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Genèse
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Livre électronique557 pages9 heures

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À propos de ce livre électronique

Version révisée d'octobre 2015.
Les colonnes du temps" est le conseil de lecture du site www.monBestSeller.com, sélectionné pour le Prix Concours de l'auteur indépendant 2015.
Automne 2003.
Notre planète est agressée par une sphère lumineuse qui dévore lentement sa surface.Seuls ses pôles semblent épargnés par l'avidité du monstre qui, en peu de temps, finit par effacer l’Europe et l'ouest asiatique.
Tandis que la population mondiale se terre dans des grottes ou colonise l'Alaska, les nations s'organisent et bâtissent une immense base souterraine, en Sibérie.
Celle-ci devient le refuge de scientifiques réunis dans une course contre l’annihilation totale de notre monde. Parmi eux, Patrick Schimmer, jeune géologue français qui, sans le savoir, jouera un rôle important dans le devenir de l'humanité.
Ceci est son histoire...
Ce qu'en pensent les lecteurs : 
" Lisez-le ! Même si vous n'êtes pas amateur habituel de science-fiction comme moi. J'ai été englouti par cette histoire qui vous plonge dans un futur peut-être pas si lointain quand on voit ce qu'on fait à notre planète"
"Fantastique ! (et je ne parle pas que du genre). Je dévore et recommande. Ps. A quelle page commence l’histoire d’amour pour que tous les ingrédients du succès soient réunis ? !"
"Dès le départ on est dans le feu de l'action, les personnages sont captivants, le décor est bien planté. On ne s'ennuie pas, pour moi c'est le principal. Bon livre."
"Un chef d'oeuvre d'imagination et d'humanisme, truffé d'humour et de références culturelles."
"Il y a beaucoup de clins d'oeil pour la génération des quarantenaires ayant une même enfance et regardé les mêmes séries TV... (Est-ce que les jeunes d'aujourd'hui vont capter ??) Les personnages sont attachants, le livre est bien écrit."

LangueFrançais
ÉditeurJohn Renmann
Date de sortie1 juil. 2019
ISBN9782955167267
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    Aperçu du livre

    Genèse - John Renmann

    LE TIGRE DES NEIGES

    Irkoutsk, ville russe posée au bord du lac Baïkal, proche de la frontière mongole.

    Dans le cadre du programme de l’Union européenne sur la recherche géologique, je m’attelle à extraire minutieusement quelques carottes glaciaires.

    Daniel Green, mon médecin personnel, se tient en retrait et prépare, en bon Anglais qu’il est, un thé qui, selon ses propres termes, ferait pâlir de plaisir la reine elle-même.

    Trapu, le crâne légèrement dégarni, il porte une moustache rousse dont il tortille le côté droit, le plus souvent quand il est tendu. Ce flegmatique Anglais a effectué ses études de médecine à l’université de Sheffield et a une sainte horreur du pudding et de la panse de brebis farcie qui, selon lui, est réservée aux peuples de Calédonie.

    La raison de cette aversion pour le haggis m’est totalement inconnue, il en est de même de l’origine du fait qu’il ponctue la plupart de ses phrases par un « bullshit ! » lorsqu’il est légèrement contrarié.

    Il m’a accompagné lors de mon expédition, car mes responsables craignaient que le froid intense soit préjudiciable à ma santé. Ils n’avaient pas tort : les deux premiers jours, j’ai constaté que mes doigts et mes orteils viraient au bleu. Daniel me demanda alors à l’époque, les yeux pleins de malice, si je n’avais pas du sang royal stagnant au niveau des pieds.

    Notre tente ayant été emportée par le vent glacial il y a quelques heures, nous avons bâti un petit igloo de fortune. Il s’y dirige afin de récupérer deux mugs, l’un aux couleurs de l’union-jack et l’autre estampillé Barbapapa.

    Je me tiens près de la foreuse et, lunettes solaires sur le nez, j’examine la dernière carotte de glace qu’elle me livre avant de la placer dans son caisson avec prudence.

    — Allez, révèle-moi ton secret !

    Je m’adresse à l’échantillon en ma possession comme à un suspect interrogé par la police, une façon bien à moi de me motiver.

    Dans cette glace âgée de plusieurs millions d’années, il est possible de lire le passé comme dans un livre ouvert.

    Le passé, les origines, c’est là que se porte tout mon intérêt.

    J’ai été adopté très jeune par une famille bourgeoise du seizième arrondissement parisien, famille qui est restée très longtemps évasive quant à mes racines. Passionnés de mythologies, les Schimmer m’ont donné comme deuxième prénom Jason, en référence au héros grec parti avec les Argonautes à la recherche de la toison d’or.

    Je n’aurais cependant jamais pensé que ma quête à moi ne concernerait pas une toison dorée, mais plutôt un manteau d’argent…

    Il est coutume, à cet instant de l’histoire, de se décrire physiquement et je ne vais pas déroger à la règle. Mon type caucasien pourrait donner une certaine indication quant à mes origines, mais il en est tout autre. Notre planète étant devenue une magnifique mosaïque de peuples, l’espèce humaine tend au métissage. Aspect physique et lieu de naissance sont désormais dissociables.

    Ma taille moyenne me convient. Je n’ai jamais réellement fait de complexe quant à la hauteur qui sépare ma tête du sol lorsque je me tiens debout. Mes cheveux bruns conviennent parfaitement à la personne timide que je suis, me permettant de me fondre dans la masse, loin des regards. J’assume pleinement mon introversion, certainement née de la surprotection dont j’ai fait l’objet durant toute ma petite enfance…et bien plus tard encore.

