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Résurgences
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Livre électronique394 pages5 heures

Résurgences

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À propos de ce livre électronique

Cinq années se sont écoulées depuis les événements qui ont vu une sphère lumineuse s'étendre à la surface de notre planète.
Retiré dans le sud de la France, Patrick Schimmer coule désormais des jours paisibles auprès des siens.
Mais, alors que la Terre panse encore ses dernières plaies, ses habitants doivent faire face à un péril imminent..
Surgie de nulle part, une pyramide céleste gigantesque menace d'éradiquer toute l'espèce humaine.
Sa famille enlevée, Patrick se retrouve très vite entraîné dans un conflit qui décidera du sort de notre monde.
Aidé par les Zheenons, il ira de surprise en surprise jusqu'à découvrir l'identité de ses agresseurs.
Nombre de ses interrogations trouveront alors une réponse.

LangueFrançais
ÉditeurJohn Renmann
Date de sortie1 juil. 2019
ISBN9782955167274
Résurgences

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    Aperçu du livre

    Résurgences - John Renmann

    DES NOUVELLES DE LA PATIENTE

    Quelque part, sur les côtes de Normandie.

    Il n’a rien perdu de sa majesté.

    Il n’a pas été dévoré par la sphère et ça, je ne me l’explique pas.

    Je sens mon corps s’enfoncer lentement dans le sable et me déplace rapidement sur le côté avant d’être pris au piège.

    Un petit village apparaît au loin, ses maisons sont rondes et s’exhibent telles des boules de sable posées au bord de l’eau.

    L’architecture, zheenone, s’adapte à tous types de conditions climatiques. Ici, l’aspect sphérique des bâtisses offre une faible résistance au vent et à la marée, en revanche, dans le sud du pays, c’est davantage le style pyramidal qui prévaut.

    J’observe le fragment d’Azurito, puis ouvre mon esprit, ressentant la vie qui palpite en lui. Dans quelques minutes, nous irons le remettre à Elaël comme promis. Un tel objet n’a rien à faire dans les mains de l’humble mortel que je suis, je le place cependant dans la poche de ma veste comme s’il s’agissait d’un vulgaire paquet de chewing-gums.

    Il fait doux, les rayons du soleil m’éblouissent. La mer est agitée, j’entends les goélands se chamailler, comme du temps où les chalutiers revenaient du large, les filets remplis de sardines.

    Comme du temps où des embarcations de tous types polluaient les flots bleus.

    Comme du temps où de puissants aéronefs souillaient la voûte céleste.

    Il se tient debout là, face à moi. Chacune de ses pierres est intacte, pas une n’a été effacée ni même altérée. Je n’en reviens pas.

    « Patrick ? »

    Je sursaute. La voix est forte, mais nullement agressive.

    « Oui ? »

    — Tu te tiens sur ma tête.

    — Oh ! Excuse-moi !

    Confus, je me déplace à nouveau sur le côté, mon pied droit s’enfonce d’une dizaine de centimètres dans le sol meuble et je manque de chuter.

    Les sables mouvants s’agitent juste à l’endroit où je me trouvais, décrivant un cercle concentrique d’où émerge un visage familier. Peu à peu, son propriétaire se dévoile, s’extrayant du sol telle une plante dont la croissance serait accélérée et qui pousserait à vue d’œil.

    L’être culmine à près de deux mètres quatre-vingt-dix et correspond parfaitement à ce que nous, Terriens, appelons une « armoire à glace ».

    Son visage gris est dépourvu de nez et de lèvre supérieure, ce qui donne un aspect étrange à son sourire malicieux. Son regard croise le mien, révélant des yeux profilés sertis d’un iris argenté au beau milieu d’une cornée noire.

    Le sable, vivant, court le long de sa combinaison tandis qu’il tourne la tête en direction de la mer.

    Sa tempe est frappée d’un tatouage, le blason propre à chaque Zheenon, l’aparama. Le sien représente un savros, reptile zheenon symbole de l’élément solide.

    Asthenos, Ah’mad de la matière, se frotte le crâne, feignant d’avoir des douleurs là où je me tenais encore à pieds joints il y a quelques secondes.

    Mon sourire gêné l’amuse et il éclate d’un rire télépathique.

