L'esprit de l'escalier: Souvenirs du Cours Complémentaire d'Aurillac. 1936-1941
Par Albert Cazal
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À propos de ce livre électronique
Ce témoignage, mi-tendre, mi-humoristique, est celui d'un de ces miraculés de l'école laïque, comme aimait les appeler Bourdieu. Les escaliers et les cours intérieures de ce vénérable collège deviennent, dans les labyrinthes de la mémoire, tout aussi fantastiques que les Carceri d'invenzione de Piranèse.
Albert Cazal
Né en 1924 au village de Marcolès (Cantal), Albert Cazal, ancien élève de l'École normale supérieure de Saint-Cloud, professeur agrégé d'espagnol avant de devenir inspecteur pédagogique régional de l'Éducation nationale, résida successivement dans le Gers et l'Allier. Photographe amateur exigeant et bénéficiant d'un équipement de qualité (Leica), il a accumulé sur la longue durée une photothèque très riche, dans laquelle on a pu puiser matière à six recueils d'une grande qualité esthétique. Plus de vingt ans après sa mort, survenue en 1998, sa fille Françoise Cazal, hispaniste, professeur émérite de l'Université Toulouse Jean Jaurès, édite ce dernier recueil de photographies, le sixième de la série « Ma vie en Leica ».
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Avis sur L'esprit de l'escalier
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Aperçu du livre
L'esprit de l'escalier - Albert Cazal
Illustration de couverture : Giovanni Battista Piranesi
Le Carceri d'invenzione, planche VIII, 1750
https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Piranesi9c.jpg
[ Public domain ]
Des paroles d’aujourd’hui
sur des images d’hier
Les vieux encriers carrés les plus ordinaires avaient, à côté de leur goulot un peu décentré, une gouttière destinée au repos du porte-plume, comme celle qui existe naturellement dans l’anatomie d’un épicier, entre l’oreille et le crâne. Cela leur donnait un caractère débonnaire, amical même, qui pouvait vous pousser jusqu’à la confidence, si vous aviez le bonheur de garder au fond de votre pupitre un de ces modestes flacons.
Parmi le fouillis intime que chaque collégien finissait par se constituer sous l’abattant incliné, et qu’animait parfois, à la belle saison, un grillon ramené de la promenade, pourquoi garder ainsi prisonnier un encrier du commerce, un encrier « privé », alors que l’administration scolaire, sur l’ensemble du territoire de la Troisième République, veillait à pourvoir les tables des élèves de ces impérissables encriers en porcelaine blanche, encastrés dans les deux trous ronds que nos pupitres, toujours biplaces, comportaient sur la partie horizontale de leur dessus, et qui étaient les yeux du meuble vous regardant de leur pupille noire quand vous rejoigniez votre table comme un ruminant docile rejoint sa place à l’étable ?
À y bien regarder, ces deux espèces d’encriers, le blanc et le noir, le rond et le carré, le public et le secret, se partageaient équitablement mon cœur.
Je ne pouvais nier les charmes de l’encrier républicain. Lorsqu’il donnait des signes de tarissement, c’est-à-dire quand la plume Sergent-Major ramenait une boue bitumineuse agglutinant des débris incertains, on faisait officiellement appel – « Monsieur, j’ai plus d’encre » – à la bouteille nourricière qui dormait derrière le tableau noir, entre la boîte à craie et le compas de bois.
Ce pouvait être un ravitaillement en vol, l’élève avançant l’encrier aussi précautionneusement incliné que la bouteille l’était par son servant, ou bien une manœuvre beaucoup plus audacieuse que seul aurait pu réussir sans bavure un fils de cafetier habitué à servir dans le verre des clients l’exacte ration de pastis – mais malheureusement cette honorable catégorie socioprofessionnelle n’envoyait pas alors ses enfants dans des établissements « primaires supérieurs » comme le nôtre. Le tour de main, dans ce cas, consistait à renverser la bouteille à la verticale sur l’encrier demeuré en place, mais avec brutalité et décision, d’où des accidents divers qui animaient l’étude et qui ont imprégné ma mémoire du glougloutement sauvage du bec verseur et de la puissante odeur organique de l’encre fraîche.
D'autre part, l’encrier de porcelaine encastré dans un trou de la table faisait corps avec elle, s’enracinait dans la structure scolaire à travers le bois de ce meuble administratif, comme nous le faisions nous-mêmes, étroitement insérés entre banc et pupitre, lesquels formaient un seul bloc. Ainsi s’établissait entre les deux garçons affectés à la même table cette fraternité que doivent ressentir entre eux les bœufs attelés ensemble par le destin, et à laquelle se mêlent sans doute à l’égard du joug familier une part de haine et une part d’amitié.
La haine aurait pris toute la place de l’amitié, si j’avais été condamné à ne tremper ma plume que dans l’honnête encrier scolaire, aussi gai fût-il à ses heures. Et comme, en ces temps-là, n’existait pas le crayon à bille, et