La Cerisaie
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À propos de ce livre électronique
Pour autant, "La Cerisaie" n'apparaît pas de prime abord comme une comédie. Composée en quatre actes, la pièce développe son argument dramatique dans le temps : la Cerisaie sera peut-être vendue aux enchères (Acte I), elle le sera certainement (Acte II), elle est vendue (Acte III), elle a été vendue (Acte IV). La vente de la demeure est l'objet dramatique principal, et le sujet inépuisable des mutiples actions discursives des personnages.
La vente de la cerisaie inquiète et deséspère. Mais les personnages n'agissent pas, ils se contentent d'évoquer leurs souvenirs, de rêver d'un avenir radieux, ou parfois, confrontés à la réalité, d'évoquer leurs maigres possibilités financières pour sauver la cerisaie. Ils semblent tous engourdis, en dépit du projet que Lopakhine a conçu pour eux : abattre la vieille cerisaie et construire des villas pour les estivants...
La vente représente une rupture symbolique entre l'ancien et le moderne, entre la vieille Russie aristoctatique et celle du début du XXème siècle, que caractérisent la réussite financière des anciens moujiks (anciens serfs), les chemins de fer, l'affermage des terrains...et la foi dans le travail marchand (Lopakhine) ou spirituel (Trofimov).
"La Cerisaie" est une oeuvre d'une grande richesse très éloignée du déroulement classique des pièces de théâtre, développant des scènes sans fonction dramatique, des personnages inactifs dont les discours donnent libre cours à leurs états d'âme, leurs émotions et ce même après le dénouement de l'action principale. Magnifique, en ce qu'elle représente la déchéance d'une société au travers de celle d'une famille que la frivolité et le goût des dépenses somptuaires ruinent complètement, sans toutefois s'achever dans le pathétique : chacun se sent confiant à l'idée de commencer une nouvelle vie.
(Source: www.irene.k.over-blog.com)
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Aperçu du livre
La Cerisaie - Anton Pavlovitch Tchekhov
page
LA CERISAIE
Anton Pavlovitch Tchekhov
PERSONNAGES
R ANIEVSKAIA LIOUBOV ANDREIEVNA, propriétaire.
ANIA, sa fille, dix-sept ans.
VARIA, sa fille adoptive, vingt-quatre ans.
GAIEV LEONID ANDREIEVITCH, frère de M me Ranievskaïa.
LOPAKHINE ERMOLAI ALEKSEIEVITCH, marchand.
TROFIMOV PIOTR SERGUEIEVITCH, étudiant.
SIMEONOV-PICHTCHIK BORIS BORISSOVITCH, propriétaire.
CHARLOTTA IVANOVNA, institutrice.
EPIKHODOV SEMION PANTELEIEVITCH, comptable.
DOUNIACHA, femme de chambre.
FIRS, valet de chambre, quatre-vingt-sept ans.
IACHA, jeune valet de chambre.
UN PASSANT.
UN CHEF DE GARE.
UN EMPLOYE DE LA POSTE.
INVITES, DOMESTIQUES.
L’action se passe dans la propriété de M me Ranievskaïa.
ACTE I
L a chambre qui est encore appelée la chambre des enfants ; une des portes donne dans la chambre d’Ania. L’aube ; le soleil va bientôt se lever. Commencement de mai ; cerisiers déjà fleuris ; mais il fait encore froid ; légère gelée blanche. Les fenêtres de la chambre sont fermées.
Scène première
Entrent Douniacha, avec une bougie, et Lopakhine, tenant un livre.
LOPAKHINE. – Enfin le train est arrivé ! Quelle heure est-il ?
DOUNIACHA. – Près de deux heures. ( Elle éteint la bougie.)Il fait déjà jour.
LOPAKHINE. – Combien le train a-t-il de retard ? Au moins deux heures. (Il bâille et s’étire.) Quel imbécile je fais ! Je viens exprès ici pour aller les attendre à la gare, et je laisse passer l’heure. Je m’endors sur une chaise ! C’est malheureux ! Tu aurais dû me réveiller !
DOUNIACHA. – Je vous croyais parti. (Elle tend l’oreille.) Ah ! je crois que les voici qui arrivent.
