« L’Union fait la force! »: L’Union Saint-Joseph d’Ottawa/du Canada 1863-1920
Par Pierrick Labbé
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À propos de ce livre électronique
En 1863, un groupe de travailleurs originaires du Québec et domiciliés à Ottawa décident de fonder une association de prévoyance pour aider leurs prochains dans le besoin. En s’inspirant de leurs expériences respectives au sein d’associations de prévoyance québécoises, les fondateurs établissent une première société de secours mutuels canadienne-française à Ottawa : l’Union Saint-Joseph d’Ottawa. Malgré une naissance et des débuts modestes, cette association connaîtra une grande histoire. Elle deviendra l’une des plus grandes sociétés fraternelles nationales, avec des ramifications dans plus de 600 communautés canadiennes-françaises du Canada et des États-Unis.
Cet ouvrage analyse la fondation de l’Union Saint-Joseph d’Ottawa et son évolution entre 1863 et 1920. Durant cette période, cette petite association locale, dont les activités visent essentiellement le secours de la classe populaire, évolue pour devenir une grande société fraternelle nationale vouée à la sauvegarde des intérêts des Canadiens français. L’essentiel de ces mutations survient à la fin du XIXe siècle, alors qu’une petite élite entreprend des réformes administratives qui changent la manière de gérer la mutualité. Cette élite en profite également pour reformuler le projet social de l’association et ses objectifs afin de transformer l’Union Saint-Joseph en un instrument de lutte pour la survivance canadienne-française.
Publié en français
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Aperçu du livre
« L’Union fait la force! » - Pierrick Labbé
COLLECTION « AMÉRIQUE FRANÇAISE »
Publication du Centre de recherche en civilisation
canadienne-française de l’Université d’Ottawa
« L’UNION FAIT LA FORCE ! »
L’UNION SAINT-JOSEPH
D’OTTAWA / DU CANADA
1863-1920
Pierrick LABBÉ
Les Presses de l’Université d’Ottawa
Les Presses de l’Université d’Ottawa (PUO) sont fières d’être la plus ancienne maison d’édition universitaire francophone au Canada et le seul éditeur universitaire bilingue en Amérique du Nord. Fidèles à leur mandat original, qui vise à « enrichir la vie intellectuelle et culturelle », les PUO s’efforcent de produire des livres de qualité pour le lecteur érudit. Les PUO publient des ouvrages en français et en anglais dans le domaine des arts et lettres et des sciences sociales.
Les PUO reconnaissent avec gratitude l’appui accordé à leur programme d’édition par le ministère du Patrimoine canadien, par l’intermédiaire du Fonds du livre du Canada, et par le Conseil des Arts du Canada. Elles tiennent également à reconnaître le soutien de la Fédération canadienne des sciences humaines à l’aide des Prix d’auteurs pour l’édition savante, ainsi que du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et de l’Université d’Ottawa.
Révision linguistique : Josée Therrien et Colette Michaud / CRCCF
Correction d’épreuves : Colette Michaud
Mise en page : Monique P.-Légaré / CRCCF
Maquette de la couverture : Bartek Walczak
Illustration de la couverture : Ralliement pour la procession à l’occasion des fêtes du 60e anniversaire de l’Union Saint-Joseph du Canada, devant le siège social, situé au 325, rue Dalhousie (construit en 1907 et démoli le 3 octobre 1966), Ottawa, 31 mai 1925. Photo : J. A. Castonguay (Université d’Ottawa, CRCCF, Fonds Union du Canada (C20), Ph20-42). Note : Le 60e anniversaire était en 1923, mais les célébrations se sont poursuivies en 1924 et 1925.
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives Canada
Labbé, Pierrick
« L’union fait la force ! » [ressource électronique] : l’Union Saint-Joseph d’Ottawa/du Canada,
1863-1920 / Pierrick Labbé.
(Collection Amérique française)
Comprend des réf. bibliogr. et un index.
Monographie électronique.
Publ. aussi en format imprimé.
ISBN 978-2-7603-2049-9 (PDF).
ISBN 978-2-7603-2050-5 (EPUB).
ISBN 978-2-7603-2051-2 (MOBI)
1. Union Saint-Joseph d’Ottawa--Histoire. 2. Mutuelles--Ontario--
Ottawa--Histoire. 3. Canadiens français--Associations. I. Titre.
