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LE CHANT DES FÉES, TOME 2 : UN DERNIER OPÉRA: Un dernier opéra
LE CHANT DES FÉES, TOME 2 : UN DERNIER OPÉRA: Un dernier opéra
LE CHANT DES FÉES, TOME 2 : UN DERNIER OPÉRA: Un dernier opéra
Livre électronique281 pages3 heures

LE CHANT DES FÉES, TOME 2 : UN DERNIER OPÉRA: Un dernier opéra

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À propos de ce livre électronique

Le voici, ce deuxième tome de la série Le chant des fées, un roman en deux actes. Un dernier opéra est le chapitre final de l'histoire de Rose, Gloria et Jane, ces femmes tour à tour passionnées, ambitieuses ou entièrement dévouées. Après la mort de Rose, la diva, commence pour ceux qui l'ont aimée un long et tumultueux deuil, cheminement intérieur qui prend mille détours avant de les mener vers une certaine sérénité. Gloria, la précieuse amie de la disparue, s'est vu confier la maison où elles ont cohabité. Mais bientôt, elle découvre un message posthume, griffonné sur un bout de papier laissé par la défunte à son attention. Une délicate mission lui est confiée. Quant à Jane, la journaliste qui avait interviewé la grande dame avant le couronnement projeté, elle mijote un projet visant à rendre hommage à la cantatrice tout en servant sa propre ascension professionnelle. Ce projet mettra en péril sa vie personnelle. Derrière le pont couvert, dans le jardin secret au coeur de la petite clairière, deux sépultures attendent paisiblement. Elles attendent le retour d'une troisième fée.
LangueFrançais
Date de sortie4 juin 2013
ISBN9782894556825
LE CHANT DES FÉES, TOME 2 : UN DERNIER OPÉRA: Un dernier opéra
Auteur

Alessandro Cassa

Né à Cowansville en 1973, Alessandro Cassa est un homme dynamique que rien n’arrête. Architecte paysagiste spécialisé en mise en valeur du patrimoine par le cinéma, il a travaillé près de 10 ans dans le domaine municipal, en développement culturel. Aujourd’hui enseignant à l’Université du Québec en aménagement du territoire, il est également responsable de l’Action culturelle pour le Musée McCord. Passionné d’écriture, il a scénarisé et réalisé deux courts métrages présentés lors du Festival de Cannes. Monsieur Cassa habite la Montérégie.

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    Aperçu du livre

    LE CHANT DES FÉES, TOME 2 - Alessandro Cassa

    A.C.

    ACTE 1

    LA JOURNALISTE

    PROLOGUE

    Souvenirs de Rose

    Jeudi 23 septembre 2004

    Vallée de la Covey Hill ; 9h12

    L’ aube d’automne fait naître une symphonie de couleurs aux tons de feu, colorant toute la vallée de la Covey Hill. Des bernaches prennent leur envol au-dessus des boisés rouge et or qui encadrent solennellement le vallon. Au son de leurs cris, quelques feuilles brunies se posent délicatement sur les sentiers tortueux, couverts de plus en plus de feuillages humides et décatis.

    Ce jeudi, qui marquera à jamais la diva, débute par une magnifique matinée ensoleillée qui donne vie à la vallée, aux vergers, et aux champs ficelés de clôtures de perches.

    De retour de sa promenade matinale près de la petite rivière, Rose se dirige vers sa demeure. Dans quelques heures s’y déroulera l’entrevue qui précédera l’aboutissement de sa carrière. Un événement très attendu par la colorature, mais qu’elle redoute également quelque peu.

    La diva remonte à sa chambre, maintenant vivifiée. Alors qu’elle entre dans son petit univers feutré, une ombre voile ses yeux, à la vue du secrétaire de la lady. Ses idées sont aussitôt absorbées par la petite note inachevée.

