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L' Eau en commun: De ressource naturelle à chose cosmopolitique
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Livre électronique247 pages3 heures

L' Eau en commun: De ressource naturelle à chose cosmopolitique

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En tenant pour acquis les risques de guerres de l’eau jusqu’à la perspective de pénuries, les auteurs s’interrogent sur les conditions d’une mise en commun, à la fois des problèmes de l’eau et des réponses à leur apporter à l’échelle mondiale.
LangueFrançais
Date de sortie18 nov. 2011
ISBN9782760532410
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    Aperçu du livre

    L' Eau en commun - Gabriel Blouin - Genest

    Canada

    ¹

    L’histoire des relations entre les êtres humains et l’eau est longue et complexe². L’histoire des relations entre les êtres humains et l’eau s’est aussi écrite au pluriel : des histoires, diversifiées dans le temps et dans l’espace. Elles sont à la fois histoires de survie et de santé, histoires de déplacements et de communication, histoires de naissances et de morts, histoires de conflits et de solidarités, histoires de culture et d’innovation, histoires de règles, histoires de pouvoir, et pourtant : que nous reste-t-il aujourd’hui de ces riches et complexes relations, sinon une vision rationaliste et utilitaire ? Une vision commune d’une ressource, définie uniformément en quelque point du globe que l’on soit : de combien d’eau avons-nous besoin pour satisfaire nos exigences ?

    Cette vision réductrice de l’eau est-elle véritablement la seule chose que les êtres humains puissent avoir en commun pour l’avenir s’agissant des enjeux de l’eau douce ? Les valeurs communes à l’humanité sont-elles si réduites que nous soyons condamnés à transformer cette ressource vitale en bien rare que le marché se chargera de répartir de manière optimale ? Comment en sommes-nous arrivés là ?

    L’EAU, PRÉSENTE DANS LES RELATIONS INTERÉTATIQUES DEPUIS FORT LONGTEMPS

    Les êtres humains se sont organisés en communautés, à différentes échelles selon les lieux et les époques, établissant entre eux des lignes de démarcation et d’appartenance plus ou moins fermes selon les relations que ces communautés entretenaient entre elles et surtout selon la conception du territoire propre à chaque culture. L’apparition de l’État moderne toutefois, qui établit sa souveraineté dans le cadre de ses frontières, donne un sens proprement existentiel au concept de territoire, puisqu’il délimite, précisément, l’espace où peut s’exercer légitimement cette souveraineté. Mais l’eau n’en a que faire ; elle est mobile, elle circule, et les États-nations, tout aussi souverains soient-ils, devront s’entendre en bons – ou en mauvais – voisins. C’est d’ailleurs autour de l’eau que s’institueront les premières organisations interétatiques en Europe : la Commission centrale pour la navigation du Rhin (CCNR) est ainsi souvent considérée comme l’organisation internationale la plus vieille au monde (Sciora et Stevenson, 2009, p. 15). Dans la mesure où l’eau ne respecte pas les frontières, la souveraineté a donc dû, dans bien des cas et depuis longtemps, être aménagée et pondérée, pour tenir compte au moins de cette partie de la réalité physique de l’eau et trouver des solutions pacifiques aux conflits qui peuvent surgir entre deux ou plusieurs souverainetés autour d’une ressource partagée. C’est d’abord la considération d’un usage, celui de la navigation, et d’un objectif, celui de la libre circulation, qui détermineront les règles sur lesquelles les États s’entendront.

    Avec la multiplication des usages de l’eau, cette appréhension apparaît désuète, puisque c’est alors l’eau en tant que telle qui doit devenir objet de règles. La définition de l’objet, soit la voie navigable, change et le passage vers une conception de l’eau comme ressource – « les ressources en eau » – introduit de fait un changement paradigmatique, puisque la réflexion s’inscrira très largement, à partir de là, dans la logique de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles (SPRN). Les États étant souverains par rapport à leurs ressources naturelles du point de vue du droit international, la question devient donc : comment gérer et partager une ressource mobile qui traverse les frontières ?

