et personnellement rebuté par les tâches administratives, a-t-il pris, en 1929 et pour un an, la présidence de la Société des Gens De Lettres (SGDL) ?

    Code Ancolie apporte, de façon romancée, des réponses à ces interrogations en les replaçant au sein du contexte international des années 1928 - 1929.

    CHAPITRE I  UN TRAIN POUR VARSOVIE

    Dimanche 5 juin 1927 – Paris, VIIIème arrondissement.

    Un couple de fêtards enlacés, éméchés avec chacun une coupe de champagne dans la main, faillit percuter la petite table. L'homme qui y était assis recula vivement sa chaise et se leva en hâte pour éviter d'être aspergé. Titubants et hilares, l'homme et la femme poursuivirent leur zigzag laborieux dans la salle, manifestement à la recherche de compagnons de beuveries antérieures.

    Il était un peu plus de vingt-deux heures et l’ambiance était déjà folle au Boston, un petit cabaret américain situé au tout début de la rue Roquépine, à deux pas de l’église Saint-Augustin. Partout dans la salle, des serveurs affairés, en spencers noirs et chemises blanches à col cassé, virevoltaient avec adresse afin de servir des clients dont le nombre grossissait presque à vue d'œil. Sur scène, les numéros s'enchainaient à un rythme soutenu. Pour le moment, un groupe de danseuses, aux robes minimalistes ornées de franges de perles et chaussées de salomés[1] scintillantes, emballait le public sur un shimmy[2] endiablé. Les spectateurs des premiers rangs les accompagnaient en tapant frénétiquement dans leurs mains.

    Nerveux et contrarié, Paul Delherm se rassit, essayant de mettre de l’ordre dans ses idées. Ainsi qu'il en avait reçu l’ordre, par un courrier apporté en main propre en début d'après-midi, il s’était présenté à l’entrée de cet établissement qu’il n’avait pas précisément pour habitude de fréquenter. On l'avait pourtant reconnu lorsque, sur un signe convenu, avec ses doigts, il avait demandé une table pour trois. Après un coup d’œil circulaire sur la salle et sans prêter attention à l’ambiance survoltée qui y régnait, le chef de rang avait désigné un guéridon, proche de la scène mais un peu à l’écart. Sur un geste de sa part, deux serveurs y avaient en un clin d'œil déployé une nappe blanche, posé un soliflore et mis au milieu un seau rempli de glace.

    Pour passer sa mauvaise humeur, Paul Delherm avait immédiatement commandé une bouteille de champagne et, sans attendre, il s’était servi une coupe. Il pestait en lui-même, tout en s’efforçant de conserver un visage neutre et détendu. Autour de lui, la fête battait son plein. Les cuivres en étaient presque couverts par les cris des spectateurs et les toasts des convives. Seul à son étroite table, Delherm était indifférent à la musique et laissait errer sans but son regard sur l'assistance surchauffée. Ce n’est donc qu'au dernier moment qu’il remarqua les deux hommes qui, presque en même temps, s'assirent à sa table. L'un des deux lui tendit chaleureusement la main.

    -  « Harry », se présenta-t-il avec un très léger accent anglo-saxon. Nous nous sommes déjà rencontrés...

    -  Je ne m'en souviens pas, répondit Delherm un peu froidement. Mais si vous le dites...

    -  Et voici « Larry », qui m'accompagne. Il est ravi de faire votre connaissance...

    Delherm serra la main que le dénommé Larry lui tendait silencieusement et d'un air également engageant. Durant quelques secondes, il regarda ses deux interlocuteurs avec attention. Il leur trouva une physionomie parfaitement ordinaire et même, à vrai dire, terriblement banale. Il se fit la réflexion que, n'importe où, leur allure passerait parfaitement inaperçue.

    -  Votre français est excellent, Harry, complimenta Delherm avec un effort pour détendre un peu l'atmosphère.

    -  Je vous remercie. Cela fait partie de mon métier et, comment dites-vous... j’ai à cœur ?... Oui, j’ai à cœur d'exercer celui-ci de mon mieux. Comme Larry, d’ailleurs...

    Larry hocha la tête en signe d'assentiment.

    Harry and Larry ? Are you partners in a show ?[3] demanda Delherm avec ironie.

