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Odyssée
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Livre électronique437 pages5 heures

Odyssée

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À propos de ce livre électronique

La terrible guerre pour l'Azurito a causé des pertes dans les deux camps.
Face à la puissance grandissante de l'Orogo, Patrick Schimmer sait qu'il doit réveiller Gaïa, l'esprit de la Terre.
Il se résout à accompagner les Zheenons jusqu'au plateau du Larzac, en quête du bloc sacré, l'unique porte menant à la déesse-mère. 
Mais, ses amis considérablement affaiblis, Patrick ne devra compter que sur lui-même et sa foi en l'espèce humaine.
Sa route croisera celle d'ennemis tous aussi redoutables les uns que les autres : qui est donc ce mystérieux homme au masque de pierre ? Qui se cache sous l'armure de la terrible walkyrie ? Et le très vieil homme, quelles sont donc ses intentions ?
Après le tome 1, Genèse et le tome 2, Résurgences, ce troisième et dernier opus de la trilogie "Les colonnes du temps" répond à de nombreuses interrogations en même temps qu'il clôt les aventures de Patrick Schimmer.

LangueFrançais
ÉditeurJohn Renmann
Date de sortie1 juil. 2019
ISBN9782955167281
Odyssée

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    Aperçu du livre

    Odyssée - John Renmann

    LE DERNIER ROI DES CAUSSES

    Je plonge dans mes souvenirs et souris lorsque le tout premier d’entre eux me revient : le chapitre final de cette aventure débute par un drôle de Pictionnary.

    « Une étoile ! »

    — Ça, une étoile ? Je dirais plutôt une rose des vents !

    — Ha ! Le contraire m’aurait étonné de la part de l’Ah’mad des airs !

    — Mais non, rien à voir !

    — Moi je vois un savros !

    — Un lézard ? Tu plaisantes ?

    — Un cœur ?

    — Ce serait logique, c’est l’Ah’mad des émotions après tout.

    — Non, chacun des sceaux de la déesse est unique ! Impossible qu’il hérite de celui de Genos !

    — Bon, alors qu’est-ce que c’est ?

    — Une idée, Patrick ?

    Je sursaute, je n’étais pas du tout dans la conversation. Les Zheenons m’observent tel le candidat au permis de conduire dans l’attente du verdict de l’examinateur.

    « Désolé, j’ai perdu le fil… »

    — Nous l’avons constaté. Quelque chose semble te préoccuper.

    Je demeure silencieux.

    Depuis notre départ pour le Larzac, mes amis tentent de décrypter l’étrange dessin qui se forme dans mes cheveux. Je passe une main sur ma nuque, comme si ce simple contact me permettait de deviner les contours de l’esquisse.

    Mais ce n’est pas ce qui me tracasse, non. Les Zheenons sont tous là, exceptés bien entendu Kharon, Genos et…Arthos.

    Si Heex, Asthenos, Choros et Marinos animent le débat, Rhadamantis demeure à l’écart.

    Il se tient debout, au poste de pilotage de la nef stellaire, bras croisés sur le torse, le regard dans le vague.

    Le frère d’Arthos a coupé toutes communications télépathiques. Il ne souhaite visiblement être dérangé pour rien au monde.

    Je perçois toutefois des bribes de la conversation qu’il tient avec le vaisseau. En fait de conversation, il s’agit davantage d’ordres lancés et de manœuvres confirmées.

    Rhadamantis n’a pas fait le deuil de son frère.

    Cela peut sembler étrange pour celui qui est l’Ah’mad de la mort, mais c’est bien plus qu’un être cher qu’il a perdu.

    La grande dame n’est pas celle qui ôte la vie, elle n’est qu’accompagnatrice. Nos vies se succèdent et notre expérience grandit jusqu’à ce que notre degré de sagesse atteigne son apogée et que le cycle cesse. Nous devenons alors semblables à ce que Genos est devenu, lorsqu’il a quitté ce monde, un ange.

    Mais malgré ses nombreuses qualités, Arthos n’a pas atteint le niveau de spiritualité suffisant à devenir un ange. Sa mort nous apparaît à tous comme une fin en soi, même si nous savons que ce n’est pas le cas.

