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LES ANNÉES DU SILENCE, TOME 2 : LA DÉLIVRANCE: La délivrance
LES ANNÉES DU SILENCE, TOME 2 : LA DÉLIVRANCE: La délivrance
LES ANNÉES DU SILENCE, TOME 2 : LA DÉLIVRANCE: La délivrance
Livre électronique242 pages3 heures

LES ANNÉES DU SILENCE, TOME 2 : LA DÉLIVRANCE: La délivrance

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À propos de ce livre électronique

Après Les années du silence, La Tourmente, voici le deuxième volet, cette histoire prenante de Cécile et Rolande, deux jeunes filles marquées par une grossesse qu’elles ont dû cacher, oublier…
Pourtant, comme elles n’ont pu oublier cet enfant qui, dès la naissance, leur a été ravi… Cécile, surtout, qui avait fait la promesse à son fiancé disparu à la guerre de retrouver, coûte que coûte, leur petite Juliette. C’est d’ailleurs à partir de ce moment tragique, où l’on a perdu la trace
de Jérôme sur une plage de Normandie, que l’on suit leur destinée.
Une longue quête d’amour et de bonheur qui nous plongera finalement dans le milieu des années 80. Au fil des jours, Cécile cultive farouchement ses convictions, envers et contre tous…
Pourra-t-elle retrouver le fruit de leur amour et faire perdurer, malgré le temps qui passe et sa vie renouvelée, ses plus douces espérances?
La Délivrance, c’est la brume qui s’estompe les soirs d’accalmie.
C’est aussi un secret trop longtemps gardé qui éclate au grand jour dans toute sa plénitude. La Délivrance… celle d’un passé difficile et douloureux au nom de l’amour. Mais La Délivrance, c’est surtout le deuxième tome de la plus belle histoire d’amour, la plus vraie aussi : celle de la vie…
LangueFrançais
Date de sortie4 juin 2013
ISBN9782894555248
LES ANNÉES DU SILENCE, TOME 2 : LA DÉLIVRANCE: La délivrance
Auteur

Louise Tremblay d'Essiambre

La réputation de Louise Tremblay-D'Essiambre n'est plus à faire. Auteure de plus d'une vingtaine d'ouvrages et mère de neuf enfants, elle est certainement l'une des auteures les plus prolifiques du Québec. Finaliste au Grand Prix littéraire Archambault en 2005, invitée d'honneur au Salon du livre de Montréal en novembre 2005, elle partage savamment son temps entre ses enfants, l'écriture et la peinture, une nouvelle passion qui lui a permis d'illustrer plusieurs de ses romans. Son style intense et sensible, sa polyvalence, sa grande curiosité et son amour du monde qui l'entoure font d'elle l'auteure préférée d'un nombre sans cesse croissant de lecteurs. Sa dernière série, MÉMOIRES D'UN QUARTIER a été finaliste au Grand Prix du Public La Presse / Salon du livre de Montréal 2010. Elle a aussi été Lauréate du Gala du Griffon d'or 2009 -catégorie Artiste par excellence-adulte et finaliste pour le Grand prix Desjardins de la Culture de Lanaudière 2009.

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    Aperçu du livre

    LES ANNÉES DU SILENCE, TOME 2 - Louise Tremblay d'Essiambre

    life ».