    In a manner of speaking, yes[4], répondit Harry avec amabilité. Mais soyons sérieux, monsieur Delherm et, s'il vous plait, parlons français, comme tout le monde ici... Il serait regrettable de se faire remarquer.

    -  Sans doute. À ce propos, est-ce que vous n'auriez pas pu choisir un endroit moins bruyant et moins fréquenté ? interrogea Delherm avec humeur.

    -  Pour davantage de silence, traversez donc la rue[5] si vous voulez... Ici, le bruit de la musique va couvrir notre conversation. Quant à l'agitation autour de nous, elle nous rend au contraire plus difficile à être observés, malgré les apparences... Pensez-vous que nous serions moins repérables, assis par exemple sur un banc isolé, dans un jardin public ?

    Harry marqua une pause et alluma une fine et élégante cigarette anglaise. Il en tira une bouffée sans regarder son interlocuteur.

    -  De toute façon, vous le savez, poursuivit-il, c'est toujours nous qui fixons l'heure et le lieu des rendez-vous, ajouta-t-il d'un ton légèrement plus sec.

    -  La convocation d'aujourd'hui ne s'est cependant pas faite selon les formes usuelles, observa Paul Delherm d'un ton de reproche.

    -  Non, c'est vrai, reconnut Harry, un peu mal à l'aise.

    -  Je connais les procédures, je les pratique depuis suffisamment longtemps, rétorqua Delherm.

    -  Je le sais. Vous êtes un élément de qualité.

    -  Je ne me souviens pas de vous...

    -  Cela n'est pas étonnant, ni important, coupa Harry, agacé.

    -  Aucun pli ne me parvient jamais directement à mon domicile, c'est l'usage. Heureusement que nous sommes dimanche, sinon vous auriez été obligés de passer par la concierge !

    -  Nous avons manqué de temps.

    -  Et avec un en-tête permettant d’identifier l'expéditeur, encore ! Avez-vous perdu la raison ?

    -  Les instructions ont été mal suivies, soupira Harry, assez ennuyé. Il y a eu une erreur regrettable de nos services. Nous sommes dimanche et les personnes habituelles n'étaient pas à leur poste. Il a fallu en réquisitionner d'autres, moins au fait des procédures...

    -  Où est Ancolie ?

    -  Indisponible. Nous avons paré au plus pressé, je le répète...

    -  Vous m'avez fait prendre des risques importants. C'est incompréhensible...

    -  Je le reconnais et je le déplore. Encore une fois, nous en sommes désolés, croyez-le bien...

    -  J'aurais très bien pu refuser de venir, ce soir ! s'énerva Delherm.

    -  Nous en aurions été infiniment navrés.

    -  Ce n'est pas une réponse.

    -  Que voulez-vous dire, exactement, demanda Harry en fronçant légèrement les sourcils.

    -  Je veux des garanties : je veux savoir à qui j'ai affaire...

    La défiance de Delherm envers ses interlocuteurs était manifeste. Il s'était redressé sur son siège. Il était inquiet et semblait même prêt à quitter la réunion. Larry, lui, restait impassible. Silencieux et souriant, il observait Delherm sans montrer aucune émotion particulière.

    « Vos doutes sont tout à votre honneur, monsieur Delherm, dit Harry, rassurant. Ils traduisent votre professionnalisme, que nous apprécions vivement, vous le savez...»

    Autour des trois convives, le tintamarre de la fête avait repris de plus belle. Harry était calme. Il sourit à Delherm puis versa du champagne dans les trois coupes. À la française, il heurta délicatement la sienne contre celle de Delherm.

    -  Soyez sans crainte, dit Harry, et acceptez nos excuses pour cet entretien qui est si peu conforme à nos habitudes. Je vais vous en expliquer les raisons. En attendant, à votre santé, monsieur Delherm...

    -  À la vôtre, dit Delherm en faisant à son tour tinter son verre contre celui d'Harry.

    Il demeurait encore un peu sur ses gardes. Harry et lui burent en silence. Toujours muet, Larry, sobrement, ne fit que tremper ses lèvres dans le champagne.

    -  Passons maintenant à l'objet de notre entretien, si vous le voulez bien, reprit Harry sur un ton neutre.

    -  Je vous écoute.