    Rhadamantis le sait bien plus que nous tous, ici présents, mais depuis la disparition de son frère, il s’est complètement fermé.

    Ce n’est pas, à proprement parler, de la peine, plutôt le prélude à une dépression sourde, identique à celle à laquelle, nous autres humains, pouvons être confrontés ; une sensation de vide, comme s’il avait perdu une part de lui-même.

    Rhadamantis a refusé que nous fassions une cérémonie en l’honneur de son frère, car il savait que ce dernier n’aurait jamais souhaité cela.

    La douce chaleur émise par mon alliance me tire de mes tristes réflexions.

    Machinalement je tends mon esprit vers Sedna, mais me heurte à une barrière aurique épaisse comme cent fois le mur d’Hadrien.

    Mon épouse et nos enfants, Nemia, Amaroo et Nuno, ont été recueillis par Jürgen, au sanctuaire de Stonehenge, dans une bâtisse construite à une dizaine de mètres sous terre.

    J’ai insisté auprès de Sedna pour qu’elle me laisse annoncer la nouvelle de la disparition d’Arthos à notre fille. Mon ami était son parrain, ils étaient tous deux très proches.

    Mais au premier regard de ma puce, je n’ai pas eu le courage de tout lui avouer. J’ai menti en lui annonçant qu’Arthos était parti faire un long voyage et que j’ignorais pour le moment quand il nous reviendrait.

    Sedna m’a fusillé du regard, mais ne m’a pas contredit pour autant ; dans un sens je n’avais pas vraiment dissimulé la vérité.

    Nemia fut vraiment peinée et je m’en suis voulu.

    Je me recentre sur Stonehenge.

    Je sais depuis peu que le site antique a été, pour partie, érigé par les ancêtres des Kallistiens, ceux-là mêmes qui sont descendus sur Terre pour se mêler à la population. Stonehenge était, au départ, un lieu de culte dédié à Gaïa, certains écrits gravés sur la colonne Ekdiloséis mentionnent que la déesse venait s’y assoupir durant certaines périodes clés. Les hommes en profitaient alors pour s’imprégner de ses rêves et y lire l’avenir.

    Mes proches me manquent ; le fait de ne pouvoir les joindre par un moyen aussi « simple » et direct que la télépathie est d’autant plus frustrant.

    Dehors, l’UFO nous suit à la trace, je capte sans peine les auras de Park et Masami. Mes amis sont encore une fois en train de se disputer. Je ne comprends rien à leur jargon technologique, mais devine que le Coréen veut imposer à son comparse l’amélioration du système de guidage de l’appareil.

    Je m’approche de Rhadamantis, laissant les autres Zheenons continuer à jouer à la devinette, à mon insu.

    « Rhadamantis ? »

    Il ne bronche pas, mais un léger sourire se dessine sur son visage argenté. Il me répond par le biais de la télépathie.

    « Je sais ce que tu vas me demander, Patrick. Tu souhaites me questionner quant aux Zheenons que nous avons eu à affronter. »

    — C’est exact. Il y a des choses qui me semblent obscures.

    — Tu te demandes comment il est possible que nous les connaissions, n’est-ce pas ?

    — Oui. Kharon m’avait expliqué que vous étiez les descendants des Zheenons partis en éclaireurs dans l’immensité spatiale, tandis que votre planète agonisait.

    Alors comment diable avez-vous pu rencontrer Endymion, Kladeus et Pallas ? Si je compte bien, vous étiez huit dans la nef stellaire : Kharon, Genos, Arthos, Marinos, Choros, Heex, Asthenos et toi.

    — Tu comptes juste.

    — Vous êtes les Dieux des Dieux, des êtres ayant atteint un haut niveau de conscience. Si j’ai bien compris, vous êtes uniques, je veux dire par là…

    (Il coupe)

    — Tu veux dire par là qu’il n’y a aucune logique à ce qu’Endymion, Kladeus et Pallas aient pu se situer sur le même plan spirituel que nous.

    — Oui. Ils ont un physique semblable au vôtre et manient des pouvoirs tout aussi immenses. Je ne vois pas comment cela peut être possible.