    Dès 1966, en adoptant les règles d’Helsinki (ILA, 1967), l’Association de droit international donnera le ton des discussions qui se poursuivront pendant près de trois décennies au sein de la Commission du droit international. On retrouve dans ces règles, puis dans la Convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation, dite convention de New York (1997), et dans les quelques jurisprudences qui interviennent au cours de cette période, les principes reconnus comme coutumiers dans ce domaine du droit international. On pourrait les résumer ainsi : deux principes substantiels, celui de l’utilisation équitable et raisonnable et celui de l’interdiction de dommages significatifs, pour lesquels, en cas de conflit, il semble, d’après la Cour internationale de justice elle-même, que la préséance doive être accordée à l’utilisation équitable et raisonnable (CIJ, 1997).

    La convention de New York, adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU en 1997, n’est pourtant même pas encore suffisamment ratifiée pour entrer en vigueur. Or cette convention est loin d’innover. Elle demeure empreinte à la fois du principe de souveraineté et de la conception de l’eau comme ressource à exploiter, comme le montre bien la préséance accordée à l’utilisation sur la protection que nous venons de mentionner. Elle n’utilise pas explicitement le concept de bassin versant, même si celui-ci a été largement évoqué dans les négociations ayant mené à ce texte ; les eaux souterraines n’y sont considérées que si elles sont clairement liées aux eaux de surface. Ce qui fera dire à Stephen McCaffrey, rapporteur spécial de la Commission du droit international pendant sept ans pour la rédaction de cette convention, que :

    […] la communauté internationale a un intérêt marqué pour cette ressource, incluant sa protection et sa répartition équitable. Ce serait aller trop loin dans l’état actuel du droit international que de suggérer que l’ensemble de l’eau douce soit res communis³. Il s’avère cependant impératif que les États commencent à concevoir le cycle hydrologique de cette manière (McCaffrey, 2001, p. 53)⁴.

    Qui plus est, la convention de New York ne fait aucune place à l’idée, proposée dès 1992 par McCaffrey (1992), que l’accès à l’eau puisse être un droit humain universel.

    Après toutes ces années à examiner les enjeux internationaux autour de l’eau, McCaffrey en arrive donc à considérer essentielles deux remises en cause de notre conception de l’eau : d’une part, la prise en compte de la globalité du cycle hydrologique, le caractère systémique donc, de l’objet dont on parle, et d’autre part, la reconnaissance de l’accès à l’eau en tant que droit humain malgré l’absence de toute mention dans la Déclaration universelle des droits de l’homme.

    LA « CRISE » : SA DIMENSION HUMAINE ET SA DIMENSION ENVIRONNEMENTALE

    Mais les débats autour de l’eau à l’échelle internationale ne se limitent pas, loin de là, aux questions de rapports plus ou moins conflictuels entre États, et ce n’est certes pas cette dimension qui a fait émerger, principalement, l’idée d’une « crise mondiale de l’eau », bien que le spectre des « guerres de l’eau » en découle en partie.

    Dès la fin des années 1960, c’est le mode de développement occidental qui retient l’attention, et le risque de l’extension de ce modèle à l’échelle planétaire : le fameux Voici le temps d’un monde fini (Jacquard, 1991), comme l’interpellation Halte à la croissance ? du Club de Rome (Meadows et al., 1972) expriment cette préoccupation, fondée sur des observations relativement inquiétantes quant à la dégradation des ressources et de l’environnement planétaire. S’agissant de l’eau, on constate notamment que l’utilisation de cette « ressource », pour laquelle nous n’avons inventé aucun substitut dans la plupart de ses fonctions, augmente en fait deux fois plus vite que la croissance de la population.

    En 1977, cinq ans après la conférence de Stockholm sur l’environnement, les Nations Unies convoqueront pour la première fois une conférence mondiale sur l’eau, conformément aux vœux exprimés lors des conférences sur l’alimentation (Résolution 3348, 1974) et sur les établissements humains (Habitat, 1976) : la conférence de Mar del Plata, en Argentine, qui affirmera « [q]ue tous les peuples, quels que soient leur stade de développement et leur situation économique et sociale, ont le droit de disposer d’eau potable en quantité et d’une qualité suffisantes pour répondre à leurs besoins essentiels » (Mar del Plata, 1977, p. 65) et « [q]u’il est universellement reconnu que la possibilité de disposer de cet élément est essentielle à la vie humaine et au développement complet de l’être humain, en tant qu’individu et en tant que membre de la société » (Id.).

