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Velázquez
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Livre électronique449 pages2 heures

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Diego Velázquez (Séville, 1599 – Madrid, 1660)
Diego Velázquez était un artiste anticonformiste de l'ère baroque. A l'âge de vingt-quatre ans, Velázquez fit son premier voyage à Madrid avec son professeur, Francisco Pacheco, rencontré à Séville.
Rapidement, il se qualifia comme maître peintre. Le roi Philippe IV remarqua son génie et le nomma peintre de cour en 1627. Peu après, l'artiste se lia d'amitié avec Rubens à Madrid. Il développa une approche plus réaliste de l'art religieux, où les personnages sont représentés de façon naturaliste et non pas idéalisée. Son usage du clair-obscur rappelle les oeuvres du Caravage. Il fit au moins deux voyages à Rome pour acheter de l'art Renaissance et néo-classique pour le roi. A Rome, il adhéra à l'Académie de Saint-Luc en 1650, et fut élu chevalier de l'ordre de Santiago en 1658. Son imposante oeuvre de commande, La Reddition de Breda (vers 1634), montrait la défaite des Hollandais devant les Espagnols, et célébrait le triomphe militaire du règne de Philippe. L'artiste peignit le Pape Innocent X (1650) au cours de son second séjour à Rome, rappelant des oeuvres similaires de Raphaël et de Titien. Ses dernières oeuvres étaient plus spontanées, mais toujours disciplinées. Le point culminant de sa carrière fut le chef-d'oeuvre intitulé Les Ménines (1656), l'un des plus complexes portraits de groupe de l'histoire.
Velázquez est reconnu comme le plus grand peintre espagnol de son siècle. Il influença des peintres majeurs comme Goya et Manet.
LangueFrançais
Date de sortie15 sept. 2015
ISBN9781783108459
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    Aperçu du livre

    Velázquez - Carl Justi

    d’illustrations

    1. Autoportrait, vers 1640. Huile sur toile, 45,8 x 38 cm.

    Musée des Beaux-Arts de San Pio V, Valence.

    Introduction

    Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, le nom de Diego Velázquez n’était encore que très rarement mentionné dans les pays d’Europe de l’ouest et moins encore en Allemagne. Le registre des grands peintres semblait depuis longtemps complet, et l’on ne soupçonnait pas que dans les contrées les plus occidentales du continent, au cœur des palais de Madrid et du Buen Retiro, reposaient en secret les lettres de créance d’un artiste pleinement autorisé à s’inscrire parmi les plus grands maîtres de la peinture. C’est grâce au peintre allemand Raphaël Mengs que Velázquez prit sa place dans l’histoire de l’art. Il décrivait les œuvres de Velázquez comme des parangons du « style naturel », le trouvant supérieur à ceux qu’il avait jusqu’ici considérés comme des chefs de file en la matière, Titien, Rembrandt et Gerrit Dou. En 1776, il écrivit à Antonio Ponz, le cicérone de l’art espagnol : « Les meilleurs exemples de style naturel sont les œuvres de Diego Velázquez. Sa maîtrise de l’ombre et de la lumière, ses jeux d’effets aériens incarnent bien les traits les plus fondamentaux de ce style, car à travers eux c’est la vérité qui s’exprime. » Velázquez fait partie de ces individus qui ne supportent aucune comparaison. Toute tentative de décrire une personne telle que lui en une seule phrase ne peut aboutir qu’à des platitudes ou de la surenchère. De fait, le peintre de cour de Charles III le considérait comme le premier naturaliste. Pour Waagen, qui découvrit ses œuvres sur le tard, il incarnait le réalisme de l’école espagnole dans toute sa subjectivité mais aussi dans sa plus grande perfection.