    Rose chasse cette pensée, et tente tout de même de profiter de ce dernier moment de solitude dans ses appartements pour se préparer à cette inévitable entrevue qui l’attend. Elle s’offre donc un moment dans les coulisses, avant de retourner sous les feux de la rampe. Jetant de temps à autre un coup d’œil angoissé vers le secrétaire, elle prend tout son temps pour revêtir un magnifique tailleur rose et chausser ses petites sandales blanches qu’elle affectionne tant. Elles lui redonnent confiance.

    Malgré cet apparat et ses années d’expérience devant les caméras, intérieurement, la colorature hésite. Quoi dire… Quoi raconter de plus à cette jeune journaliste ? Sa vie fut un long périple, un voyage de plus de quatre-vingt-treize années, une longue lutte pour être reconnue. À quelques jours du couronnement de dimanche prochain, elle peut enfin croire qu’elle a réussi sa vie. Lorsqu’elle montera sur la grande scène de la Place des Arts, elle aura enfin la certitude d’avoir fait les bons choix… dans sa vie professionnelle, à tout le moins.

    En se coiffant, avant de se maquiller légèrement, Rose tente de remettre en ordre ses souvenirs et repense à ses nombreuses années de carrière. Elle ferme les yeux quelques secondes et perçoit dès lors des échos de sa vie. Des épisodes parfois tendres, parfois douloureux, mais dont les mélodies sont déjà bien loin derrière elle.

    Chanter, pour elle, fut longtemps une façon d’exprimer sa détresse et sa douleur. Une façon grandiose, en quelque sorte, de reprendre contact avec son père grâce à sa voix d’ange. Ce don aura toujours été un plaisir salutaire, un exutoire devenu nécessaire au fil de ses épreuves. Le chant ayant transformé sa douleur en beauté.

    Elle cesse de rêver et s’observe dans la glace afin de retoucher son maquillage, quand des voix attirent son attention. Elle détourne la tête et regarde par la petite fenêtre de sa lucarne. Elle aperçoit Gloria dans le jardin anglais qui entoure leur terrasse. Elle revient vers la maison, accompagnée de Jane, la journaliste, une jeune femme aux traits fins et dont la longue chevelure noire ondule sur ses épaules.

    Rose soupire devant l’inévitable ; la journaliste est déjà arrivée. Elle considère une dernière fois son apparence, puis satisfaite de son reflet dans le miroir, ferme les yeux.

    — Tu dois le faire, Rose… et maintenant. Tu ne peux plus attendre…

    Rose soupire et tente de calmer sa respiration. Elle se dirige à l’autre bout de sa chambre et prend place devant le secrétaire de bois, celui de sa défunte lady. Elle repense avec beaucoup d’émotion à ces années vécues à Ottawa sous l’aile bienfaitrice de cette grande dame. Ces trop courtes années en sa compagnie, au manoir des Dumburry, avaient tout de même réussi à faire de Rose une femme plus sûre d’elle-même, plus épanouie. Mais également plus critique et plus exigeante envers autrui.

    Portée par ces doux souvenirs, elle ouvre le panneau frontal du meuble en bois et observe avec délice ses précieuses lettres d’admirateurs.

    Conservée depuis ses débuts, et classée dans différents tiroirs avec son papier à lettres et ses plumes, sa volumineuse correspondance était pour elle un trésor inestimable. Elle lui dévoilait à chaque mot, l’amour que lui portait son public. C’était, en fait, ce que son métier lui avait apporté de plus beau : une preuve d’amour noble, pure et indéfectible.

    Avec hantise, Rose pose les yeux sur un papier qui attend patiemment sur le dessus d’une liasse de lettres. Un petit mot qu’elle avait commencé à écrire il y a quelques jours à l’attention de Gloria, mais qu’elle n’avait pas encore terminé.

    S’accordant quelques minutes supplémentaires même si le temps presse, Rose se choisit une plume d’encre bleue et tente de terminer la précieuse note. Elle la relit plusieurs fois avant de réussir à exprimer sa demande, puis grandement apaisée par les mots qu’elle a écrits, glisse la lettre sous le ruban rose qu’elle noue habilement.