    « Alors ? Comment va-t-elle ? »

    J’ai posé cette question comme si je souhaitais m’enquérir de la santé d’une vieille amie. Le géant jette à nouveau un regard vers l’océan avant de me répondre mentalement :

    « Elle se porte comme un charme ! »

    — Tu ne t’es toujours pas décidé à user de tes cordes vocales ?

    — Je préfère laisser ce jeu aux facétieux Arthos et Rhadamantis .

    L’évocation de l’Ah’mad du feu me ramène une poignée d’années en arrière. Notre rencontre fut un malentendu, mais je compris, plus tard, que je ne devais jamais me fier aux apparences.

    « Des Kallistiens ont contribué à sa construction. »

    Je reviens sur Terre.

    « Pardon ? »

    — Des Kallistiens sont à l’origine de ses fondations.

    — Mais, de quoi parles-tu ?

    — Tu te demandais, à propos du Mont, pourquoi il avait résisté aux effets de l’Hypnos. Eh bien, c’est le rayonnement aurique qui l’en a préservé. Sa pierre en est imprégnée.

    Je me focalise sur le mont Saint-Michel, bâillonnant toutes pensées, faisant le vide dans mon esprit jusqu’à ce que ma vision physique se brouille, évincée par la vision aurique.

    Asthenos dit vrai, l’îlot rocheux dans son intégralité irradie d’une aura dorée, depuis les sables l’entourant sur un bon kilomètre, jusqu’à la statue de l’ange Saint Michel ornant son abbaye.

    « Vois-tu ? »

    — Oui, c’est incroyable ! Quelle beauté…

    L’Ah’mad sourit.

    « Je me suis connecté au noyau central de Zheeno, les vibrations de son aura sont douces, mais… »

    — Mais ?

    — Son pouls est bien trop régulier, cela signifie que la planète dort.

    — Elle dort ? Mais en quoi cela serait préoccupant ?

    Mais Asthenos n’a guère le temps de me répondre. La mer derrière nous s’écarte à grand fracas. La manière avec laquelle les eaux se redressent de part et d’autre d’une voie centrale me rappelle un célèbre passage biblique.

    « Vous traverserez à pied sec » ne puis-je m’empêcher de murmurer.

    Un être se déplace au beau milieu de la baie partiellement dénudée, caressant de ses mains les rideaux liquides qui dansent à son contact.

    La mer se referme progressivement sur son passage, obéissant à un ordre mental. Arrivé à quelques mètres de moi, Marinos, Ah’mad de l’élément liquide, nous salue d’un hochement de tête.

    Sa tempe arbore un aparama en forme de goutte d’eau, légèrement illuminé, conséquence de l’utilisation de son pouvoir.

    Il jette un regard au Mont puis sollicite un entretien télépathique.

    « Elle est endormie » dit-il

    — J’ai fait le même constat, lui répond Asthenos

    — Mais est-ce que cela a vraiment de l’importance ? Ne puis-je m’empêcher de demander.

    — Oui. Une planète qui dort rêve, et ses rêves peuvent être agités, très agités. En ces moments, elle réagit parfois un peu trop vivement dans son sommeil, comme le ferait un Humain plongé dans le sien.

    Comme pour illustrer les mots prononcés par le Zheenon, le vent se lève brusquement, soulevant du sable dont les grains viennent se loger dans mes yeux. Je peste, perdant le lien télépathique.

    Lorsque je le récupère, je ne saisis que les derniers mots prononcés par Marinos :

    « …Kallisto. Elaël veut mener une quête. »

    Gêné, je n’ose demander à mes amis de reprendre la conversation et feins de ne pas en avoir perdu le fil, mais ils ne sont guère dupes.

    « Nous disions que nous devons nous rendre sur Kallisto. Elaël veut mener une quête. Il souhaite retrouver l’Azurito. »

    Je ne suis pas étonné et le fais savoir :

    « Cela fait des mois qu’il en parle. Je crains que cette quête ne l’obsède au point qu’il délaisse les affaires de la cité. »

    — Non, Elaël est sage. Il souhaite retrouver la pierre bleue, car elle fait partie intégrante, selon lui, de la cité des airs.

    — La pierre est encore bien plus que cela. Elle fait partie intégrante de notre planète.

    À nouveau, le vent se lève. Son souffle se promène à travers les artères du mont Saint-Michel, le faisant murmurer. J’y vois un signe.

    « Nous devons y aller. »

    Oui, me répond Marinos, nous allons, Asthenos et moi, sur Kallisto. Nous devons rendre compte de l’état de santé de Gaïa à son Primo-Servant.

