Eausecours
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Aperçu du livre
Eausecours - Trudeau Pierre-Louis
Les éditions Michel Brûlé
C.P. 60149, succ. Saint-Denis,
Montréal (Québec) H2J 4E1
Téléphone : 514 680-8905
Télécopieur : 514 680-8906
www.michelbrule.com
Maquette de la couverture et conversion au format ePub : Studio C1C4, Jimmy Gagné
Révision : Corinne Danheux
Correction : François Mireault
Les éditions Michel Brûlé bénéficient du soutien financier du gouvernement du Québec — Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres — Gestion SODEC et sont inscrites au Programme de subvention globale du Conseil des Arts du Canada. Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) pour des activités de développement de notre entreprise.
© Pierre-Louis Trudeau, Les éditions Michel Brûlé, 2011
Dépôt légal — 2011
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Bibliothèque nationale du Canada
ISBN : 978-2-89485-518-8
Pierre-Louis Trudeau
EAU SECOURS !
Eau liberté !
Dix années de lutte de la coalition pour une gestion responsable de l’eau
Et c’était pourtant une forme de perfection, de plénitude de l’existence, le désir de l’eau comme une libération de tout mon être, un éveil, une expression, une extériorisation de ce que j’avais au plus profond de moi.
Peter Handke, Am Felsfenster morgens (Les matins à la fenêtre)
Avant-propos à l’édition électronique de 2011
Lorsque ce livre parut en 2008, la coalition citoyenne Eau Secours ! filait au près serré dans les médias, vigilante et présente sur les fronts de la lutte à la privatisation des services publics, de l’actualisation législative de la politique nationale de l’eau (dont elle avait obtenu la déclaration officielle en 2002) et de l’opposition à la spoliation des forces hydriques par la grande entreprise liée au pouvoir politique.
Mon analyse des circonstances de sa fondation, que j’espère bien ciblée dans ce livre, se révèle d’autant plus actuelle que les adversaires d’alors du mouvement, comploteurs de la tentative d’expropriation privée du réseau de distribution des eaux à Montréal en 1998, récidivent de nos jours, réunis dans le lobby de l’industrie gazière et pétrolière dont l’exploitation des gaz de schiste n’est que l’une des ambitions les plus agressives. Ces gens, aujourd’hui conseillés par un avocat de cabinet d’affaires (jadis premier ministre du Parti Québécois dont l’un des gestes courageux fut d’exclure les citoyens du symposium sur l’eau de 1999), convoitent ouvertement la propriété des richesses collectives.
Je concluais que ce moment fort de la vie sociale de Montréal et du Québec, ce conflit ouvert des années 1995-98, s’inscrivait dans une dynamique de lutte de classes, où l’élite libérale, bourgeoise et financière des deux versants du mont Royal allait exproprier et exploiter l’un des moyens de production de la richesse collective, l’eau, pour la revendre aux citoyens les plus pauvres du Canada.
C’était en 1998. Rien n’a changé en 2011. Dans la vallée du Saint-Laurent, l’hydre (sans jeu de mots) du capitalisme, engraissé par l’État libéral, menace les terres agricoles, la qualité de l’eau et de l’air, la vie privée des citoyens voisins des aires d’exploitation et la santé sociale des régions attaquées.
J’y vois encore, dissimulée sous des arguments qui s’appuient malicieusement sur les principes fallacieux du développement économique, une évidente tentative d’appropriation du sol, du sous-sol et des ressources naturelles par une minorité de spéculateurs qui contrôlent déjà les forces de production de la nation.
En 2008, l’action de la coalition Eau Secours !, telle qu’elle était inspirée de la générosité de ses fondateurs, méritait de se répéter partout en dizaines, voire en centaines de mouvements locaux et régionaux d’opposition à toutes les entreprises d’expropriation de l’eau et du bien public. L’histoire qu’on lira dans les pages qui suivent est exemplaire.
