À propos de ce livre électronique
En fait, il fallait le reconnaître : lorsque se chevauchent invraisemblance et réalité,
une effroyable dimension voit le jour et elle se sert de l’esprit pour jouer.
Submergée par le soin de ses trois enfants, Renata, écrivaine à temps perdu, décide que sa famille est complète.
Pourtant, un soir, alors que la marmaille dort à poings fermés, la voix implorante d’une fillette l’appelle juste derrière son oreille.
D’un souffle traînant, elle résonne comme issue d’un autre monde : « Mamaaan… ? »
Dès lors, Renata sait. Elle sait qu’elle n’a pas le choix de matérialiser cette enfant. Cette petite fille, dont le prénom lui apparaît clairement.
Car si elle ignore son appel, elle a l’impression que l’âme de cette fillette, coincée dans un univers menaçant, disparaîtra…
Elle doit lui sauver la vie. Mais… s’agit-il d’un ange ou d’un démon ?
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Avis sur Maman?, t1 - La genèse
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Aperçu du livre
Maman?, t1 - La genèse - Maude Rückstühl
Ma petite Fleur…
Même si l’univers s’effondre, la malfaisance ne pourra enflammer
le fil Ciel-Terre qui nous a réunies.
Et la tyrannie du temps ne parviendra à fracasser
l’amour qui nous a rassemblées…
Je t’aime pour la vie… et plus encore.
La peur ne peut se passer de l’espoir et l’espoir de la peur.
Baruch Spinoza
Chapitre 1
L’apparition
1980
La porte, s’entrebâillant, repoussa un enchevêtrement d’ombres sinistres sur le lit du nourrisson. À plat ventre dans sa couchette, tête levée, le bébé immobile fixait sa mère entre les barreaux, comme s’il l’attendait… L’ouverture du battant avait peint un rayon blafard qui darda le visage de l’enfant et déclencha le brasillement de ses prunelles.
— Dio santo ! Tu m’as fait une de ces peurs, Renata ! s’exclama madame Agnelli, depuis l’embrasure.
Pas un babillement. Pas un clignement de paupières. Non, la petite Renata, âgée de neuf mois, braquait un regard froid sur sa matrone, qui, en fait, n’avait jamais souhaité sa venue. Son garçon, Caleb, la comblait. À treize ans, le beau jeune homme était vaillant et se passionnait pour le travail agricole. Il incarnait la relève que Rosario et Agnès Agnelli attendaient. Oh, Caleb s’était fait plus que désirer : avant de former un œuf viable, la bonne femme avait enduré six fausses-couches. Le fils représentait un véritable miracle, qui avait réussi à attendrir le cœur aride et pragmatique des nouveaux parents, paysans du sud de l’Italie.
« À cinquante ans, il est normal de vous sentir plus fatiguée. L’absence de vos menstruations depuis maintenant cinq mois signale le début de votre ménopause, Agnès. »
« Docteur… si ce n’était que la fatigue et l’arrêt des règles, je ne serais pas dans votre cabinet aujourd’hui… Je crains une maladie. Un cancer de l’utérus… »
Le médecin, préoccupé par les appréhensions de sa patiente, qu’il soignait depuis plus de vingt ans, s’était avancé sur son bureau, mains posées à plat devant lui.
« Pourquoi un cancer de l’utérus, ma chère ? »
« J’ai le ventre un peu enflé et, parfois, je ressens des crampes qui frappent comme la foudre. Je ne l’ai pas dit à Rosario, mais il m’arrive souvent de prendre des pauses. Je cherche mon souffle… J’ai des vertiges… Par chance, Caleb, béni soit ce garçon, est d’une aide providentielle sur la ferme… »
L’intransigeance de la fermière la dépouillait normalement de toute sensibilité, mais, ce jour-là, l’exception s’était produite. Elle avait sangloté dans ses mains plaquées de justesse sur sa bouche. Le médecin s’était levé, avait contourné son bureau, puis flatté d’un geste réconfortant les omoplates trapues de sa patiente :
« Approchez, chère. Je vais vous examiner. Depuis combien de temps êtes-vous dans cet état, dites-moi ? »
Madame Agnelli avait haussé les épaules, la tête basse. Occupée à effacer les traces de sa détresse avec un mouchoir de poche, elle avait répondu que ces malaises remontaient à des mois. La révélation avait fait sourciller le docteur :
« S’il y a une chose qu’il ne faut pas négliger, c’est bien la santé ! » l’avait-il moralisée.
