Les mouches d'automne
Par Irene Nemirovsky
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À propos de ce livre électronique
Justesse et finesse de l'écriture caractérisent ce livre nostalgique. Irène Némirovsky est morte à Auschwitz en 1942. Son roman Suite française publié soixante ans après sa mort a obtenu le prix Renaudot en 2004.
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Avis sur Les mouches d'automne
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Aperçu du livre
Les mouches d'automne - Irene Nemirovsky
Irène Némirovsky
LES MOUCHES D’AUTOMNE
© 2019 Éditions Synapses
Table des matières
CHAPITRE PREMIER
CHAPITRE II
CHAPITRE III
CHAPITRE IV
CHAPITRE V
CHAPITRE VI
CHAPITRE VII
CHAPITRE VIII
CHAPITRE IX
CHAPITRE PREMIER
Elle hocha la tête, dit comme autrefois :
« Eh bien, adieu, Yourotchka… Prends bien soin de ta santé, mon chéri. »
Comme le temps passait… Enfant, quand il partait pour le Lycée de Moscou, en automne, il venait lui dire adieu ainsi, dans cette même chambre. Il y avait dix, douze ans de cela…
Elle regarda son uniforme d’officier avec une sorte d’étonnement, de triste orgueil.
« Ah, Yourotchka, mon petit, il me semble que c’était hier… »
Elle se tut, fit un geste las de la main. Il y avait cinquante et un ans qu’elle était dans la famille des Karine. Elle avait été la nourrice de Nicolas Alexandrovitch, le père de Youri, elle avait élevé ses frères et ses sœurs après lui, ses enfants… Elle se sou-venait encore d’Alexandre Kirilovitch, tué à la guerre de Turquie en 1877, il y avait trente-neuf ans… Et maintenant, c’était le tour des petits, Cyrille, Youri, de partir, eux aussi, pour la guerre…
Elle soupira, traça sur le front de Youri le signe de la croix.
« Va, Dieu te protégera, mon chéri.
– Mais oui, ma vieille… »
Il sourit, avec une expression moqueuse et résignée. Il avait une figure de paysan, épaisse et fraîche. Il ne ressemblait pas aux autres Karine. Il prit entre les siennes les petites mains de la vieille femme, dures comme de l’écorce, presque noires, voulut les porter à ses lèvres.
Elle rougit, les retira précipitamment.
« Es-tu fou ? Ne dirait-on pas que je suis une belle jeune dame ? Va, maintenant, Yourotchka, descends… Ils dansent en-core en bas.
– Adieu, Nianiouchka, Tatiana Ivanovna, dit-il de sa voix traînante, aux inflexions ironiques et un peu endormies, adieu, je te rapporterai de Berlin un châle de soie, si j’y entre, ce qui m’étonnerait, et, en attendant, je t’enverrai de Moscou une pièce d’étoffe pour la nouvelle année. »
Elle s’efforça de sourire, pinçant davantage sa bouche, de-meurée fine, mais serrée et rentrée en dedans, comme aspirée par les vieilles mâchoires. C’était une femme de soixante-dix ans, d’aspect fragile, de petite taille, au visage vif et souriant ; son regard était perçant encore parfois, et à d’autres instants, las et tranquille. Elle secoua la tête.
« Tu promets beaucoup de choses, et ton frère est comme toi. Mais vous nous oublierez là-bas. Enfin, Dieu veuille seule-ment que ce soit bientôt fini, et que vous reveniez tous les deux. Est-ce que cette malédiction finira vite ?
– Certainement. Vite et mal.
– Il ne faut pas plaisanter comme cela, dit-elle vivement. Tout est dans les mains de Dieu. »
Elle le quitta, s’agenouilla devant la malle ouverte.
« Tu peux dire à Platocha et à Piotre de monter chercher les effets quand ils voudront. Tout est prêt. Les fourrures sont en bas et les plaids. Quand partez-vous ? Il est minuit.
– Si nous sommes au matin à Moscou, c’est suffisant. Le train part demain à onze heures. »
Elle soupira, hocha la tête de son geste familier.
« Ah, Seigneur Jésus, quel triste Noël… »
En bas, quelqu’un jouait au piano une valse rapide et légère ; on entendait les pas des danseurs sur les vieux parquets et le bruit des éperons.
Youri fit un signe de la main.
« Adieu, je descends, Nianiouchka.
– Va, mon cœur. »
Elle resta seule. Elle pliait les vêtements en marmottant : « Les bottes… Les pièces du vieux nécessaire… elles peuvent servir encore en campagne… Je n’ai rien oublié ? Les pelisses sont en bas… »
Ainsi, trente-neuf ans auparavant, quand Alexandre Kirilo-vitch était parti, elle avait emballé les uniformes, elle se rappelait bien, mon Dieu… La vieille femme de chambre, Agafia, était encore de ce monde… Elle-même était jeune, alors… Elle ferma les yeux, poussa un profond soupir, se releva lourdement.
« Je voudrais bien savoir où sont ces chiens, Platochka et Petka, grommela-t-elle. Dieu me pardonne. Ils sont tous ivres aujourd’hui. » Elle prit le châle tombé à terre, couvrit ses cheveux et sa bouche, descendit. L’appartement des enfants était bâti dans l’ancienne partie de