II. Collection: Collection Amérique française (En ligne)
HS1508.C32O88 2012------334.709713’84-----C2012-905152-7
Dépôt légal : 2012
Bibliothèque et Archives Canada
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
© Les Presses de l’Université d’Ottawa, 2012
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION
CHAPITRE PREMIER
La formulation du projet social de l’Union Saint-Joseph d’Ottawa
Les origines de la mutualité canadienne-française
Industrialisation, urbanisation et popularisation d’un modèle de société de secours mutuels
Le développement économique d’Ottawa
La fondation de l’Union Saint-Joseph d’Ottawa
L’incorporation de l’Union Saint-Joseph d’Ottawa
Les caractéristiques sociales de l’Union Saint-Joseph d’Ottawa
L’Union Saint-Joseph d’Ottawa 1863-1880 : l’enracinement en milieu minoritaire
La transformation de l’Église catholique et son influence sur la mutualité
CHAPITRE 2
Le développement d’une association nationale
Les premiers échecs du modèle mutualiste
La multiplication des associations mutualistes à Ottawa
La croissance de l’Union Saint-Joseph d’Ottawa durant la décennie 1880
Idéologies mutualistes et relations interorganisationnelles
La concurrence des sociétés fraternelles
L’intervention du gouvernement ontarien dans le domaine de la mutualité
L’émergence d’une petite élite au sein de l’Union Saint-Joseph
La réforme de 1895
La réforme de 1898
ICONOGRAPHIE
CHAPITRE 3
La redéfinition des objectifs sociaux de l’Union Saint-Joseph d’Ottawa 1895-1905
La multiplication des succursales
Mission divine et catholicisme social
Le renforcement des liens nationaux
La propagande mutualiste
De nouveaux objectifs financiers
Le déclin de la sociabilité
CHAPITRE 4
La consolidation financière et nationale de l’Union Saint-Joseph du Canada 1906-1920
Le ralentissement du recrutement et la crise administrative des années 1910
La quête pour résoudre la crise
Augmentation des poursuites judiciaires
Renforcement du sentiment national
Concurrence entre les associations canadiennes-françaises pour le marché mutualiste
L’intervention du gouvernement ontarien
L’atteinte de la solvabilité actuarielle
Sensibilisation des membres aux principes actuariels
CONCLUSION
ANNEXE – Liste des présidents de 1863 à 1917
BIBLIOGRAPHIE
INDEX
Introduction
L
E 6 FÉVRIER 2012, Le Droit annonçait la faillite de l’Union du Canada. La Cour supérieure avait ordonné la liquidation de la mutuelle. Le journaliste Philippe Orfali écrivait que l’ex-président et chef de la direction devait faire face à une série d’allégations d’abus de pouvoir, d’intimidation, de conflit d’intérêts et à plusieurs autres infractions à la Loi sur les sociétés par actions¹. La disparition de cette mutuelle, qui devait fêter son 150e anniversaire en 2013, me laissa étonnamment indifférent malgré les heures passées à reconstituer son histoire. Cet état d’esprit venait sans doute de certains souvenirs. Quelques années plus tôt, les employés de l’Union du Canada m’avaient reçu avec froideur et indifférence lorsque j’avais demandé de consulter des documents sur son histoire. Ils me firent clairement savoir qu’ils s’en fichaient qu’un jeune thésard s’intéresse à leur société. Quelques mois plus tard, le regretté sénateur Jean-Robert Gauthier maugréa lorsque je lui fis part de mon projet de recherche. « Perds pas ton temps, dit-il, y ont jamais rien fait », en parlant de la cause franco-ontarienne qu’il avait lui-même si vaillamment défendue. Je me tus, n’osant pas lui expliquer que cette mutuelle n’avait pas toujours été aussi léthargique et inintéressante et qu’au siècle précédent, elle s’inscrivait dans le réseau institutionnel qui travaillait au développement des communautés canadiennes-françaises, comme il l’aurait lui-même souhaité, se portant au secours du travailleur, de la veuve et de l’orphelin. Je me sentais incapable de lui fournir les justifications qui auraient pu pleinement lui faire comprendre l’extase d’un historien face à son sujet d’étude.