    Ses longs doigts tremblent tout de même, alors qu’elle repense au contenu de cet appel à l’aide. De cet aveu. Rose se promet de remettre cette note à Gloria à la fin de la journée.

    Elle avait longtemps hésité à le faire, mais sa décision était maintenant prise. Gloria, son amie de longue date, avait toujours une solution, peu importe le problème. C’était vers elle, encore une fois, qu’elle se tournerait.

    Sur le palier, la fidèle Maria, diligente gouvernante du domaine, s’approche de la chambre de la diva. Elle cogne trois petits coups à sa porte.

    — Madame, je crois que vous pouvez venir. Tout semble prêt pour votre entrevue dans le grand salon blanc.

    — Merci, Maria, je descends dans quelques minutes.

    Pour se calmer, Rose caresse une toute dernière fois la précieuse missive et la dépose dans le troisième tiroir. Ce dernier se coince, comme toujours, alors qu’elle le referme sur son passé.

    La prima donna descend avec grâce l’escalier qui mène au grand salon. Elle jette un coup d’œil discret dans la grande pièce lumineuse. Maria avait bien raison, les caméras semblent prêtes et l’équipe de tournage l’attend.

    Satisfaite d’être l’objet de ce remue-ménage, Rose s’applique à nouer sa toque, profondément apaisée par le mot qu’elle vient d’adresser à Gloria. L’âme en paix en raison de ce simple mémo, de ce simple geste posé après tant d’années, elle se résigne finalement à s’abandonner à son entrevue. Rose esquisse alors un sourire, mais celui-ci s’estompe rapidement.

    Cette journée, qui débutait à peine, lui semblait à l’avance interminable. Elle aurait souhaité plus que tout pouvoir courir hors d’ici, se réfugier en lieu sûr avec sa grande amie et lui remettre la note. Le poids des années et la lourdeur des secrets lui sembleraient alors moins importants. Elle prendrait une grande inspiration, écouterait les précieux conseils de Gloria et tout rentrerait dans l’ordre, comme toujours.

    Rose s’était levée à l’aube, car elle n’avait plus sommeil. La préparation de son entrevue avait éveillé en elle, depuis quelques jours, des fantômes du passé qu’elle avait tenté, sans succès, d’occulter. Pourquoi fallait-il que tout cela refasse surface à présent, alors qu’elle touchait le sommet et que sa carrière allait être couronnée de succès ? Pourquoi n’avait-elle pas su tout oublier ? Elle croyait pourtant avoir réussi…

    En raison de ces questions et ne sachant que faire, elle avait longuement réfléchi. Et c’était seulement en ce jour mythique que la colorature avait trouvé le courage d’écrire un mot à son amie. Quelques lignes en fait, comme un appel adressé à sa chère Gloria. Ayant bien longtemps refusé d’accepter certains événements, elle ne savait plus aujourd’hui comment les aborder et encore moins comment lui en parler face à face. D’instinct, elle s’était tournée vers l’écriture. Certaines choses, Rose en était maintenant convaincue, ne pouvaient être dites. Il serait plus facile pour elle de répondre aux interrogations de Gloria que d’amorcer une discussion.

    Terminant d’ajuster sa toque, Rose se promet solennellement qu’une fois l’entrevue terminée, elle remettra la note à Gloria. C’était pour Rose, la seule solution envisageable.

    Cette dernière allait certainement la gronder de faire tant de mystères, mais lirait tout de même le mémo. Puis, en silence, elle irait préparer une bouilloire et deux petites tasses de porcelaine. Les deux amies prendraient alors le thé sur leur terrasse, comme en cette journée de juin où Gloria avait proposé à Rose de rédiger sa biographie. Elles discuteraient, complices, comme toujours, et Rose serait libérée.