    La recherche de mes origines m’a obsédé, à un point que j’en suis arrivé à redouter l’avenir et à m’en préserver en me réfugiant dans le passé.

    La géologie m’a rattrapé très tôt. À l’école élémentaire, mes enseignants me surprenaient régulièrement en train d’étudier des cailloux, en les soupesant ou les frottant les uns aux autres.

    Une fois mon baccalauréat en poche, ils m’ont naturellement orienté vers la géologie, certains qu’une réussite totale m’y attendait.

    Je n’étais, au départ, pas du tout enthousiaste, cette science me semblait en effet quelque peu barbante. Même s’il est vrai que j’étais littéralement amoureux de ma planète et curieux de sa structure interne, je ne pensais pas faire carrière en tant que géologue.

    Et puis un jour je partis en excursion sur le Puy-de-Dôme, célèbre volcan endormi situé aux environs de Clermont-Ferrand, en France. Je me suis alors laissé envahir par la quiétude du lieu et ai eu comme une révélation, comme la sensation que le monde me parlait. Le déclic. Quelques mois plus tard, j’entamais de longues études de géologie en m’axant plus précisément sur deux de ses nombreuses disciplines : minéralogie et glaciologie.

    Durant mon cursus, je délivrais une première thèse dont je fis un livre. Selon moi, nous devions appréhender autrement la roche et, par là même, notre planète, le terme « vivant » étant applicable au minéral comme au végétal ou à l’animal. En gros, la matière dite inerte avait aussi droit au label « espèce vivante ».

    Même si ma thèse fut globalement saluée par l’ensemble de mes confrères, mon livre n’eut pas le succès escompté. Cela ne m’empêcha guère d’intégrer plus tard le laboratoire des sciences du climat et de l’environnement de Grenoble.

    Alors que mon esprit flâne du côté de l’Isère, une série de grondements s’élève au loin, me tirant de mes rêveries.

    Je songe immédiatement à des ours blancs, mais ces derniers ne se déplacent jamais en groupe, il y a toujours un mâle isolé ou une femelle avec ses petits. Je me redresse, stoppe ma foreuse et tends l’oreille. Je suis rejoint par Daniel qui tient une tasse fumante dans chaque main. Des nuages de poudreuse se déplacent en notre direction et au bout de quelques secondes je finis par comprendre de quoi il s’agit et m’écarte vivement.

    Nous voyons débarquer tout un escadron de véhicules kaki contenant des soldats à la mine patibulaire. La neige crisse et se soulève sous le passage des quatre-quatre blindés. C'est assourdissant, de stupeur, je lâche le récipient contenant la carotte glaciaire.

    Soudainement pris d'une intuition, je me mets à fouiller frénétiquement les poches de ma veste à la recherche de mon accréditation. J'entends Daniel bafouiller quelques mots en russe précédés d’un « bullshit ! » bien de chez lui. Il cherche à expliquer aux militaires que nous n'avons rien à nous reprocher.

    Un des puissants quatre-quatre freine à trois pas de moi recouvrant mes bottes de neige. Le toit s'ouvre, un homme vêtu d’un treillis et d’une parka hurle dans un français parfait :

    — Lequel d'entre vous est Patrick Schimmer ? 

    Je lève timidement le doigt, répondant ainsi à l'aboyeur (mais où donc est passée cette fichue accréditation ?), mes doigts gelés labourent le fond de ma poche n'agrippant que du vide.

    L'homme saute directement du toit du tout-terrain. Il est massif et manque de partir en arrière au moment où ses rangers entrent en contact avec le sol enneigé.

    Il porte moustache et barbe de couleur châtain, une balafre recouvre verticalement son œil gauche qui semble mort, l’iris grisâtre…à moins qu’il n’ait tout simplement les yeux vairons. Il est coiffé d’un casque masquant sa chevelure que je devine coupée en brosse.

    Il se dirige vers moi tout en plongeant sa main gauche dans l'intérieur de sa parka.

    Je vois du coin de l'œil que Daniel est tenu en joue par quatre militaires déterminés.

    Le pas de mon interlocuteur est vif, arrivé en face de moi, il me jauge du regard puis me dit :

    — Patrick Jason Schimmer ? 

    — Oui c'est bien moi

    — Avez-vous votre accréditation ?

    Sueurs froides.

    Je pousse un discret soupir de soulagement en sentant enfin au fond de ma poche de pantalon la forme caractéristique de l'objet demandé.

    Je l’extirpe avec difficulté, puis le tends au rustre aux épaules de déménageur.

    La main toujours fourrée dans sa parka, il parcourt méticuleusement des yeux le document avant de me le rendre.

    Il se tourne en premier lieu vers la garde rapprochée de Daniel, cette dernière abaisse les armes sans qu'il ait à prononcer le moindre mot.

    Il ramène finalement sa main gauche à hauteur de son visage, celle-ci tient une feuille qu'il se met à me lire à haute voix.

    — Patrick Jason Schimmer, sur ordre du président Vladimir Vladimirovich Boutine, vous êtes réaffecté à la base militaire de Nordvik. Cet ordre prend effet immédiatement ! 

    — Mais ? De quel droit ? Je dois achever la mission pour laquelle j'ai été affecté ici !

    — Patrick Schimmer ! Le président a également précisé que s'il le fallait je devais user de la force !

    — À ce point ? Mais puis-je savoir au moins pourquoi je dois quitter Irkoutsk ?

    Après avoir jeté un bref coup d’œil à mon ami Anglais, il me répond :

    — Secret-défense ! Sachez juste que nous avons besoin de vos connaissances en géologie.