L’histoire de cette mutuelle commença au milieu du XIXe siècle. Le 22 mars 1863, un groupe de Canadiens français récemment arrivé du Québec se réunit dans une salle de classe de la rue Murray à Ottawa pour fonder une société de secours mutuels. Léonard Desmarais et Jean-Baptiste Champoux, deux cordonniers originaires de Joliette et depuis peu installés à Ottawa, étaient convaincus du bienfait que pouvait apporter ce type d’association aux travailleurs canadiens-français². Quelques années plus tôt, ils avaient participé à l’édification de l’Union Saint-Joseph de l’Industrie de Joliette. La fondation de cet organisme de prévoyance, durant la période de libéralisme économique, les convainquit de la nécessité de recréer l’expérience à Ottawa. Ils trouvèrent une oreille attentive à leur projet en la personne du cordonnier Cuthbert Bordeleau, qui allait par la suite devenir le premier président de l’association. Ce dernier, qui venait lui aussi de s’installer à Ottawa, avait collaboré avec Champoux et Desmarais à l’incorporation de l’Union Saint-Joseph de l’Industrie³. D’autres personnes se joignirent au groupe pour former le noyau de l’organisation et lancer les activités de la première société de secours mutuels canadienne-française d’Ottawa.
La fondation de l’Union Saint-Joseph d’Ottawa n’était que l’une des nombreuses manifestations mutualistes engendrées par la création de nouveaux besoins inhérents à l’urbanisation et à l’industrialisation. Plus d’une centaine de ces petites associations furent fondées dans les communautés canadiennes-françaises, entre 1850 et 1900, pour répondre au désir de prévoyance des classes populaires⁴. En effet, le libéralisme économique obligeait les travailleurs à s’organiser eux-mêmes pour contrer l’adversité. De nouvelles formes de prévoyance émergeaient pour assurer un minimum de sécurité sociale à la population. Après 1850, les sociétés de secours mutuels devinrent l’une des solutions populaires, en offrant de l’aide en cas de maladie ou de décès, tout en évitant l’humiliation qu’entraînait le recours à l’assistance publique. Moyennant des cotisations mensuelles, les membres de ces organisations obtenaient un soutien financier pour eux ou leur famille. Ce genre de prévoyance pouvait prendre différentes formes, par exemple, en s’inscrivant parfois dans les activités d’un syndicat, en affichant un statut confessionnel, ou encore, en s’adressant à un groupe ethnique précis. C’est au Bas-Canada, dans la ville de Québec, que se développèrent les premières sociétés de secours mutuels du pays, à la fin du XVIIIe siècle. Il fallut toutefois attendre après 1850 pour que celles-ci se multiplient et se propagent massivement dans les autres collectivités francophones.
De ce mouvement mutualiste naquit l’Union Saint-Joseph d’Ottawa. Comme la plupart des sociétés de secours mutuels locales de la deuxième moitié du XIXe siècle, elle entama ses activités en suivant les principes de la mutualité de bienfaisance. L’administration des finances s’effectuait de la façon la plus simple possible, c’est-à-dire que l’argent pour couvrir les indemnités de décès était perçu seulement à la suite de la mort d’un sociétaire. Ainsi, ces associations accumulaient très peu de capitaux pour prévenir les contrecoups des aléas de l’économie. Par la même occasion, elles imposaient souvent des cotisations beaucoup trop faibles pour les services offerts. Le maintien de la stabilité financière nécessitait un recrutement constant de nouveaux membres. En conséquence, la plupart de ces associations connurent une crise importante lors des récessions de la fin du siècle. Graduellement, les sociétés de secours mutuels locales furent remplacées par de grandes sociétés fraternelles qui exploitaient des réseaux de succursales. Ces associations étaient plus stables financièrement, grâce à l’adoption de méthodes actuarielles empruntées des compagnies d’assurances. Plusieurs sociétés de secours mutuels remirent en question leur mode de gestion économique, incapables d’admettre un nombre suffisant de nouveaux aspirants. Dans la plupart des cas, les membres se montrèrent réfractaires aux changements, car les réformes proposées allaient à l’encontre des valeurs mobilisatrices qui avaient été à l’origine de plusieurs associations. En maintenant le statu quo, elles demeurèrent dans une situation précaire⁵. Ainsi, ces associations de première génération durent, pour la plupart, se contenter d’une existence éphémère, interrompue par les bouleversements économiques et par l’incapacité de s’adapter aux mutations du mouvement mutualiste.