    PARTIE 1

    1945 – 1946

    1

    Québec, printemps 1945

    Àpas lents, Cécile Veilleux revient chez sa tante Gisèle qui habite toujours sur la rue Saint-Olivier, à Québec. Il fait une température idyllique, en ce mois de mai 1945. Malgré cela, Cécile l’apprécie à peine. Tout juste une profonde respiration par-ci, par-là, prenant conscience, presque surprise, de l’arrivée du printemps. Mais rien de plus, elle qui disait préférer le printemps à toute autre saison. Pourtant, il faut la comprendre... En seulement quelques mois, parmi tout ce qui avait du prix à ses yeux, bien des choses ont changé. Modulées par le cours de jours que nul n’avait prévu ainsi. Il ne reste qu’un grand vide en elle. Un vide qu’elle n’arrive pas à combler. Cela fait maintenant presque un an qu’elle habite à la ville. Depuis la curieuse disparition de Jérôme, son fiancé, lors du débarquement en Normandie, elle n’est pas retournée chez son père dans la Beauce. Quand Gabriel et Mélina Cliche, les parents de celui-ci, avaient reçu la lettre officielle de l’armée annonçant que leur fils était porté disparu, en juillet dernier, Cécile avait fui le village et ses souvenirs pour se réfugier chez « ma tante » Gisèle. Orpheline de mère, Cécile comptait sur la présence de cette tante qu’elle affectionnait particulièrement depuis son séjour chez elle, lors de sa grossesse. Oui, s’il y avait quelqu’un qui puisse l’aider, c’était bien la tante Gisèle. Car depuis deux ans, la vie de Cécile Veilleux ne ressemblait guère à ce qu’elle avait espéré. Une bourrasque aussi imprévue que brutale avait tout balayé ne lui laissant, au cœur, qu’une amertume sans nom, qu’un désespoir insondable tant il était profond. En quelques mois à peine, elle avait connu la douleur d’une grossesse inattendue, l’abandon d’une petite fille qu’elle rêvait de garder, la mort soudaine d’une mère qu’elle chérissait et le départ, pour la guerre, d’un fiancé dont on avait perdu la trace lors du débarquement. Depuis un an, elle n’a reçu aucune nouvelle de lui. Et cette disparition, à ses yeux, est bien plus pénible que la certitude de son décès. Ce flottement de l’attente qui se greffe, à certains jours, sur son espoir de le retrouver vivant et, à d’autres moments, sur la conviction qu’il est bel et bien mort... Cette inquiétude incessante quand elle pense à lui... Toute sa vie, maintenant, oscille comme un pendule, entre l’espérance de le revoir un jour et la crainte que tout soit fini entre eux. Avant même d’avoir vraiment commencé. Jérôme, son Jérôme, disparu, peut-être prisonnier ou malade... Le lieutenant de sa division leur avait confirmé avoir reconnu sa veste sur la plage. Mais rien d’autre. Alors Cécile garde espoir en se répétant, inlassablement, qu’un corps ne peut disparaître sans laisser de traces. Elle veut y croire, se refusant d’écouter ceux qui, trop nombreux, suggèrent que la marée aurait très bien pu... Non, Cécile cultive farouchement ses convictions et l’assurance de son instinct. Contre tout bon sens. Malgré les conseils de son père. Malgré les supplications de sa tante qui ne sait à quel saint se vouer pour lui faire entendre raison. Personne, autour de Cécile, ne croit encore au retour du jeune soldat. Ni chez elle, dans la Beauce, ni ici, à la ville, chez sa tante Gisèle et son oncle Napoléon Breton.

    Avec une volonté à toute épreuve, la jeune fille a donc repris les études abandonnées à la fin de sa neuvième année quand son père avait décidé qu’elle aiderait sa mère à la maison. Et, pour ce faire, elle travaille le vendredi soir et le samedi, à la Pâtisserie Simon de la rue Saint-Jean, pour s’offrir des cours privés au collège de Bellevue. À vingt et un ans, Cécile est consciente qu’elle n’a pas de temps à perdre. Elle n’a pas envie, non plus, de se retrouver dans une classe régulière, aux côtés de gamines de treize ou quatorze ans. Intelligente et studieuse, elle est sur le point de compléter son cours classique. Sœur Sainte-Monique s’occupe spécialement d’elle, ce qui permet à Cécile de mettre les bouchées doubles. Encore un an de patience et elle pourra se présenter à l’École normale afin de devenir professeur. Et, pour y parvenir, elle a réglé sa vie comme du papier à musique : cours le jour, études le soir, travail la fin de semaine. À l’occasion, elle se permet une escapade de quelques heures. Une halte chez Kerhulu, pour un café et un gâteau, en compagnie de Rolande, cette jeune amie rencontrée à la crèche deux ans auparavant et qu’elle retrouve à chaque fois avec un plaisir renouvelé. Jamais rien d’autre... Ni cinéma, ni théâtre. Le bonheur des autres, même fictif ou artificiel, la blesse trop cruellement. Alors, elle se refuse une évasion dont elle aurait pourtant grand besoin. L’ombre de ce jeune fiancé disparu au combat recouvre encore toute sa vie de son aile sombre et ce n’est que dans le tourbillon d’une existence volontairement débordante qu’elle arrive à se détacher, pour quelques heures, de l’obsession qui hante sa pensée. Mais, chaque nuit, c’est dans les larmes qu’elle trouve le sommeil. Les larmes du regret. Ce repentir qui répète, lancinante évidence, que tout est de sa faute. Si elle avait voulu se marier, aussi...