    Piété et mysticisme, définis comme les caractéristiques dominantes et spécifiques de l’art espagnol, s’appliquent aussi bien à ses thèmes qu’à la stricte religiosité de ses représentants. L’Espagne a bien son Murillo solitaire, dont la dimension spirituelle n’a rien à envier à celle de peintres pieux comme Guido, Carlo Dolce et Sassoferrato ; mais ce qui place Velázquez bien au-dessus d’eux, c’est sa façon heureuse d’enrichir les thèmes les plus traditionnels, des types nationaux simples, de la couleur locale et des jeux de lumière, guidé par son naturalisme et son caractère enfantin et enjoué. Ce qui fascine les étrangers dans la peinture religieuse espagnole, ce n’est pas tant la richesse du sentiment ou la profondeur du symbolisme qu’une certaine touche de gravité, de simplicité et de complète honnêteté. Ces artistes ne songeaient pas à utiliser les sujets religieux comme des prétextes à l’introduction de séduisants motifs d’une autre sorte ; cependant, avec un naturel tout médiéval, ils n’hésitaient jamais à transposer leurs pieuses thématiques dans un environnement espagnol. Au XVe siècle, les peintres de retables des écoles provinciales, influencés par les Flamands, trahissaient déjà des tendances similaires, même dans le cadre étroit de l’art « gothique ». Mais la propagation de l’esprit italien mit bientôt fin à ces prémices d’une authentique école nationale. Durant un siècle entier, les Espagnols se vouèrent à l’idéalisme, ne produisant malheureusement que des œuvres dénuées d’intérêt. Puis ils adoptèrent la démarche opposée mais utilisèrent alors des capacités artistiques très différentes.

    Ainsi, le réalisme provoqua la libération de l’individualité, désignant donc la nature comme véritable source d’inspiration et accordant au talent un statut indépendant. Mais ce sont précisément ces maîtres espagnols, à l’âme pure, voire austère, qui s’imposèrent dans le monde sans avoir jamais quitté leur patrie, fondant ainsi le concept d’une école espagnole. Parmi les membres de ce groupe, Velázquez était le plus méthodique, possédant les meilleures aptitudes techniques et l’œil le plus fidèle. Tout ce qu’il a réalisé, de ses portraits et de ses paysages à ses scènes de chasse, peut servir d’étalon à la médiocrité conventionnelle des autres. Le médium à travers lequel il regardait la Nature, pour utiliser une illustration physique, absorbait peut-être moins de particules de couleur que celui des autres artistes. En effet, un instant comparées à Velázquez, les couleurs du Titien semblent ordinaires, celles de Rembrandt irréelles et celles de Rubens teintées d’un soupçon de maniérisme apprêté. S’il confère moins de substance à ses sujets que tout autre peintre, il en retire certainement plus. Personne n’a pris plus à cœur la maxime de Dürer pour qui « en vérité, l’art est renfermé dans la nature, celui qui peut l’en extraire avec discernement le possède ». Tout ce que Velázquez voyait, il le transposait sur la toile par des méthodes toujours variées, voire improvisées, qui sont souvent une énigme pour les peintres. Il impressionne les techniciens du pinceau, surtout dans la manifestation visible de ces méthodes ; il demeure pour eux le plus ingénieux des artistes, capable de tirer profit des moyens les plus maigres, alors qu’en vérité il ne s’agissait souvent pour lui que d’une manière d’arriver à ses fins. Ainsi s’explique l’attrait indéfectible des œuvres de Velázquez : leur charme réaliste résidant à la fois dans leur aspect extérieur et intérieur, dans la clarté des teints et dans la révélation des volontés, dans le souffle, la palpitation de l’instant et dans la profondeur des caractères. Comparé aux coloristes des écoles vénitienne et néerlandaise, Velázquez semble même parfois prosaïque et naïf ; non vraiment, le profane ne pouvait trouver moins attrayant. Pourtant, chacune de ses œuvres révèle un aspect nouveau et particulier, aussi bien sur le plan de l’invention que de la technique. Les époques de Cervantès et de Murillo donnèrent naissance en Espagne à des formes uniques adaptées aux matériaux, aux circonstances et aux idées de leur temps. Le nom de Velázquez apparaît imprimé pour la première fois dans les Dialogos de la Pintura de Vincenzo Carducho (1633), où il est fait mention des tableaux du palais royal de Madrid. Mais les premiers comptes-rendus dignes de foi sur sa vie, nous les devons à l’œuvre de son beau-père (Pacheco) dans Arte de la Pintura (Séville, 1649).