    — Je vous rejoindrai. Mais je dois d’abord me rendre chez moi, prendre des nouvelles de mes proches.

    — Nous t’attendrons.

    Asthenos a un mouvement de la main. À quelques mètres face à lui, le sable se met à danser. Les grains tourbillonnent lentement tout en s’écartant, révélant progressivement une forme arrondie.

    Sa surface est dallée de pierres sombres sur lesquelles sont gravés des symboles zheenons.

    Le Ceciderum , très ancien, est directement lié à la cité de Kallisto. Asthenos et Marinos viennent se placer en son centre. Il m’était de toute façon impossible de les accompagner. Le téléporteur antique ne supporte, en effet, que deux passagers.

    L’Ah’mad de l’eau m’adresse un signe de la main.

    — Au fait. Te souviens-tu de la folie de la rivière ?

    — Pardon ?

    — Tu nous as parlé d’une polémique ancienne relative au mont.

    — Ha oui, c’est exact. Les Bretons et les Normands se disputent sa paternité, mais un vieil adage dit « Le Couesnon dans sa folie a mis le mont en Normandie. »

    Marinos sourit, puis me dit.

    « C’est inexact. Le Couesnon n’était pas fou lorsqu’il a fait son choix. Foi d’Ah’mad de l’eau ! »

    Son sourire s’étire davantage face à mon air hébété.

    Les pierres du Ceciderum s’illuminent, je plisse les yeux, ébloui. Les corps des Zheenons se désintègrent sans un bruit. Le terme « désintègrent » n’est pas tout à fait adéquat, je sais qu’ils ont simplement été transportés sur la Grand-Place de Kallisto. Et quand je dis simplement, j’use d’un bien beau raccourci.

    Qu’a bien voulu dire Marinos au sujet du Couesnon ? Peu m’importe, je vais très certainement le savoir assez vite.

    Machinalement, mon pouce triture l’anneau qu’arbore mon annulaire. Mon alliance me renvoie l’image de mon épouse, je souris et décide de lui rendre une petite visite.

    Dans un premier temps, je ferme les yeux afin de faciliter ma concentration.

    Dans un second temps je vide mon esprit de ses pensées plus ou moins parasites.

    Une douce sensation de légèreté m’envahit et, petit à petit, je sens mon corps s’alléger, s’effacer. Mon âme délestée de son enveloppe physique se projette vers ma demeure située à plusieurs centaines de kilomètres, au sud.

    La pyramide de lapis-lazuli, érigée par Asthenos en personne, vit et respire. Elle reconnaît ma signature aurique et fait vibrer son énergie à mon passage.

    Sedna, ma jolie Yupik, est assise dans le fauteuil du salon, les mains posées sur son ventre rond. Elle porte une robe ample. Sa chevelure couleur nuit profonde est constellée de motifs semblables à des flocons de neige. Ils sont apparus lors de sa confrontation avec Kharon, tandis que se révélaient ses pouvoirs latents.

    Mon épouse somnole puis a un léger frisson qui lui fait ouvrir les yeux. Elle tourne la tête dans ma direction en souriant.

    « Monsieur Schimmer ! Que nous vaut donc l’honneur de votre visite ? »

    — Je tenais simplement à m’enquérir de vous, ma mie.

    — J’en suis fort aise, mais vous auriez pu prendre le temps de vous essuyer les pieds sur le paillasson avant de pénétrer les lieux.

    — Je crains que ma personne ne soit suffisamment matérialisée pour parvenir à remplir cette fonction !

    Nous partons dans un fou rire.

    Les évènements de la sphère nous ont énormément rapproché Sedna et moi. L’éveil de nos pouvoirs, profondément enfouis, s’est réalisé quand nous avons, ensemble, vécu certaines de nos vies antérieures.

    J’ai d’abord été loup et elle ma louve, tuée par un trappeur.

    Puis je fus l’esclave noir dont elle s’enamoura dans la Louisiane française.

    Je me suis même retrouvé dans la peau d’une femme américaine durant la Première Guerre mondiale et elle fut mon époux, mort au combat.

    J’ignore, en revanche, le nombre de vies que nous avons dû partager avant de nous retrouver dans celle-ci. Mais notre mariage sonnait, pour tous, comme une évidence.