    Ses pas l’ont naturellement ramenée jusqu’à la haute maison grise qui fait la fierté de sa tante. D’une main énergique, elle ouvre la porte menant dans le vestibule.

    — Ma tante, je suis revenue !

    Tout en grimpant l’escalier en courant, Cécile lance son salut habituel. Quand elle paraît dans la porte de la cuisine, Gisèle se retourne en souriant. Son inimitable sourire, à la fois pincé et chaleureux... Du bout de son pouce enfariné, elle repousse ses lunettes.

    — Bonjour, ma poulette... Pas trop fatiguée de ta journée ?

    — Oui, un peu... Il fait tellement chaud dans la salle, au collège... Mais c’est pas grave, ça achève. Sœur Sainte-Monique a dit que j’vais pouvoir commencer mes examens la semaine prochaine. Pis toi ? Rien de nouveau à la maison ?

    Conversant toujours, Cécile se dirige vers le garde-manger, selon son habitude quotidienne. Gisèle revient alors à la tarte qu’elle a commencée.

    — Non. Icitte, y a rien de ben drôle à raconter. Mais au radio, par exemple, y’ont dit, à midi, que les alliés sont en train de gagner du terrain...

    Puis, revenant face à Cécile, elle poursuit, convaincante, l’index pointé au plafond :

    — Ça sent la fin d’la guerre, ma fille. Pis à plein nez à part de ça.

    En entendant ces mots, Cécile se met à rougir. Indécise, elle reste un instant immobile, une main tremblante posée sur le loquet de la porte du garde-manger. Le mot « guerre » est encore et toujours une épine plantée douloureusement dans son cœur. Mais les suppositions de sa tante sont tellement remplies d’une joyeuse espérance ! Cécile se met à rire. Enfin, enfin une raison pour laisser éclater au grand jour ses espoirs les plus fous.

    — Finie ? La guerre serait sur le point de finir ? Comme ça, si Jérôme est prisonnier, il va être libéré ?

    C’est au tour de Gisèle de rougir. Afin de cacher son embarras, elle se retourne contre l’armoire en toussotant et se met à rouler la pâte avec vigueur, camouflant ainsi à la fois sa déception et son impatience. « Pôv’tite fille. Quand c’est qu’a’ va comprendre que... » Sa pensée s’arrête là. C’est que Gisèle aime tendrement sa petite Cécile. Et voit en elle la fille qu’elle n’a pas. Surtout depuis le décès de Jeanne, sa belle-sœur, la mère de Cécile. C’est pourquoi elle s’oblige à lui répondre sur la même lancée, sans se retourner, s’efforçant de donner à sa voix un enthousiasme qu’elle est loin de partager. Mais, philosophe, elle se dit que le temps des larmes viendra bien assez vite, et tout seul. Elle en est persuadée.

    — Si y’est prisonnier, oui. C’est ça que ça veut dire, la fin de la guerre... Mais en attendant, viens donc m’aider à préparer le souper. Poléon pis les garçons vont arriver betôt pis j’ai rien de faite encore. Prends-toi une pomme pour ta collation pis sors les patates en même temps...

    Tout le Canada reste suspendu au bout des ondes qui, au fil des heures, permettent de suivre l’évolution des alliés. L’Amérique entière retient son souffle... Et Cécile encore plus que tous ceux qui vivent auprès d’elle.