    Après avoir intimé l’ordre à la nef stellaire de gérer son vol, Rhadamantis se tourne vers moi. Il use de ses cordes vocales :

    « Je me rends compte que tu ne sais pas tout. Tu connais l’histoire de notre planète, mais nous avons omis de te raconter notre jeunesse. »

    — Votre jeunesse ?

    Il sourit.

    « Eh oui, Patrick, nous avons aussi été enfants tout comme toi. »

    — Pardon, c’est une évidence, c’est juste que…euh.

    — Je perçois l’image en ton esprit. Tu as du mal à nous imaginer en bambins. Et pourtant, nous avons, tous les huit, été des enfants. Nous avons eu des parents, tout comme toi.

    — Vos parents étaient comme vous ?

    — Tu me demandes s’ils possédaient des pouvoirs identiques aux nôtres ? J’en doute.

    — Tu en as des souvenirs ?

    — Il est là le problème, Patrick. J’ai souvenir avoir été un enfant, mais ignore tout de mes parents.

    — Je ne comprends pas.

    — Nous avons grandi dans la nef, même si nous avons fait escale sur de nombreuses planètes. Le vaisseau vivant a pourvu à tous nos besoins, mais l’enseignement aurique nous a été dispensé par l’Astérion.

    — Votre cristal ? Mais comment ?

    — C’est un héritage de nos aïeux. Il contenait les leçons nécessaires à faire de nous des Ah’mads. Nous sommes arrivés au bout de son enseignement, contrairement à Endymion et les autres.

    — Qui eux n’ont pas d’aparamas.

    — Exact. Ils ne sont pas marqués du sceau de la déesse.

    — Mais comment les connaissiez-vous ? Ils ne se trouvaient pas dans la nef avec vous.

    — L’Astérion contenait la liste des aspirants Ah’mads. Ces trois-là en faisaient partie. Ils sont bien plus âgés que nous et ont eu la chance de commencer leur formation sur Kallisto.

    Nous avions accès aux annotations laissées par leurs professeurs. Nous avons appris, entre autres, qu’à un moment donné, ils ont choisi une voie différente de celle de la pensée aurique. En revanche, nous ignorions totalement qu’Endymion était le fils de Domos. Mais, tout est plus clair désormais.

    — Que veux-tu dire ?

    — Il était mentionné que c’était un élève taciturne. Son héritage devait être lourd à porter.

    — Il semblait pourtant fier de son père.

    — C’est ce que je veux dire, il cherche très certainement à être à sa hauteur, en parachevant ce qu’il a commencé.

    — L’extermination des auriques ?

    — Non, la guérison de notre planète.

    — Guérison qui passe par l’extermination des Terriens.

    Rhadamantis répond par un hochement de tête.

    Les Zheenons cessent leur jeu au moment même où je capte une présence familière.

    Une vive lueur illumine la pièce principale tandis que le fantôme d’Elaël se matérialise parmi nous.

    Privé de sa pierre frontale, le corps du primo servant repose dans une bâtisse de Kallisto.

    En revanche, son esprit, désormais libéré de toute enveloppe charnelle, est libre de voyager à son gré.

    Le fantôme se tient au beau milieu du cercle que nous avons formé avec mes amis.

    « Ravi de vous revoir, cher maître. », lui dit Rhadamantis

    Et ravi de vous revoir tous, lui répond Elaël

    — Quelles sont les nouvelles ?

    Elles ne sont guère réjouissantes. Notre cité chute lentement vers les eaux glacées de l’Arctique.

    — Vous n’avez pas d’autre choix que d’évacuer.

    Et comment le pourrions-nous, maître ? Nous ne disposons d’aucun aéronef, d’aucun vaisseau. Inutile de compter sur les ceciderums, ils ne peuvent transporter que deux personnes à la fois.

    Nous faisons un rapide calcul. La population de Kallisto se compte en plusieurs dizaines de milliers, s’il ne faut qu’une poignée de secondes au téléporteur antique pour transférer les habitants de la cité vers la Terre, il sera impossible d’évacuer tout le monde en temps et en heure.

    Nous n’avons pas le choix.

    « Nous te rapporterons ta pierre, Elaël. » dis-je.

    Le primo servant se tourne vers moi, surpris. J’insiste :

    « Oui, nous te rapporterons ta pierre et Kallisto s’élèvera à nouveau dans les cieux, sa vraie place. »

    Les Zheenons acquiescent à leur tour, mais, alors qu’il s’apprête à nous répondre, Elaël disparaît.