    C’est que les inquiétudes entourant l’état de cette ressource vitale sont nourries, entre autres, par sa dégradation accélérée puisque, comme l’air, l’eau a servi et sert encore de « poubelle » aux êtres humains. La pollution de l’eau rend inutilisable une part importante de cette « ressource », mais la disponibilité de cette dernière est également menacée par l’intensification de son utilisation dans l’agriculture avec la révolution verte et par l’urbanisation, qui entraîne une augmentation de la consommation domestique, en plus d’exiger des infrastructures de plus en plus sophistiquées qui font cruellement défaut en de nombreux points du globe. Bref, les êtres humains prennent conscience que l’eau est une ressource limitée, même si elle se recycle constamment.

    La dimension environnementale et la dimension humaine, au-delà de la stricte question du partage entre États, demeureront à partir de cette période au centre des préoccupations internationales et nourriront l’idée de « crise mondiale de l’eau » qui s’impose dans les années 1990 (Linton, 2004), malgré la reconnaissance de situations fortement différenciées selon les pays et les régions : pollution et dégradation dans les pays développés comme dans les pays en voie de développement, proportion alarmante de la population mondiale n’ayant pas accès à l’eau potable et à l’assainissement, dégradation et surutilisation des eaux souterraines sur presque tous les continents serviront, entre autres, à construire cette idée de crise mondiale, par-delà les caractéristiques particulières des multiples enjeux de l’eau localisés.

    Mais c’est peut-être l’Évaluation des écosystèmes pour le millénaire⁵ (MEA, 2005) qui illustre le mieux la transformation de la perspective internationale, d’un enjeu interétatique à un enjeu global, lié à nos modes de développement. On y constate qu’« [a]u cours des 50 dernières années, l’Homme a généré des modifications en ce qui concerne les écosystèmes de manière plus rapide et plus extensive que sur aucune autre période comparable de l’histoire de l’humanité » (MEA, 2005, p. 1) ; que 60% des services écosystémiques qui soutiennent la vie sur la planète sont en cours de dégradation ou utilisés de manière non durable ; que deux services écosystémiques en particulier ont largement dépassé les seuils de soutenabilité, soit les pêcheries et l’eau potable ; que les changements systémiques entraînent de nouvelles maladies ; que la demande continue d’augmenter, sur des écosystèmes dégradés ; et que l’ensemble des dégradations (industrialo-agro-urbaines) se conjugue avec les changements climatiques (MEA, 2005).

    La compréhension de cette « crise » est donc bien construite, dans sa désignation même, car ce qui est en crise, en pratique, n’est pas l’eau pour ce qu’elle est, mais bien le rapport que les êtres humains entretiennent avec elle et entre eux. Ce qui est en crise, c’est bien notre mode d’être au monde, notre mode de développement, qui ne peut en aucun cas se satisfaire des limites de la planète et de la considération des écosystèmes planétaires autrement que comme des « ressources » à notre disposition pour ce développement, qu’il s’agit de répartir de manière optimale.

    Qualifier ainsi la situation de « crise mondiale de l’eau », en dirigeant les projecteurs sur la « ressource » qui ne suffirait pas à nos « besoins », plutôt que sur les modes de développement que nous avons choisis, déterminera largement les voies de solutions qui seront envisagées pour faire face à ladite crise, puisqu’il ne s’agit alors pas de choisir ou de modifier des choix antérieurs, mais bien de gérer une ressource devenue « rare ». Le PDG de Nestlé, lors d’une réunion à Davos, l’a exprimé de manière limpide en affirmant que de son point de vue, le défi qui nous confronte dans le domaine de l’eau est de répondre à tous nos besoins (Davos, 2009). Sous-jacente à la construction de cette crise mondiale de l’eau, ce sont donc des considérations de gestion – comment, par quelles méthodes, répondre à tous nos besoins – et non de réels enjeux politiques – si nos usages dépassent la capacité de la planète à nous soutenir, quels choix effectuer ? – qui orientent à la fois le discours et l’action. On s’aperçoit ainsi qu’il y a bien un lien entre le fait que la crise soit construite d’une certaine manière et le type de réponses qui en ressortent. Construite en effet sur la considération de l’eau comme « ressource », soumise à la souveraineté des États et dont la fonction est essentiellement de nous servir, d’être utilisée pour nos besoins, la réponse possible à une crise ainsi construite, même qualifiée de mondiale, ouvre difficilement la possibilité de réponses réellement communes.