    Mon épouse a perçu ma présence dès le franchissement des barricades auriques de notre demeure et a entamé cet échange télépathique plutôt burlesque.

    Un fracas dans la cuisine suivi d’un « Bullshit ! » sonore me signale la présence de Daniel, le médecin de la famille.

    Le petit anglais moustachu déboule dans le séjour en courant. Il stoppe brutalement sa course en glissant sur les talons, moulinant des bras pour conserver son équilibre.

    « Bloody hell ! »

    Sedna rit de plus belle.

    Daniel a les joues empourprées et tente difficilement de reprendre son souffle.

    « Voyons Danny, que se passe-t-il ? J’espère que tu n’as rien cassé de valeur cette fois ! »

    — Non, enfin si, juste un mug particulièrement laid ! Certainement une babiole appartenant à Patrick !

    — Hi hi, fais attention à ce que tu dis, il est là !

    Le petit homme sursaute et tourne sur lui-même, à ma recherche, mais finit par comprendre.

    « Oh ! Il s’est projeté ici ! Le filou ! Ce n’est pas du jeu Pat ! Je déteste quand tu fais ça ! »

    — Et moi je déteste quand tu touches à mes affaires !

    — Ah non ! Ne parle pas dans ma tête maintenant ! J’ai l’impression de devenir fou à chaque fois !

    — Patrick, cesse d’embêter notre médecin adoré, tu sais qu’il est allergique à la télépathie.

    — Allergique ? Complètement retors oui ! Il n’a jamais voulu que je lui enseigne.

    — Il n’avait pas nos prédispositions, tu le sais.

    — Ok, ok, je n’insiste pas.

    Daniel porte les mains à ses oreilles, croyant à tort que ce geste va l’empêcher de m’entendre.

    « Bullshit ! Vous allez finir par me tuer tous les deux ! »

    Sedna lève les yeux au ciel en soupirant, le sourire aux lèvres.

    « Je t’ai entendu rire et j’ai cru que c’était le moment ! J’ai donc lâché tout ce que j’avais dans les mains pour venir t’aider ! » dit le petit anglais.

    — Tu sais, mon cher Danny, je connais peu de femmes qui rient lorsque le moment arrive. Souviens-toi ce qu’il en était lorsque notre puce est venue au monde.

    C’est le moment que choisit ma fille pour débouler dans la pièce, une peluche à l’effigie d’un Zheenon dans la main et une sucette dans l’autre. Nemia est le portrait craché de sa mère, une mini Sedna avec le même tempérament.

    « Ça y’est maman ? Les jumeaux vont arriver ? »

    Daniel et Sedna éclatent de rire. Notre fille, boudeuse, vient poser sa tête contre le ventre de sa maman.

    « Pfff…je ne les entends pas ! Ils dorment ? »

    — Hi hi, peut-être, ma chérie. Mais tu sais, on ne peut pas les entendre.

    — Ben si, la dernière fois, ils se parlaient ! Toi tu dormais et tu ne les entendais pas, alors je leur ai demandé de se taire !

    — Que racontes-tu ma chérie ?

    — Ho ? Tu es là papa ?

    Sedna écarquille les yeux. La surprise me fait presque perdre le lien avec la demeure.

    « Tu vois ton papa ? »

    — Ben oui, il est là.

    Notre puce pointe son petit doigt potelé juste à l’endroit où mon corps astral se trouve. Je suis abasourdi.

    « Bonjour papa ! Ça se passe bien ton voyage ? Les Zinons ont été gentils ? »

    — On dit Zheenons, ma chérie, mais tu vois ton papa ? Tu en es sûre ?

    — Ben oui, enfin, pas très bien, car il est un petit peu flou.

    Daniel et Sedna s’observent mutuellement.

    « Il faudrait en parler à Choros quand il sera là. » préconise l’anglais.

    Nemia fronce les sourcils.

    « Pourquoi ? Je ne suis pas malade moi ! »

    — Non, tu n’es pas malade, mon cœur, au contraire, tu nous épates ! lui dit Sedna

    — Incroyable ! Ce n’était encore jamais arrivé.

    — Non, Pat, mais les Zheenons nous avaient dit qu’elle avait une aura forte. Je crois qu’elle commence à manifester des signes d’ouverture de l’esprit.

    — Je n’aurais pas cru que cela arrive aussi tôt, elle est encore si jeune…

    — Elle tient de ses parents et vous avez tous deux développé des pouvoirs immenses, donc à mon humble avis…

    Excédée, Sedna coupe Daniel.