    La description que nous donnons ici de son premier voyage en Italie semblerait provenir de lettres écrites à cette époque. Soixante-quatre ans après sa mort, Palomino publie une biographie rédigée dans son Museo Pictorico (1724). En effet, dès 1678, ce biographe des peintres en fonction à Madrid avait, en sa qualité de peintre de cour depuis 1688, pu voir dans les palais tout ce que Velázquez avait laissé derrière lui. Le Museo fut notre unique source d’informations concernant Velázquez et ses compagnons en dehors d’Espagne. Le récit de la vie de Velázquez qu’il contenait fut traduit en anglais en 1739, en français en 1749 et en allemand (Dresde) en 1781. La biographie D’Argenville (1745) est un simple résumé de ce récit. Antonio Ponz introduisit quelques descriptions de peintures dans son Voyage artistique (Madrid, 1772). Mais c’est au XIXe siècle que le nom de Velázquez put enfin prendre une place éminente et clairement définie au sein de la grande communauté artistique.

    Le coup d’envoi fut donné par l’Angleterre, grâce à l’amour des voyages de ses citoyens et à une prédilection pour l’école espagnole, qui dès le XVIIIe siècle fut présentée dans les collections privées. Nous devons la première biographie lisible à Sir William Stirling-Maxwell, un baronnet écossais, né en 1818 et décédé en 1878. Elle parut pour la première fois dans les Annales des artistes d’Espagne (Londres, 1848) et par la suite, dans une édition séparée. Bien qu’aujourd’hui considéré comme quelque peu optimiste, Richard Ford (1796), compagnon enjoué de tous les voyageurs en Espagne, connaissait son sujet encore mieux que Sir William. Son Guide de l’Espagne, publié pour la première fois en 1845, n’a pas d’égal ; c’est l’œuvre d’un homme versé aussi bien en littérature ancienne que moderne, relevée d’une pointe d’humour, de sarcasme et de sympathie, inspirée par une réelle connaissance du peuple et imprégnée de l’atmosphère authentique du pays.

    Son article sur Velázquez dans la Penny Cyclopaedia est également le meilleur écrit en langue anglaise. Mais c’est à Don Gregorio Cruzada Villaamil (1832 - 1885) que nous devons le plus : il réédita les livres extrêmement rares de Carducho et de Pacheco si importants pour l’étude de la peinture espagnole de cette période. Il publia en 1874 des documents attestant l’ascendance noble de Velázquez que conservaient les archives de l’Ordre à Uclès. Un livre publié à la fin du XIXe siècle par Charles B. Curtis de New York constitue un autre témoignage remarquable sur l’œuvre de Velázquez. C’est, de toute évidence, un travail fait avec amour et le fruit de vingt années de recherches. Celui-ci propose une description ordonnée de tout ce qui a pu être attribué à Velázquez, l’histoire des tableaux et leurs prix ; il procède également à un inventaire de toutes les reproductions, dont Curtis lui-même possède apparemment la collection la plus complète. Bien que l’étude des archives et autres documents ne soit pour nous que de simples interludes au milieu de notre propre travail consacré aux œuvres elles-mêmes, aux lois et aux techniques de l’art, ici, ces intervalles se sont parfois considérablement prolongés. C’est pourquoi, pour ne mentionner qu’un seul point, nous avons dû réaliser des copies autographes des inventaires des palais royaux, qui nous permettent de tirer des conclusions sur le talent déployé par Velázquez dans la classification des collections. Les archives de Venise, Naples, Florence, Modène et d’ailleurs en Italie contiennent, outre des lettres se référant au maître, de nombreuses informations venant souvent éclairer de façon surprenante les personnes et les circonstances mentionnées dans sa biographie. L’histoire d’un artiste est, par dessus tout, l’histoire de ses œuvres et celle-ci pourra être aisément reconstituée même en l’absence de preuves tangibles.

