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Lire des scénarios: Pour une approche interdisciplinaire et renouvelée des pratiques scénaristiques
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Livre électronique408 pages5 heures

Lire des scénarios: Pour une approche interdisciplinaire et renouvelée des pratiques scénaristiques

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À propos de ce livre électronique

Au cours des dernières décennies, la création narrative a connu un essor significatif dans les médias tels le cinéma, la télévision, le web et les jeux vidéo. Dans ce contexte, l’intérêt pour les pratiques scénaristiques s’est étendu tant dans le monde professionnel que dans les milieux de formation et de recherche.

Ce livre met en lumière des perspectives interdisciplinaires et des enjeux intermédiaux liés à la lecture de scénarios. L’autrice adopte une approche du scénario en tant qu’objet textuel, prenant en considération les divers contextes sociaux dans lesquels il s’inscrit. Cette approche repose sur le principe de virtualité, qui, ici, ne renvoie pas aux « réalités virtuelles » que l’on connaît, mais trouve plutôt ses racines dans des théories philosophiques, anthropologiques et artistiques qui arpentent l’imaginaire et la fiction depuis bien avant l’ère des nouvelles technologies. En intégrant ces perspectives, l’autrice propose une vision approfondie et renouvelée du processus complexe et enrichissant qu’est la lecture scénaristique. Celle-ci se révèle alors comme un geste interprétatif de médiation, d’appropriation, de transposition, d’adaptation, de projection, voire de création.
LangueFrançais
Date de sortie5 févr. 2024
ISBN9782760650053
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    Lire des scénarios - Gabrielle Tremblay

    Gabrielle Tremblay

    LIRE DES SCÉNARIOS

    Pour une approche interdisciplinaire et ­renouvelée des pratiques scénaristiques

    Les Presses de l’Université de Montréal

    Mise en pages: Yolande Martel

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Titre: Lire des scénarios: pour une approche interdisciplinaire et renouvelée des pratiques ­scénaristiques / Gabrielle Tremblay.

    Noms: Tremblay, Gabrielle, 1982- autrice.

    Collection: Espace littéraire.

    Description: Mention de collection: Espace littéraire | Comprend des références bibliographiques.

    Identifiants: Canadiana (livre imprimé) 20230078451 | Canadiana (livre numérique) 20230078478 | ISBN 9782760650039 | ISBN 9782760650046 (PDF) | ISBN 9782760650053 (EPUB)

    Vedettes-matière: RVM: Scénarios de cinéma—Histoire et critique. | RVM: Cinéma et littérature.

    Classification: LCC PN1996.T74 2024 | CDD 791.43/7—dc23

    Dépôt légal: 1er trimestre 2024

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    © Les Presses de l’Université de Montréal, 2024

    www.pum.umontreal.ca

    Cet ouvrage a été publié grâce à une subvention de la Fédération des sciences humaines de concert avec le Prix d’auteurs pour l’édition savante, dont les fonds proviennent du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

    Les Presses de l’Université de Montréal remercient de leur soutien financier le Fonds du livre du Canada, le Conseil des arts du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).

    REMERCIEMENTS

    Je remercie les participants et participantes à mon enquête de terrain pour leur temps et, surtout, pour la générosité de leurs contributions.

    Je tiens à remercier l’ensemble des étudiants et des étudiantes du certificat en scénarisation cinématographique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) inscrits au cours «Lecture de scénario» à l’automne 2017, 2020 et 2021, au cours «Adaptation cinématographique» à l’hiver 2021, 2022 et 2023, ainsi que ceux et celles en études littéraires qui ont participé au séminaire «Lecture, adaptation, création» à l’automne 2022. Les échanges que nous avons eus en classe, votre curiosité intellectuelle et vos nombreuses questions ont grandement nourri et influencé positivement la rédaction de ce livre.

    Je remercie chaleureusement Johanne Villeneuve et Louis Jacob pour la direction de mon travail lors de mes études doctorales à l’UQAM.

    Enfin, je souhaite remercier de tout cœur ma famille et mes amis et amies (qui sont aussi ma famille). Sans vous, rien ne serait possible.

    «La théorie s’oppose au sens commun.»