Pourtant, le ver était dans la pomme. Les successeurs des Louise Vandelac, Hélène Pedneault, André Bouthillier et André Lavallée ont mis un terme à dix années de lutte et transformé ce mouvement, qui jadis réunissait plus d’un million de sympathisants, en organisme benêt subventionné, dorénavant soumis aux impératifs du financement gouvernemental. En évacuant délibérément de la mission première de la coalition toute la problématique du développement hydroélectrique, des centrales privées et de la surpuissance d’Hydro-Québec, les quelques dizaines de membres encore participants d’Eau Secours !, sous la présidence d’une personne-cadre de la société d’État, actuellement députée du Parti Québécois, ont choisi la voie de la non-intervention. Un mouvement issu de ses rangs en 2002, Fondation Rivières, a repris le flambeau et mériterait certainement plus d’éclairage sous les feux de la rampe. La Coalition pour une gestion responsable de l’eau, Eau Secours !, s’affiche encore sous la caution intellectuelle et morale d’un grand nombre de personnalités connues, crédibles et méritantes. On peut espérer que le réveil viendra de leurs rangs.
La généreuse Hélène Pedneault, journaliste, écrivaine et militante, est décédée en décembre 2008. Quant à André Bouthillier, longtemps président bénévole de la coalition, grand communicateur et organisateur, miné par des tractations de bas étage, écarté de sa fonction par une relève aussi peu vaillante que résolument démobilisatrice, il s’est retiré loin de Montréal, dans le Bas-Saint-Laurent. Je salue Louise Vandelac, dont la militance fut à l’origine de la fondation du mouvement, elle aussi malheureusement peu sollicitée et pourtant encore si engagée sur des enjeux de société. Enfin, André Lavallée, dépositaire de transition des restes du Rassemblement des citoyens de Montréal (RCM), et qui s’est joint à l’équipe du maire Tremblay à Montréal, a cessé toute participation active depuis plusieurs années.
Ce petit livre, écrit dans la fièvre des luttes citoyennes qui animaient Eau Secours ! en 2008, demeure, puis-je le suggérer humblement, plus actuel encore qu’à la date de sa publication. Ne serait-ce que pour donner le goût et l’espoir aux citoyens, prisonniers de complicités gouvernementales et industrielles régionales, d’organiser chez eux la bataille par l’action directe pour la préservation de leur milieu de vie.
Pierre-Louis Trudeau
Avril 2011
Préface
En posant un regard sur l’aventure de l’eau sur notre planète, il demeure surprenant de constater qu’aujourd’hui nous puissions profiter de cette ressource tant les processus physiques entourant son apparition et les conditions de son maintien sont complexes. De sa présence dans les poussières interstellaires qui se sont assemblées pour former la Terre il y a 4,65 milliards d’années aux pluies de météorites composées de glace qui nous ont apporté la moitié de l’eau dont nous jouissons, il aura fallu un concours de circonstances impensable pour qu’elle demeure ici, sous ses trois formes et en quantité abondante. La radioactivité du manteau terrestre, la distance avec le Soleil, l’attraction gravitationnelle et la présence de la Lune ont favorisé la création d’une atmosphère, une fenêtre de température et une stabilité du climat nécessaires pour que l’eau offre un terreau fertile à l’apparition de la vie. En saisissant bien à quel point son histoire se révèle complexe et combien elle est précieuse et fragile pour l’ensemble des êtres vivants de la planète, les enjeux concernant cette ressource vitale prennent un ton comminatoire.
Aujourd’hui encore, de graves problèmes socioéconomiques sont liés à l’accessibilité à une eau potable et à la qualité de l’eau disponible ; 1,2 milliard d’êtres humains n’ont pas accès à l’eau et plus de 2 milliards sont privés de son assainissement, entraînant ainsi le décès de 10 millions de personnes chaque année. L’ONU a fait de ce problème l’un des objectifs du millénaire, mais l’eau étant rare, inégalement répartie et teintée d’intérêts économiques, les solutions sont ardues à élaborer et laborieuses à appliquer. Même si le volume approximatif de l’eau terrestre est estimé au chiffre astronomique de 1 360 000 000 km3, l’eau douce n’en représente que 2,5 %, dont la majorité est retenue dans les glaciers, et chaque année, 160 milliards m3 de plus que la recharge naturelle sont prélevés des nappes phréatiques. Cette ressource rare constitue donc un or bleu chez les États riches en réserves aquifères et il apparaît clairement que la gestion de cette ressource au Québec sera l’un des grands enjeux à venir. Parce que nous disposons de 3 % des réserves mondiales d’eau douce, que nous côtoyons un voisin à l’appétit gigantesque et que nous sommes soumis à des marchés ouverts, la question n’est pas de savoir si des tractations diverses surviendront, mais plutôt quand et avec quelle intensité elles nous affecteront. Aux États-Unis, l’aquifère de l’Ogallala, considéré comme la plus grande réserve d’eau douce de la planète, fournit environ 30 % de l’eau d’irrigation pour 20 % des surfaces irriguées du pays entier. Au rythme actuel des prélèvements, un épuisement de la ressource pourrait survenir avec des conséquences proportionnelles à son étendue. Plus près de chez nous, après avoir été la propriété de l’italienne Parmalat, la source d’eau souterraine de Saint-Mathieu-Lac-Berry à proximité d’Amos, datant de la dernière ère de glaciation, est aujourd’hui propriété de la firme américaine Morgan Stanley qui y embouteille l’eau Esker. Récemment, des contrats d’approvisionnement en bouteilles d’eau pour la Chine ont été signés à hauteur de plusieurs millions de dollars, sans qu’une redevance n’ait été payée à la collectivité. Certes, l’exportation de l’eau « en vrac » est toujours interdite, mais de plus en plus d’acteurs des scènes économique et politique prônent l’exploitation de ce filon ; on commence de plus en plus à conceptualiser l’eau comme un bien marchand et non plus public.