LOPAKHINE, écoutant aussi. – Non… Le temps de prendre les bagages, ceci, cela… (Un temps.) Lioubov Andréïevna vient de passer cinq ans à l’étranger. Comment est-elle maintenant ? C’est une excellente femme, simple, agréable à vivre… Je me rappelle, quand j’étais un blanc-bec de quinze ans, mon défunt père, qui tenait une boutique dans le village, me flanqua un coup de poing dans la figure, et mon nez se mit à saigner. Nous étions venus ici je ne sais pourquoi, et mon père était un peu ivre. Lioubov Andréïevna, toute jeune encore, toute mince, me mena à ce lavabo, dans cette chambre des enfants, et me dit : « Ne pleure pas, mon petit moujik ; avant ton mariage il n’y paraîtra plus. » (Un temps.) Mon petit moujik ! C’est vrai que mon père était un paysan, et moi je porte des gilets blancs et des souliers jaunes !… Un groin de porc à portée des friandises… Tout nouvellement enrichi ; beaucoup d’argent !… Mais, à tout peser et considérer, rien qu’un paysan. (Il feuillette un livre.) J’ai lu ce livre et n’y ai rien compris ; ça m’a endormi.
Un silence.
DOUNIACHA. – Les chiens n’ont pas dormi cette nuit ; ils sentent que leurs maîtres reviennent.
LOPAKHINE. – Qu’est-ce qui t’arrive, Douniacha ?
DOUNIACHA. – Mes mains tremblent. Je vais me trouver mal.
LOPAKHINE. – Tu es trop douillette, Douniacha ! Et tu t’habilles et te coiffes en demoiselle. Ce n’est pas bien ; il faut se souvenir de ce qu’on est.
Scène II
LES MEMES, EPIKHODOV
Epikhodov entre, tenant un bouquet. Veston, bottes très cirées, qui crissent. Epikhodov laisse tomber son bouquet, le ramasse, et le remet à Douniacha.
EPIKHODOV. – Le jardinier envoie ces fleurs pour la salle à manger.
Douniacha prend les fleurs.
LOPAKHINE, à Douniacha. – Apporte-moi du kvas.
DOUNIACHA. – Bien, monsieur.
Elle sort.
EPIKHODOV. – Trois degrés, de la gelée blanche, et les cerisiers en fleur ! Je ne saurais approuver notre climat ! (Il soupire.)Il ne peut rien donner à propos. Ermolaï Alekséïevitch, j’ajouterai que j’ai acheté avant-hier une paire de bottes, et, j’ose vous l’affirmer, elles crissent au-delà de toute permission. Avec quoi pourrait-on bien les graisser ?
LOPAKHINE. – Tu m’ennuies ; laisse-moi.
EPIKHODOV. – Il n’est pas de jour où il ne m’arrive quelque malheur ; et je ne me plains pas ; j’y suis même habitué ; je souris.
Douniacha apporte le kvas et sert Lopakhine.
EPIKHODOV. – Je m’en vais. (Il se heurte à une chaise qui tombe. D’un air de triomphe.) Voilà ! Vous voyez ! Pardon, pour l’expression, quelle mésaventure entre autres… C’est vraiment remarquable !
Il sort.
DOUNIACHA. – Et moi, il faut que je vous l’avoue, Ermolaï Alekséïevitch, Epikhodov m’a fait une demande en mariage.
LOPAKHINE. – Ah !
DOUNIACHA. – Je ne sais que faire… C’est un homme doux, mais souvent, quand il vous parle, on ne comprend rien. Ce qu’il dit est touchant et bien ; mais on ne comprend pas. Je crois qu’il me plaît. Il m’aime à la folie ; mais c’est un homme à malheurs ; tous les jours il lui arrive quelque chose ; on l’a surnommé Vingt-Deux-Malheurs.
LOPAKHINE, prêtant l’oreille. – Je crois que les voici.
DOUNIACHA. – C’est eux ! Qu’est-ce qui m’arrive ?… Je me sens toute froide.
LOPAKHINE. – Oui, c’est eux ! Allons à leur rencontre. Va-t-elle me reconnaître ? Il y a cinq ans que nous ne nous sommes vus.
DOUNIACHA, émue. – Je défaille !… Ah ! je défaille !
On entend arriver deux voitures. Lopakhine et Douniacha sortent précipitamment. La scène est vide. On entend du bruit dans les pièces voisines. Firs, revenant de la gare où il est allé chercher M me Ranievskaïa, traverse la scène, appuyé sur un bâton. Il porte une livrée ancienne et un chapeau haut de forme. Il marmonne quelque chose. Le bruit, derrière la scène, augmente. Une voix : Passons par ici. M me Ranievskaïa, Ania et Charlotta Ivanovna ; cette dernière mène un petit chien, attaché par une chaînette ; toutes trois sont en costume de voyage. Varia a un manteau