À l’inverse, le développement de l’Union Saint-Joseph d’Ottawa fut marqué par une série de réformes, à la fin du XIXe siècle, qui assurèrent sa pérennité. Les difficultés que traversait le premier modèle mutualiste canadien-français poussèrent l’association à s’ajuster en adoptant une forme de prévoyance plus commerciale. Elle fut d’ailleurs l’une des rares sociétés de secours mutuels de première génération à survivre à la crise du modèle canadien-français au tournant du XXe siècle. L’Union Saint-Joseph de Montréal, l’instigatrice de la structure administrative et de la mission de prévoyance d’un bon nombre d’associations, cessa ses activités en 1909. Au même moment, l’Union Saint-Joseph d’Ottawa, dont le nom avait changé pour Union Saint-Joseph du Canada, était devenue une grande société fraternelle ayant pour but de rallier le plus grand nombre de Canadiens français dans ses rangs. En 1925, le Congrès fraternel avait placé l’Union Saint-Joseph au troisième rang parmi les plus anciennes sociétés fraternelles d’Amérique du Nord sur les 212 actives⁶.
Ce projet de recherche naquit de la volonté de comprendre les facteurs à la base de la réussite de cette transition. En fait, ce sont les forces inhérentes à la réalité sociale et politique des sociétaires qui poussèrent l’Union Saint-Joseph vers un cheminement différent des autres sociétés de secours mutuels. À l’origine, rien ne laissait entrevoir une telle évolution. Son établissement se voulait avant tout une tentative des Canadiens français d’Ottawa de se doter d’une institution de prévoyance, dans un effort de reproduction culturelle en territoire d’accueil. À l’image de nombreux autres cas de fondation de sociétés de secours mutuels, la migration vers les villes industrielles en pleine croissance contribua à diffuser un modèle mutualiste qui assura une base institutionnelle solide dans les communautés où les Canadiens français étaient minoritaires. Toutefois, si ces associations implantées en milieux d’accueil permettaient une forme de sauvegarde culturelle, au fil des ans, elles s’imprégnaient de la nouvelle réalité socioéconomique de ses participants. Il se développait ainsi une mission sociale originale, façonnée par le quotidien des sociétaires. Ces sociétés de secours mutuels devenaient de la sorte le symbole d’une culture canadienne-française par l’adoption du modèle mutualiste typique des Canadiens français, qui s’ornait graduellement des particularités locales qui, à leur tour, nourrissaient sa dynamique institutionnelle. Ainsi, lors de la crise de la mutualité à la fin du XIXe siècle, une petite élite prit la tête de l’Union Saint-Joseph. Les nouveaux dirigeants entamèrent une série de réformes et réorientèrent le discours social autour d’un idéal national. Grâce à l’offre de contrats d’assurance à rabais et à l’appel identitaire, les réformateurs rallièrent suffisamment de membres pour garantir le succès des changements. Il s’ensuivit une transformation radicale des structures administratives durant la décennie 1890. L’Union Saint-Joseph évolua alors en une société fraternelle vouée à la protection des intérêts économiques des Canadiens français. Elle fonda par la suite des succursales dans plus de 600 communautés canadiennes-françaises. La transformation dépassait le simple rajustement financier puisque l’ensemble des valeurs à la base de ses activités s’en trouva modifié.
De plus, contrairement aux sociétés de secours mutuels semblables situées pour la plupart au Québec, le contexte législatif de l’Ontario contribua à modifier son cheminement et à rompre avec certaines caractéristiques propres aux mutuelles canadiennes-françaises de première génération. L’intervention du gouvernement ontarien fut d’ailleurs le facteur déterminant qui poussa l’Union Saint-Joseph à abandonner ses valeurs d’égalité et d’entraide établies lors de sa fondation pour les remplacer par une forme de solidarité nationale et une économie où le risque ne reposait plus sur le groupe, mais sur chacun des sociétaires. Par ailleurs, je termine mon analyse en 1920, car c’est au cours de cette année que l’Union Saint-Joseph atteignit la solvabilité actuarielle, c’est-à-dire le moment où elle mit fin à ses activités insolvables pour adopter des méthodes de calcul du risque inspirées des compagnies d’assurances. Le gouvernement ontarien y contribua par une législation qui força l’Union à cheminer vers cette forme de gestion financière.