    Rhadamanhtis soupire.

    « Son âme est liée à la cité et tout comme elle, elle s’affaiblit d’heure en heure. Il a de plus en plus de mal à maintenir son fantôme éveillé. »

    — Oui, dis-je, il nous faut reprendre ce qu’Endymion a volé.

    — Nous poursuivons la même quête, nous finirons par être confrontés à lui. Pour le moment une attaque de front n’est nullement envisageable. Ils sont nombreux et ont un avantage certain.

    — Ils ont en leur possession le fragment d’Azurito et la clé du temple.

    — Je gage qu’ils n’ont pas encore réussi à mettre la main sur l’Azurito. Cela nous laisse le temps de lire la mémoire du Puech. Tu t’en chargeras.

    — Moi ? Mais…

    — Genos ne t’a donc-t-il pas enseigné le mépris du doute ?

    Il a raison. Finalement j’acquiesce.

    Ma vision va au-delà de la paroi de la nef et déjà, les premières pierres du plateau du Larzac font leur apparition.

    Le paysage des Causses défile sous mes yeux. Très vite, le dôme si caractéristique du Puech de Cougouille émerge du plateau aveyronnais.

    « Nous y sommes », me dit Rhadamantis . 

    La nef se stabilise à quelques mètres au-dessus du mont, imitée par l’UFO.

    Je joins Masami par télépathie.

    Il sursaute en tirant légèrement sur le manche à balai, l’engin tressaille en réponse à sa frayeur soudaine.

    « Kuso !¹ Daniel avait raison, c’est vraiment très désagréable d’entendre une voix qui n’est pas la sienne, dans sa propre tête ! »

    Je peux le comprendre, mais nous n’avons pas encore établi de moyen de communication conventionnel entre la nef et l’UFO ; la télépathie demeure le moyen le plus simple pour échanger avec mes amis asiatiques.

    Mais Masami et Park ne maîtrisent pas du tout l’art du dialogue mental. Ils sont donc contraints et forcés d’attendre que je prenne contact.

    Les Zheenons se regroupent face au poste de pilotage. Asthenos m’invite à me rapprocher.

    « Ressens-tu quelque chose, Patrick ? »

    Je tends mon esprit vers le Puech. Le mont vibre, la fréquence est régulière, presque figée dans le temps.

    Sous les mètres de roches calcaires et de terre argileuse, accumulés avec les siècles, se dessine une bâtisse aurique majestueuse.

    « Le temple est bien là. » dis-je.

    — Nous l’avons détecté nous aussi, ressens-tu autre chose ?

    En réalité, si l’Ah’mad du solide fait appel à moi, c’est qu’il prétend que de nous tous, je suis celui qui a l’intuition la plus forte.

    « Bien plus sensible encore que ne l’était celle de Genos. » m’a-t-on dit.

    L’éveil de mon sixième sens se manifeste par de légers élancements dans mon cuir chevelu. Je ferme les yeux, puis réponds :

    « Aucun danger en vue. »

    Asthenos envoie un ordre à la nef.

    L’engin se pose aux abords du Puech. Une ouverture se dessine dans la carlingue.

    Nous nous rendons à l’extérieur.

    C’est encore l’été, mais le vent qui balaie le plateau ce matin rafraîchit considérablement l’atmosphère. Je relève la capuche de ma parka.

    Les Dieux des Dieux ne craignent pas le froid. En plus d’un métabolisme à l’épreuve des caprices de la météo, ils portent une combinaison élaborée dans un tissu de leur invention.

    Park et Masami se joignent à nous. Le Coréen est le premier à s’adresser à moi.

    « Peux-tu nous rappeler ce que nous fichons ici ? »

    — Vous ne faites que suivre les ordres de Devers, qui veut savoir exactement ce que nous faisons.

    — Pas faux. Sinon il y a un truc à voir dans ce désert ?

    — Nous sommes près d’un temple aurique très ancien.

    Dubitatif, il parcourt la plaine du regard à la recherche d’une construction antique. Je lève les yeux au ciel.