La patiente assise sur la table d’examen montrait une pression artérielle normale, ainsi qu’une température corporelle satisfaisante. Le médecin l’avait invitée à s’étendre et avait palpé son abdomen. Attentive à la moindre altérité faciale de l’homme, madame Agnelli n’avait su déceler le sentiment caché derrière les sourcils froncés et la bouche pointue de concentration.
« Je vais procéder à un examen gynécologique. »
Après la palpation de l’utérus, le médecin avait retiré ses gants de latex pour les jeter ensuite dans la poubelle. Son soupir augurait un diagnostic pessimiste. Agnès s’était rhabillée, lançant de fréquents regards au docteur.
« Qu’est-ce que j’ai ? »
« Pour l’instant, rien de très grave… »
« Comment ça, rien de grave pour l’instant ? J’ai un cancer, c’est ça ? Vous soupçonnez un can… »
Le médecin avait relevé des yeux francs vers sa patiente en même temps qu’il l’avait interrompue :
« Si j’avais pris ma retraite quand ma femme m’en priait, je n’aurais jamais vécu ce phénomène dans ma carrière… Agnès, j’ai de fortes raisons de croire que vous êtes enceinte. »
« Impossibile ! Di che diavolo stai parlando¹ ! Rosario et moi sommes stérilisés depuis la naissance de Caleb. Vous le savez, docteur ! C’est IMPOSSIBILE ! »
1. « Impossible ! Que diable me racontez-vous là ? »
« L’échographie nous éclairera », avait répondu le médecin, l’air grave.
Rageuse, Agnès avait grincé des dents, dardant celui qui personnifiait maintenant non plus un saint, mais un prophète de malheur :
« Ce n’est pas possible ! Vous m’entendez ? Si ce petit diable est en moi, je le ferai sortir, RAPIDEMENTE ! » avait-elle hurlé, hystérique.
D’abord flegmatique, le docteur avait appuyé par la suite un regard d’une sévérité implacable sur sa patiente :
« Votre grossesse semble assez avancée, Agnès, et même si vous n’en étiez qu’à quelques semaines, je ne vous conseillerais pas l’avortement, si c’est bien à cela que vous faites référence. Considérez cet enfant comme un miracle, et non pas comme le démon, santo Cielo² ! » s’était-il emporté.
2. « Bonté divine ! »
— Dors ! aboya la matrone d’un index pointé vers le bébé.
La brusque fermeture de la porte précéda une conversation feutrée que l’âme de l’enfant paraissait capter.
— Qu’y a-t-il ? s’éleva la voix bourrue de Rosario.
— Oh, c’est qu’elle ne dort jamais ! Tu devrais voir la façon qu’elle me regarde… Ça donne froid dans le dos. Ce n’est pas normal ! Pas normal du tout ! On devrait la confier au prêtre…
— Au prêtre ? Et puis quoi, encore ? ! Si des rumeurs de ce genre se répandent, personne ne voudra acheter nos récoltes ou manger notre viande ! Possédée ou pas, je briserai le caractère de cette petite. Fais-moi confiance, je la dresserai.
En son for intérieur, Agnès appréhendait que l’indésirable enfant incarne réellement le mal, car sinon, comment expliquer sa venue ?
Mais alors, qu’était donc cette forme mi-humaine, mi-bestiale qui s’était matérialisée dès la porte de la chambre fermée ? En plus de petites fentes malicieuses pour yeux, la créature avait une gueule béante pavée de longues dents affûtées et incurvées. Son torse d’Apollon surmontait une paire de pattes qui évoquaient celles d’un chien ou d’un loup-garou, elles-mêmes juchées sur d’énormes sabots porcins. Couronnée, sa tête chevelue dégoulinait de sang.