    -  La mission est simple. Demain lundi, à la gare du Nord, vous prenez le Nord-Express[6] pour Varsovie. La Compagnie des Wagons-Lits est réputée pour son confort, vous voyagerez dans de bonnes conditions.

    -  Sous quelle identité ?

    -  La plus simple : la vôtre. Vous disposez déjà d’un visa pour la Pologne et nos contraintes de temps nous ont conduits à faire appel à vous.

    -  Quel est le motif de mon voyage ?

    -  Vous êtes un écrivain français bien connu dans votre pays et un peu à l’étranger. De façon crédible, vous êtes en voyage professionnel et vous répondez à l’invitation de la Libraire Française de Varsovie où vous allez présenter vos ouvrages.

    -  Je disposerai d’un courrier pour le prouver ?

    -  Naturellement. Nous avons fait le nécessaire. Le risque que qui que ce soit, lors des contrôles en Allemagne ou à l’arrivée en Pologne, découvre la supercherie est faible. Votre notoriété jouera éventuellement en votre faveur, vous avez l’habitude. Un homme de lettres n’est généralement pas considéré comme quelqu’un de dangereux.

    Harry émit un petit rire.

    -  À tort ! ...

    -  J’aurai des livres avec moi, j’imagine ? supposa Delherm.

    -  Bien sûr ! C’est même indispensable. Ils seront rangés dans deux sacs, assez lourds et donc plutôt dissuasifs pour un douanier qui voudrait faire du zèle. Dans l’un des deux sacs, il y aura notamment une série de dix exemplaires de votre dernier roman. Comme il s’agit de l’ouvrage le plus volumineux de tous ceux que vous avez écrits jusqu’à présent, il va nous être très utile, vous allez le voir...

    -  J’observe que vous connaissez bien mes œuvres...

    Harry reposa sa coupe. Il se pencha par-dessus la table en regardant Paul Delherm avec un sourire plein de sincérité.

    -  Mais naturellement, monsieur Delherm ! Sachez que, à titre personnel, j’apprécie beaucoup vos romans. J’aurais un grand plaisir à en parler avec vous, dans un cadre différent de celui d’aujourd’hui, évidemment...

    -  Tout le plaisir sera pour moi. À votre disposition...

    -  Alors disons... à l’issue de cette mission ? Mais terminons-en d’abord avec les devoirs qui nous incombent. Les joies de la lecture et de la discussion passeront après... Votre dernier roman, donc, est celui qui a le plus grand nombre de pages...

    -  C’est vrai.

    -  Un des volumes, marqué d’une petite croix sur le dos, sera partiellement évidé pour qu’un objet de même poids y soit placé. Le livre fermé, et même si on le tient en main, personne ne pourra savoir qu’il ne contient pas que du papier mais autre chose. Il aura le même aspect et le même poids que les autres. Vous êtes chargé de le remettre à une personne qui entrera en contact avec vous. Vous lui donnerez le livre. Votre mission s’arrêtera là. Vous reprendrez ensuite le train pour Paris.

    Paul Delherm osa une question.

    -  Que contient le livre ?

    -  Ce genre de question n’est pas habituel, au plan des procédures, fit observer Harry en levant le sourcil.

    -  Tant qu’à faire les choses en dehors des habitudes, allons-y complètement, non ? Savoir ce que je transporte me permettra aussi de préparer des arguments, si jamais je suis découvert...

    -  Vous avez raison, reconnut Harry en hochant doucement la tête. Il s’agit d’une arme : un pistolet, chargeurs huit coups, modèle très répandu mais dont l’origine de fabrication est effacée.

    -  Quelque chose comme un Ruby[7], par exemple ?

    -  Peu importe.

    Paul Delherm était songeur.

    -  Charmante excursion ferroviaire... Pourquoi moi, pour une mission qui apparait, somme toute, assez banale ?

    -  Aucune mission n’est jamais banale, monsieur Delherm... Nos ressortissants à Varsovie sont l’objet d’une intense surveillance de la part du Guépéou[8], établi localement. De ce fait, nos agents ont très peu de latitude d’action, au risque d’être immédiatement repérés. Sans vous, ils ne parviendraient pas à fournir une arme à la personne avec laquelle vous allez entrer en contact à la gare. Toute tentative pour cela mettrait à coup sûr les uns et les autres en danger... Un Français de passage, au contraire, ne devrait pas attirer l’attention... On ne prend jamais les Français vraiment au sérieux, dans le monde de nos activités, vous le savez...

