Le petit prince et l’astronome
des enfants de la planète vous avez lu à 10 ou 12 ans, il y a certainement des passages qui vous ont marqué : celui sur la rose, le renard ou l’allumeur de réverbères. Moi, j’ai toujours le vif souvenir d’un personnage qui apparaît au début de l’histoire, l’astronome turc qui a découvert l’astéroïde B612 : dans un congrès, il présente sa relation en (Champs, Flammarion). Tout Prix Nobel qu’il est, Kahneman y raconte avec une simplicité malicieuse, en nourrissant son texte de mille exemples, la manière dont nous affrontons, avec les moyens rudimentaires que la nature nous a fournis, les événements qui secouent notre vie personnelle et la société tout entière. Des automatismes qui font que nous percevons différemment une même information selon la manière dont elle nous est présentée : annoncer une épidémie en disant que 90 % des malades s’en sortiront en quelques jours n’a pas du tout le même effet que l’annoncer en précisant que la mortalité sera de 10 %. Nous n’entendons pas les mêmes choses si c’est un homme d’affaires en costume cravate ou une mère de famille en robe à fleurs qui les prononce (sans parler du pauvre astronome turc). Il est ensuite très difficile de revenir sur une décision prise parce que les premières impressions provoquent un « effet de halo » sur les suivantes et les influencent. Fruit d’une vie de recherche, ce livre est né d’une collaboration intense avec Amos Tversky, son collègue et ami génial et plein d’humour. Pendant des années les deux savants ont quotidiennement frotté leurs idées les unes aux autres, jamais ils n’ont rejeté d’emblée ce que l’autre avançait, pas un jour d’ennui, de fatigue ou de découragement. Si Tversky n’avait pas été emporté par un cancer, le prix Nobel d’économie 2002 aurait récompensé le tandem. Les mots avec lesquels Kahneman évoque son compagnon de travail sont inoubliables, dignes de Montaigne : Ce binôme professionnel a donc traqué ces erreurs de perception (rebaptisées « biais cognitifs ») et essayé de comprendre leurs mécanismes. Le jugement instinctif dérive d’une couche très profonde de notre personnalité, un mélange d’atavismes, de préjugés et d’expériences sur lequel se greffe une pensée qui n’est pas « raisonnable », même quand elle tombe juste. Parce que le plus surprenant est quand même que statistiquement la réaction intuitive est souvent la plus adaptée. Et voilà que nos chercheurs donnent raison sans le savoir à Talleyrand qui aurait dit
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