    En ce beau matin clair de mai, la jeune fille est partie très tôt de la maison, avant même le réveil du reste de la famille Breton. C’est aujourd’hui qu’elle commence ses examens. Elle est assise à sa table de travail, comme tous les jours. Inconfortable sur la petite chaise de bois, dure et droite, dans une pièce minuscule, étouffante, qui servait auparavant de salle de pratique pour les leçons de piano. Il fait chaud, en cette matinée, et la concentration de Cécile a peine à suivre sa bonne volonté. D’autant plus que les nouvelles, hier soir, semblaient très bonnes. On parlait d’un règlement du conflit dans les jours à venir, sinon dans les heures suivantes. L’esprit vagabond, incapable de se concentrer sur sa copie, Cécile se lève pour venir à la fenêtre. Un soleil bien franc éclabousse le verger du couvent d’une averse d’étincelles brillantes. « Comme chez nous », songe alors la jeune fille en imaginant l’imposante plantation de pommiers, à la ferme de son père. Un long soupir tremblant lui gonfle la poitrine. Que fait-elle ici, à la ville ? Ce n’est pas ce qui était prévu pour sa vie. Et, revoyant en pensée la ferme paternelle, les études ont brusquement beaucoup moins d’attrait. En ce moment, elle devrait être la femme de Jérôme. Elle devrait habiter la grande maison blanche et rouge des Cliche sur le rang du Bois de Chêne, à deux milles exactement de la demeure de ses parents. Peut-être aurait-elle déjà un enfant ou deux ? Une grosse boule de tristesse lui encombre la gorge et embue son regard. Cécile s’ennuie. Les lettres, qui parviennent pourtant régulièrement de la Beauce, ne suffisent plus à rassurer son cœur, à désaltérer sa grande soif d’affection. En elle surgit l’envie impétueuse de tous les revoir, ses nombreux frères et sœurs, son père et les parents de Jérôme. Elle a surtout le besoin irrésistible de serrer tout contre elle son petit frère Gabriel. Cet enfant qui a bouleversé sa vie et l’a amenée à prendre de cruelles décisions. S’il n’avait pas été là, ce petit bout d’homme, jamais Jérôme ne se serait enrôlé dans l’armée. Mais sa mère, morte en couches, le lui avait confié et Cécile ne pouvait se résoudre à l’abandonner. C’est pour lui, ce petit frère né beaucoup trop tôt et qu’elle allaitait secrètement comme s’il était le sien, c’est par amour pour cet enfant que Cécile avait choisi de rester chez son père au lieu de se marier avec Jérôme et tenter de retrouver leur fille comme ils en avaient convenu. Le petit Gabriel avait pris toute la place laissée vacante dans le cœur de Cécile quand elle était retournée dans sa famille, abandonnant sa petite fille derrière elle. Laissant à la ville, où elle avait caché sa grossesse, une enfant qu’elle aimait plus que sa propre vie. Juliette, qu’elle l’appelait... Mais à la seconde où le médecin avait mis Gabriel dans ses bras, l’esprit de Cécile avait basculé. C’est ce petit visage qui avait parlé à son cœur. Lui et nul autre. Dans la tête de Cécile, Gabriel, le petit frère, et Juliette, la petite fille, se sont aussitôt confondus. Brusquement, la jeune femme ne voyait que lui, ce bébé minuscule et si dépendant...

    Pendant que, incapable de retenir les larmes qui se sont mises à couler sur ses joues, Cécile s’enfonce dans la douleur des souvenirs, la cloche de la chapelle du couvent se met à carillonner gaiement. Presque aussitôt suivie par celle, beaucoup plus forte et grave, de l’église du Saint-Sacrement. D’un gong, elles éteignent l’écran des souvenirs. Cécile sursaute violemment. Essuyant rapidement son visage, elle se précipite vers le couloir à l’instant même où sœur Sainte-Monique, aussi souriante qu’excitée, arrive en courant pour la rejoindre. Elles butent l’une contre l’autre. Cécile n’a pas le temps de demander le pourquoi de cette agitation que, déjà, la religieuse, tremblante de joie contenue, lui prend les mains avec affection et s’empresse de la renseigner.