    Antoine Compagnon, Le démon de la théorie

    INTRODUCTION

    La première attestation écrite en français du terme «scénario», terme emprunté à l’italien scenario, est attribuée à Beaumarchais en 1764. Son emploi est alors limité à la sphère théâtrale et désigne le décor, la scène et la description de la mise en scène. «L’emploi figuré pour déroulement selon un plan préétabli (avant 1850) ne s’est répandu qu’au [20]e siècle, sous l’influence du sens devenu courant de scénario qui désigne en cinéma la description rédigée de l’action d’un film1». La première occurrence écrite de cette acception du mot appartient, selon les historiens du cinéma, à Georges Méliès en 1907. Si le sens de «scénario», en lien avec le cinéma, paraît s’être stabilisé depuis les cent dernières années, quelque chose de polysémique demeure dans le terme. D’ailleurs, «scénario» fait partie du langage courant de plusieurs domaines, dont la psychologie (en analyse transactionnelle, par exemple, le concept de «scénario de vie» est au cœur du processus thérapeutique), la pédagogie (où l’élaboration de «scénarios pédagogiques» sous-tend différentes stratégies d’enseignement), la finance (dans ce secteur, le mot scénario prend le sens de projection ou de prédiction sur un horizon donné de certains indicateurs économiques d’importance – taux d’intérêt, prix des actions, taux de chômage, etc.), le monde militaire (l’usage du mot concerne alors tant la planification tactique que la gestion des urgences) et la météorologie (son usage dans ce domaine est observé lorsque plusieurs possibilités climatiques sont envisagées de manière simultanée pour une période ciblée). Dans le langage des professionnels2 du milieu cinématographique, comme des universitaires et des cinéphiles (et il en va de même du côté de la télévision et des nouveaux médias), «scénario» désigne à la fois le texte écrit à partir duquel s’élabore le processus de développement et de création d’une œuvre audiovisuelle et l’histoire telle que portée à l’écran – par exemple, au sortir d’un film, nous sommes nombreux à parler «des faiblesses du scénario» lorsque le film nous a déçus, sinon «d’un scénario bien ficelé» lorsque, au contraire, il nous a plu. Cette dernière façon de considérer le scénario éclipse, en quelque sorte, la matérialité textuelle du scénario. À la polysémie constatée ci-dessus se greffe donc une certaine polémique quant au statut même du scénario en tant qu’objet textuel.

    Du côté des études cinématographiques et du monde de l’audiovisuel, de nombreux ouvrages sont entièrement dédiés aux techniques et aux rouages de l’écriture de scénarios. Dès leur titre, bien souvent, on perçoit d’ailleurs le caractère ouvertement didactique et prescriptif de ce type de publications tantôt universitaires, tantôt professionnelles: Écrire un scénario, Scénarios: modes d’emploi, Votre scénario est bon pour la poubelle! 100 pistes pour le rendre formidable, Jeune scénariste: tout ce que tu dois savoir!, Kit de survie du scénariste, Les règles élémentaires pour l’écriture d’un scénario, Guide du scénariste, La bible du scénariste, etc. Isabelle Raynauld, en 2012, dans la conclusion de son livre Lire et écrire un scénario, constate cependant que «le scénario en tant que forme scripturale a peu été théorisé3» et, surtout, que les modes de lecture et les lecteurs scénaristiques n’ont fait l’objet que de trop peu d’études. Encore aujourd’hui, à la suite de Raynauld, force est de constater que la lecture de scénarios est un objet d’étude peu considéré, tant du côté des études scénaristiques que du côté des théories de la lecture.

