Homo Debilis
Par J.A Pachès
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À propos de ce livre électronique
Suite à divers événements dramatiques qui ont saboté sa vie, un savant qui ne demandait pas mieux que de servir ses semblables se retourne contre Dieu et va même jusqu’à prendre sa place en provoquant l’Apocalypse. Alors qu’il est pratiquement le seul être vivant et sain d’esprit sur l’île de Montréal qui par sa faute, est complètement dévastée, il décide de recréer l’humanité. Mais… saura-t-il y arriver ?
J.A Pachès
Né en 1948 dans le Midi de la France d’une mère française et d’un père espagnol, Jacky Albert Pachès a émigré au Canada avec ses parents en 1963. Lecteur boulimique et vivant désormais à St-Hubert, il a parachevé son éducation par diverses lectures édifiantes. Ce n’est qu’au tournant du millénaire qu’il a réalisé un vieux rêve: écrire un livre ! Il a ainsi rédigé une série intitulée Fleurdelisé, récit romancé traitant de ses ancêtres venus coloniser la Nouvelle-france au XVIIe siècle. Question de s’évader de cette série dont il nous promet une suite, il s’est lancé dans la fiction et le fantastique avec Homo Debilis, une histoire qui tient le lecteur en haleine du début à la fin.
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Aperçu du livre
Homo Debilis - J.A Pachès
Table des matières
MISE EN GARDE DE L’AUTEUR 12
PREMIÈRE PARTIE LE DIVIN ENFANT 13
FUNESTE DÉCOUVERTE 16
LES AFFRES DU DOUTE 20
UN MONDE FOU 24
LA QUÊTE D’UN NID 31
LE REFUGE MATERNEL 35
LES PREMIERS PAS 42
DÉLICATE MISSION 45
UN MONDE NOUVEAU 51
L’ÎLE AU TRÉSOR 58
LA MAGIE DES ÎLES 71
CONFIDENCES TROUBLANTES ET JEUX DE SABLE 78
INITIATIONS NAUTIQUES 83
VIVE L’HIVER ET SALUT PRINTEMPS! 86
C’EST L’AVIRON QUI NOUS MÈNE… 90
LA MER DOUCE 103
DANGEREUX RESCAPÉS 107
CROISIÈRE MOUVEMENTÉE 117
PÉRIEUSE RANDONNÉE 128
TROISIÈME PARTIE RETOUR AU BERCAIL 147
NOUVEAU DÉPART 152
LES LOUPS DANS LA BERGERIE 159
VACANCES ÉPROUVANTES AUX BAHAMAS 164
LA VENGEANCE DES FLOTS 168
DU PARADIS À L’ENFER 171
DE L’ENFER AU PARADIS 176
ÉPILOGUE 181
UN PETIT MOT DE L’AUTEUR 184
HOMO DEBILIS
ROMAN APOCALYPTIQUE
S.J. A Pachès
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Titre: Homo Debilis / J.A. Pachès.
Noms: Pachès, Jacky, 1948- auteur.
Description: Texte en français seulement.
Identifiants: Canadiana (livre imprimé) 20190036400 | Canadiana (livre numérique) 20190036419 | ISBN 9782925049036 (couverture souple) | ISBN 9782925049043 (PDF) | ISBN 9782925049050 (EPUB)
Classification: LCC PS8631.A23 H66 2020 | CDD C843/.6—dc23
Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) ainsi que celle de la SODEC pour nos activités d’édition.
Conception graphique de la couverture: Shawn Foster
Direction rédaction: Marie-Louise Legault
© J.A. Pachès 2020
Dépôt légal – 2020
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Bibliothèque et Archives Canada
Tous droits de traduction et d’adaptation réservés. Toute reproduction d’un extrait de ce livre, par quelque procédé que ce soit, est strictement interdite sans l’autorisation écrite de l’éditeur.
Imprimé et relié au Canada
1re impression, mars 2020
Je dédie ce livre à tous les enfants de la Terre,
et plus particulièrement à mes petits-enfants, d’ici et d’ailleurs…
Faites en sorte de ne pas répéter les mêmes erreurs que vos géniteurs
en prenant soin de votre planète, qui est aussi votre vaisseau spatial,
car elle est irremplaçable!