    « Nous aviserons Choros et les siens en temps et en heure ! »

    — N’insiste pas, Danny, quand mon épouse a une idée en tête…

    — Je t’ai entendu, Patrick !

    — Chérie, notre fille grandit, ses pouvoirs avec, rien ne nous dit que cela ne lui sera pas néfaste à court terme.

    — Nous en avons déjà parlé ! Et puis, quoi qu’il arrive, je sais qu’elle est entre de bonnes mains…

    Mon épouse tire sur une chaîne argentée qu’elle porte autour du cou, délogeant un médaillon en ivoire.

    « Ho, le bijou de papy ! » s’exclame notre fille.

    Sedna porte à ses lèvres le pendentif. Elle embrasse le narval et la lune qui y sont gravés avant de lâcher dans un souffle :

    — Oui, le bijou de mon père…

    J’ai un pincement au cœur, avec le médaillon émerge un souvenir douloureux.

    Alors que la mort me berçait lentement, Sedna m’a embrassé et son amour m’a raccroché à la vie.

    Mais, si je lui ai avoué avoir vu défiler nos vies antérieures, j’ai omis avoir plongé dans ses souvenirs les plus profonds.

    Ma tendre moitié, enfant, a été victime d’un accident, une chute dans les eaux glaciales de l’Arctique qui a profondément altéré son aura, la rendant invisible aux êtres sensibles à l’énergie spirituelle.

    J’ai vécu cet évènement dans sa peau, à travers ses yeux, ses émotions, ses sensations.

    J’ai vu ce qu’elle a elle-même vu, petite, alors que l’océan la happait dans ses profondeurs abyssales.

    Un être fabuleux l’a serrée dans ses bras avant de la ramener à la surface, la sauvant non seulement de la noyade, mais préservant son corps de la fatale morsure du froid.

    Son père prétendra jusqu’à sa propre mort que c’est un narval qui a arraché sa fille des crocs de la divinité marine, mais je sais qu’il n’en est rien. C’est un Zheenon qui a sauvé mon épouse.

    Il m’a été impossible d’en parler à Sedna et même à aucun des autres Zheenons, j’ignore pour quelle raison. Peut-être n’ai-je pas voulu contrarier ma belle ? C’est, en effet, suite à cette mésaventure que son père décida de la nommer Sedna, du nom du personnage de la mythologie inuit à l’origine, malgré lui, de la naissance des animaux marins.

    Fait encore plus étrange, aucun de mes six amis Zheenons ne ressemble à celui que j’ai identifié dans le souvenir de ma femme.

    Qu’est-ce que cela veut dire ?

    Mon intuition me titille, me hurlant que je devrais en parler à Sedna, mais je l’envoie paître.

    « Tu rêves, Papa ? »

    Je plonge mon regard dans celui de Nemia. Elle a les yeux de sa mère, des yeux émeraude. La logique de la génétique m’échappe. Je souris en songeant au cours que m’a dispensé Daniel.

    Il m’expliquait pourquoi ma puce n’avait pas hérité de la couleur de mes yeux, marron, censée pourtant être dominante lors du processus d’hérédité. Une histoire d’allèles m’avait-il dit, j’avoue ne pas avoir tout saisi.

    Bien entendu, Danny s’était agacé et m’avait gentiment demandé de continuer à étudier les cailloux.

    « Oui, Papa rêve ma chérie, et tu es son rêve préféré ! »

    Nemia sourit, exhibant les jolies fossettes de ses joues serties de taches de rousseur.

    Elle repart dans le salon en emportant avec elle la peluche d’Arthos, son chouchou parmi les Zheenons.

    Ha…Nemia.Un an après sa venue au monde, Sedna a eu, dans son sommeil, la vision d’un loup immense qui tenait notre fille endormie dans sa gueule. Il ne lui faisait aucun mal, non, il la transportait paisiblement en un lieu inconnu peuplé d’arbres étranges.

    À son réveil, mon épouse décida de baptiser notre fille en hommage à un autre personnage de la mythologie inuit, le loup Nemiak.

    Une fois notre fille suffisamment éloignée, Sedna se tourne vers moi, le regard triste.

    « Je souhaite attendre encore un peu avant de la présenter à Choros. »

    — Oui, peut-être qu’Elaël voudra la voir également.