    Dans le domaine littéraire, la place du texte scénaristique est incertaine à bien des égards. Par ailleurs, au cours des dernières décennies, les pratiques scénaristiques se sont développées à travers des domaines médiatiques de plus en plus nombreux (cinéma, télé, web, jeux vidéo, etc.) et la création scénaristique a suscité, à juste titre, un intérêt grandissant dans le monde professionnel comme dans les milieux de formation et de recherche. Aussi, les rares travaux portant (ne serait-ce qu’en partie) sur la lecture de scénarios abordent systématiquement cette question dans une perspective motivée au premier plan par des préoccupations largement centrées sur ce qui touche à l’écriture de scénarios. Dans ce livre, une réflexion théorique portant spécifiquement sur la lecture scénaristique à travers l’étude et l’analyse de préoccupations interdisciplinaires et d’enjeux intermédiaux que soulève et noue la lecture de scénarios est proposée. Une telle perspective nécessite d’appréhender le scénario précisément en tant qu’objet textuel, tout en sachant tenir compte des différents contextes sociaux dans lesquels il s’inscrit. Ce faisant, l’objet d’étude prend d’abord la forme d’un champ à étudier, soit le «champ scénaristique», puis celle d’un domaine d’études théorique à consolider, soit la lecture scénaristique pensée à partir du principe de virtualité. Le virtuel, la virtualité et la virtualisation dont il sera question dans cet ouvrage ont peu à voir avec les «réalités virtuelles» telles que développées et comprises depuis l’avènement du numérique et des nouvelles technologies. L’origine du principe de virtualité auquel s’attache ma pensée en matière de lecture scénaristique remonte bien avant les récentes innovations technologiques, du côté des théories philosophiques, anthropologiques et artistiques et de ce qui concerne l’imaginaire humain et le domaine de la fiction. Le présent projet, préoccupé par la virtualité de la lecture scénaristique, insiste fortement sur la matérialité textuelle du scénario. En ce sens, je fais mienne dès maintenant cette définition du virtuel que propose la philosophe Michela Marzano et qui trouve un écho direct dans le travail de théoriciens qui seront convoqués ultérieurement: «le Virtuel ne s’oppose pas au réel […]; ce n’est pas l’effacement des limites du corps, mais leur prise en compte qui permet d’en développer les potentialités, dans le domaine de la science comme dans celui de l’art4». Mon approche théorique de la lecture scénaristique, en tenant compte du principe de virtualité, s’intéresse ainsi tant au «corps scénaristique» (le texte) qu’à l’expérience concrète du lecteur de scénarios, pour ainsi donner à penser la lecture en tant que geste interprétatif, certes, mais également (et surtout) en tant que geste de médiation, d’appropriation, de transposition, d’adaptation, de projection et même de création.

    Avant de procéder à la présentation des chapitres à venir, quelques précisions méthodologiques s’imposent. Dans le monde professionnel de l’audiovisuel, le scénario d’un projet donné existe le plus souvent à travers une série de versions. Mon usage au singulier du mot scénario «absorbe», en quelque sorte, cette existence instable et souvent plurielle du texte scénaristique: s’intéresser à un scénario, à mon sens, revient implicitement à embrasser, au moyen de la lecture, la réalité, sinon la potentialité de l’ensemble de ses versions, qu’elles soient antérieures ou anticipées. Dans ce livre, je me référerai ponctuellement à différents domaines médiatiques. L’essentiel de ma réflexion porte cependant sur la lecture scénaristique et les lecteurs de scénarios dans un contexte cinématographique. Aussi, mon travail ne concerne que le texte scénaristique compris à l’intérieur du domaine de la fiction.

    L’ouvrage est divisé en deux grandes parties, chacune composée de quatre chapitres. La première partie du livre offre un panorama analytique des discours et des pratiques les plus généralement admis en lien avec le texte scénaristique, la seconde expose de manière détaillée ma réflexion théorique en matière de lecture scénaristique5.

    Dans le premier chapitre, à la suite des travaux déjà dédiés à l’histoire du cinéma et des pratiques scénaristiques au Québec, un survol historique du rapport au texte scénaristique et à l’auctorialité cinématographique et télévisuelle est effectué. La démonstration prend appui sur l’analyse de périodiques spécialisés, de textes de loi et de conventions collectives et permet de contextualiser l’émergence et la consolidation de certaines postures discursives en matière scénaristique dont il sera question tout au long des chapitres suivants.

    Dans le deuxième chapitre, je m’intéresse à la figure du «lecteur réel» de scénarios. Dans ce chapitre, je témoigne d’une enquête de terrain menée auprès de différents professionnels de l’audiovisuel (comédien, producteur, réalisateur, superviseur d’effets visuels, scripte, costumière, chef coiffeuse, agente artistique, etc.6). À travers l’exploitation et l’analyse des données recueillies, j’expose les habitudes de lecture scénaristique des personnes interrogées, ainsi que le type de travail effectué à partir du scénario dans le cadre de leur activité professionnelle respective. Les scénarios ne circulant que très peu à l’extérieur des sphères d’initiés, les professionnels de l’audiovisuel peuvent, en quelque sorte, être considérés collectivement comme le premier lectorat de cette forme textuelle.