    Rose chasse ses pensées pour le moment et affiche de nouveau son sourire de diva. Reprenant ce maintien caractéristique des grandes chanteuses, un heureux mélange de charme et de fausse modestie, elle se dirige vers Jane, la jeune journaliste. Elle s’applique à respirer profondément pour avoir l’air calme : une parfaite illusion, comme à l’opéra. Mais derrière ce masque, Rose cherche en elle le courage d’assumer cette ultime entrevue avant son couronnement.

    Rapidement, la diva et la journaliste avaient fait connaissance avant l’entrevue. Les deux femmes avaient échangé quelques mots spontanés et sincères, quelques paroles qui avaient mis Rose en confiance et qui avaient suffi pour faire fondre Jane et l’impressionner. Cette courte rencontre allait la marquer plus qu’elle ne saurait l’imaginer.

    Rose s’était abandonnée à son entrevue, Jane lui ayant fait bonne impression. Elle avait réussi, malgré sa spontanéité juvénile, à gagner le respect de cette grande dame. C’est ainsi que Rose avait donné, sans le savoir, sa dernière entrevue.

    Personne n’aurait pu prévoir le tragique dénouement de cette journée qu’elle avait tant redoutée. Ni imaginer qu’une simple question de la journaliste allait la perturber à un point tel qu’elle quitterait le plateau pour se réfugier loin derrière la maison jaune, au cœur du petit jardin oublié. Un jardin où quelques heures après, la diva allait s’éteindre, laissant le petit mot adressé à Gloria, à jamais prisonnier du secrétaire. À jamais oublié.

    CHAPITRE 1

    Les amis

    Jeudi 30 septembre 2004

    Vallée de la Covey Hill ; 16h57

    Une semaine après cette tragique journée, le jour décline au-dessus du vallon par un après-midi d’automne un peu trop frais pour la saison. Les boisés brunis encadrent la vallée, tels les gardiens silencieux des souvenirs de Rose et de sa sépulture. Des voitures noires roulent lentement vers la chapelle où l’on rendra un dernier hommage à la diva.

    Les sentiers tortueux couverts de feuilles humides serpentent tristement à travers les bois. Même les magnifiques maisons d’époque, qui bordent les rangs de la colline, semblent ternes. Sur l’une d’elles, celle de Christophe, des maisonnettes d’oiseaux en bois se balancent nonchalamment au gré du vent. Mais les rubans colorés qui décoraient si fièrement cette demeure ont été remplacés par des rubans noirs. Au-dessus de la petite vallée, le ciel est lourd et terne, à l’image du moral des amis de Rose.

    Au pied du vallon, près de la rivière et de la petite chapelle anglicane, la maison jaune et les jardins de Rose semblent endormis depuis les événements des derniers jours. La petite propriété semble engourdie par la douleur de cette perte.

    Comme si tout le paysage portait ce fardeau. Comme si toute la vallée, en fait, était en deuil. Car leur diva, leur fée, n’est plus.

    Revenant de la chapelle, Rick, Christophe et Magda saluent les proches qui ont assisté aux obsèques de Rose. Ils les regardent quitter la propriété, puis entrent dans la petite maison jaune en silence.

    Derrière le ruisseau, la silhouette solitaire de Gloria se dirige vers le sentier de terre battue qui s’aventure sous le pont couvert de Powerscourt. Elle regagne péniblement le jardin oublié de sa fée. Morne et abattue, elle apporte la biographie de Rose.

    Vêtue de noir et assise sur la chaise de bois où la diva s’est éteinte, Gloria parcourt le texte de la biographie de Rose et fait maintenant la lecture à son amie disparue. Elle s’adresse à la fée de pierre paisiblement endormie, une immortelle sculpture de Christophe qui lui tient lieu de sépulture.

    La voix frêle de Gloria, qui lit quelques passages du livre blanc déposé sur ses genoux, s’élève de l’autre côté de la rive, en harmonie avec la rumeur de la petite rivière. Cette voix grave, emplie d’émotions, vient rompre le silence endeuillé des lieux. Alors que Gloria poursuit sa lecture, le froid naissant de cette fin de journée lui pique le bout des doigts.