MISE EN GARDE DE L’AUTEUR
Les personnages et les situations évoqués dans cette histoire sont une pure fiction littéraire. Toutefois, les propos tenus à l’occasion par l’acteur principal peuvent choquer, voire ébranler les convictions religieuses de certains lecteurs. Nous préférons vous en avertir. Il est possible qu’à la fin de votre lecture surviennent des doutes ou des remises en question au sujet de votre foi. Cela prouvera simplement que vous avez l’esprit ouvert et qu’une bouffée d’air frais vient d’y entrer…
Dans tous les cas, bonne lecture et bonne réflexion!
J.P.
PREMIÈRE PARTIE
1
LE DIVIN ENFANT
Charles était ce que nous pouvons qualifier de rat de bibliothèque. Toujours célibataire à trente ans, il consacrait le plus clair de son temps à la recherche et aux études. Brillant élève de l’Université de Montréal, il y enseigna plus tard les sciences pures.
Ses élèves l’adoraient. Bien qu’un peu distrait, comme tous les génies, il avait le don de transmettre son savoir à tous ces jeunes adultes accrochés à ses lèvres.
Bien sûr, il arrivait qu’une de ses étudiantes confonde admiration avec amour, mais jamais n’avait-il profité de ces occasions aussi faciles que hasardeuses. Avec tact et politesse, il repoussait ces tentatrices jouvencelles en leur faisant prendre conscience de l’iniquité d’une telle relation.
Un jour, pourtant, il allait laisser tomber ses barrières… Circulant les bras chargés de bouquins à travers une étroite allée de la Grande Bibliothèque du Québec, il buta accidentellement sur une de ses plus brillantes élèves d’origine russe, Emma, les bras pareillement encombrés. Répandant tous les livres sur le plancher, il s’empressa de ramasser les siens en se confondant en excuses. C’est là qu’il prit conscience de l’étendue des recherches sur lesquelles elle travaillait!
Ils échangèrent quelques informations sur différents sujets et, de fil en aiguille, furent mutuellement conquis. Les deux étaient sur la même longueur d’onde sur bien des matières, à commencer par le fait qu’ils voulaient des enfants pour leur transmettre leurs vastes connaissances.
Une discrète fréquentation, jusqu’à qu’Emma obtienne sa maîtrise en recherche médicale, et le couple de savants convola en justes noces, à la surprise générale de leurs amis et de la direction du centre d’enseignement de haut savoir.
L’année suivante, le fruit de leur amour vint couronner la passion commune qui les animait. Malgré leur athéisme notoire, ils optèrent pour un nom biblique, et pas n’importe lequel, en prénommant leur fils Adam! Ceci, au grand dam de leurs parents, des baby-boomers libres penseurs. «Un prénom religieux ne fait pas forcément un prêtre ou un rabbin!» plaisantaient les brillants géniteurs.
Le bébé se révéla très tôt avide d’apprendre et infiniment intelligent. Avec l’assentiment du père, la maman poursuivit son congé de maternité pour une durée indéterminée, préférant s’occuper de son enfant éveillé à temps plein. Ne voulant pas perdre une aussi bonne collaboratrice, la compagnie pharmaceutique qui l’employait lui proposa de travailler à domicile, allant jusqu’à lui installer un laboratoire ultramoderne dans son vaste sous-sol. Histoire de faire les choses en grand, une pouponnière modèle fut aménagée dans un coin de la grande salle aseptisée.
C’est ainsi que tout en œuvrant à ses savants problèmes, la jeune maman pouvait voir et s’occuper de son sagace rejeton qui à deux ans, s’exprimait déjà comme un enfant de cinq ans. À cet âge, il savait résoudre des problèmes rudimentaires de trigonométrie ou de chimie, calculatrices, fioles et creusets étant ses jouets préférés.
Le papa n’était pas en reste en ce qui avait trait à son éducation. Parfois, pour soulager la maman ou lui donner un congé bien mérité, il emmenait son fils suivre ses cours à l’université. Sans jamais perturber la classe studieuse, Adam écoutait avec attention les explications de son père.
Avant même ses dix ans révolus, il participait aux discussions et donnait souvent la réponse avant ses camarades qui faisaient le double, voire même le triple de son âge. Aussi, sans jamais avoir mis les pieds dans une école primaire ou secondaire, il fit son entrée officielle dans le grand bâtiment blanc de style Art déco le jour de ses dix ans! Le petit prodige s’attirait l’admiration de ses professeurs tout comme de ses parents.