    Le troisième chapitre est dédié au développement et à l’orientation des études scénaristiques au Québec et au Canada. Je pose d’abord quelques repères en ce qui a trait aux postures critiques et aux axes de recherche les plus rencontrés à l’intérieur de la filière scénaristique. J’effectue ensuite une recension analytique de l’offre de formation scénaristique dans les universités canadiennes. Puis, je procède à une autre recension analytique, cette fois-ci à propos de la production de mémoires et de thèses en études scénaristiques au Québec. Cette triple approche des études scénaristiques donne à voir tant la grande diversité (en fait de méthodes et d’objets) qui caractérise cette filière universitaire que la manière dont on y intègre et reconduit largement certaines postures discursives héritées du monde professionnel.

    La littérarité du texte scénaristique pose problème pour plusieurs, comme si le fait d’appréhender le scénario à partir de préoccupations littéraires mettait à mal sa spécificité inhérente au domaine de l’audiovisuel. Dans le quatrième chapitre, j’aborde de front cet «épineux» sujet en remontant à l’origine de certains a priori et en donnant à voir l’impasse de pensées trop catégoriques en matière scénaristique. À la suite de quoi, je propose de considérer le scénario comme un texte simultanément littéraire et cinématographique, soit un texte «littéraire/cinématographique». Je suis d’avis qu’une conception mixte du texte scénaristique permet d’en saisir pleinement l’«épaisseur médiatique». Il s’agit là d’un élément fondamental de mon argumentaire, puisqu’à mon sens la lecture scénaristique fait coïncider l’expérience littéraire de la lecture et celle d’un travail cinématographique de l’imaginaire. Aussi, l’idée du scénario comme texte littéraire/cinématographique sert, en quelque sorte, de tremplin pour aborder les enjeux dont il sera question dans la deuxième partie de l’ouvrage dédiée plus spécifiquement à la lecture scénaristique et au principe de virtualité.

    Le cinquième chapitre inaugure la deuxième partie du livre. Les fondations de ma pensée théorique en ce qui a trait à la lecture scénaristique sont alors établies plus concrètement. J’effectue d’abord un survol synthétique des grands courants littéraires caractérisant les théories de la lecture. À partir de cet état de l’art, en demeurant solidement attachée à ma conception mixte du scénario comme texte littéraire/cinématographique, j’expose le cadre théorique d’une approche pragmatique de la lecture de scénarios et les balises permettant de penser la lecture scénaristique précisément comme objet théorique.

    Dans le sixième chapitre, la perspective mixte et pragmatique qu’emprunte mon approche du scénario me conduit à investiguer la lecture scénaristique comme «milieu», comme ce qui survient concrètement entre la page et l’écran. Les paramètres de l’expérience lectrice scénaristique se révèlent alors intimement liés à l’imaginaire cinématographique que déploie pour soi un lecteur de scénarios. Cela donne à voir et à penser la lecture scénaristique comme «appareillée», nécessairement orientée par les références et allusions répétées, dans les scénarios, aux dispositifs techniques du cinéma (prise de vue et de son, mouvements de caméra, montage, etc.). À partir de ces constats, je propose l’idée qu’un lecteur (professionnel ou non), à travers son expérience personnelle de lecture scénaristique devant un texte donné, développe un imaginaire filmique sous la forme d’un «tableau continu». Afin d’étayer cette proposition, en plus des théories de la lecture dont il a été question au chapitre précédent, je prends appui sur des travaux dédiés au rapport entre le texte et l’image. L’idée du «tableau continu» déborde ici la seule question de l’image strictement visuelle et intègre la génération d’images mentales sonores et sensorielles chez le lecteur de scénarios au contact de textes scénaristiques. Je m’intéresse ensuite à la manière dont la lecture scénaristique repose nécessairement sur des dynamiques interprétatives multiples et diversifiées et représente, pour le lecteur, un espace expérientiel d’adaptation, de transposition et de création. Au bout du compte, cette perspective permet d’entamer la remise en question d’un des lieux communs les mieux établis, tant chez les théoriciens que chez les praticiens, selon lequel la seule «vérité» d’un texte scénaristique résiderait dans ce qui est porté à l’écran.