    Paul Delherm n’avait pas d’autre question. Harry et Larry se levèrent.

    « Tout est dit, monsieur Delherm. Bon voyage. »

    Harry régla prestement l’addition en posant dans la main d’un serveur une liasse de billets dont l’épaisseur n’admettait ni réplique ni question. L’instant d’après, les deux hommes s’étaient éclipsés. Paul Delherm se leva quelques minutes plus tard. Après le tumulte du Boston, la rue lui sembla d’un calme de cathédrale. Il faisait presque nuit et le temps était un peu lourd. Il rentra chez lui à pied.

    - oOo -

    Le lendemain matin, 6 juin 1927, Paul Delherm monta à bord du Nord-Express à destination de Varsovie via Bruxelles, Cologne, Hanovre et Berlin, heureusement sans changement. Delherm n’avait aucun goût pour le genre de paysages qui s’annonçaient et le trajet promettait d’être long et fastidieux, même dans un confortable compartiment individuel.

    Le matin, des livreurs s’étaient présentés à son domicile pour lui apporter les livres à transporter. La concierge de l'immeuble s’était un peu émue du poids des ouvrages et du départ de Paul Delherm, survenu à l'improviste, avait-il expliqué. Elle avait compati avec gravité, déplorant la rançon de la gloire que l’écrivain, désormais connu même à l’étranger, devait payer...  Mais tous ces efforts, c'étaient certainement pour la cause, elle en était persuadée.

    « Pour la bonne cause, en effet » avait approuvé Paul Delherm.

    Lesté de ses deux sacs, Delherm avait pris un taxi. À la gare du Nord, c'est avec soulagement qu'il laissa un porteur se charger de ses bagages. Rapidement, il accéda aux quais des départs. Là, avec le réflexe de ceux qui ont pour métier de coucher sur le papier les grands traits de comportement et les petites habitudes de ses contemporains, il laissa errer son regard quelques secondes sur la foule qui l'entourait.

    Delherm se fit la réflexion que, décidément, les quais de gare offraient le spectacle à la fois immuable et sans cesse renouvelé des tranches de vie éphémères qui s’y déroulaient le temps d'une arrivée ou d'un départ. Aux arrivées, il s’amusa ainsi à repérer les amoureux inquiets, les familles aux bras chargés de denrées destinées à faire oublier aux conscrits l'ordinaire de la caserne ou encore les chasseurs d'hôtels de luxe, attendant placidement leurs clients et environnés d'une escouade de porteurs impatients.

    Au niveau des départs, Delherm fut dépassé par des voyageurs de commerce pressés et il releva la présence de quelques belles oisives, suivies de portefaix surchargés et motivés par l'espérance d'une gratification aussi volumineuse que les malles qu'ils portaient. L'air nonchalant qu'elles affichaient indiquait qu’elles étaient certaines qu’un employé s’offrirait tôt ou tard à leur indiquer la localisation de la voiture qui leur avait été réservée mais dont elles n’avaient pas jugé utile de faire l’effort de retenir le numéro. Delherm pensa que cela méritait qu’on leur consacrât, quelque jour, une piquante satire...

    Delherm poursuivit jusqu'au quai où stationnait le train pour Varsovie. Il longea les voitures en direction de la tête du convoi. Semblable à un Béhémoth[9] colossal,  le Nord-Express semblait prêt à bondir. Suant, soufflant, ronflant, il crachait puissamment par intermittence des jets de vapeur brûlante. Des employés le longeaient et se préparaient à frapper les roues avec des marteaux à longs manches. Delherm monta en voiture sans attendre.

    Les choses avaient été faites avec soin. Puisque Paul Delherm était un écrivain à succès, un compartiment individuel confortable lui avait été réservé, qui se transformerait en sleeping le moment venu. Soucieux de laisser derrière lui des témoins, en prévision de dépositions ultérieures éventuelles, Delherm alla saluer le contrôleur, se présentant à lui avec une politesse appuyée et lui fournissant de larges explications sur les raisons de son voyage. Le contrôleur l’écouta avec amabilité mais sans enthousiasme excessif. À l’évidence, il ne connaissait pas vraiment ce charmant auteur de romans...