À quinze ans, il devint le plus jeune gradué, devançant de trois ans son brillant compagnon de classe, Daniel, surnommé Dany boy par ses copains plus âgés. Par la suite, il y eut une surenchère entre de richissimes compagnies pharmaceutiques et paramilitaires qui souhaitaient s’approprier ses éminents services.
La sage éducation de ses parents le mit à l’abri des sordides questions d’argent. Il disposait de son propre condo, situé à deux pas de l’université, et d’un bon vélo pour assurer ses déplacements. Et s’il lui fallait aller plus loin, les autobus, les trains ou les avions n’étaient pas faits pour les chiens, s’amusait-il à répondre à ceux qui s’étonnaient qu’il ne possédât pas encore une auto.
Plutôt que d’enrichir d’insatiables sociétés gérées par d’avides actionnaires, Adam préféra offrir ses services au nouveau CHUM{1} de Montréal, plus près du peuple et de sa conception du devoir envers son prochain. Rapidement, il dirigea le centre de recherches avancées, avec, sous ses ordres des docteurs plus âgés que ses parents et de jeunes stagiaires enthousiastes.
L’une d’elles, Annabelle, gracieuse comme une ballerine, avait de longs cheveux noirs noués en queue de cheval qui balayaient sa fine taille. Ses yeux d’opale, taillés en amandes sur un visage d’ange, faisaient tourner la tête de tous ses collègues, en particulier celle de Dany boy, membre de la savante équipe, mais pas celle bien garnie de son patron... Non, ce ne fut pas sa beauté qui la fit remarquer de ce dernier, mais bien sa géniale intuition féminine qui le mit sur la bonne voie...
En effet, depuis trois ans, Adam travaillait sur une maladie dégénérative neurologique dûment documentée par le professeur Alzheimer qui lui laissa son nom pour la postérité, maladie qui était devenue synonyme de décrépitude mentale pour les pauvres gens atteints de cette triste affection. Avec la pollution et le débordement démographique, les cas se multipliaient. Comme des personnes de plus en plus jeunes souffraient de sénilité précoce, le ou les chercheurs qui parviendraient à trouver un traitement efficace pour contrer ce fléau obtiendraient un prix Nobel de la médecine à coup sûr, sans oublier un pont d’or pour leurs recherches futures.
La jolie assistante, qui comparaissait des tissus sains du néocortex à ceux affectés par la maladie, découvrit qu’une protéine encore inconnue s’attaquait aux cellules cérébrales supérieures en faisant éclater leur membrane protectrice. Elle en fit part à son supérieur, qui la félicita pour sa découverte. Ce fut le début d’une idylle qui se concrétisa par un heureux mariage.
Une adorable enfant prénommée Béatrice, aussi blonde que la mère et le père étaient bruns – prouvant que du sang slave coulait dans leurs veines – combla leurs vœux de bonheur! La jeune famille était aux nues, leur rêve le plus cher était en train de se réaliser…
Hélas, cette belle vie bien remplie et heureuse n’allait pas durer!
2
FUNESTE DÉCOUVERTE
Pendant que la jeune mère s’occupait de son ravissant bébé, le papa ne chômait pas, travaillant d’arrache-pied sur le problème. Toujours en suivant l’intuition de sa savante femme, ce dernier, à l’aide d’un puissant microscope nucléaire, finit par découvrir le germe de la maladie d’Alzheimer…
C’était bien un virus du genre protozoaire! Celui-ci provoquait un surcroît de protéines bêta-amyloïdes causant des plaques ou des dépôts microscopiques bloquant l’arrivée de nutriments aux neurones; ce qui provoquait inévitablement leur mort et entraînait une démence fatale.
Cet infime germe de vie affectait la matière grise de certains humains, en s’attaquant surtout à des gens d’un certain âge ou affaiblis par une maladie congénitale, pour finalement les rendre entièrement débiles à plus ou moins longue échéance... Pourquoi et pour quelle raison? se questionnait le savant. Et surtout, comment s’en prémunir?
À l’aide de véritables cobayes, sous la forme de cochons d’Inde, Adam tentait des expériences qui s’avérèrent décevantes. Il fallait trouver mieux, comme intelligence, que ces charmants rongeurs, au demeurant pas très futés. C’est ainsi que, malgré ses réticences à charcuter ces attachants animaux, le savant passa aux chimpanzés, les plus proches parents des humains. Et là, les résultats furent concluants…
Les singes infectés du virus devenaient rapidement déficients, oubliant tous les trucs patiemment appris et se comportant comme de jeunes animaux déments. Avec des prélèvements intoxiqués de leur matière grise, Adam réussit à mettre au point un vaccin qu’il inocula à des singes bien portants. Ceux-ci s’avérèrent immunisés lorsqu’à leur tour, ils furent mis en contact avec l’étrange virus. Par contre, les singes malades demeuraient végétatifs et déments, puisque le traitement s’avérait préventif et non curatif. Cependant, c’était un énorme pas pour la médecine!