L’ombre, monstrueusement grande, se prolongeait sur le plafond, d’où elle observait Renata, la nuit, et s’étendait ainsi jusqu’à sa couchette. Elle la contemplait. Se délectait de cette âme virginale d’exception. La poisseuse chevelure se détachait de la silhouette, pendait tout près du bébé. Babillant à cet être qu’elle prit pour un ami, Renata tendit une menotte et déploya ses petits doigts pour empoigner une mèche humide.
Le lendemain matin, à son réveil, Caleb, chargé de sortir sa sœur du lit, découvrit avec consternation la présence de taches sanguines partout sur les couvertures. Elles maculaient même ce joli visage joyeux de revoir son frère, que Renata aimait tant.
Si Caleb fut tenté d’alerter sa mère, il se ravisa et alla plutôt chercher un gant de toilette pour effacer ces traces. Connaissant les sentiments virulents de ses parents envers sa petite Reine, l’aîné voulait éviter de leur donner l’occasion d’appuyer leur croyance… Il s’était donc empressé de mettre literie et pyjama au lave-linge, en se réjouissant de leur couleur foncée.
-
Caleb n’avait jamais parlé de l’affaire à quiconque. Et, de toute façon, cela n’était plus jamais survenu par la suite. Autant l’oublier. Le garçon ne s’expliquait pas cette « pluie rouge », mais il savait que des histoires comme celle-là arrivaient dans certaines maisons.
Cinq ans après la découverte, Caleb célébrait son dix-huitième anniversaire en compagnie d’amis quand, bêtement, il dégringola d’une falaise, se fracassa crâne et os.
La relève de la Ferme Agnelli et Fils avait livré son âme ce jour-là.
Ne restait plus que la fillette et ses vieux parents.
Ne restait plus qu’une enfant soupçonnée d’abriter un esprit démoniaque…
Chapitre 2
Le retard
1997
Dix-sept ans s’étaient écoulés depuis la naissance de Renata Agnelli. Angélique, la beauté de l’adolescente démentait l’atroce conviction de sa mère. Son regard, aussi abyssal que mystérieux, était peaufiné par des paupières frangées d’abondants cils recourbés. Ces délicats portails gardaient des yeux brillants comme des pierres de jais. Olivâtre, son teint se mariait à une opulente chevelure châtaine qui cascadait en souplesse sur sa jolie poitrine. Néanmoins, ni la vénusté de sa fille ni sa docilité n’avaient convaincu Agnès de sa pureté. L’enfance de Renata avait sombré dans les lourdes besognes familiales et dans la scolarité. Par conséquent, le quotidien chargé ne laissait guère de temps à ses géniteurs pour manifester à leur dernière-née un quelconque signe d’affection et c’était mieux ainsi…
La seule solution, c’est disparaître, songeait de plus en plus fréquemment la jeune fille, à l’approche de sa majorité.
— Que ferais-tu, toi, à ma place, Caleb ? demanda la malheureuse, qui encadrait de ses mains la lampe vénitienne de son défunt frère.
« Il y a des gens qui disent que le feu n’est pas vivant, comme les roches, mais moi, je ne suis pas d’accord. Je pense que le feu nous parle », avait confié Renata, cinq ans, à son frère, peu avant sa mort.
Elle vouait une fascination à l’objet que Caleb, lui-même, avait adoré. L’affection du garçon pour sa cadette avait compensé l’animosité parentale. Aux yeux de Caleb, Renata était un ange et il désapprouvait la malveillance d’Agnès et Rosario à son égard, même s’il le taisait.
« Je crois que tu as raison, ma petite Reine », la surnommait-il affectueusement.
La flamme dansait dans les prunelles de sa sœur, alors que son regard lointain semblait sonder le feu.