    Je me tourne vers Daniel. Il est bouche bée, je décrypte l’expression de son regard bleu et reprends :

    — Dans ce cas, je souhaite que Monsieur Green m'accompagne

    — Ceci n'est pas prévu dans le protocole.

    — Mais vous, militaire, savez vous adapter non ?

    — Pas si cela doit être cause d'insubordination.

    J'avais affaire à forte partie. En face de moi, quelqu'un se campait droit sur ses jambes quelqu’un d'obstiné, mais surtout de très...militaire.

    — Ceci est navrant, car, voyez-vous, Monsieur Green est mon médecin traitant. J'ai les extrémités des doigts nécrosées et...

    — Vous serez immédiatement pris en charge par un de nos médecins, sur place.

    — Qui devra reprendre mon dossier depuis le début alors que Monsieur Green, lui, assure mon suivi depuis plusieurs mois et connaît ma santé par cœur.

    — Cessez ce petit jeu Schimmer ! Vous n'êtes de toute façon pas en position de force !

    — Ah bon, pourquoi ? Parce que vous êtes une dizaine de brutes épaisses armées de kalachnikov face à deux frêles scientifiques apeurés ?

    Réaction dans la troupe, deux soldats se mettent à chuchoter. D’un geste de la main, le gaillard leur indique qu’ils doivent la boucler avant de se tourner vers moi, me fixant de son œil meurtri. S’il est agacé alors il doit bien le dissimuler, car nul sentiment ne transparaît sur son visage marqué. Au bout de quelques secondes, enfin, son œil clair cligne comme pour signifier qu’il a pris une décision.

    Il appuie chacun des mots qu’il prononce comme pour souligner la gravité de la situation :

    — Schimmer, la planète est en danger.

    Silence total.

    — Qu’entendez-vous par « en danger »? demande Daniel qui s'est rapproché de nous.

    Quelques soldats, apparemment non mis au courant de la situation, rompent les rangs et se rapprochent de leur supérieur qui précise :

    — Notre planète est littéralement effacée par une sorte de…parasite cosmique. 

    Il lève la tête, observant les cieux. Le ciel est chargé de nuages annonciateurs de neige, il a les yeux dans le vague et ajoute :

    — Vous comprendrez qu’en comparaison, vos petits problèmes de santé, vos caprices, je m’en balance royalement !

    Je suis abasourdi et ne suis apparemment pas le seul, parmi les soldats certains marmonnent avant de vite se mettre au garde-à-vous à la suite d’un simple soupir de mon interlocuteur. Je l’interroge :

    — Un parasite cosmique ? Mais qu'est-ce que cela à voir avec ma science ? La géologie ?

    Le militaire semble perdre patience, certainement pressé par le temps, mais parvient malgré tout à se contenir.

    — Nous avons constaté que cette chose craint le froid, elle a notamment énormément de mal à s'attaquer à la glace, nous pensons que vous saurez nous dire pourquoi.

    — Je vois…il semble donc que je n'aie pas le choix

    — Aucunement.

    — Dans ce cas, vous devez laisser mon médecin m'accompagner, ou trouver quelqu'un d'autre, vous en avez la possibilité, le monde fourmille de géologues !

    La suite de l’échange me laisse pantois, le militaire m’annonce en effet :

    — Il y a autre chose, Schimmer, le président Chiraque pense que vous êtes psychologiquement un des seuls géologues qui pourrait vivre confiné dans une base souterraine.

    — Le président Chiraque, dites-vous ? Mais…le président me connaît ? Et…comment ça ? Une base souterraine ?

    Quelle surprise de découvrir que le chef de l’État français lui-même est intervenu en ma faveur ! La suite me délivre un véritable argument massue :

    — Oui, me répond l’officier supérieur, le président français en a parlé longuement au téléphone avec Monsieur Boutine. Il a vu une de vos interviews sur Arte, celle où vous parliez de la théorie de la pierre vivante. Cela l'a fasciné. Il s’est tout de suite procuré vos écrits. Son épouse elle-même aurait adhéré à vos théories.

    — Le président et sa femme me lisent ! Mais…c’est impossible !

    — Douteriez-vous de mes propos, Schimmer ? Selon vous, donc, j’aurais parcouru plusieurs milliers de kilomètres, juste pour me faire emmerder par un jeune blanc-bec ?

    — Je vous crois ! Je vous crois ! Inutile de monter sur vos grands chevaux ! Mais comprenez-moi, quasiment du jour au lendemain j’apprends que je vais être transféré dans une base militaire, moi un simple scientifique tout juste bon à extraire des carottes glacières !

    L’homme ne m’écoute pas, il jette un œil à sa montre-bracelet puis me balance :

    — Notre temps est précieux, hâtez-vous Schimmer ! Nous y allons !

    — Minute, je souhaite que mon médecin m’accompagne, il n’y a plus de place de toute façon pour la moindre discussion, je n’en démordrai pas !

    À mon grand étonnement, le soldat accepte ma requête.

    — Prenez votre paquetage vous et ce monsieur...Green ?

    — Appelez-moi Daniel, à qui avons-nous l'honneur ? 

    — Colonel Pierre Devers, membre des forces armées françaises.

    Je l’aurais parié. J’observe plus attentivement les soldats présents. Si certains ont des uniformes aux couleurs de l’armée rouge, je crois deviner des écussons reprenant les motifs de la croix de Saint George et d’autres, ceux de la bannière étoilée. Les nations auraient-elles mis leurs armées en commun ?