Il suffisait qu’Adam fasse dès lors des essais sur des humains pour valider son remède miracle. Comme tout bon chercheur qui croit en ses travaux, et voulant éviter de longues démarches administratives, c’est sur lui qu’il testa avec succès son nouveau vaccin.
Avec tout le personnel impliqué, malgré le serment de confidentialité exigé, des fuites concernant cette formidable découverte se rendirent à des oreilles fortement intéressées et malveillantes. C’est ainsi que le génial chercheur fut approché par une multinationale pharmaceutique avide de profits… (Autre redondance!) Or, il resta sourd à toutes les sommes mirobolantes qu’on lui proposa.
De caresses royales, on passa à des menaces à peine voilées. Désemparé, Adam se confia à ses parents, les seules personnes, à part sa femme, en qui il avait entièrement confiance. Outrés par les manigances de cette indélicate compagnie prétendument d’intérêt public, ceux-ci la menacèrent de poursuite si elle ne se récusait pas avec des excuses.
Singulièrement, au cours d’une nuit sans lune, leur luxueuse demeure de Westmount explosa; il n’en resta que des cendres. Officiellement, la cause de cette tragédie fut attribuée à la grosse bombonne de gaz butane adossée à la maison. Mais pour le fils éploré, cela ressemblait plus à une vengeance de la part des requins de l’industrie médicale, ce qui le conforta à refuser toutes leurs propositions. Aussi, se réfugia-t-il dans son passionnant travail pour oublier un tant soit peu son terrible deuil.
Il était sur le point de percer le mystère de ce dangereux virus, définissant à l’aide d’un puissant ordinateur les paramètres complexes qui le composaient, lorsqu’il surprit un de ses zélés collaborateurs, qui lui tenait souvent compagnie jusque tard la nuit, en train de lire à la dérobée un rapport sur ses expériences. Devant tant d’indélicatesse, Adam lui dit:
—Dis-moi, Dany, est-ce que tu m’espionnes ou tu désires simplement t’approprier mes travaux?
Pris sur le fait, le technicien et prétendu ami répliqua:
—Nullement, je ne faisais que comparer tes notes avec les miennes pour voir si j’allais dans la bonne direction.
—Eh bien, tu aurais pu au moins me demander la permission; pourquoi penses-tu que j’ai inscrit confidentiel sur la chemise?
—Je n’ai pas cru bon de te déranger pour si peu, marmonna Daniel en s’esquivant tel un gamin fautif. Si on ne peut plus prendre d’initiative dans ce laboratoire!
Et il tourna les talons pour rejoindre sa table de travail en maugréant, ce qui laissa son patron perplexe.
Un mois plus tard, les yeux rivés sur l’écran de son formidable ordinateur scientifique, Adam s’écria: «Eurêka!»
Il avait enfin trouvé la fameuse formule qui mettrait un terme à cette maladie insidieuse autant que pernicieuse qu’est l’Alzheimer. Du coup, tous ses collègues s’empressèrent autour de lui, sauf Daniel qui était parti précipitamment en vacances en Floride, congratulant le chercheur de génie pour cette découverte médicale qui allait bouleverser le monde de la santé.
Une fois n’est pas coutume, Adam rentra tôt à la maison, impatient d’annoncer la bonne nouvelle à sa femme adorée, ainsi qu’à sa gracieuse fillette de sept ans.
Au cœur de la métropole, la grande maison de style victorien, sise à flanc de montagne sur une avenue passante, était bien silencieuse. Ni musique classique habituelle ni rire d’enfant, pas plus que de bruit provenant de la cuisine moderne ne filtrait. Croyant trouver sa petite famille dans une séance de studieuse lecture, souriant à l’idée de leur occasionner une innocente frousse, le plaisantin pénétra dans le boudoir pour les surprendre… Or, celui-ci était désert.
Ce fut lui qui fut surpris, lorsqu’une voix familière le fit sursauter par son incongruité.