    La possibilité de penser des solutions en commun se trouve d’autant plus réduite, à travers une telle définition du problème, que les États s’avèrent particulièrement jaloux de leur souveraineté sur leurs ressources naturelles. Si cette constatation peut s’appliquer dans de nombreux domaines environnementaux, s’agissant de l’eau, ils apparaissent particulièrement frileux, à telle enseigne qu’ils ont explicitement refusé, lors du sommet de la Terre de Rio en 1992, de considérer l’idée d’une convention mondiale sur l’eau (Sironneau, 1993, p. 69.). Et pourtant, l’eau est bel et bien un problème commun.

    LE CANADA, PAYS DE RESSOURCES

    À travers la diversité des problématiques localisées de l’eau sur la planète, le Canada occupe une place bien particulière. Ainsi, « [e]n 1995, des régions telles que le Canada jouissaient d’une disponibilité en eau d’environ 170000 mètres cubes d’eau par habitant et par an » (Shiklomanov, 2000, p. 122). Avec une densité très faible de population sur son territoire, le Canada a connu, depuis sa fondation, un développement reposant largement sur l’exploitation des ressources naturelles. Dans la perspective de la « crise mondiale de l’eau » telle qu’elle s’est construite, le Canada serait donc privilégié par le fait de détenir une part importante d’une ressource rare destinée à être exploitée.

    Au Canada, les enjeux de l’eau comme ressource se sont déclinés à la fois en matière de partage territorial et de partage de compétences. Ainsi, le traité de 1909 sur les eaux limitrophes entre le Canada⁶ et les États-Unis visait-il à organiser, à partager l’usage de ressources communes entre ces deux voisins partageant une immense frontière. Il intervient précisément dans cette période, dont nous avons parlé précédemment, où les usages se multipliant, il s’agit de les gérer pour qu’ils n’entrent pas en conflit, et prévoit de prioriser certains usages par rapport à d’autres.

    Mais le Canada étant une fédération et la constitution canadienne prévoyant la compétence des provinces sur les ressources naturelles, l’eau sera également un enjeu important de compétences, qui se verront découpées entre le fédéral et les provinces suivant une logique à la fois territoriale (les eaux transfrontières sont de juridiction fédérale) et fonctionnelle (la navigation étant de juridiction fédérale par exemple). Il sera dans ce contexte difficile de concevoir l’élaboration d’une véritable politique canadienne de l’eau.

    Dans cette logique ambiguë de ressource naturelle relevant de la souveraineté, mais également « à exploiter », la seconde moitié du xxe siècle verra se multiplier les projets et les controverses autour du potentiel d’exportation de l’eau. Bien qu’économiquement non réalistes, ces projets et les réactions qu’ils suscitent montrent de manière récurrente la tension sous-jacente à la considération de l’eau comme ressource, à la fois attribut de la souveraineté et bien de commerce potentiel, et ce, jusqu’à l’adoption de l’Accord de libre-échange nord-américain, suite auquel cette tension culmine et amène le gouvernement canadien à adopter une loi visant à interdire tout transfert interbassin (Bakenova, 2008).

    Donnant ainsi la priorité au principe de souveraineté sur celui de liberté des échanges entre les deux principes s’appliquant aux ressources naturelles à l’échelle internationale, le Canada apporte donc, pour trancher la controverse, une réponse à la mesure de la définition du problème, inscrite dans le paradigme de l’eau-ressource, qui n’ouvre aucunement la perspective d’une réponse en commun à un problème commun, y compris à l’échelle de sa propre communauté politique. Considérant l’eau au titre des ressources naturelles, le Canada a choisi tout simplement, pour l’heure, de ne pas l’échanger, ce qui n’apporte aucune réponse aux problèmes engendrés par la considération de l’eau comme ressource à l’intérieur même de ses propres frontières, notamment quant aux nombreuses utilisations de l’eau dans sa fonction de « poubelle », caractéristiques d’une perception d’abondance, que l’on pense à la dégradation de l’eau par les processus de production de pétrole à partir des sables bitumineux, aux autorisations de déversement aux entreprises minières de leurs déchets toxiques dans les lacs (Fransciscans International, 2008, p. 4) que le Canada octroie… souverainement, sans qu’une véritable politique canadienne de l’eau ne soit jamais discutée. L’absence de politique ne signifie donc pas absence de conséquences, au contraire : l’absence de politique digne de ce nom signifie de fâcheuses conséquences, situation dont le Canada fait l’expérience depuis plusieurs années.

    Cette incapacité à concevoir l’eau autrement que comme une ressource devant être gérée

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