    — Vous êtes Français ? s’étonne Daniel. Mais pourquoi un Français serait-il sous les ordres du président russe ? 

    — Pour une raison que je ne peux pas vous donner dans l’immédiat. Allons, récupérez vos affaires et montez dans le Tigre. Je profiterai du trajet pour vous briefer sur le sujet qui nous intéresse.

    Je saisis mon paquetage d’une main, abandonnant la carotte glaciaire, puis saute dans le véhicule précédé par mon médecin personnel.

    — Mais ? Nous laissons tout notre matériel ici ? s’inquiète-t-il.

    — Ne vous en faites pas pour votre foreuse et vos effets personnels, nous nous chargeons de tout, lui répond Devers.

    Quelque peu secoués par le véhicule, nous sommes mis au fait des détails du phénomène cosmique frappant notre planète. Le colonel ouvre un ordinateur portable puis oriente son écran en notre direction.

    — Ceci est un rapport vidéo de la NASA, nous dit Pierre Devers, il n’y aura pas d’interrogation écrite, mais je vous demande d’être bien attentifs à toutes les informations qu’il apporte.

    Il nous tend l’appareil, l’air grave. Je le prends puis le pose sur mes genoux, Daniel se penche de côté pour avoir une meilleure vision de ce qu’il révèle.

    Un frisson nous parcourt alors que lui et moi assimilons toutes les informations qu’il nous transmet…

    Le rapport vidéo débute à la date du dimanche vingt-et-un septembre deux mille trois, soit dix jours avant l’irruption du colonel et ses soldats dans notre campement.

    Le centre de contrôle de la NASA basé à Houston est sur le qui-vive, quelque chose d’anormal a été détecté par l’un de ses appareils, lâché dans le cosmos il y a une vingtaine d’années.

    La puissante sonde Nova, appareil d’origine terrestre le plus éloigné de la terre jusqu’ici, renvoie des images époustouflantes de notre galaxie dont la voix off fait une description aux profanes que nous sommes.

    De face, elle a l’aspect d’une spirale composée en son centre d’une boursouflure nommée bulbe et de laquelle partent 4 bras : le bras interne, le bras intermédiaire, le bras spiral majeur et le bras externe. Je suis émerveillé par sa beauté, émerveillé par la vie qui s’en dégage.

    Nova détecte quelque chose sur le bras spiral majeur. Ceci est d’autant plus inquiétant que c’est sur ce bras que loge l’étoile la plus célèbre de la galaxie, le Soleil, objet de culte, forçant l’admiration, mais faisant naître aussi en certains une crainte empreinte de respect.

    Le rapport se poursuit en indiquant que les images suivantes ont été prises par une autre création humaine stationnant, elle, dans notre système solaire : le télescope spatial Hubble. Son zoom surpuissant se focalise sur l’astre solaire, nous distinguons alors, flottant à sa proximité, un très grand objet de forme ovoïde, que la voix off décrit nettement comme un objet volant non identifié. Alors que le télescope entame un zoom sur l’OVNI, une sphère scintillante s’en échappe soudainement. Cette apparition entraîne des perturbations au niveau des images que nous délivre Hubble, leur qualité en étant dégradée.

    Le satellite suit cependant de près l’évolution de la forme sphérique lumineuse, préférant se détacher du premier objet volant non identifié qui peu à peu devient d’abord transparent avant de n’être plus visible de l’œil nu.

    Selon les premières mesures, la sphère possède les dimensions - à l’échelle humaine - d’un ballon de football et son aspect et sa teinte sont proches du mercure. Elle est entourée d’un halo lumineux et, dans un premier temps, semble comme hésiter, se comportant tel un être vivant. Et puis, comme si elle avait repéré la planète bleue, elle commence à se mouvoir dans le but de l’atteindre, d’abord lentement, puis de plus en plus vite. Sa vélocité prend au dépourvu Hubble qui parvient tant bien que mal à la maintenir dans sa mire, réussissant à prendre des images de son arrivée sur la planète.

    Le frottement intense qui accompagne son entrée dans l’atmosphère terrestre lui donne durant un court instant l’aspect de la braise.

    La voix off nous apprend que c’est à cet instant qu’Hubble l’a perdue de vue, mais que les radars et autres télescopes terrestres ont aussitôt pris le relais.

    C’est ainsi que nous sûmes qu’elle choisit comme point de chute un pays d’Europe qui m’est cher : la France.

    Selon les premières estimations, son diamètre était d’environ soixante-dix centimètres au moment où elle se positionna en plein plateau du Larzac, statique, à deux mètres juste au-dessus d’un des monts de la région.

    Le rapport s’arrête là. Je rends, encore un peu remué, l’ordinateur portable à Pierre Devers.

    Celui-ci, après l’avoir remis à son subalterne, décide de nous raconter de vive voix la suite des évènements.

    — Nul ne sait d’où vient précisément cette sphère et, à vrai dire, les seuls qui semblaient l’attendre depuis toujours sont les illuminés criant à tue-tête que la fin du monde est proche. En fait, les seules certitudes que nous avons à son sujet sont davantage d’ordre physique que métaphysique. Nous savons son apparition associée à l’engin décrit dans le rapport, mais…

    Daniel le coupe.

    — Une attaque extraterrestre ?

    Le colonel soupire, agacé.

    — Ce serait un peu prématuré d’en arriver à cette première conclusion.