    « Encore un qui ne doit lire - par définition - que des romans de gare[10]... » maugréa Delherm en réintégrant sa cabine.

    Lorsque le convoi démarra, l'écrivain sortit quelques affaires et un livre. Puis il déplia Le Journal du matin. Comme souvent, la une faisait une large part aux exploits aéronautiques du moment. Trois semaines ne s'étaient pas écoulées depuis la traversée de l'Atlantique par l'aviateur Charles Lindbergh que deux de ses compatriotes, Clarence Chamberlin et Charles Levine s'étaient déjà élancés pour rééditer la performance, cette fois en duo. La veille, aperçu vers seize heures trente au large de l'Irlande, leur avion baptisé Miss-Columbia avait filé par vent favorable et, vers vingt et une heures, était déjà passé au-dessus de Plymouth. L'agence d'information Havas indiquait que des mesures avaient été prises au champ d'aviation de Varsovie pour l'arrivée des deux aventuriers. L'ambition de ceux-ci était en effet d'aller le plus loin possible, jusqu'à Berlin et même, pourquoi pas, jusqu'à la capitale de la Pologne.

    « S'il y a autant de monde à Varsovie qu'à Berlin[11], murmura Delherm pour lui-même en repliant son journal, mon arrivée en sera d'autant plus discrète. »

    Méticuleusement, Delherm rassembla ses affaires : son passeport, en règle, et le courrier qui, le cas échéant, attesterait de l'effectivité d'un rendez-vous à la libraire française de Varsovie. Si les contrôleurs polonais étaient aussi lettrés que leurs homologues français, il y avait toutefois peu de risque que la supercherie fût découverte. Il déplia le bout de papier où était inscrit le mot de passe permettant d'identifier la personne qui le contacterait à son arrivée à Varsovie. Il relut une nouvelle fois la formule, par ailleurs facile à retenir. Puis il alluma une cigarette. Le papier se tordit dans la flamme de l'allumette et ne fut bientôt plus qu'un tas de cendre. Pendant près de deux heures, Delherm contempla rêveusement le paysage qui défilait.

    Le dîner fut excellent et, au passage de la frontière allemande, les contrôles furent brefs et courtois. Delherm s'installa pour la nuit, la frontière polonaise ne devant être franchie qu'un peu avant l'aube.

    Il mit du temps à s'endormir. Son demi-sommeil était agité de pensées confuses et désagréables. Jusqu'à présent, les missions qu'il avait assurées ne lui avait posé, loin de là, aucun embarras de conscience. Delherm avait fait des choix qu'il assumait pleinement. Sa détermination et sa conscience professionnelle ne laissaient aucune place à de possibles dilemmes. Pourtant cette fois-ci, curieusement, il se sentait mal à l'aise sans en discerner la raison. Cette mission était relativement banale et il n'avait pas d'inquiétude particulière. Par le passé, il en avait assumé d'autres autrement plus risquées. Ses motivations idéologiques, de leur côté, demeuraient intactes. D'où provenait alors la sensation désagréable qu'il éprouvait ? Peut-être concevait-il maintenant une forme de lassitude ? Un mauvais pressentiment le tourmentait.

    La fatigue eut raison des questionnements sans réponse de Paul Delherm qui passa finalement une nuit convenable. À la frontière, les douaniers ne posèrent aucune question particulière à ce voyageur. Devant un thé brûlant, Delherm attendit patiemment le terme du voyage, profitant de la campagne polonaise sur laquelle se levaient les rayons du soleil. À l'arrivée à la gare de Varsovie, le train ralentit fortement et roula assez longtemps à faible allure, conséquence des énormes travaux, entamés plusieurs années auparavant, qui devaient permettre à la capitale polonaise de se doter d'une gare d'un standard comparable à celles des autres capitales européennes[12].

    Enfin, le convoi s'immobilisa. Ce matin du mardi 7 juin 1927 était radieux. Empoignant ses sacs, Delherm descendit sur le quai et regarda autour de lui. Il était soulagé de pouvoir enfin respirer l'air vif mais il était également pressé d'achever sa mission. Plus vite il en aurait fini, mieux il se sentirait, même si plus de douze heures de train l'attendaient à nouveau. Il se dirigea vers le hall central, parmi toute une foule de voyageurs et de porteurs qui s'affairaient bruyamment.