    2. Le Comte-duc d’Olivares, vers 1625.

    Huile sur toile, 209 x 110 cm.

    Collection Varez-Fisa.

    3. Portrait d’un homme avec une barbe

    (Francisco Pacheco ?), 1620-1622.

    Huile sur toile, 41 x 36 cm.

    Museo Nacional del Prado, Madrid.

    Ses Débuts

    Le Paysage artistique de son enfance

    Nous éprouvons en général plus ou moins d’intérêt pour les conditions de vie et l’entourage des personnes qui ont marqué l’histoire, soit pour avoir fait le bien public soit pour avoir réalisé de grandes choses ou encore simplement parce qu’elles jouissent de l’affection du public. C’est avec curiosité que nous explorons leur lieu de naissance et analysons leurs premières fréquentations, humons l’air de la montagne qu’elles ont respiré, contemplons les tombes où elles ont trouvé le repos ; nous recueillons des informations sur leurs ancêtres, leurs professeurs et leurs compagnons de vie. Et aujourd’hui, les biographies tiennent compte de cette tendance naturelle, surtout quand l’activité de ces hommes s’est déployée dans le royaume de l’imaginaire. Les paragraphes suivants seront donc consacrés à la ville de Séville et à sa société, à l’évolution du goût entre le XVe et le XVIIe siècles, et aux principaux artistes qui prospéraient au début de ce dernier.

    Nous n’avons pas besoin de feuilleter de vieux documents poussiéreux ou d’émettre des conjectures à partir de monuments en ruine pour découvrir ce que Séville était alors : le célèbre minaret de Jaber et la cour des Orangers de la mosquée, avec la Puerta del Perdon sont toujours là, de même que l’Alcazar et les jardins de Don Pedro, aujourd’hui encore résidence royale et aussi la splendide cathédrale, que les chanoines voulurent dans l’esprit de la Tour de Babel. Cet édifice, pour ainsi dire, sans fondateur ni architecte, est l’œuvre née de plusieurs générations de chanoines, de doyens et d’archevêques, aidés par une colonie d’artistes du pays ou d’ailleurs. Séville s’était toujours vantée de sa richesse et de sa dévotion, de l’élégance de ses maisons et de la générosité de ses charitables institutions, de la beauté de ses femmes et de la bravoure de ses nobles. Au début du XVIe siècle, alors que la ville devenait un débouché important et exclusif du commerce avec le Nouveau Monde et que l’Armada entrait et sortait pour la première fois de ce port, les richesses s’accumulèrent avec une rapidité inouïe.

    La Casa de Contratacion gérait le commerce colonial, tandis que les grands marchands jouissaient du monopole du commerce sur mer. Ils contrôlaient les marchés des vieux comptoirs méditerranéens comme ceux du nord, dont les fournisseurs faisaient également transiter leurs marchandises par la Péninsule, alors au centre d’un empire mondial.

    Revenus, frais de douanes, valeur de la terre, population, tout augmentait et ce trafic mondial attirait de nouveaux groupes sociaux. Ceux-ci évoluèrent alors en classes très nettement définies : (1) les autochtones descendant des colons et des anciens habitants, les nobles et le peuple ; posés, courageux, riches, vivant de leurs revenus ou du travail manuel et n’allant jamais à l’étranger. (2) Les commerçants étrangers dont les colonies – allemande, flamande, française, italienne – sont encore évoquées par les noms des rues. (3) Les oisifs, les bons à rien et les joueurs, venant parfois renflouer les bandes entraînées dans les guerres contre les Morisques. Ainsi, la place fut bientôt surpeuplée et « comme en Chine, la rivière elle-même devint habitée ».