    L’Anglais insiste :

    — Attendez, nous voyons clairement sur votre rapport vidéo que cette chose a été projetée hors du premier objet, plus gros, ce ne peut être que…

    Pierre Devers s’agace, il envoie paître un soldat qui lui propose une cigarette, foudroie quasiment Daniel du regard, puis, préférant se recentrer sur la sphère, reprend :

    — Tout ce que nous savons précisément, c’est que c’est une forme lumineuse, sphérique, impalpable, car impossible à approcher. Les premiers à nous en fournir une description fidèle furent les bergers du Larzac, région semi-désertique située en Aveyron, dans le sud de la France. Ils entendirent une déflagration tandis que le ciel se mit à s’obscurcir au point que le soleil parut un instant incapable de rivaliser avec une simple lampe halogène. Ils la virent alors descendre de la voûte céleste tandis que les cieux reprenaient peu à peu leur teinte azurée. Cette forme vint donc se placer juste au-dessus d’un Puech du plateau du Larzac, pourquoi en cet endroit précis ? Nous ne le saurons sans doute jamais, cette zone étant, vous allez très vite savoir pourquoi, désormais impossible d’accès.

    Je sursaute, un cahot ramène mon esprit dans le quatre-quatre. Daniel boit littéralement les paroles de Pierre Devers et l’Anglais laisse clairement entrevoir son inquiétude. Le colonel ne s’en émeut guère et poursuit :

    — Pour répondre en partie à votre interrogation, monsieur Green, ni la sphère, ni même le premier engin ne correspondent aux descriptions d’OVNIS relevées un peu partout dans le monde. Les bergers que les soldats français ont interrogés ont révélé que leurs chiens avaient un comportement qui laissait supposer qu’elle émettait un son d’une fréquence trop élevée pour être audible d’une oreille humaine.

    Mais le plus inquiétant, messieurs, c’est que cette forme absorbait tout ce qui se trouvait à proximité !

    — Absorbait ? se permet d’interroger Daniel.

    — Oui, reprend Devers, les bergers ont fait l’expérience de jeter des morceaux de bois en sa direction : ces derniers ont disparu illico et le diamètre de la sphère a augmenté alors assez sensiblement. On aurait dit un aimant sphérique lumineux attirant en son centre toute la création. Les bêtes la fuyaient, mais nombreux ont été les témoins de l’absorption d’oiseaux et même de brebis qui bêlaient d’effroi au départ, avant de bizarrement se calmer arrivées au cœur du phénomène. C’est ce que l’on a pu constater tant qu’elles étaient à portée de regard.

    Pierre Devers ne s’arrête pas là et semble se lancer dans une surenchère en solo :

    — Des arbres, tels des sapins, des chênes majestueux ont été également absorbés.

    On a vu des rivières telles que le Tarn et la Dourbie sortir de leur lit et être littéralement aspirées comme à travers une paille en direction de la sphère. L’élément liquide lui-même n’échappe pas à la règle, vous vous en rendez compte ?

    Les militaires du camp du Larzac ont tenté la manière forte en usant de leurs lance-roquettes et de leurs grenades, espérant venir à bout de cette boule lumineuse. Mais ce qui s’est produit alors alla à l’inverse du phénomène de départ. Les projectiles furent comme figés à quelques centimètres de leur cible puis repoussés et enfin désintégrés dans un silence improbable.

    J’ai alors un très mauvais pressentiment et en fais indirectement part au militaire qui se tourne vers moi, son œil gris semblant pouvoir lire dans mon esprit.

    — Donc, si j’ai bien compris, cette chose est apparue en France, il y a dix jours. Elle absorbe les êtres vivants et grandit à vue d’œil, c’est bien ça ?

    — C’est exact, elle a aujourd’hui atteint un diamètre de plusieurs centaines de kilomètres.

    Mon estomac se noue à l’instant où j’ose poser la question qui me taraude depuis le début, redoutant la réponse.

    — Dites-moi ce qu’est devenue la France, monsieur Devers…

    La réponse du colonel est brutale :

    — La France a compté parmi les premiers pays à être rayés de la carte, Schimmer.

    Je me pince les lèvres. Daniel pose une main réconfortante sur mon épaule. J’ai une pensée pour mes proches.

    Pierre Devers, faisant fi de la tristesse qui se lit sur mon visage, rentre davantage dans les détails :

    — À l’époque, le président Chiraque refusa d’utiliser l’arme atomique, suivant les conseils avisés des scientifiques du CNRS et du CEA. Son homologue américain, le président George Push, initia une réunion de crise à laquelle il convia non seulement son état-major, mais également un groupe de sommités expertes en divers domaines scientifiques. Parmi eux, notamment, le jeune astrophysicien germano-brésilien Jürgen Zimmermann. Vous avez forcément dû entendre parler de lui, il a obtenu le prix Nobel de physique au nez et à la barbe de Riccardo Giacconni, physicien réputé. Allons, son nom ne vous dit vraiment rien du tout ?

    Devant ma totale ignorance, le militaire n’insiste pas et poursuit sa palabre :

    — Zimmermann émit l’hypothèse que notre planète avait affaire à une entité cosmique émettrice d’une forme de rayons encore inconnue jusque-là. Il nota, selon les premiers rapports français, que seule la surface de la planète était concernée. Le phénomène ne creusait nullement le sol ou les reliefs, épargnant toute vie se trouvant sous terre ou logée dans les grottes, crevasses et autres interstices naturels.

    À cela, vint s’ajouter une information relatée par un cameraman de France Télévisions.

    Ce dernier se trouvait à Roquefort-sur-Soulzon alors que la sphère, ayant considérablement pris du volume, absorbait le village. Il vit une chose étrange : un camion frigorifique était renversé sur le côté et se désintégrait assez lentement. Pendant quelques secondes, il sembla que son container, encore gelé, résista. La créature de lumière eut toutes les peines du monde à en venir à bout, comme anesthésiée par le froid.