« Tu sais que je partirai bientôt vivre ailleurs pour quelques années, n’est-ce pas ? »
La petite avait hoché la tête, la bouille triste :
« Oui, pour aller à la grande école de la ferme. »
« Oui, c’est ça. L’université. C’est ainsi qu’on l’appelle. »
Caleb avait marqué une pause, essuyé du revers du pouce la larme qui dégringolait sur la joue de sa sœur.
« Je te donne ma lampe, mais tu devras l’allumer tous les jours. Je te fournirai des allumettes en cachette. Je te montrerai comment ça marche. Mais attention : il faudra que tu les utilises seulement pour me parler à travers le feu », l’avait-il mise en garde.
Enchantée, Renata avait enlacé son frère avant de le couvrir de baisers.
« Je serai toujours près de toi, grâce à cette lampe et à sa flamme. D’accord, ma petite Reine ? »
« OK, Caleb. Je t’aime… Je t’aime pour toute la vie… »
Épuisée, Renata, qui devait se lever comme d’habitude à l’aube pour nettoyer les enclos et nourrir les bêtes, éteignit la lumière et se réjouit de la première journée de l’année scolaire, le lendemain. Les relents fades de son quotidien estival s’évaporeraient, mais, surtout, elle reverrait enfin sa meilleure amie, Mathilde. Il y avait longtemps que Renata ne s’était pas endormie avec un sourire…
-
— Être une vénus ne sert à rien, ma belle ! affirma Mathilde avec son habituel ton désinvolte. S’ils voulaient une ramasseuse de merde, tes viocs auraient dû avoir une horreur, mais toi… toi, tu es une beauté sauvage, Renata. Ton joli petit cul ne peut même pas connaître le plaisir de se déhancher sous le tissu léger d’une robe ni d’être reluqué…
Intérieurement, Renata reconnaissait les dires de Mathilde : à défaut de papillonner d’une activité à l’autre, elle massacrait ses étés à traîner d’encombrantes bottes de caoutchouc, qui lui donnaient l’impression de suivre les très espacées empreintes d’un ogre. L’ogre qui dévorait sa jeunesse. La vexation ? Elle l’éprouvait quotidiennement, affublée d’un accoutrement répugnant : une salopette maculée de lait gras, de bave de vache et de merde. Certes, sa condamnation lui avait modelé un tempérament docile et débonnaire, qui au demeurant n’attirait en rien la tendresse tant espérée de ses parents. Leur intransigeance, couplée à leur indifférence, avait incendié ses ailes. À la maison, Renata incarnait soit un fantôme, soit une esclave. Elle se sentait un peu renaître lorsqu’elle parcourait, en car scolaire, les sept kilomètres qui la séparaient de l’école. Mais ce court laps de temps ne suffisait pas à libérer de ses chaînes la réelle personne qui croupissait au tréfonds de son être. Elle ne la délierait que quand elle déserterait ses géniteurs et le plan de vie qu’ils lui programmaient.
— Qu’est-ce que tu as fabriqué, cet été, à part festoyer parmi les vaches ?
— Oh, tout plein de choses ! s’était exclamée Renata avec un enthousiasme feint.
Ne connaissant pas sa copine capable d’user de sarcasme, Mathilde, pour une fois, mordit à l’hameçon. Un étonnement émerveillé se peignit sur son visage.
— Vraiment ? Oh, mon Dieu ! Raconte, raconte ! Tu t’es tapé ton premier mec ?
Renata referma son casier d’un geste las, barra le cadenas d’un coup de paume. Une longue mèche de cheveux s’échappant de l’arrière de son oreille cacha de justesse son profil amusé. Elle tourna le dos à Mathilde, les bras encombrés d’un manuel d’histoire, d’un classeur à anneaux et d’un étui à crayons. Souriant d’un air malicieux, elle répondit, par-dessus son épaule :
— Me taper mon premier mec ? Non, j’ai plutôt agi en tant que proxénète.
Mathilde lui empoigna le bras et la fit pivoter. Impossible de se détourner du regard déterminé et sagace qu’accentuaient les iris brun sombre de son amie. Par ailleurs, celle-ci lui enviait ses généreuses paupières, car elle trouvait qu’elles lui conféraient une expression sensuelle et envoûtante.