    « Ne cherche pas plus loin, il est juste sous ton nez. »

    Park est persuadé que je me paie sa tronche. Je perds patience et pointe du doigt le Puech de Cougouille.

    « Le temple se trouve à l’intérieur, c’est Arthos qui l’a localisé, il y a plus de cinq ans. Si nous voulons retrouver le bloc d’Azurito, nous devons rentrer là-dedans. »

    Le Coréen observe la dépression de haut en bas avant de rétorquer :

    « Tu te fous de moi ? »

    Ressentant très certainement mon agacement et avant que la conversation ne tourne au vinaigre, Rhadamantis vient s’interposer.

    « Il y a bien un temple là-dessous, mon frère a pu y pénétrer et en ramener le fragment sacré. Souvenez-vous, il nous a révélé qu’une brèche était apparue au niveau du sol et qu’il avait pu s’y engouffrer. Mais lui et moi avons découvert un moyen plus sûr d’y accéder, il y a quelques semaines. Je sais comment procéder, écartez-vous. »

    Nous obtempérons tandis qu’il fait les cent pas aux abords du Puech.

    Les autres Zheenons patientent en observant leur congénère.

    Ça y’est, il a établi le dialogue, le Puech de Cougouille lui répond.

    Deux immenses portes se matérialisent contre les parois du Puech. Nous n’en croyons pas nos yeux. Rhadamantis demeure bouche bée, il murmure.

    « C’est bien ce qu’il m’avait décrit. »

    Nous sommes tous subjugués par la beauté des portes. Elles sont d’un bleu profond, du lapis-lazuli, bien entendu. Mais ce qui nous frappe avant tout, ce sont leurs dimensions.

    « À peu près six mètres de haut pour trois de large, chacune ». Masami a toujours eu le compas dans l’œil.

    Des hiéroglyphes zheenons sont gravés dans la pierre, l’écriture ne semble pas avoir été altérée par le temps. Je me lance immédiatement dans son déchiffrage :

    Otto ot sumus

    At Adia summum

    Os Aquis, suma artis naa

    O striva, carna suma

    Otto ot sumus

    Zheeno ha’beu, suma maïa

    Du zheenon ancien. C’est un peu comme lire du vieux français.

    99, nous sommes

    Portés par la déesse

    Ses rivières sont nos veines

    Sa pierre, notre chair

    99, nous sommes

    Zheeno la belle, notre mère

    Il y a cinq ans, mes camarades et moi nous nous sommes plongés dans le passé. Nous avons placé le fragment d’Azurito dans la main de la statue de la terre mère. Le magnétoscope du temps s’était alors rembobiné et nous avons assisté à la cérémonie qui vit naître l’Hypnos, le Communius le plus puissant de l’histoire de Zheeno.

    Nous avons vu, incrédules, les 99 sages assis en cercle autour de l’Azurito.

    Il est plus qu’évident que les portes qui nous font face sont celles du temple où s’est déroulée cette cérémonie.

    Aucun de nous ne pipe mot. Le silence qui suit est à peine troublé par le souffle du vent d’autan.

    Un bruissement nous tire de notre léthargie. Quelque chose de massif se déplace sur notre droite. J’ai depuis longtemps perçu la nature de l’animal qui s’avance vers nous, cornes en avant.

    Au cours du temps, l’intervention humaine sur la nature, entre autres l’agriculture et l’élevage, a sensiblement modifié le comportement et l’aspect de nombreuses espèces vivantes.

    En bon apprenti sorcier, l’Homme a modelé certains animaux à sa guise et au gré de ses besoins. Si le chien en est un exemple flagrant, il en est de même pour les bovins, ovins et autres gallinacés élevés pour leur viande. Complètement domestiqués, ces animaux perdirent de leur superbe et virent certains de leurs attributs s’atrophier, voire disparaître.

    Lorsque l’Hypnos a restitué les créatures vivantes à la planète, la majeure partie d’entre elles était retournée à la phase de leur évolution précédant l’intervention humaine. Autrement dit, c’était comme si cette intervention n’avait jamais eu lieu.

    Voilà pourquoi le bovin qui se présente à nous tient plus du taureau crétois affronté par Hercule que de notre bonne vieille Marguerite. C’est un auroch né des cendres de notre défunte vache.