Il est légitime de se demander quels seront désormais les impacts d’exemples comme ceux-ci sur la gestion des eaux à une échelle nationale, continentale et à travers le monde. Verra-t-on poindre des conflits interétatiques, des mainmises corporatistes ?
C’est devant cette situation et avec l’intérêt soutenu de mieux la comprendre et de s’y impliquer que nous avons approché la coalition Eau Secours ! au printemps 2004. À cette époque, nous avions instauré un principe de financement lors de nos spectacles à Montréal où deux dollars par billet vendu étaient destinés à une cause environnementale, une démarche qui a inspiré la création de la Fondation Cowboys Fringants deux années plus tard. Il était bien important pour nous d’offrir un financement à des organismes dont la position était claire, défendue avec conviction et dont la mission informative était probante. En se penchant sur la démarche et les réalisations de la coalition, nous avons découvert un long historique d’engagement exemplaire prônant une gestion intégrée de la ressource pour assurer la pérennité des écosystèmes et la santé de la population, et ce, toujours porté par un désir d’une participation citoyenne aux débats et de transparence chez le décideur.
Porter aujourd’hui un regard sur les dix années de vie de la coalition Eau Secours !, c’est découvrir les grands enjeux liés à l’eau dans le monde et tout ce qui y a trait au Québec. Cette période fut couverte par nombre de questions, enjeux, débats et législations qui nous touchent tous au quotidien, mais qui représentent d’abord ce que nous désirons laisser comme héritage à nos descendants. L’eau est source de vie, mais aussi source de conflits, la société a besoin de ces organisations non gouvernementales qui revendiquent une gestion collective des actifs naturels et des écosystèmes dans une perspective réelle de développement durable. En ce sens, nous sommes tous redevables à cet organisme pour son militantisme qui a conduit à de grandes victoires dont nous pouvons être fiers aujourd’hui : une politique nationale de l’eau, l’absence de sa continentalisation ou encore la protection des ressources aquifères. Une des missions fondamentales de la coalition Eau Secours !, avec ce livre comme premier exemple, est de fournir cet éclairage sans compromis sur les enjeux présents et futurs. Vous découvrirez donc dans les premières sections de cet ouvrage une rétrospective des batailles et spéculations locales qui ont mené à la création de la coalition et à sa participation active aux débats sur la place publique. Un survol des enjeux et acteurs qui catalysent les conflits actuels et prochains entourant la gestion et l’accessibilité citoyenne à l’eau permet par la suite de bien saisir l’importance de la question de l’eau et de comprendre les diverses tractations l’entourant. On découvrira également dans « Eau liberté ! Eau Secours ! » les citoyens de tous horizons qui supportent la cause de la coalition Eau Secours ! et qui, au travers de leurs actions positives et tangibles, constituent le réel moteur de l’organisme.
Ce livre se veut donc à la fois une célébration et une invitation à participer d’une façon ou d’une autre à la cause de l’eau en nous rappelant que la bataille pour qu’elle demeure un bien public, au service de la population et en tout respect de la nature, se gagne chaque jour.
Jérôme Dupras des Cowboys Fringants
Montréal, avril 2008
L’impromptu de Versailles
Tout doit passer sous le pouvoir du privé : les transports urbains, ferroviaires, aériens, l’eau, le gaz, l’électricité, les banques, les assurances ; les hôpitaux, les écoles, les universités, les pensions, la culture. La privatisation — affirment les dominants — permet d’employer les ressources matérielles et immatérielles du pays de la manière la plus efficace et dans l’intérêt des consommateurs.