    Quelques gouttes de pluie commencent à tomber. L’eau froide se loge sur les bouquets de roses blanches, endormis aux pieds de la sculpture. Ces fleurs témoignent du dernier adieu de leurs vieux amis. Mais Gloria, qui entend bien tenir sa promesse, poursuit sa lecture. Sans s’en apercevoir, elle s’attarde longuement sur sa dédicace, écrite à l’encre noire.

    À une très chère amie, qui m’a fait croire aux fées. Tu m’as offert bien plus que de partager une histoire ; tu m’as permis de réaliser la mienne. Te rencontrer m’aura appris que l’espoir est finalement ce qui nous pousse à avancer sur ce sentier tortueux qu’est la vie. Puisses-tu trouver tes fées, ma chère Rose.

    Tentant de se redonner courage en respirant profondément, elle s’adresse à la froide mémoire de Rose, sa compagne éternelle, sa sœur d’amitié.

    Quelques gouttes de pluie persistent, ne sachant que Gloria a toujours été la plus déterminée de toutes. Tel que promis et en guise de dernier hommage à la diva, Gloria entame la lecture de la biographie.

    De l’autre côté du ruisseau, la petite maison de Rose accueille les amis venus se réfugier dans ce lieu qui a toujours été, avant ce drame, un oasis de bonheur. Mais aujourd’hui, personne n’a le cœur à la célébration, car leur très chère amie n’est plus. Leurs cœurs sont lourds et leurs yeux, rougis.

    Pour Rick, Magda et Christophe, le temps s’était arrêté depuis leur rencontre avec Rose et en ce triste jeudi, la réalité les rattrapait. La perte de Rose confirmait une vérité oubliée : ils n’étaient pas éternels. En enterrant cette fée qui les avait empêchés de vieillir, ils avaient pris brutalement conscience, pour la première fois peut-être, du passage du temps, tout comme de ses effets sur leur vie et sur leur corps. Eux qui se croyaient jusqu’alors mus par une éternelle jeunesse, ils réalisaient avec horreur que leur vie devrait un jour ou l’autre se terminer.

    Les amis étaient torturés par ces atroces pensées. Il s’agissait pour eux d’un double deuil : celui de Rose, et celui de leur propre existence.

    Après de longues heures d’attente et de réflexion, affaissés sur le canapé près du foyer, les amis commencent à s’inquiéter de l’absence prolongée de Gloria. Rick essuie discrètement ses yeux et se tourne vers Magda pour tenter, en vain, de la consoler. Elle semble perdue dans ses pensées.

    Magda avait réussi à se contenir tout au long de la cérémonie afin de soutenir Gloria, mais à présent, elle ne pouvait plus retenir ses sanglots. Elle ne pouvait plus taire cette douleur lancinante qui lui déchirait le cœur.

    Discrètement, Maria s’avance vers l’âtre du foyer de pierres. Ses yeux bruns sont cernés d’avoir trop pleuré.

    — Madame aimait tant se réchauffer devant un bon feu, avant de relire ses textes.

    Essuyant une larme, elle dépose une bûche de plus sur la braise.

    — Vous nous manquerez à tous, madame.

    La chaleur du feu réchauffe la grande pièce où Rick, Magda et Christophe réfléchissent silencieusement. Maria fait une dernière fois le tour des lieux, puis dépose comme à l’habitude le journal du jour, plié en deux, sur la table du salon. Elle salue les convives avant de partir. Rick lève la tête.

    — Merci pour le feu, Maria, nous étions transis. Reposez-vous bien pendant ces quelques semaines. Vous le méritez bien après… après les funestes événements des derniers jours.

    Magda acquiesce d’un signe de tête.

    — Nous prendrons soin de Gloria en votre absence.

    Maria la remercie d’un sourire éteint, puis quitte lentement la pièce avant de soupirer douloureusement, pour évacuer la profonde tristesse qu’elle ressent. Rien ne sera plus pareil sans madame, pense-t-elle.