    Dans la cohue, Delherm repéra une place de libre sur un banc rustique, adossé à un mur qui semblait attendre désespérément un coup de peinture. Autour de lui régnait l'agitation habituelle de ce type de lieu : rares touristes, employés empressés, voyageurs égarés, policiers renfrognés et militaires sévères s'entrecroisaient dans un ballet incessant, dans un mouvement continuel aux lois aléatoires et imprévisibles. Delherm déplia son journal, au titre français bien en vue, et fit semblant de s'absorber dans la lecture des petites annonces.

    Il attendait comme cela depuis près d'une heure lorsqu'une ombre s'arrêta devant lui. L'écrivain leva les yeux et abaissa sa gazette. Deux policiers polonais s'étaient avancés vers lui et l'observaient maintenant avec intensité. Leur uniforme bleu sombre était impeccable et l'aigle brillait sur leur casquette plate. Un bref instant, Delherm crut leur trouver un faux air de facteurs des P.T.T.[13] La solide ceinture en cuir qui marquait leur taille, le baudrier auquel pendait leur arme, leur pantalon et leurs bottes de cavalerie soigneusement cirées ne laissaient cependant aucun doute quant à leur fonction. À l'inverse, les deux représentants de la maréchaussée polonaise étaient totalement dépourvus de l'habituel sourire des fonctionnaires qui distribuaient le courrier.

    Francuski[14]? demanda à Delherm le plus âgé des deux, qui semblait aussi être le plus gradé.

    -  Oui.

    -  Ah ! ah ! Je parler aussi français ! dit l'homme avec fierté en souriant largement et en roulant les r avec cet accent slave plein de charme et de rusticité. Apprendre pendant guerre !

    -  Félicitations, le complimenta Delherm en inclinant la tête avec amabilité.

    L'autre policier, plus jeune et moins accommodant, sembla rappeler à son collègue qu'ils avaient d'autres obligations et tous deux tournèrent les talons. Delherm se replongea dans son journal. Dix secondes s'étaient à peine écoulées que, soudain, un bruit de pas martelant le carrelage et se dirigeant vers lui le mit en alerte. Le policier polonais venait de se planter devant lui. D'instinct, Delherm fut sur ses gardes.

    L'homme porta sa main militairement à sa visière.

    « Au revoir ! » dit-il de façon sonore, visiblement satisfait de l'effet que produisait sur les voyageurs alentour sa maîtrise consommée de la langue de Voltaire.

    Soulagé, Delherm reprit sa lecture. Il attendit encore une dizaine de minutes avant qu'une autre ombre s'avance près de lui. L'homme, en civil, lui sourit furtivement.

    Les Français aiment-ils les cadeaux ? demanda-t-il à voix basse. 

    Ils aiment surtout en offrir, répondit Delherm.

    L'homme prit place à côté de Delherm, qui se décala exprès sur le banc.

    -  J'ai là des exemplaires de mes romans, reprit celui-ci. Je peux vous en offrir un, si vous le voulez ?

    -  Avec plaisir.

    D'un coup d'œil expérimenté, Delherm jaugea l'individu :  un jeune homme, à l'évidence, assez grand, au visage lisse et de forme triangulaire, avec une bouche petite et bien dessinée. Les yeux clairs et légèrement en amande regardèrent le Français en face, sans ciller. Il était vêtu d'un costume sombre de facture classique, sans ostentation particulière et d'une chemise blanche boutonnée jusqu'au col, sans cravate. Son allure générale était simple et volontaire. Il jeta autour de lui un regard un peu anxieux.

    Delherm sortit de son sac quelques exemplaires de ses romans, comme pris au hasard. Il les montra au jeune homme, plaçant en dessous l'exemplaire identifié d'une croix que l'autre saisit vivement avant de le glisser dans la poche intérieure de sa veste. L’autre feuilleta un ou deux exemplaires puis les rendit à Delherm en le remerciant en français. Puis, après avoir salué d'un signe de tête, il se leva et disparut dans la foule. L'échange était terminé.