Ricardo Petrella, Pour une nouvelle narration du monde, Écosociété 2007
Le plus grand des trois hommes tient le plan de la salle des bassins de décantation au bout de ses bras.
« Rien à faire de plus, dit-il. Cette usine sera notre plus belle… »
On les croirait en uniforme. Ils sont tous vêtus de longs pardessus identiques en drap noir. Le col de leur chemise blanche est empesé, noué d’une cravate de soie. Les accents de France et du Québec s’emmêlent dans les répliques et les blagues qu’ils s’échangent sous le nez de Robert depuis une heure.
« Venez voir, monsieur Robert… »
Robert Jean-Boileau se rapproche timidement de l’homme au plan. Dans la froide humidité de l’après-midi du 13 janvier 1996, les briques blanches des murs de l’usine de traitement suintent de coulures noirâtres. Le groupe avait traversé l’étroite salle des pompes et s’était arrêté quelques instants devant ces énormes aspirateurs jaunes au-dessus desquels roulaient des treuils rouges. Puis, les trois hommes en pardessus noirs avaient filé vers la salle de décantation où Robert les avait rejoints après en avoir sécurisé l’accès.
« Monsieur Robert… Vous avez déjà une promotion », dit l’un des autres, avec l’accent québécois.
Des éclats de rire se répercutent en échos vides jusqu’à l’extrémité des bassins.
Surveillant de sécurité à l’usine de traitement d’eau Atwater depuis une vingtaine d’années, Robert fait habituellement son quart de travail à la guérite. Parfois aussi, et de plus en plus souvent, a-t-il remarqué, il sert de guide silencieux à des groupes d’invités spéciaux, des Français surtout, polis, engageants et aimables avec lui, comme s’ils cultivaient sa sympathie. Son rôle est pourtant limité : ouvrir et fermer des portes avec sa carte électronique, suivre plutôt que précéder ses visiteurs et faire semblant de ne rien entendre.
Disons que Robert occupe une fonction essentielle dans la vie quotidienne de Montréal. Tous les jours, lui et ses collègues gèrent et protègent le traitement de 1 500 000 m3 d’eau et approvisionnent la moitié de la population de l’île. En tout, les usines d’eau potable de Montréal ont une capacité quotidienne de 2 900 000 m3.
La Ville de Montréal loge sur la plus grande des îles d’un archipel formé, voilà 600 millions d’années, au cours de la fragmentation du continent américain. Aux confluents du fleuve Saint-Laurent, de la rivière des Prairies, du lac Saint-Louis et du lac des Deux Montagnes, elle puise son eau potable en amont des rapides de Lachine et l’achemine vers deux usines de purification, les centres Atwater, situés dans l’actuel arrondissement de Verdun et l’usine de filtration Des Baillets, dans Ville LaSalle. Le canal de l’aqueduc amène l’eau puisée, sur une distance de huit km jusqu’à l’usine Atwater, où elle sera traitée puis envoyée vers des réservoirs qui alimenteront le réseau. D’autres usines complètent le réseau de production : Dorval, Lachine, Pierrefonds-Roxboro, Pointe-Claire et Sainte-Anne-de-Bellevue. Par ailleurs, l’eau potable, purifiée en usine, est dirigée vers des réservoirs ou distribuée par 11 réseaux intégrés, dont huit publics (Anjou, Dorval, Lachine, Montréal, Mont-Royal, Pierrefonds-Roxboro, Pointe-Claire et Sainte-Anne-de-Bellevue) et trois privés (Société en commandite CRL à l’Île-Bizard, Fiducie Ernest Labelle à Ville Saint-Laurent et collège MacDonald à Sainte-Anne-de-Bellevue). Ainsi, l’eau potable destinée au mont Royal, jadis montée par des pompes depuis Lachine, est maintenant stockée dans le réservoir McTavish sur l’avenue Docteur-Penfield, juste au pied de l’Hôpital Royal Victoria.
Puisée au centre du fleuve, dans un secteur actif, l’eau potable des robinets de Montréal est l’une des plus pures de la planète. Les usines de purification en garantissent la qualité exceptionnelle.
Le circuit de l’eau potable à Montréal est remarquablement bien