    Jürgen Zimmermann émit dès lors une seconde hypothèse : la sphère cosmique redoutait les basses températures.

    Le président Push décida alors en premier lieu, et avant de tenter quoi que ce soit contre elle, de protéger ses concitoyens.

    Il affréta un grand nombre d’avions militaires et réquisitionna la flotte civile afin de déplacer un maximum d’Américains le plus loin de la menace. La destination la plus sûre fut toute trouvée : l’Alaska. Les autres nations finirent par emboîter le pas aux Américains et durant les mois qui suivirent, le quarante-neuvième État américain et le Groenland devinrent la terre promise de nombreux exilés.

    Les peuplades inuites furent stupéfaites devant ces processions de caravanes de réfugiés traversant le désert glacé, fuyant une mort certaine.

    Le ciel arctique fut, lui, zébré des traces laissées par les turbines et autres réacteurs des avions convergeant tous vers le même point de salut. À leurs bords, des représentants de toutes les nations répartis de manière hétéroclite. Mais la plus imposante partie de la population mondiale préféra se terrer dans des grottes, de vieux bunkers, vestiges des grandes guerres, ou encore dans des abris anti atomiques pour les plus fortunés.

    Le colonel arrête là ses explications.

    Daniel et moi avions pris l’habitude de totalement nous couper du monde lors de nos missions. Aucun téléviseur, aucune radio, aucun média n’étaient à notre disposition.

    Tout ce que vient de nous révéler Devers est tellement surréaliste que nous prenons conscience de l’isolement absolu dans lequel nous nous étions plongés ces dernières semaines.

    Un peu plus de six milliards de terriens préoccupés par l’arrivée d’une sphère cosmique et, parmi eux, deux andouilles occupées à extraire des carottes glacières en Russie…

    LA TOUR DE BABEL

    Nous sommes le 03 octobre 2003.

    Le puissant Tigre et son escorte armée ont roulé durant deux jours. Nous n’avons pu nous nourrir et satisfaire à certains besoins naturels que lors du ravitaillement des véhicules en carburant.

    Nous sommes, Daniel et moi, sales, harassés et un peu sur les nerfs. Quand mon ami maugrée que nous aurions pu prendre l’avion, Pierre Devers lui rappelle, laconique, que la majeure partie de la flotte aérienne mondiale a été réquisitionnée. L’Anglais, hagard, n’insiste pas.

    Nous quittons les véhicules à l’habitacle surchauffé presque à contrecœur.

    J’étire mon corps engourdi et lutte pour conserver mes paupières ouvertes. Pour ne rien arranger, un violent blizzard s’est levé, il nous agresse, de dépit, je pousse un juron.

    Un soldat tend une paire de lunettes de ski à chacun d’entre nous, je m’empresse de les enfiler par-dessus ma cagoule, puis rabats ma parka.

    Où sommes-nous ? Je tente de percevoir à travers la fine neige soulevée par le vent un quelconque bâtiment militaire, mais bien entendu, ma vision n’est pas optimale. Daniel vient se placer à côté de moi, après avoir tourné la tête dans plusieurs directions, il se fige, le regard levé en direction du ciel, bouche bée.

    Interloqué, je lève à mon tour les yeux vers ce qui stupéfait le Britannique et suis alors frappé par ce que je vois.

    Une tour de plusieurs mètres de haut.

    Elle semble défier les éléments déchaînés tel un phare perdu en pleine mer. Peu à peu, la polarisation de mes lunettes aidant, mes yeux s’habituent à la blancheur quasi luminescente et je me rends compte que d’autres tours, plus petites, se trouvent dans l’alignement de celle-ci.

    — Qu’est-ce que c’est ? demande Daniel à Pierre Devers.

    — Nous n’avons pas le temps ! lui répond sèchement le colonel, Veuillez me suivre, toutes vos questions trouveront réponse en temps et en heure !

    Encadrés par les soldats, nous progressons à l’écart de la route sur une centaine de mètres à travers les conifères vêtus de blanc. Devers nous précède en nous imposant un rythme que nous avons énormément de mal à soutenir, Daniel y va de son « bullshit ».

    Le colonel s’arrête dans une clairière nous enjoignant à faire de même. Ses subalternes et lui scrutent les alentours, attentifs à la moindre présence indésirable, puis le haut gradé se met à parler dans le col de sa parka. Je devine qu’un discret micro est fixé à celui-ci.

    Le vent couvre sa voix, mais je reconnais la langue de Shakespeare.

    Aussitôt, au sol, des diodes s’illuminent, formant un rectangle parfait. Sa surface est plane et ses dimensions sont à peu près celles d’un terrain de handball.

    Dans un grondement sourd, le rectangle s’élève lentement à hauteur d’homme puis bascule en arrière. Daniel, titillé par la curiosité, fait un pas en avant, mais est vite maintenu par un soldat.

    Après avoir échangé deux mots avec l’interlocuteur se trouvant au bout du micro, Pierre Devers nous invite à franchir le passage mis à découvert, non sans nous avoir au préalable communiqué consignes et avertissements.

    — Ne touchez à rien, ne vous adressez à personne, ne me posez aucune question. Je vais vous conduire à vos quartiers où vous pourrez vous nourrir et vous laver si vous le désirez. Attention, l’eau et la nourriture sont rationnées, n’en abusez pas. Ne quittez votre chambre sous aucun prétexte, attendez patiemment que l’on vienne vous chercher.