    L’animal s’apprête à nous charger, lorsque Choros s’en approche, calmement.

    Il passe ses doigts sur la tête massive, en prenant soin d’éviter la zone située pile entre les cornes. C’est un point mort.

    L’auroch perdant de vue la main entrant en contact avec lui serait déboussolé et agressif. L’Ah’mad de la vie le sait.

    C’est sans étonnement que nous voyons l’animal s’allonger sur le flanc en signe d’apaisement. Choros nous rejoint.

    « Je lui ai transmis un message de paix. Nous n’avons rien à craindre. »

    Rhadamantis contemple les lourdes portes puis lève les mains face à elles. Il ferme ensuite les yeux et murmure quelque chose.

    Aussitôt, les portes pivotent lourdement sur leurs gonds.

    Je me bouche les oreilles, car le son de frottement de la pierre m’insupporte.

    Effrayé, l’auroch se redresse vivement sur ses pattes avant de prendre la poudre d’escampette.

    L’entrée du temple se révèle peu à peu. Les rayons du soleil y pénètrent en nous révélant un sol dallé et des murs de pierre parcourus d’écritures zheenones.

    « Tout ça ne me dit rien qui vaille » bredouille Park.

    — De toute façon, pas question de rebrousser chemin ! dis-je

    Je tends mon esprit vers l’intérieur du temple.

    « Aucun danger. Allons-y ! »

    Asthenos ouvre la marche, tout son corps s’entoure d’une vive lumière.

    « Je serai votre…comment dites-vous les terriens ? Lampe-torche ? »

    Je lui adresse un sourire en coin.

    — C’est ça.

    — Mais avant de pénétrer les lieux, une précaution s’impose.

    L’Ah’mad du solide envoie un ordre mental à la nef stellaire. L’aura de l’appareil s’intensifie puis il devient invisible à nos yeux.

    Masami donne un léger coup de coude à son ami coréen. Park presse alors un des discrets boutons de sa cigarette électronique et, à son tour, l’UFO s’efface comme par magie.

    Nous entrons dans le temple. Je ressens immédiatement toute la bonté qui s’en dégage. Aucun sentiment d’oppression, aucun malaise. L’hygrométrie est élevée, mais la température est très agréable et une délicieuse odeur de miel embaume l’atmosphère.

    Nos pas résonnent tandis que nous évoluons dans le pronaos, précédés d’Asthenos dont la lumière dessine des arabesques sur les murs.

    Park n’est guère rassuré et je sens déjà les prémices de la panique causée par sa claustrophobie. Masami tente de le rassurer comme il peut.

    C’est Heex qui est le premier à remarquer le cylindre de pierre qui semble avoir surgi du sol. Nous nous en approchons. L’objet m’arrive au menton, j’arrive toutefois à noter qu’il est surmonté d’une gravure représentant une main humanoïde.

    « Un interrupteur. » dit Rhadamantis .

    Il place, sans hésiter, sa main sur la pierre. Le cylindre s’illumine et, très vite, c’est tout l’intérieur du temple qui suit.

    Nous sommes bouche bée devant le spectacle qui s’offre alors à nous.

    LA MÉMOIRE DU TEMPLE

    Des colonnes gisent à même le sol et une partie du plafond s’est effondrée, mais le lieu n’a rien perdu de sa superbe.

    À quelques mètres, le naos, la pièce principale, ressemble trait pour trait à celui du temple de Kallisto. La différence notable est l’absence de la statue de Gaïa, à sa place trône un socle que je reconnais aisément. Il s’agit du récipiendaire de l’Azurito.

    Émus, Les Zheenons se rendent immédiatement au centre de la pièce.

    Nous distinguons sur l’un des murs principaux les restes d’une fresque, où on devine le sage Diamantis entouré de ses disciples au cours d’un repas. Quand je pense que l’un d’entre eux l’a trahi, je ne peux m’empêcher de faire le rapprochement avec un célèbre tableau peint par Léonard de Vinci.

    C’est en allant contempler de plus près cette Cène zheenone que je remarque l’âtre d’une immense cheminée ; je m’étonne d’un moyen de chauffage aussi rustique dans un temple aussi avancé.