    Le règne de Philippe III coïncide avec la jeunesse de Velázquez et est précisément désigné dans les chroniques comme l’époque où ces changements se mettent en place. C’est l’époque des grandes fondations et de l’essor de l’esprit d’entreprise. Au XVIIe siècle, église et argent faisaient toujours bon ménage. Avant l’achèvement de la lonja, les marchands avaient coutume de se rassembler sur le parvis de la cathédrale. Dans les rues avoisinantes, des ventes aux enchères d’objets en argent, d’esclaves, de tissus, de marqueterie, de peintures se déroulaient, tout comme dans le temple de la déesse Libitina, comme nous le raconte Rodrigo Caro. Séville était aussi une cité très catholique ; après la conquête, ses palais maures avaient été convertis en couvents. Pourtant, malgré cela et malgré l’emprise de la culture et de la poésie humaniste italienne alors très en vogue, Séville était demeurée, et demeure toujours, une ville profondément orientale. Depuis le milieu du XVIe siècle, la culture italienne s’était imposée dans les couches instruites de Séville. Après l’introduction des études latines par Antonio de Lebrija (1444–1522), la lecture des poètes italiens anciens et modernes donna naissance à un nouvel univers de sentiments et de formes littéraires à l’intérieur même des limites rigides de la tradition catholique. Avec l’indifférence que manifeste toute époque à l’égard de ses précurseurs, les créations poétiques contemporaines, celles-là même qui possèdent un charme si particulier à nos yeux, ne bénéficiaient souvent alors que de peu d’attention : les écrivains s’absorbèrent dans les vestiges de l’Antiquité Romaine et l’on versa des larmes toutes poétiques sur leur disparition.

    Hernando de Herrera, dit « le Divin », le plus célèbre de tous les poètes de Séville (1534 – 1597), marcha sur les pas de Boscan et de Garcilaso, ce dernier étant, selon lui, le plus grand des poètes espagnols. D’après Pacheco, Herrera fut le premier à porter le langage au summum de sa perfection. Il considérait le sonnet comme la forme la plus élégante de la poésie espagnole et italienne. Pedro de Mexia (mort en 1555), un temps la plus fine lame de Salamanque, composa dans ses dernières années de ruine et de maux de tête épouvantables, un de ces recueils de textes variés si prisés, le plus souvent d’auteurs anciens, dans le style de Macrobe : la Silva de varia leccion. Celui-ci fut traduit en plusieurs langues et lu dans le monde entier au XVIe et XVIIe siècle.

    Contrairement aux poètes, les peintres n’avaient pas souvent l’occasion de dépeindre des batailles de Titans ou des romances dans le style de celle de Psyché. Mais de façon plus radicale encore que les poètes, ils s’étaient exprimés contre la langue étrangère. D’après Hernando de Hozes, depuis l’introduction de la versification toscane, tout ce qui avait été composé selon l’ancien système métrique espagnol était tombé en disgrâce au point de ne plus être considéré comme digne d’être lu : c’est pourquoi les artistes majeurs et les esprits éclairés en parlaient désormais comme d’un barbarisme gothique local, balayé par ceux qui revenaient de Rome. Les tableaux des chefs de file du nouveau style en vogue à Séville étaient pleins d’emprunts et de souvenirs d’Italie. Herrera exigea que soit bannie des nobles effusions poétiques toute expression pouvant conférer une connotation familière ou banale à la pensée et, en effet, l’espagnol de ces poètes se chargea petit à petit d’idiotismes issus des langues latine et italienne. De la même façon, la somptueuse couleur locale héritée de l’art médiéval disparut des productions picturales de cette époque. C’est en vain que nous cherchons les types et les traits nationaux, les motifs ou les tons locaux dans des œuvres qui auraient pu tout aussi bien voir le jour à Utrecht ou à Florence. Dans la jeunesse de Velázquez, les étoiles du firmament italo-ibérique étaient déjà sur le déclin. Un goût national tout nouveau, quoique foncièrement ancien, commençait à émerger.