Cette transition de l’Union Saint-Joseph d’Ottawa offre un cadre analytique original pour étudier la transformation de la mutualité canadienne-française au tournant de la deuxième moitié du XIXe siècle et au début du XXe. D’un point de vue plus général, la période qui s’échelonne de sa fondation en 1863 à 1920 fut marquée par une série de bouleversements du mouvement mutualiste, entraînés par les déplacements de la population, la multiplication de l’offre de prévoyance, ainsi que par l’adoption d’une nouvelle conception, dominante, de la mutualité. Cette transition a été mise en lumière pour la première fois dans les travaux de Martin Petitclerc. Ce dernier s’est intéressé à l’aspect social de la première génération de sociétés de secours mutuels, en se concentrant principalement sur celles du Québec. Il affirme que ces associations constituèrent une forme de sécurité sociale et qu’elles furent fondées en réaction à la montée du libéralisme. C’est d’ailleurs, selon lui, ce qui explique pourquoi les sociétaires mirent l’accent sur certains aspects tels que la participation obligatoire, l’entraide mutuelle ou encore les rituels, qui occupaient une place centrale dans les différentes assemblées. Ces structures permettaient de créer ce qu’il appelle « une famille fictive » pour contrecarrer les effets pervers du libéralisme et de l’économie de marché axés sur l’individualisme⁷. Comme il l’explique, ces associations furent cependant confrontées à une période de crise au cours de laquelle le modèle financier devint inapte à assurer le financement des activités et mena les associations à la faillite. Les sociétaires refusèrent pour la plupart les réformes afin de conserver les valeurs à l’origine du projet mutualiste et éviter de briser cette famille fictive. Ces associations furent alors remplacées sur le marché de la prévoyance par les grandes sociétés fraternelles. Yvan Rousseau, qui étudia ce phénomène dans le cadre de ses recherches sur l’assurance maladie au Québec, se pencha sur deux de ces cas, soit l’Alliance nationale et la Société des artisans canadiens-français⁸. À son avis, ces grandes associations connurent le succès parce qu’elles comblaient un besoin de sécurité dans un domaine où les compagnies d’assurances privées se montraient peu enclines à offrir des services à bas prix. Les sociétés fraternelles devinrent, jusqu’aux années 1920, la principale façon pour les Québécois d’obtenir de l’assurance maladie⁹.
L’Union Saint-Joseph, qui suivit une évolution similaire, passant de société locale à société fraternelle nationale, offre un cas particulier qui permet d’examiner la transition de la mutualité canadienne-française à cette période.
L’histoire de l’Union Saint-Joseph propose, par la même occasion, une nouvelle perspective du mouvement associatif canadien-français en milieu minoritaire. Les préoccupations nationales de certains sociétaires contribuèrent à doubler le discours d’entraide et de solidarité traditionnel des mutuelles d’une volonté de lutter pour la survivance. Quelques chercheurs ont déjà exposé des aspects de ce combat identitaire de l’époque, malgré le peu de sources qu’il nous reste pour en témoigner. Ils s’intéressèrent surtout au Règlement XVII et à l’éducation afin d’expliquer les bases de l’identité franco-ontarienne. La contribution la plus importante vient de Robert Choquette et de ses recherches au sujet de l’étroite relation entre les Franco-Ontariens et l’Église catholique, surtout en ce qui concerne le développement de l’identité collective qui s’est forgée à travers les conflits linguistiques¹⁰. Cet élément joua un rôle primordial au sein de l’Union Saint-Joseph, puisque l’association se servit du sentiment d’appartenance des Canadiens français comme outil de recrutement. Cette réalité devint encore plus présente durant les années 1910, dans ce que Marcel Martel a appelé le projet de la nation canadienne-française¹¹. C’est à cette époque que l’Union Saint-Joseph s’affirma comme un outil de survivance, comme une solution de rechange à l’adhésion aux associations anglophones, en s’insérant dans le réseau institutionnel national.
Si la mutualité demeure un sujet peu connu, c’est que son étude comporte plusieurs défis pour les chercheurs. Très peu de ces sociétés de secours mutuels ont laissé des archives qui permettent de saisir leurs préoccupations sociales, la nature des relations interorganisationnelles ou encore la dynamique interne qui les animait au XIXe et au début du XXe siècle. Le cas de l’Union Saint-Joseph d’Ottawa est exceptionnel puisque la survie de l’association a favorisé la conservation de certains documents. Les archives officielles de l’Union du Canada ont été versées au Centre de recherche en civilisation canadienne-française. Elles révèlent toutefois peu de chose sur sa dynamique interne et son fonctionnement au quotidien, ce qui ne permet pas toujours de pousser l’analyse très loin. Il nous reste, par exemple, des procès-verbaux peu détaillés, le journal de l’association et quelques documents officiels. Malheureusement, presque toute la correspondance et tous les rapports de la plupart des comités ont disparu. Sans documents à l’appui, il devient difficile de décrire la relation qu’elle a entretenue avec le clergé ou les autres associations canadiennes-françaises. Il faut ajouter que les principaux acteurs de cette mutualité demeurent bien souvent peu