    Mon médecin et moi-même nous regardons d’un air perplexe avant d’opiner du chef à l’attention du colonel.

    Celui-ci hoche la tête puis nous progressons à travers le passage.

    Nous sommes dans un tunnel éclairé par des diodes de couleur verte placées au sol et au plafond. Un léger frisson me traverse lorsque je fais un parallèle entre ce tunnel et le couloir séparant le condamné à mort de la chaise électrique dans un roman de Stephen King.

    La ligne verte, le couloir de la mort.

    Plus nous avançons et plus les sons se font nets, il y a une forte activité tout au bout de cette ligne.

    Pierre Devers se tourne vers nous.

    — Rappelez-vous ! Pas un traître mot ! Compris ?

    Je mime le geste de zipper ma bouche et lui adresse un clin d’œil.

    Il ne semble guère apprécier mais ne fait aucun commentaire.

    Il indique en anglais via son micro, certainement aux soldats restés en faction à l’extérieur qu’ils peuvent rentrer les véhicules à la base en empruntant une porte qu’il nomme la « porte C ».

    Nous débouchons sur une salle immense où des hommes s’activent, les uns à décharger des caisses, les autres à guider des véhicules militaires puissamment armés. Je devine même, sous une bâche, un petit avion.

    Tous ces hommes et ces femmes s’expriment dans des langues différentes, je reconnais de l’anglais, du russe, de l’italien et même du français. C’est à se demander si l’immense tour que nous avons vue à la surface n’est pas la tristement célèbre tour de Babel. Nous sommes des abeilles parmi d’autres dans cet immense essaim, nul ne nous porte attention. Je me tourne vers le colonel afin de lui poser une question, mais son froncement de sourcil suffit à m’en dissuader.

    Nous traversons presque au pas de course l’immense salle, toujours encadrés par les soldats.

    Au bout d’un moment, sentant mon corps se liquéfier sous l’effet de la chaleur, j’ouvre ma parka, imité par Daniel, rouge comme une tomate.

    Plus nous nous rapprochons du fond de la salle et plus la température s’accroît, je l’estime proche des trente degrés. Cette chaleur est très certainement causée par les nombreuses machines-outils qui s’activent tout autour de nous, davantage que par le chauffage central.

    Nous stoppons net face à un mur à trois ouvertures en arc de cercle. Chacune est prolongée par un couloir fortement éclairé dont il nous est impossible pour le moment de voir où il débouche.

    Au-dessus de chacune de ces entrées est inscrit un mot en alphabet cyrillique. Je suis un peu frustré de ne pouvoir lire le russe, cela ne fait qu’attiser ma curiosité.

    Des soldats surgissent du couloir de droite en marchant au pas et en entonnant un chant dans une langue aux accents slaves, probablement un chant guerrier.

    Ils s’arrêtent, saluent le colonel puis reprennent leur marche.

    Ne relevant pas, Devers indique à notre garde rapprochée qu’elle peut disposer. Les militaires du rang saluent à leur tour le colonel puis nous laissent en empruntant le couloir d’où est apparue la petite troupe chantante.

    Je devine que celui-ci doit certainement mener aux quartiers où sont logés les soldats.

    Le colonel jette un œil à sa montre-bracelet puis a une moue dubitative, il marmonne.

    Nous entendons des pas venant de l’ouverture de gauche, quelqu’un semble courir à toute vitesse. L’individu qui apparaît alors nous semble totalement étrange, son physique atypique jurerait presque avec celui des autres personnes présentes.

    C’est un grand brun basané avec des dreadlocks tombant jusqu’à ses épaules, portant moustache et bouc. Il se présente à nous, tout haletant :

    — Bonjour ! Je m’appelle Benjamin Mokoena ! « Ben » pour les intimes ! Je suis un peu en retard, veuillez m’excuser.

    Devers s’apprête à lui faire une remontrance, mais Benjamin coupe court à toute intervention verbale :

    — Non Pierre, ne commence pas ! Tu sais comment ça se passe en bas ! Nos chefs sont tous sur le qui-vive, ça n’arrête pas depuis hier mon vieux ! J’étais le seul intendant encore disponible et encore, je n’ai été mis au courant de l’arrivée de Schimmer qu’aujourd’hui ! J’ai dû lui dégoter une chambre et…mais qui est ce monsieur ?

    C’est de Daniel dont il s’agit.

    Le colonel, après avoir jeté un coup d’œil au Britannique, hausse les épaules.

    — C’est le médecin personnel de Schimmer, il m’a fait tout un flan pour qu’il l’accompagne. Enfin je pense que Shangri-La est suffisamment grande pour que…

    — Ha ! Ça c’est bien vous les militaires ! Je vais devoir trouver à le loger celui-là ! Tssss ! Ne crois pas que ce soit aussi simple ! Nous recevons de plus en plus de personnalités, c’est infernal ! On est obligé de trier les arrivants sur le volet !

    Je tente de justifier la présence de Daniel ici, mais Devers me fait signe de me taire…il m’agace.

    Le grand échalas m’indique qu’il est l’intendant de ma future équipe et qu’il va dans un premier temps nous conduire à nos chambres. Il annonce cependant à Daniel qu’il aura certainement droit pour ce soir à une chambre de bonne…le « bullshit » consécutif à cette annonce est assez sonore…

    Le colonel prend congé sans même nous saluer, je pense que la dernière fois qu’il a dû sourire à quelqu’un, même sourire tout court, il devait porter des couches-culottes…et encore cela devait être un rictus causé par une remontée gastrique.