    « Dommage qu’Elaël ne puisse voir ça. » dit Heex

    — Il serait dans tous ses états, ajoute Choros

    Quand je pense que les sages étaient assis là où nous nous trouvons !

    J’ose à peine fouler le sol de mes pieds. C’est avec précaution, comme pour ne pas endommager un site archéologique exceptionnel, que je glisse jusqu’à l’endroit même où méditait Diamantis.

    Je sais que, peu de temps avant l’explosion ayant sonné le glas de Zheeno, la déesse mère s’est matérialisée juste à côté de lui.

    Un frisson me parcourt alors que je m’accroupis et pose ma main à l’endroit où se trouvait Gaïa, dans mes souvenirs.

    Je ne perçois rien du tout, à quoi m’attendais-je ?

    Marinos s’approche de moi.

    « Ce n’est pas comme ça que tu dois t’y prendre. Tu n’es pas suffisamment sensible au toucher. »

    — Que veux-tu dire ?

    — Tu sais mieux que moi que les objets et les lieux ont une mémoire. Il y a deux moyens d’y accéder : par le toucher, mais encore faut-il avoir développé une certaine sensibilité.

    — Et ce n’est pas mon cas, je comprends.

    — Oui. Et l’autre méthode tu la connais, c’est même pour ça que tu es là.

    Les Zheenons m’entourent. Rhadamantis me pose une main sur l’épaule.

    « Vas-y Patrick, concentre-toi et dis-nous ce que tu vois. »

    Park et Masami sont perplexes. Forcément tout cela leur est étranger.

    Je m’assois à même le sol et fais le vide dans mon esprit. Lentement, mon troisième œil se met en éveil.

    Il faut un certain temps à mon esprit pour entrer en résonnance avec le temple.

    Le plus compliqué est de remonter précisément jusqu’à un point défini du passé.

    Les premières images défilent. J’invite les Zheenons à se connecter.

    Un homme apparaît. Selon toute vraisemblance, il se relève d’une belle chute.

    L’individu arbore barbe et moustache. Appuyé sur un long bâton, il est vêtu d’une cape de laine, d’un béret et porte une besace en bandoulière. C’est un berger aveyronnais.

    Après avoir jeté un œil en arrière comme pour s’assurer qu’il n’est pas observé, le pâtre ferme les yeux. Lorsqu’il les ouvre, leur cornée est noire, sertie d’un iris blanc.

    Sa silhouette se floute pour révéler Arthos.

    Je lutte pour ne pas me laisser submerger par l’émotion et perdre la liaison avec le temple.

    L’Ah’mad du feu claque des doigts et une multitude de flammèches se matérialisent en éclairant la pièce. Arthos s’émerveille puis se dirige jusqu’au centre de la grande salle.

    Il enjambe les colonnes couchées et peste lorsque certains débris manquent de le faire chuter. Arrivé jusqu’au naos il ferme les yeux et lève la tête, il se concentre.

    Je me souviens, il tente de communiquer avec l’esprit de la terre, il tente de contacter Gaïa. Au bout de quelques secondes, une lueur se manifeste parmi les décombres. Arthos ne la voit pas tout de suite, car il a les yeux fermés, mais finit tout de même par la percevoir.

    Il se dirige alors vers la source lumineuse et s’accroupit pour extirper des gravats l’objet source de toutes les convoitises : le fragment de pierre bleue, le morceau d’Azurito tant précieux.

    S’en suit un long moment d’autosatisfaction et d’autocongratulations. L’Ah’mad du feu dit qu’il a hâte de présenter sa trouvaille à Kharon, qu’il allait enfin gagner en crédibilité. C’est le cœur léger que nous le voyons se diriger vers l’âtre, le fragment fièrement brandi.

    La voix de Rhadamantis se fait entendre en mon esprit.

    « Peux-tu remonter un peu plus en arrière ? »

    J’acquiesce et, à nouveau, remonte le cours du temps.

    « Il te faut essayer de revenir au moment où le bloc sacré a été déplacé. »

    — Je n’avais encore jamais lu la mémoire d’un lieu. Je vais faire de mon mieux.

    La bande du film temporel se fige puis ses images se dissipent. Je change de bobine ; la nouvelle succession d’images décrit cette fois une scène particulièrement intrigante.