    Dans le septième chapitre, je postule que le principe de virtualité, en matière de lecture de scénarios, rejoint l’approche pragmatique de la lecture et concerne les notions de transfert et d’adaptation autant que les compétences imaginatives du lecteur en présence. Le principe de virtualité permet alors de jeter un éclairage renouvelé sur le domaine de la fiction et sur l’expérience lectrice dans un contexte scénaristique. Aussi, dans ce chapitre, je décline trois virtualités engagées systématiquement dans la lecture de scénarios: ce qu’un film pourrait être, ce qu’un film aurait pu être et la manière qu’a le lecteur d’habiter le monde du texte.

    Le huitième et dernier chapitre vise à approfondir certaines pistes de réflexion en lien avec le principe de virtualité et la lecture de scénarios et à sonder les manières d’être, les usages et les pratiques scénaristiques que supposent, tantôt tour à tour, tantôt simultanément, mais toujours corrélativement, le virtuel, l’actuel, le possible et le réel. J’aborde une fois de plus la lecture scénaristique comme ce qui se joue, précisément, entre la page et l’écran. Cela me permet d’éclairer sous de nouveaux angles, tout en continuant à le remettre en question, ce lieu commun voulant qu’un scénario ne trouve son «ultime aboutissement» qu’à travers un film. La question de la lecture du scénario «à l’écran», une fois le film fait, est également abordée en fonction du principe de virtualité. Enfin, la dernière partie du chapitre porte sur la lecture de scénarios en dehors du seul contexte professionnel audiovisuel. Je m’intéresse alors à deux cas de figure précis: l’adaptation scénique et théâtrale d’œuvres cinématographiques et un contexte de formation universitaire où la lecture de scénarios fait partie du cursus.

    Ma réflexion en matière de lecture de scénarios repose sur une longue discussion interdisciplinaire avec le travail de plusieurs théoriciens. Cela dit, je convoque principalement, dans ce livre, les travaux de certains chercheurs, d’abord ceux d’Isabelle Raynauld du côté des études scénaristiques, puis ceux de Vincent Jouve, Liliane Louvel et Marielle Macé dans le domaine des études littéraires. Ma pensée prend aussi un appui significatif sur les travaux des sociologues Howard S. Becker, Pierre Lévy (également philosophe) et André Petitat.

    Finalement, en plus de contribuer à l’avancement théorique des études scénaristiques, en plaçant la lecture de scénarios aux croisements des études intermédiales, littéraires, cinématographiques et audiovisuelles, cet ouvrage s’applique à mettre en lumière les processus sociologiques de légitimation et d’organisation de discours, de savoirs et de disciplines dans le monde professionnel, ainsi que dans les institutions universitaires.

    1. Alain Rey (dir.), Le Robert. Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Robert, 2000, vol. PR-Z, p. 3411.

    2. La publication de ce livre suit un protocole éditorial qui préconise le recours au français «standard». J’estime important de signaler ici que l’usage du masculin générique dans le présent ouvrage masque en partie la réalité plurielle et diversifiée de ce qui est à l’étude.

    3. Isabelle Raynauld, Lire et écrire un scénario. Le scénario de film comme texte, Paris, Armand Colin, 2012, p. 208. Il est à noter qu’une deuxième édition augmentée de cet ouvrage est parue chez le même éditeur en février 2019 sous le titre Lire et écrire un scénario. Fiction, documentaire et nouveaux médias. En plus du nouveau sous-titre de l’ouvrage, l’ajout d’un chapitre intitulé «L’écriture documentaire. Nouveaux médias, nouvelles écritures: pour une scénarisation élargie» est à signaler.

    4. Michela Marzano, «Préface», dans Alain Milon, La réalité virtuelle: avec ou sans le corps?, Paris, Autrement, 2005, p. 6.