—Tu trouveras ta famille dans le sous-sol, lui annonça Daniel, son assistant de laboratoire qui devait normalement se faire bronzer en Floride.
Redoutant d’entendre le pire, Adam voulut obtenir des explications, qui ne tardèrent pas.
—Inutile de résister, nous sommes quatre; mes compagnons se chargeraient de punir ta femme et ta fille si tu nous contrariais ou si tu tentais un geste désespéré, comme appeler à l’aide, par exemple, en appuyant sur le bouton d’alarme silencieuse. Donne-nous la formule du vaccin et nous vous laisserons tranquilles!
La mort dans l’âme, Adam dut se résoudre à suivre son triste collègue dans l’escalier. La vue de sa femme et de sa fille, toutes deux ligotées sur le divan, le fit suffoquer de rage. Voulant en finir au plus tôt, dans le but de voir partir ces truands et délivrer sa famille traumatisée, il laissa tomber:
—La formule est dans le cartable que j’ai laissé dans l’entrée. Libérez-les, vous n’avez plus de raison de les tenir en otage!
Remontant les escaliers quatre à quatre, Daniel revint avec la précieuse mallette de cuir et l’ouvrit avec fébrilité. Elle contenait des liasses de papiers couverts de formules mathématiques. Sur une des feuilles, le mot «Eurêka», écrit avec un marqueur rouge, attira son attention… C’était bien la combinaison du vaccin révolutionnaire qui allait assurer sa fortune et celle de son véritable employeur: un géant en pharmacologie, celui-là même qui avait offert un pont d’or à l’infortuné Adam, sourd à toute proposition! Malheureusement, Daniel fut plus facile à convaincre, car il avait tout à gagner… À commencer par la vengeance: un plat qui se mange froid. Adam ne l’avait-il pas devancé dans tous les domaines, que ce soit dans les études, la recherche ou en amour? Visiblement satisfait de sa découverte, le perfide Daniel n’en ordonna pas moins à ses comparses:
—Attachez-le! Après, vous vous occuperez de sa famille et de sa maison. Cela doit passer pour une invasion de domicile perpétrée par des junkies.
Devant cet ordre infâme, Adam tenta de retourner la situation désespérée en essayant de désarmer son vis-à-vis. Par malheur, ses studieuses années d’études ne l’avaient pas préparé à une telle violence. S’il mesurait un mètre quatre-vingt-dix, il ne pesait que soixante-dix kilos, tout mouillé. N’attendant que cette excuse, les malfrats lui tapèrent dessus à coups redoublés, l’assommant promptement avant de l’attacher sur une solide chaise métallique.
Une heure plus tard, lorsque le jeune père de famille ligoté reprit connaissance, la vision d’horreur qui l’entourait lui fit douter de la réalité. Le pauvre se croyait dans un cauchemar dont il fallait au plus vite se réveiller. Hélas, en se mordant les lèvres jusqu’au sang, il dut convenir de la triste réalité…
Maintenue sur le divan par deux robustes gaillards qui ricanaient, sa gracile femme chérie était violée à répétition par ces monstres au corps velu. Sa fille, entièrement nue, gisait inerte sur le sol, baignant dans son sang qui sourdait de son ventre déchiré; violentée, elle aussi, malgré sa jeunesse et son innocence.
Voyant qu’il avait repris ses esprits, son sadique collègue, qui se plaisait à jouer le voyeur, tourna le fer dans la plaie en lançant:
—Contemple mon œuvre! Mon cher Adam, toi pour qui tout tombe du ciel: tes diplômes avant l’heure, ta jolie femme qui t’a préféré à moi et maintenant, cette découverte thérapeutique qui allait faire de toi l’homme le plus riche et le plus adulé du monde médical… c’est beaucoup trop pour un seul homme, fût-il un génie! Si tu m’avais laissé espionner à ma guise, nous n’aurions pas eu besoin d’en arriver à de telles extrémités. Mais… maintenant que le vin est tiré, il faut le boire! Bon, assez de batifolages, vous autres, dit-il à ses hommes de main, achevez-les et emportez tout ce qui a de la valeur pour faire croire à un vol crapuleux.