    Magda se blottit de nouveau contre Rick, lui-même engourdi et paralysé par la douleur. Se ressaisissant quelque peu, il tente de consoler sa douce pour oublier sa propre peine. Il lui caresse tendrement les épaules pour la réconforter.

    Gêné de voir Magda ainsi, défaite et ayant totalement perdu ses moyens, Christophe se lève et prend le journal. Il le déplie nonchalamment et lit les grands titres. En lettres noires sur une photographie de Rose, la Une titre : « Un dernier hommage à la diva ! Aujourd’hui auront lieu les obsèques de Rose Dumburry, qui s’est éteinte à quatre-vingt-treize ans… »

    L’homme sent aussitôt son cœur se serrer et ses jambes, vaciller. Sa respiration est plus courte. Il se dirige vers une bergère et réussit à s’asseoir, même s’il est étourdi. Une douleur qu’il ne connaissait pas auparavant lui pince les yeux et la gorge. Les mots lui font l’effet d’un couteau tranchant qui lui arracherait les dernières traces de son bonheur.

    Puis, les lettres s’embrouillent, alors que des larmes mouillent ses yeux. Impitoyables, ces mots d’encre sur le papier journal, lui font l’effet d’un verdict fatal. Christophe prend peu à peu conscience de sa nouvelle réalité. Choqué de ce qu’il a devant les yeux, confronté à quelque chose qu’il ne comprend pas et n’accepte pas, il roule le journal, cherchant à faire disparaître toute preuve de la mort de Rose. Alors, dans un excès de rage, il lance le journal dans le feu. Christophe est confronté à ce qu’il avait toujours redouté le plus. Sa belle fée, sa diva, n’est plus.

    Pour se ressaisir, Christophe se lève et erre dans les pièces de la maison. Il fait une pause devant l’imposante discographie de la colorature et choisit un disque au hasard. Plus que tout, il a besoin d’entendre sa voix d’ange.

    Dans toutes les pièces s’envole l’Ave Maria de Schubert, l’une des pièces favorites de Rose. Celle-là même qui avait séduit le public français lors d’un récital dans la Ville lumière, donné à la suite de sa prestation remarquée dans La Traviata, à Québec.

    Cette mélodie lui avait ouvert les portes de la France, puis celles de toute l’Europe. Aujourd’hui, le chant de Rose rappelait une multitude de souvenirs au cœur blessé de Christophe.

    N’en pouvant plus, il se dirige vers les grandes portes-fenêtres donnant sur l’arrière de la propriété et y observe la cour du domaine. Le jardin de thé de Rose et de Gloria, autrefois si lumineux et si coloré, est maintenant couvert d’ombres grises. Comme tout ceci semble lugubre, soudainement, pense-t-il. Christophe retourne dans le grand salon pour se changer les idées, observant au passage et avec amertume le vaste terrain qui descend en pente douce vers le ruisseau. Le crépuscule mauve contraste avec la blancheur de la pièce. Ces mêmes couleurs ornaient le ciel, il y a à peine quelques jours, lorsqu’il avait trouvé Gloria en larmes, effondrée près de la dépouille de Rose.

    Commence ainsi pour chacun, le long et tumultueux parcours du deuil. Un cheminement intérieur qui prendra mille détours avant de les mener à la libération.

    Les secondes s’écoulent, telles des heures, comme si le temps s’était arrêté au cœur de la petite maison jaune. Christophe attend toujours le retour de Gloria, en longeant les murs où s’offrent à sa vue des photographies de sa magnifique Rose.

    Il sourit en s’attardant à ces clichés, comprenant pour la première fois qu’elle posait toujours en compagnie d’artistes reconnus, d’hommes politiques ou de personnages célèbres. Il s’approche et constate que ni ses amis ni les membres de sa famille ne se retrouvent sur les photographies. Voulant vérifier ce fait, le sculpteur fait le tour de la grande pièce ; rapidement, il constate que s’y trouvent seulement des photographies de soirées de gala, de concerts et de scènes d’opéras où la diva apparaît avec

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