    — Le Primo-Servant ne quitte jamais son fief, cela signifie emmener notre fille sur Kallisto et donc, emprunter un ceciderum .

    — Il n’y a aucun risque, chérie.

    — Comment peux-tu en être sûr ? Regarde l’effet qu’ils ont sur toi !

    Elle marque un point. J’ai toujours détesté voyager via ceciderum .

    Lors de mon dernier transport, j’ai rendu mon petit-déjeuner, au grand dam d’Elaël qui n’a pas supporté de voir les symboles kallistiens du téléporteur antique souillés par le contenu de mon estomac.

    « Alors nous emprunterons la nef stellaire. »

    — À la rigueur.

    Choros nous a appris que si Nemia devait développer des dons (ce qui pour lui était une évidence) elle devrait apprendre à les maîtriser dès son plus jeune âge. Le risque est grand, en effet, qu’elle cause du tort à son entourage en ne sachant contrôler les premières manifestations de son pouvoir.

    Le hic, c'est que cet apprentissage serait dispensé une année entière, sans la moindre possibilité pour notre fille de voir ses parents. Une manière de lui apprendre le détachement émotionnel, nécessaire à la maîtrise complète de ses pouvoirs.

    Sedna entretient un lien très fort avec notre fille, l’idée de ne pas la voir durant douze longs mois la terrifie.

    Elle caresse doucement son ventre en grimaçant.

    « Houuuu, ils s’agitent. »

    — Tu vas bien ? Pas de contractions ? demande Daniel.

    — Ho non, à mon avis ils ne sont pas pressés de pointer le bout de leur nez, ces deux-là !

    — S’ils tiennent de leur père, ceci explique peut-être cela !

    — Pfff, Daniel va te faire f…

    Ma phrase demeurera inachevée.

    Une violente douleur me transperce le front, pile entre les sourcils.

    Sedna est la seule à percevoir mon trouble.

    « Qu’est-ce qui se passe ? Patrick ? »

    — Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? s’inquiète Daniel.

    Il m’est impossible de répondre à mes amis, la connexion télépathique est fortement perturbée.

    Je me sens brutalement tiré en arrière. Comme tracté par un câble relié à une formule 1 lancée à pleine vitesse.

    PAAAATrrrriiiiicckkk !!!

    La voix de mon épouse se perd dans le lointain alors que mon esprit traverse les murs de ma demeure. La pyramide azur s’éloigne de plus en plus vite tandis que la désagréable sensation de chute en arrière s’intensifie.

    Je traverse les montagnes, les forêts, les grottes sombres et profondes, effleure la surface des fleuves et des rivières sans avoir d’autre choix que de me laisser transporter.

    Lorsque mon esprit retrouve enfin mon corps physique, la douleur est encore plus intense.

    Je plaque mes paumes contre mon front et me mets à hurler, avalant le sable soulevé par la brise marine. Ma vision se brouille, puis plus rien.

    Je suis aveugle.

    Ne pas paniquer, se remémorer l’enseignement de Genos…

    Je respire à grande goulée et entame le processus de visualisation :

    Ma douleur est un pic-vert dont le bec s’acharne contre mon crâne. Je pose ma main sur l’oiseau téméraire et l’amène à se calmer.

    Cela fonctionne et peu à peu les vifs élancements s’estompent.

    J’ouvre lentement les yeux, pour constater avec horreur que je suis toujours plongé dans le noir.

    Ne panique pas…ne panique pas.

    Je secoue la tête puis porte machinalement les mains à mes yeux, comme si ce simple geste pouvait soigner ma cécité. C’est à cet instant qu’un éclair déchire l’obscurité, révélant durant un bref instant une silhouette imposante.

    L’inquiétude me gagne.

    Un second éclair, et la silhouette se matérialise à nouveau, plus proche, elle s’est déplacée, elle s’est rapprochée. Tout à coup les flashes s'enchaînent, je me croirais presque dans une discothèque éclairée par la lumière des stroboscopes. La sensation est assez désagréable. Mais cela me permet néanmoins de distinguer un peu plus clairement l’être qui s’approche de moi.

    C’est un homme. Il est immense, aussi grand qu’un Zheenon.

    « Qui êtes-vous ? »

    Pas de réponse.

    L’homme s’approche encore un peu plus, ses traits se dessinent petit à petit. Je finis par distinguer clairement son visage, un visage lisse, parfaitement lisse.