    — Ne faites pas attention à Pierre, il est un peu rustre, mais très gentil croyez-moi, nous dit Ben, suivez-moi et faites attention à la marche.

    Daniel nous gratifie d’un nouveau « bullshit » au moment où il s’étale de tout son long. Ben s’il a la décence de ne pas en rajouter, affiche tout de même un sourire moqueur en voyant le visage grognon de mon infortuné ami.

    Nous empruntons donc le couloir de gauche, quelque peu pressés de nous poser, enfin ! J’ai encore le dos tout endolori, conséquence d’un périple à bord d’un véhicule non conçu pour les voyages touristiques. Tout en nous guidant, Ben nous explique où nous sommes.

    — Je suppose que Pierre ne vous a pas du tout dit où vous vous trouviez n’est-ce pas ? Ha, il faut toujours qu’il en rajoute…ou qu’il n’en dise que la moitié ! Vous savez il s’est donné corps et âme pour son pays et cette abnégation lui a coûté un œil. Il s’est, depuis, quelque peu enfermé sur lui-même, mais il a un très bon fond, je le répète. Tant que j’y pense, sachez qu’ici il est de bon ton d’indiquer sa nationalité.

    Ben nous apprend qu’il est sud-africain et se présente comme un véritable scientifique…de l’intendance.

    Cuisinier à ses heures perdues, il a pour habitude de ne consommer que sa propre cuisine. Il a, entre autres justement, à sa charge la gestion des denrées. Originaire d’un township de Durban, il ne jure que par le football, considérant le rugby comme un sport statique et soporifique au possible.

    Cette dernière remarque arrache un « bullshit » à Daniel qui, lui, est féru du sport de voyous joué par des gentlemen. Après avoir clairement signifié au Sud-Africain qu’il est Anglais et fier de l’être, il s’autorise à traiter les footballeurs de pleureuses, tout juste bonnes à aplanir le gazon à force de roulades au moindre contact !

    Ben répond à cette attaque par un rire sonore. Il affiche ensuite un large sourire puis dit à mon médecin :

    — Toi, tu vas me plaire bru¹ !

    Le couloir débouche sur une large pièce rectangulaire, éclairée comme en plein jour et encadrée de murs d’une hauteur considérable.

    Dans celui situé juste en face de nous est logé un imposant monte-charge. Les murs latéraux, eux, sont parcourus par des escaliers métalliques donnant accès à des portes, des chambres sans aucun doute. Je dénombre une cinquantaine de ces logements dont je devine qu’ils sont cossus. Un numéro est inscrit sur chaque porte et après la ligne verte, j’ai l’impression de me trouver dans un pénitencier.

    Alors que j’étudie le lieu, les portes du monte-charge s’ouvrent, faisant apparaître une demoiselle rousse, vêtue d’un tablier et poussant un chariot sur lequel sont empilés des draps propres. Elle s’avance de plusieurs mètres sans nous voir et, au bout d’un moment, ayant considéré les lieux, elle peste et décide de rebrousser chemin.

    Après nous avoir fait un clin d’œil, Ben se glisse discrètement derrière elle, puis tire sur l’un des lacets du nœud retenant son tablier, lui arrachant un petit cri.

    — Ben !!!! se met-elle à hurler tandis que le Sud-Africain, hilare, lui dit :

    — Hé oui ! Je sais, je suis incorrigible, mais toi tu n’as rien à faire dans ce secteur, Aslinn !

    — Ho ça va ! Je me suis encore perdue dans ce labyrinthe, c’est votre monte-charge là ! Il n’en fait qu’à sa tête !

    — Mais oui, mais oui, trouve des excuses ! répond Ben toujours moqueur.

    — Ho et puis va te faire voir, lui répond Aslinn en tournant les talons.

    — C’est toujours un plaisir d’échanger avec toi ma belle ! rétorque notre intendant.

    Dès que la jeune femme disparaît derrière les portes du monte-charge, Ben nous explique qu’elle est l’une des femmes de ménage au service de nos dirigeants. Il précise :

    — Bien que nous soyons plus ou moins logés à la même enseigne, certains de nos responsables ont réclamé un service d’entretien des chambres. Aslinn est une Irlandaise quelque peu étourdie, elle se trompe souvent d’étage ou de couloir, le gage est qu’à chaque fois je dois lui défaire le nœud de son tablier ! C’est la troisième fois cette semaine ! Ne me regardez pas comme ça, je ne suis pas macho ! Juste peut-être un peu à cheval sur certains principes, non ?

    Devant notre moue, davantage liée à la fatigue qu’à ce qu’il vient de dire, Ben Mokoena se pince les lèvres, gêné. Il se retourne, fronce les sourcils, puis soliloquant il dit :

    — Alors, nous disons…Patrick Schimmer, chambre numéro sept cent dix. Troisième niveau gauche. C’est par là, il te suffit de suivre la numérotation des portes. Je ne t’accompagne pas ?

    Bien qu’il se soit déjà adressé à Daniel par le tutoiement, je suis pris de court par le fait qu’il l’emploie à mon égard. Cela fait tout de même deux jours que je suis soumis aux protocoles militaires, rigoureux, prônant l’emploi du vouvoiement. Je souris, il me rend mon sourire. Dès cet instant, je me doute que nous allons bien nous entendre.

    — Je vais me débrouiller, merci, lui dis-je.

    Il hoche la tête.

    — Parfait ! Ne te fie pas à l’extérieur, les pièces sont spacieuses et en tant que VIP tu auras tout le confort possible.

    — Moi ? VIP ?

    — Absolument, en tout cas, c’est comme cela que tu as été annoncé.

    J’ai un mouvement

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