— Quoi ? Ai-je bien entendu ? demanda Mathilde.
Renata soupira en roulant les yeux au plafond. Enfin, elle lui révéla l’identité des « prostituées » dont elle tirait des revenus.
— Cet été, j’ai conduit un de nos taureaux à quelques-unes de nos vaches. Si tu avais vu la taille de son machin… Mais à part « festoyer avec les vaches », j’ai nettoyé leur enclos, je les ai rassemblées dans le pâturage avant que les loups ne sortent, j’ai recueilli leur lait, j’ai aussi…
— Suffit ! J’en ai assez entendu ! la coupa Mathilde, froissée, alors que sa grande queue de cheval s’agitait au rythme de son désaccord.
— Allez, mesdemoiselles, dans vos classes !
C’était monsieur Ristorini, le professeur d’art. Sa réputation dissuadait les élèves de se frotter à sa rigidité.
La fin de la journée scolaire était vite arrivée. Contrairement à la majorité, qui la doublait à la course, Renata, elle, marchait la tête basse. Elle ne manquerait pas le car, mais ne disposait pas d’une seule minute à consacrer à Mathilde, qui devait immanquablement se pomponner devant le miroir de son casier.
Des vestiges d’entrain estival ornaient l’ambiance du bourg. Andrea Bocelli³ répandait son génie sur le village par les contrevents déployés d’un balcon où une petite dame enrobée accrochait des vêtements à une corde à linge. Renata traversait une rue étroite, pavée de pierres, longée de maisons à encorbellements pourvues de bacs à fleurs aux couleurs vives. Un troupeau de jeunes écoliers en uniforme la dépassa en filant joyeusement. Leurs éclats de rire, si purs, l’avaient par instinct conduite à lever les yeux vers eux. Plus grand que son dos, le sac à bretelles d’une des fillettes ballottait de gauche à droite, rebondissait sur sa colonne vertébrale, comme un fardeau qui la violentait. Néanmoins, son innocence la protégeait encore… Renata jalousait la candeur de cette enfant, et lui souhaitait de la conserver. La cruauté de ses géniteurs avait volé sa naïveté bien avant l’heure et elle leur en voulait au plus haut point. Puis, une éclaircie darda son amertume : dans moins de deux ans, elle terminerait le lycée et abandonnerait sa prison.
3
. Ténor italien.
— Hé, tu as le feu au cul ou quoi ?
Renata sursauta. Elle ne s’était pas aperçue de la présence de Mathilde, tellement elle visualisait sa libération. D’une main posée sur l’épaule, son amie l’obligea à l’immobilité.
— Je sais que tu es de nature mélancolique et plutôt taciturne, mais je ne t’ai jamais vue dans cet état, observa-t-elle sans ambages en l’analysant. Viens ! Tu prendras le prochain bus.
— Mais… mes parents…
— On s’en fout d’eux ! Ils sont en train de te détruire.
— Mon père me punira, répliqua Renata.
— Tu n’auras qu’à dire que l’autobus de seize heures ne s’est pas pointé, lança Mathilde en passant son bras autour de ses épaules. Je crois qu’on est mûres pour une bonne discussion à notre endroit habituel.
Renata céda à tant de bienveillance et toutes deux rebroussèrent chemin. À la vue d’un jeune homme en maillot de corps, assis dans les escaliers d’une trattoria, et absorbé dans un roman en tirant sur sa cigarette, Mathilde donna un coup de coude discret à Renata.
— Tu ne trouves pas qu’il ressemble à Luke Perry ? lui glissa-t-elle dans l’oreille.
Renata la regarda avec curiosité.
— Ah, ouais, c’est vrai, enchaîna Mathilde. Tu n’écoutes pas Beverly Hills 90210⁴. Encore la faute de tes vieux…
4. Série télévisée américaine populaire.
À l’instant, un moineau paniqué échappa de justesse au coup de patte d’un chat noir, blanc et roux. Mathilde se rua sur le chasseur en tapant des mains :
—