    Un frisson court le long de mon épine dorsale. Je tente tant bien que mal de dominer ma peur pour mieux faire face à mon agresseur. Agresseur ? Rien ne me dit qu’il veut me causer du tort, mais je préfère rester prudent. Je lève les poings à hauteur de poitrine, prêt à en découdre.

    Le visage lisse s’incline sur le côté, comme si son propriétaire était interloqué.

    Je finis par comprendre, l’homme porte un masque, un masque de pierre, d’une pierre bleue.

    Il me fait un signe d’une main grise à quatre doigts avant de disparaître dans un souffle.

    J’abaisse mes poings, surpris tandis que nombre d’interrogations affluent.

    À nouveau, un flash déchire l’obscurité révélant une autre silhouette, mais celle-là, je la reconnais.

    « Arthos ! Arthos ! Je suis là ! »

    L’Ah’mad du feu ne m’entend pas, il est blessé au flanc, du sang souille sa combinaison. Il s’adresse à quelqu’un que je ne vois pas et je n’entends pas ce qu’il dit. Il tombe.

    Sa chute est longue, interminable. Son corps, incandescent, plonge dans des eaux sombres avant d’exploser.

    La déflagration m’éblouit, je ferme les yeux.

    Quand je les rouvre, le temple de Gaïa est la proie des flammes. Je suis allongé sur le parvis sacré.

    Je m'assois, hagard, et observe tout autour de moi. Kallisto est en feu !

    Les habitants sont paniqués. Je vois les hommes, les femmes, les enfants courir, fuir un ennemi invisible.

    Je m’écroule sur le sable humide, vaincu par des images de plus en plus difficiles à supporter.

    Sedna se trouve dans une forêt, sa robe blanche est maculée de sang, elle pleure.

    Elaël est allongé sur ce que je reconnais être les pavés bleus du temple de Gaïa. Il est sur le dos, les bras en croix, inerte.

    Ma fille se débat dans les bras d’un inconnu, elle me tend les bras en m’implorant de lui venir en aide.

    Avec horreur je sens mon corps s’enfoncer lentement dans les sables mouvants. Je lutte contre les éléments, tentant de me redresser sur mes jambes, ce qui ne fait qu’aggraver les choses.

    Les images défilant dans ma tête semblent se répéter à l’infini.

    À nouveau, la douleur insidieuse agit comme un foret métallique s’enfonçant pile entre mes yeux.

    Je suis pris d’un vertige et sens mes forces m’abandonner. Il fait noir. Une vague vient me frapper au visage. L’eau salée investit ma gorge, entraînant une violente quinte de toux qui me fait ingurgiter du sable. Une seconde vague me frappe à nouveau, puis une troisième.

    Je vais mourir noyé.

    L’instinct de survie me pousse à ramper le plus loin possible de la mer. Je n’ai plus la notion du temps, mais devine que la marée est montante et qu’il me faut faire au plus vite.

    Mais comment ramper dans des sables mouvants ? Mes mains se perdent dans les profondeurs aqueuses et bientôt mon visage tout entier est plaqué contre le sol. Je n’arrive plus à respirer.

    Non, je ne vais pas mourir noyé, mais asphyxié, la nuance est subtile, mais, à l’arrivée, la conséquence est la même.

    Le sol se dérobe, je sens que tout tourne autour de moi. Dans un ultime effort, je parviens à extirper ma tête du sable, aspirant l’air à grandes goulées. Je pousse une dernière fois sur mes bras, grappillant quelques centimètres. Mais l’effort est vain, fébrile, je me sens tomber dans un gouffre sans fond. Mon visage heurte une surface dure dans un bruit sec. Mes lèvres me font mal, je pousse un cri de douleur puis sombre dans l’inconscience.

    LE TROISIÈME OEIL

    « Patrick ?»

    J’ouvre lentement les yeux.

    Une sensation de déjà-vu. Oui, c’était il y a quelques années en arrière. Je me trouvais dans un vaisseau spatial et des êtres étranges se tenaient debout tout autour de moi.

    La vie serait-elle un éternel recommencement ?

    « Il revient à lui. »

    Ça aussi je l’ai déjà entendu.

    Je tente de dire quelque chose, mais mes lèvres sont figées.

    « Non, n’essaie surtout pas de parler ! »

    Je porte machinalement la main à ma bouche. Aïe, ça fait mal. Bon sang,

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