    Delherm attendit plusieurs minutes puis se leva à son tour. Il fit quelques pas dans le hall, consulta le tableau des départs puis l'horloge centrale. Le Nord-Express partait pour Paris un peu après dix heures. Delherm se dirigea tranquillement vers le quai, ses sacs toujours à la main, à peine plus légers.

    Il vérifia son numéro de voiture sur sa réservation de retour, grimpa à bord et, de nouveau, installa ses affaires avec soin. Pour lui, l'affaire s'arrêtait là. Comme souvent, il n'avait été que le maillon, anonyme et neutre, d'une chaîne de tâches de plus grande ampleur dont l'organisation et la finalité lui échappaient.

    La tension nerveuse retombée et l'esprit dégagé, Delherm réfléchit au roman sur lequel il devait désormais travailler et que sa maison d'édition, impatiente, lui réclamait depuis plusieurs semaines. Il se prit à songer que les passions amoureuses les plus folles - donc les plus susceptibles de retenir l'attention du public - pouvaient souvent naitre dans les circonstances les moins probables. Pourquoi ne pourraient-elles pas voir le jour dans un train ? Il s'abîma de longues minutes dans cette idée, la retournant dans tous les sens et échafaudant mentalement des débuts d'intrigues. Elle lui apparut finalement trop baroque. Un amour ferroviaire... Et pourquoi pas un crime dans un train de luxe, tant qu'on y était ? Il finit par se convaincre de la trivialité de ce genre de sujets qui, sans doute, n'intéresseraient jamais aucun lecteur.

    En attendant le coup de sifflet du départ, confortablement calé contre la vitre, Delherm se laissa aller à la rêverie et il somnola bientôt. C'est à peine si, au loin, il entendit une vague pétarade. Dans le couloir du train, des pas rapides indiquèrent que des passagers et du personnel allaient aux nouvelles de ce qui semblait être un événement important. L’écrivain n'y prêta pas attention. À l'heure prévue, le convoi s'ébranla. Delherm avait hâte de rejoindre Paris et il s'endormit.

    - oOo -

    Vendredi 10 juin 1927 – Paris, Ministère de l'Intérieur.

    Isidore Maugrenier, responsable de la Brigade Spéciale, la criminelle de la Sûreté parisienne, assura sous son bras la prise de ses dossiers et descendit de la voiture qui venait de l'amener place Beauvau. Maugrenier franchit les grilles d'un pas assuré et, en habitué des lieux, il fut salué par le planton qui l'escorta en direction de l'antichambre située au rez-de-chaussée. Il n'eut pas le loisir de patienter longtemps sous les lourdes pampilles en cristal du vaste lustre qui étincelait au plafond. Rapidement, il fut introduit dans le bureau d'Albert Sarraut, locataire des lieux depuis le mois de juillet 1926.

    Son directeur de cabinet debout à ses côtés, le ministre travaillait à son bureau et ne leva pas immédiatement les yeux des dossiers qu'il consultait. Enfin, il apposa sa signature sur le dernier des documents présents dans le parapheur, reposa son porte-plume puis renvoya son subordonné d'un geste.

    Ce n'était pas la première fois que Maugrenier rencontrait le ministre. En le voyant avec ses petites lunettes rondes à monture d'acier, il avait toujours trouvé à Albert Sarraut un air d'inspecteur des écoles, ce qui n'avait en fait rien d'étonnant à propos d'un homme qui avait été ministre de l'Instruction Publique... Haut fonctionnaire expérimenté et député de longue date, Sarraut s'était surtout illustré par ses ambitions en matière de mise en valeur des colonies françaises et par son souci des populations indigènes[15]. À cinquante-cinq ans, il occupait le poste de ministre de l'Intérieur pour la première fois, au sein du quatrième gouvernement de Raymond Poincaré. Pragmatique et reconnu pour sa rigueur dans son travail, Sarraut ne faisait pas partie de cette sorte de politiciens que Maugrenier détestait, ces hommes de connivences et d'influences, davantage mus par leur intérêt de carrière personnelle que par le service de la nation à laquelle ils se devaient pourtant. Maugrenier avait pu s'en assurer lors de précédents échanges : Sarraut privilégiait la compétence et la conscience professionnelle de son entourage, concédant pour lui-même une connaissance imparfaite des arcanes du métier de policier.

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