Comme à regret, les trois truands remirent leurs pantalons en riant cyniquement. L’un d’eux sortit un pistolet muni d’un silencieux et le pointa sur la femme terrorisée, avant de lui loger une balle dans le crâne et une autre en plein cœur. Ensuite, ce fut le tour d’Adam, qui ne tenta même pas de l’en dissuader, impatient de retrouver sa famille dans l’au-delà…
3
LES AFFRES DU DOUTE
Ne voyant pas rentrer Adam à son labo de bon matin, comme à son habitude, le directeur du centre, inquiet, prévint la police qui se présenta bientôt au domicile du chercheur. La porte déverrouillée, mais pas forcée, alerta les constables, dont les appréhensions se confirmèrent après une rapide inspection des lieux. En prenant le pouls des victimes, ils eurent la surprise de constater que l’homme vivait encore. Toutes sirènes hurlantes, celui-ci fut conduit au centre hospitalier ultramoderne du CHUM, où ses savants confrères s’efforcèrent de lui sauver la vie. La balle de petit calibre, tirée dans son œil droit, s’était logée dans son lobe temporal, tandis que celle qui visait le cœur l’avait manqué de justesse, ayant frôlé l’aorte pour se perdre dans les poumons.
Après une délicate intervention chirurgicale qui dura plusieurs heures, le patient fut conduit aux soins intensifs. Les éminents praticiens lui donnaient peu de chance de s’en sortir. S’il y parvenait, ce serait avec des séquelles irréversibles, la perte d’un œil n’étant pas des moindres. Quant à son cerveau atteint, nul ne pouvait prédire les conséquences qu’il en résulterait, mais son jugement pourrait en être affecté. Pour l’instant, le malheureux était plongé dans un profond coma.
Les médias ne parlaient que de cette sordide affaire, l’œuvre, d’après eux, d’un gang de rue ou de junkies en mal de drogue, car le laboratoire personnel de l’infortunée épouse avait été pillé de toutes ses substances pharmaceutiques.
Après avoir été interrogés par les inspecteurs de police, lesquels ne négligeaient aucune piste pouvant conduire à l’arrestation des coupables, un à un, les collègues de travail du comateux vinrent le visiter.
Le fourbe Judas attendit d’être le dernier pour mettre son machiavélique plan à exécution, ne voulant pas courir le risque de voir sa victime reprendre connaissance pour ensuite le dénoncer. Aussi, profita-t-il d’une accalmie en fin de journée pour débrancher le respirateur artificiel qui maintenait son ex-ami en vie. Un signal strident retentit aussitôt dans le couloir et une lumière rouge clignota au-dessus du lit de souffrance.
Affolé, le criminel s’esquiva hâtivement par l’escalier de secours juste au moment où une infirmière se précipitait pour trouver le patient à demi asphyxié. Voyant la pompe débranchée, elle s’empressa de la remettre en fonction pour ensuite faire le bouche-à-bouche à l’homme inconscient et agonisant, ce qui parvint à le ramener à la vie.
Prévenues de l’incident, les autorités, suspectant un des criminels d’avoir voulu achever sa victime, affectèrent un policier en permanence pour protéger le prestigieux blessé.
L’état de ce dernier se stabilisa, mais son coma perdurait. Fidèle au poste, le policier avait fini par connaître tout le personnel médical. Aussi, lorsque six mois plus tard il vit le patient entrouvrit des yeux étonnés en demandant «Où suis-je?», il alerta une jolie nurse par son prénom.
—Françoise! Le malade s’est réveillé!
Incrédule, l’infirmière s’empressa de constater l’extraordinaire résurrection du pauvre homme. Partiellement amnésique et taciturne, celui-ci fut emmené dans une chambre plus appropriée à son nouvel état.
Personne n’osait lui avouer la vérité, préférant se réfugier derrière un pieu mensonge en lui racontant qu’il avait été victime d’une sauvage agression. Son médecin croyait que son aphasie résultait d’une forme d’autodéfense de l’organisme pour protéger son hôte d’un trop grand choc émotif. Même les inspecteurs de police n’osèrent insister devant ses réponses décousues du fil confus de ses tristes pensées.
Puis, au cours d’une nuit agitée, Adam revécut en rêve cette cauchemardesque soirée et s’éveilla en hurlant de douleur. Ayant éprouvé beaucoup de mal à le calmer, le personnel soignant dut lui administrer un puissant sédatif.
Au matin, il gisait amorphe dans son lit d’hôpital, prostré, abattu et triste à pleurer. Inconsolable à l’idée de ne plus revoir sa chère épouse et son adorable fille, et surtout, d’avoir été indirectement la cause de leur malheur.