    Le lieu est bien entendu le même, mais Arthos est remplacé par un bien étrange personnage.

    Il n’est pas très grand, vêtu d’une robe de bure noire et se déplace à l’aide d’une canne. Ses pas sont très difficiles, le fait d’être en mouvement semble énormément le faire souffrir. Son visage est en grande partie dissimulé par la capuche épaisse qui lui tombe au ras du menton.

    Il est pris d’une violente quinte de toux, vacille et se rattrape de justesse à sa canne. C’est à cet instant que je constate qu’il est bossu. Les Zheenons s’interrogent tout comme moi sur son identité, mais le plus troublant est à venir.

    Il lève ses mains au plafond, ce qui découvre ses bras maigres et particulièrement fripés. Nous notons également son teint blafard.

    « Il est malade. » dit Asthenos

    — Ou alors affaibli par l’âge, dis-je

    — Peut être un peu des deux à la fois.

    — Sans doute !

    — Est-ce un humain ?

    — Je pense que oui, il n’a rien d’un Zheenon en tout cas

    Le vieillard conserve les bras tendus vers le plafond un long moment. Il tremble de tout son long, il est évident que même ce simple geste lui est douloureux. Il marmonne quelque chose d’une voix faible et enrouée dans une langue que je reconnais à peine. Je jurerais que c’est du zheenon, mais certains mots sont écorchés.

    Il laisse retomber mollement ses bras le long de son corps et halète en s’agrippant à sa canne. Il demeure ainsi durant de longues minutes avant de hocher la tête en fixant le centre du naos.

    C’est à cet instant que j’ai perdu le fil. Je m’en excuse auprès des Zheenons.

    « Désolé…le manque de pratique. »

    — Tu n’as pas à être désolé, tu en fais déjà beaucoup, m’assure Choros.

    — Attendez, je crois que nous y sommes !

    Nouveau changement de bobine. Toujours le même décor, mais les personnages sont différents. Exit le vieillard, place à une dizaine d’individus qui semblent, eux, être dans la force de l’âge.

    L’un d’entre eux se tient de dos et, de ce que nous pouvons comprendre, il supervise une opération particulièrement physique.

    Les autres s’affairent autour d’un objet massif. Nous avons du mal à déterminer ce dont il s’agit, car ils œuvrent dans la pénombre.

    Le superviseur se retourne et je le reconnais immédiatement, c’est Domos, le disciple de Diamantis et père d’Endymion. Il s’exprime en alternant langage zheenon de base et dialecte kallistien.

    « Oui ! Nous y sommes ! » s’extasie Rhadamantis .

    Je ne dois surtout pas perdre la liaison, l’instant est crucial !

    Les hommes de Domos sont harnachés, ils courbent l’échine sous l’effort.

    Mon regard remonte le long des sangles de cuir qu’ils tractent en ahanant. Au bout, un bloc de pierre glisse lentement.

    « L’Azurito ! »

    Mes compagnons sont fous de joie.Ne surtout pas perdre la connexion ! Surtout pas !

    Domos harangue ses hommes qui parviennent à faire basculer le bloc de lapis-lazuli sur un plateau en lévitation à un peu plus d’un mètre du sol.

    Le dissident aurique est bien plus âgé que sur les dernières images que j’ai pu voir de lui. Il félicite ses hommes puis leur dit :

    « Encore un effort ! L’Azurito doit être entre les mains du très vieil homme avant la tombée du jour ! »

    Le très vieil homme ? C’est la première fois que ce personnage est mentionné. Elaël m’en a parlé, sous sa forme éthérée. Ce personnage est associé à l’un des ouvrages du dernier des mondes, le clou. Se pourrait-il qu’il s’agisse de l’être affaibli que nous avons observé lors de ma précédente vision ?

    L’un des hommes de Domos lui demande s’il ne serait pas plus simple d’emprunter un ceciderum.

    « Non ! Nous ne devons pas attirer l’attention ! De toute façon, nous ne sommes même pas certains que le téléporteur laisse passer une chose aussi massive. »

    Une fois les lourdes portes franchies par ses hommes, Domos brandit le poing en signe de victoire.

    Interférences.

    Je pousse un juron de dépit tandis que

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