    La Renaissance fut introduite à Séville dans la première décennie du XVIe siècle. A cette époque, Nicoloso Francisco de Pise produisait des sculptures en terre cuite dans le style de Della Robbia. En 1519, Don Fadrique de Rivera commanda à Gênes les tombeaux de ses parents, les plus somptueux exemples du style funéraire italien en Espagne. Dès les années 1520, nous assistons à l’adoption du style plateresque par l’Espagnol Diego de Riano et ses compagnons, avec une maîtrise parfaite et un cachet très personnel. C’est de cette période que datent les édifices élégants et si richement sculptés comme l’hôtel de ville, la grande sacristie et la chapelle royale. Mais ce n’est qu’à partir du milieu du siècle que nous rencontrons des groupes de peintres issus de la plus pure école Italienne, les Maniéristes, qui rompent de façon radicale avec le passé. C’est à peu près à cette époque que les Jésuites font leur apparition à Séville (1554). Une nouvelle ère avait émergé un peu plus tôt en Castille, où l’on décrit Alonso Berruguete, revenu d’Italie en 1520, et Gaspar de Becerra comme « les hommes extraordinaires qui bannirent du terrain le barbarisme toujours présent ici ».

    4. Petrus-Paulus Rubens, Autoportrait, 1638-1640.

    Huile sur toile, 109 x 85 cm.

    Kunsthistorisches Museum, Vienne.

    5. Titien (Tiziano Vecellio), Charles V, 1548.

    Huile sur toile, 205 x 122 cm. Alte Pinakothek, Munich.

    6. Titien (Tiziano Vecellio), Autoportrait, 1567.

    Huile sur toile, 86 x 65 cm.

    Museo Nacional del Prado, Madrid.

    7. Anonyme, Vue de Séville (détail), 1607. Lithographie.

    Le dernier rejeton de la famille Arphe rompit avec le style pittoresque de Diego de Siloé et de Covarrubias. Il est vrai que ce dernier, pourtant visiblement inspiré par Bramante et Alberti, n’avait jamais pu complètement oublier l’art gothique. Ces œuvres, qui ne manquaient certainement pas d’unité, ont été stigmatisées comme un mélange de style (mezcla). Les théories d’Arphe sur les fluctuations d’un goût qui culmina à l’Escurial furent considérées comme valides jusqu’au XVIIIe siècle. Le poème didactique de ce « Cellini espagnol », Varia Comensuracion, publié en trois volumes en 1585, devint la bible du Cinquecento espagnol, prêchant une régularité drastique, un refus de l’arbitraire et de l’imaginaire, une sobriété de l’ornementation. Il visait à enseigner les justes proportions, du corps humain et des œuvres architecturales aux nefs sacrées de l’Eglise, dont la splendeur culmina dans les grandioses réalisations qui assurèrent la renommée à sa famille. L’étude des proportions et du nu devint la norme dans la peinture, le beau étant le fruit des nombres. Alonso Berruguete avait rapporté d’Italie les proportions parfaites transmises par l’Antiquité – le corps faisant dix fois la longueur du visage. Au début, il se heurta à une certaine opposition ; mais il avait le soutien de Gaspar de Becerra, qui avait travaillé avec Vasari à la Concelleria et à la Trinita dei Monti et également, toujours à Rome, préparé les planches de l’Anatomie du Docteur Juan de Valverde (1554).

    C’était l’époque où les artistes espagnols se rendaient en masse à Rome et à Florence, y passant une partie de leur vie et parfois même s’y installant définitivement. L’introduction de ce nouveau style à Séville coïncide avec l’arrivée d’étrangers, certainement des Néerlandais. Les tailleurs de pierre, les maîtres verriers et les sculpteurs du gothique septentrional étaient maintenant suivis d’un flot de peintres des mêmes

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