    — Mademoiselle Veilleux ! C’est merveilleux... La guerre est finie ! La guerre est finie... Vous... vous êtes en congé jusqu’à demain. Excusez-moi, mais je dois me rendre à l’infirmerie pour rassurer mes consœurs. À demain...

    Et, se retournant aussi vite qu’elle était apparue aux yeux de Cécile, elle lance :

    — Oh ! sœur Saint-Judes, attendez-moi... Êtes-vous au courant ? La guerre est finie !

    Et, dans le froufroutement de leur longue robe noire, les deux religieuses disparaissent au coin du corridor, devisant joyeusement et s’exclamant. Interdite, Cécile reste un instant immobile. Comme si les mots entendus n’arrivaient pas à faire leur chemin jusqu’à son cœur. Finie... La guerre est finie. La phrase qu’elle attend depuis un an. Qu’elle appelle du plus profond de sa solitude, le soir, quand elle pleure sur sa vie déchirée. Elle s’était toujours imaginé qu’elle sauterait de joie à cette annonce. Pourtant, elle n’arrive pas à se réjouir. Comme si elle se devait de rester sur la défensive. D’un coup, tous les espoirs soigneusement entretenus au fil des mois s’estompent derrière une angoisse presque palpable... Et s’il ne revenait pas ? À peine un instant, quatre mots en apparence inoffensifs et pleins de joie, et voilà brusquement que l’attente devient insoutenable devant la brièveté de l’échéance. C’est bientôt qu’elle saura vraiment... Elle a tellement peur de savoir maintenant ! Comme elle a toujours eu peur de savoir, finalement... Les mains tremblantes, elle réunit ses affaires éparpillées sur le pupitre et les enfouit machinalement dans son cartable. Elle n’a en tête qu’un seul désir : rejoindre au plus vite sa tante Gisèle. Confier l’inquiétude frémissante qui lui fouille le ventre et fait débattre son cœur à l’unique personne susceptible de comprendre son désarroi... La tête à des milles de Québec, survolant en pensée une plage au bout du monde, Cécile grimpe dans l’autobus. Elle n’arrive pas à contrôler le frémissement de ses mains, de son corps tout entier. Ce n’est qu’une fois arrivée devant la demeure de son oncle, lieu de tendresse et d’affection, que Cécile réussit enfin à se calmer un tant soit peu. Prenant alors une profonde inspiration, elle attaque le long escalier intérieur. Une marche à la fois, lentement, comme si chaque pas lui coûtait. Toute la famille Breton est déjà réunie au salon, écoutant religieusement la voix lointaine du premier ministre confirmant l’heureuse nouvelle. En entendant les pas de Cécile dans le couloir, Gisèle se relève et vient à elle.

    — Ma poulette ! Te rends-tu compte ? Enfin, le cauchemar est fini... Viens, viens t’assire avec nous autres... Mais qu’essé que t’as, coudon ? T’es ben blême, ma belle.

    C’est en prononçant ces derniers mots que Gisèle devine le bouleversement de Cécile. Brusque, aussi vive de parole que de geste, la tante Gisèle n’en demeure pas moins une femme de cœur. Une femme pour qui les émotions ont une grande importance dans la vie. Même celle de tous les jours... Prenant alors sa nièce par le bras, elle la conduit jusqu’au divan l’obligeant à s’asseoir entre ses deux fils, Raoul et Fernand, qui n’osent intervenir devant l’évidente tristesse de leur cousine. Puis, sans autre formalité, Gisèle s’installe à même le plancher, devant Cécile, les mains posées sur ses genoux tremblants.

    — C’est aujourd’hui que ton attente vient de changer d’allure, hein ma belle ? Faut pas t’en faire avec ça, ma Cécile. C’était ben évident que ça allait arriver un jour ou l’autre. Y a toujours un boutte à chaque espérance pis à chaque misère.