    5. Il est à noter que des pans de ce livre ont été présentés de manière exploratoire, entre 2015 et 2022, au Québec, en France, en Belgique, en Angleterre et aux États-Unis, lors de colloques et dans des articles. On trouvera sous mon nom, dans la bibliographie en fin d’ouvrage, la référence des publications effectuées durant cette période.

    6. Aucun participant à cette enquête n’a été rencontré à titre de lecteur ayant œuvré auprès d’organismes financeurs, comme la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) et Téléfilm Canada. Au sujet de la lecture de scénarios dans un contexte d’attribution de financement, on peut consulter le mémoire de David Sionnière, Enjeux de la lecture institutionnelle de scénarios de longs métrages au Québec, rédigé sous la direction d’Isabelle Raynauld et déposé en 2014 à l’Université de Montréal.

    PREMIÈRE PARTIE

    Lecture, perception et usage du scénario au Québec

    CHAPITRE I

    Le rapport au texte scénaristique et à l’auctorialité cinématographique et télévisuelle

    Plusieurs chercheurs ont travaillé à écrire l’histoire du cinéma et de la télévision au Québec, parmi lesquels on compte Pierre Barrette, André Gaudreault, Renée Legris, Yves Picard, Jean-Pierre Sirois-Trahan et Pierre Véronneau. Plus précisément, Germain Lacasse, Esther Pelletier et Isabelle Raynauld, dans leurs travaux respectifs, se sont intéressés de près à l’histoire du scénario au Québec. Plutôt que d’effectuer une synthèse des ouvrages et articles en lien avec l’histoire du cinéma, de la télévision et du scénario dans un contexte québécois, je propose de m’inscrire à leur suite en réalisant un survol historique du rapport au texte scénaristique et à l’auctorialité audiovisuelle au Québec. Il s’agit d’un axe de recherche peu exploité jusqu’à présent, mais qui s’avère pertinent pour contextualiser, comprendre et expliquer les discours actuels en lien avec la lecture, la perception et l’usage du scénario chez les critiques, les professionnels et les théoriciens dont il sera question un peu plus tard dans le présent chapitre. La première étape de ma démonstration repose en grande partie sur l’étude du contenu de différents périodiques et ouvrages spécialisés québécois. Je m’intéresserai d’abord à la culture auctoriale et scénaristique du secteur cinématographique, avant d’investiguer brièvement le domaine télévisuel.

    Critique cinématographique et culture auctoriale

    Le cinéma est un art de collaboration. Il suffit de voir la longueur de la plupart des génériques de films – courts et longs – pour s’en convaincre. Or, au milieu du 20e siècle, de nombreux théoriciens et penseurs de la Nouvelle Vague affirment avec force que le réalisateur est l’unique auteur d’un film. Les rédacteurs phares des Cahiers du cinéma, une revue française désormais mythique, consolident leur politique des auteurs autour de la figure du cinéaste et imposent ainsi une vision auteuriste du septième art. La part la plus noble en termes de création cinématographique est, dès lors, placée du seul côté de la réalisation. Dans un tel contexte, la valorisation esthétique du scénario en tant que forme textuelle et du scénariste (s’il n’est pas également réalisateur) en tant qu’auteur légitime peut s’avérer problématique. Le cinéma d’auteur – à titre de construction discursive et de valeur normative – a su trouver un ancrage significatif au Québec. À travers l’analyse de textes parus dans différentes revues cinématographiques québécoises, depuis le tournant des années 1920 jusqu’à nos jours, je souhaite aborder, non pas sans résonance avec l’histoire socioprofessionnelle et institutionnelle du cinéma au Québec, les modalités de cet épanouissement conceptuel dans les pages de périodiques consultés. Cette étude se concentre sur le contenu des revues suivantes: Le Panorama (1919-1921), Séquences (1955-), Objectif (1960-1967), 24 images (1979-) et CiNéMAS (1990-). J’ai consulté une partie de ce corpus en bibliothèque, en parcourant une à une les parutions originales des revues ciblées (Objectif et 24 images (1979-1984)). Il a ensuite été possible de poursuivre la recherche en ligne et de sonder les revues disponibles en format numérique (Le Panorama, Séquences, 24 images (1985-) et CiNéMAS). Les cinq revues citées ont été retenues, d’une part, pour leur exemplarité respective dans le paysage éditorial des périodiques dédiés au cinéma et, d’autre part, pour la séquentialité de leur parution au fil des différentes époques de la cinématographie québécoise. Cet échantillon de revues constitue ainsi un corpus qui permet de mettre en lumière et de cerner différentes inclinations discursives en lien avec l’auctorialité cinématographique ayant pris forme durant près d’un siècle de critique (professionnelle et scientifique) de cinéma au Québec.