Prévenus de sa nouvelle condition, les policiers revinrent l’interroger. Lorsqu’il accusa son collègue de cet horrible méfait, ils doutèrent carrément de son jugement, qu’ils croyaient affecté par le traumatisme crânien. Car officiellement, Daniel se trouvait en vacances en Floride lors du drame, et ça, de nombreux témoins étaient prêts à le jurer.
Triste consolation, la Faculté de médecine offrit au savant un œil électronique expérimental pour remplacer celui qu’il avait perdu lors de la tragédie. Ce gadget numérique et électronique, d’une puissance sans pareille, n’avait pas de prix! Vu la richesse de ses travaux de recherche, les sommités assuraient que leur collègue l’avait amplement mérité, sans compter que cet œil lui serait grandement utile pour ceux à venir.
Autre avantage, cet organe artificiel lui redonnait une apparence normale; seule une observation détaillée aurait pu permettre de déceler une anomalie. En effet, le rayon laser, incorporé dans ce bijou de technologie, donnait une brillance particulière à sa fausse pupille, spécialement lorsqu’il fixait un point précis. Ainsi paré, il pourrait reprendre ses éminentes fonctions après une longue convalescence.
Ses grands-parents offrirent spontanément de le recevoir dans leur superbe maison de campagne, au cœur des Laurentides. Les deux étaient persuadés qu’entouré d’affection et de toute cette belle nature, il finirait par, non pas oublier, ce qui était impossible, mais par reprendre un tant soit peu goût à la vie. Ce en quoi ils se trompaient lourdement…
Adam n’avait qu’une idée en tête: avant de perdre connaissance, lors de la terrible soirée, il avait fait la première et dernière prière de son existence. Une existence remplie d’amour, de travail, d’abnégation et de droiture, faut-il le rappeler.
«Mon Dieu, avait-il imploré sur son siège, pieds et poings liés, si tu existes vraiment et que tu es bon comme le laisse supposer ton surnom, fais-en sorte qu’il n’arrive rien de fâcheux à mes proches et je te chérirai comme jamais fidèle ne l’a fait. Prends ma vie, si tu le veux, mais sauve-les, car elles sont pures et innocentes. Si tu es Tout-Puissant et Bienveillant, Toi, le Père, le Fils ou le Saint-Esprit, ainsi soit-il!»
Il avait prié de la sorte l’Entité supérieure en ratissant le plus large possible, afin d’avoir une réponse positive. Évidemment, le miracle tant espéré ne s’était pas réalisé. Le résultat de cette triste équation lui avait sauté aux yeux: il n’y avait pas de Bon Dieu, seul le Mal existait! Il fallait donc y remédier…
Après un repos de trois mois, entouré d’amour et d’affection dans le havre de nature et de paix de ses grands-parents, il insista pour reprendre son travail. C’est là qu’il apprit que son perfide second avait démissionné pour rejoindre une multinationale pharmaceutique venant, comme par hasard, de breveter un vaccin contre la maladie d’Alzheimer. Ses confrères de recherche en étaient scandalisés, sachant que Daniel avait profité des travaux de son supérieur pour porter sur un plateau d’argent le fruit de son dur labeur à ce richissime organisme paramédical.
Sans preuve formelle de son indélicatesse et de sa perfidie, et devant son alibi en béton, Adam ne pouvait le traîner en justice. D’autant plus que la fragilité de ses souvenirs pouvait lui jouer des tours. Même le détective privé qu’il avait rencontré devait lui déconseiller d’entreprendre des poursuites. Impuissant, il ne put qu’assister au couronnement du voleur et assassin, lorsque tous virent ce dernier parader à la télévision avec son prix Nobel criminellement acquis sous le bras. Puisque Dieu n’existait pas, comme le prouvaient toutes les injustices commises en ce bas monde, Adam allait y remédier en s’improvisant démiurge. Ainsi en avait-il décidé dans son cerveau tourmenté et blessé.
Travaillant jour et nuit dans son labo et prenant un peu de repos sur un lit de fortune aménagé dans un coin de son bureau, le savant dérangé essayait de percer le mystère du virus responsable de la maladie neurologique dégénérative. C’est ainsi qu’il parvint à faire un croisement, aussi improbable qu’alarmant, en scindant ledit virus pour l’amalgamer à celui de la grippe A, le rejeton de la grippe espagnole qui avait frappé le monde entier durant la Première Guerre mondiale et qui avait fait plus de morts que cette dernière!
En responsable chercheur avisé,