    Tapotant les cuisses de Cécile d’une main sèche qui se veut malgré tout maternelle, Gisèle enchaîne :

    — Mais j’te comprends, ma belle. J’comprends toute c’que tu dois ressentir en dedans de toi... C’est pas facile, je l’sais ben, de vivre dans l’incertitude comme tu l’fais depuis un an. Mais ça achève, tu vas voir.

    Sortant de son mutisme, Cécile pose sur sa tante un regard à la fois étrangement vide et fiévreux.

    — Mais s’il revenait pas, ma tante ?

    Gisèle retient un soupir de soulagement. C’est la première fois que Cécile ose parler ainsi. À chaque occasion où, toutes deux, elles s’entretenaient du jeune fiancé disparu, Cécile refusait obstinément d’envisager autre chose que son retour. S’emportant même, elle naturellement si douce, devant l’entêtement de sa tante qui persistait à la mettre en garde contre son espérance aveugle. Oui, Gisèle est soulagée. Et, en ce moment, la voix qui répond à la jeune femme se module d’une douceur insolite dans la bouche de l’autoritaire Gisèle. Ne l’aime-t-elle pas comme sa propre fille ? Ne souffre-t-elle pas devant ses larmes ?

    — Pôv’tite fille... Si Jérôme revient pas, ça sera juste que c’était là son destin à lui. C’est pas toi ou personne d’autre qui peut y changer quetchose... Je l’sais ben, va, que tu t’imagines que toute est de ta faute. J’ai les yeux clairs, Cécile. Mais faut pas que tu penses de même, ma belle. Y a rien de vrai dans ça. T’as faite ce que ton cœur pis ta conscience te disaient de faire. Un point c’est toute. Y a personne qui peut te reprocher ça. Pis toi non plus, y faudrait pas que tu te fasses des blâmes.

    Les paroles de Gisèle rejoignent si bien ce que pense Cécile ! Les larmes lui viennent aussitôt aux yeux.

    — Mais si on s’étaient mariés, Jérôme pis moi, on en serait...

    Gisèle l’interrompt d’un geste de la main.

    — Pis si Gabriel était mort à cause de ça, hein ? Tu viendras pas me dire que tu t’en serais pas voulue. Voyons donc, Cécile, c’est pas de même que ça marche dans la vie... T’as faite pour le mieux... Pis Jérôme avec... Anyway, c’est pas toi qui as pris la décision de partir pour les vieux-pays. C’est Jérôme tu seul qui a choisi. C’est pas un reproche que j’y fais, comprends-moi dans le bon sens, Cécile. Ben au contraire ! C’que j’en dis, c’est juste que ton fiancé était un homme de devoir. Y’a faite c’que sa conscience y dictait de faire. Exactement comme toi. Garde toujours ça dans ton cœur, ma belle. Quoi qu’il arrive...

    Pendant un instant, Cécile reste silencieuse, fermant les yeux sur les ambivalences que le discours de Gisèle a fait naître en son cœur. Et là, devant elle, se précise l’image d’un grand jeune homme, souriant sous ses boucles noires. Jérôme... Beau, si beau dans son uniforme militaire. Une crampe lui traverse le ventre. Il lui manque tant ! Ce vide en elle, dans toute sa vie... Comme si elle ne parlait à personne, Cécile laisse tomber dans un souffle, sans ouvrir les yeux :

    — Mais qu’est-ce que j’vais devenir, moi, sans lui ?

    Repoussant d’une main énergique son fils Fernand, Gisèle vient s’asseoir tout contre Cécile et lui entoure les épaules d’un bras protecteur.

    — Ça sera à toi de décider, ma poulette. Juste à toi. Y a pas personne sur terre qui peut choisir à ta place... Pas personne... Je te l’ai déjà dit, Cécile. Pour les choses importantes, c’est au fond de soi qu’on peut trouver une réponse. Pas ailleurs...

    Alors, se redressant, Cécile ouvre les yeux. Elle pose un regard douloureux sur sa tante avant de murmurer d’une voix sourde :

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