    Le cinéma des premiers temps au Québec et la revue Le Panorama

    Peu de temps après les développements initiaux du cinématographe en France et aux États-Unis, la technologie de l’image animée est importée au Québec dès 1896. La première salle de cinéma permanente au Canada, Le Ouimetoscope, ouvre ses portes à Montréal en 1906. L’établissement «connaît un succès rapide en présentant un programme constitué de plusieurs (très) courts-métrages, entrecoupés d’entractes comiques ou d’intermèdes musicaux1». Dans les années qui suivent, les films s’allongent et se complexifient, tandis que les intertitres apparaissent sur les écrans. Les théâtres, lieux de projection des vues animées, se multiplient partout au Québec, mais de manière plus significative à Montréal. Le cinéma muet a alors le vent dans les voiles. Dans ses travaux, Germain Lacasse rappelle que «les montreurs de lanterne magique et les premiers exploitants de cinémas [au Québec] écrivaient ou du moins prévoyaient des boniments […][,] des textes qui […] servaient de fil conducteur au récit2» et qui étaient récités par des bonimenteurs lors des projections. Pour Lacasse, les boniments sont ainsi à penser comme des «parents», voire des «ancêtres» du scénario et le bonimenteur, lui, comme un «précurseur» du scénariste3. En 1913, le Bureau de censure des vues animées est fondé et inspecte sévèrement les films diffusés au Québec4. Les premières pratiques scénaristiques se déploient peu à peu au début du 20e siècle, d’abord en anglais, puis en français. Au tournant des années 1920, davantage de créateurs canadiens-français investissent le milieu cinématographique local, parmi lesquels certains hommes religieux qui se mettent à sillonner le Québec afin de réaliser des films se voulant pédagogiques. Il n’en demeure pas moins que la majorité des films alors tournés et projetés au Québec sont pilotés par des équipes de production étrangères. À cette même époque paraît la première «revue générale» francophone dédiée aux vues animées, Le Panorama (1919-1921)5. Ce périodique montréalais, qui se revendique (dès son sous-titre) comme «le seul magazine en langue française consacré aux Vues Animées», véhicule cependant du contenu traduit de l’anglais et orienté principalement vers le cinéma états-unien. Lorsque vient le temps d’évoquer dans le détail des vues animées, la rédaction du Panorama fait mention de manière presque systématique de l’«auteur du scénario» (sans jamais pour autant parler de «scénariste») et du «directeur» (un calque de l’appellation anglaise «director» qui désigne celui que l’on nomme aujourd’hui «réalisateur»). Des paragraphes coiffés du titre «Scénario» relatent sommairement les grandes lignes de l’histoire des films dont il est alors question. Le ton du périodique est enthousiaste à l’égard du cinéma. On accorde une grande importance aux «étoiles de l’écran» du moment, comme en témoignent les pages couvertures des numéros, chacune consacrée à une célébrité différente: Mary Miles Minter, Harold Lloyd, Larry Semon, Bebe Daniels, etc. À l’intérieur des parutions, on souligne avec ferveur l’apport de ceux que l’on désigne comme «producteurs» – tels Thomas H. Ince et Cecil B. DeMille – au développement du cinéma en tant que forme artistique. Dans ce contexte rédactionnel, en phase avec la structure de production cinématographique qui prévaut à l’époque aux États-Unis, l’auteur du scénario et le «directeur» se tiennent en retrait du producteur. On trouve cependant ici et là, dans les pages du Panorama, de courts billets humoristiques traitant explicitement du texte scénaristique (fig. 1 et 2).

    Certes sur le mode de la dérision, ce type de billets témoigne néanmoins de la conception industrielle qui entoure le scénario au moment où la revue voit le jour et instruit le

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