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Le misérable petit tas de secrets d’un père
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Le misérable petit tas de secrets d’un père
Livre électronique504 pages3 heures

Le misérable petit tas de secrets d’un père

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À propos de ce livre électronique

Albert Modiano est le père du romancier Patrick Modiano. Ce dernier en parle souvent dans ses romans. Ayant rompu tous liens avec son fils, le destin troublant de cet homme mérite qu’on s’y arrête. Tous les biographes de l’écrivain ont rarement essayé de cerner la véritable personnalité de ce père. Retracer son existence permet de découvrir le « misérable petit tas de secrets » d’un personnage romanesque et déconcertant, mais aussi d’explorer sous un nouveau jour l’œuvre de Patrick Modiano.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Président de l’Institut Eugène Le Roy, Guy Penaud est chevalier de la Légion d’honneur, chevalier des Arts et Lettres et historien. Dans cet ouvrage, il tente de cerner la personnalité et le destin hors du commun du père du romancier Patrick Modiano, souvent évoqué par ce dernier dans ses romans.
LangueFrançais
Date de sortie10 juil. 2023
ISBN9791037793676
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    Aperçu du livre

    Le misérable petit tas de secrets d’un père - Guy Penaud

    Une jeunesse difficile

    Albert Rodolphe Modiano est né le 22 janvier 1912 à Paris (IXe arrondissement) au domicile parental, un bel immeuble de pierre de six étages, construit 6, square Pétrelle, au fond de ce qui n’est qu’une impasse ouverte en 1902. On y accède par la rue du même nom.³

    Son acte de naissance, conservé au Service de l’état civil de la mairie du IXe arrondissement de Paris, est ainsi rédigé :

    « L’an mil neuf cent douze, le vingt-quatre janvier à deux heures du soir.

    Acte de naissance de Albert Rodolphe Modiano, du sexe masculin, né le vingt-deux janvier courant à huit heures du soir, chez ses père et mère, 6 square Pétrelle ; fils de Jacob Modiano, âgé de quarante-quatre ans, négociant, et de Henriette Lévy, âgée de trente-sept ans, sans profession, mariés.

    Dressé par nous, Jean-Frédéric Roux, adjoint au maire, officier de l’état civil du neuvième arrondissement de Paris, sur la présentation de l’enfant et la déclaration du père, en présence de : Sabatino Cohen, âgé de trente-sept ans, perceur de pierres fines, 34 rue Rodier, et de Raphaël Dessigno, âgé de trente-trois ans, voyageur de commerce, 6 rue Seveste, qui ont signé avec le déclarant et nous, après lecture. »

    Ses parents, Jacob (il fut aussi prénommé Jacques dans divers actes administratifs), Modiano et Henriette Lévy, s’étaient mariés le 30 janvier 1905 à Paris (IXe). La publication des bans avait été faite les 15 et 22 janvier 1905. Le père du marié, Abraham Modiano, avait donné son accord au mariage aux termes d’un acte, établi le 25 décembre 1904, par le grand rabbin de la communauté juive d’Alexandrie (Égypte). Le marié était domicilié 58, rue La Fayette (l’immeuble fait angle avec le passage des Deux-Sœurs), et la mariée 82, rue d’Hauteville, voies situées dans le IXe arrondissement de Paris. Les quatre témoins furent L. Strauss, G. Rothschild et I. Lob, négociants, ainsi que I. Modiano, banquier. Les deux mariés étaient donc de confession juive.

    On notera, avec curiosité, que cette même année 1912 est né, dans le même IXe arrondissement de Paris, un autre « Albert Modiano », précisément le 2 novembre, de Guido et de Corinne Fernandez, domiciliés 63, rue de Dunkerque, déclaration de naissance faite en particulier en présence d’Hector Modiano, employé à la Régie des Tabacs ottomans à Salonique (Turquie) !

    Orphelin à quatre ans, Albert Rodolphe Modiano n’a pas véritablement connu son père, Jacob Modiano (1867-1916). Celui-ci était un aventurier. Juif sépharade d’Alexandrie (Égypte), il est né en Salonique (aujourd’hui Thessalonique, en Grèce) le 3 avril 1867 d’Abraham Modiano et Gioia Serano. Sans que l’on puisse être plus précis, il aurait été marié en premières noces à une nommée Cattaui, d’une famille d’origine égyptienne. Après une première vie, au début de 1890, à Caracas, au Venezuela, où il s’intéressa au commerce de perles de l’île Margarita et où il dirigea un bazar, Jacob s’était établi, en 1903, comme antiquaire à Paris, 5, rue de Châteaudun (IXe). On trouve aujourd’hui à cette adresse un coiffeur, Pomme cannelle, un institut de beauté, L’Île de Beauté, et un restaurant, Le Podium. À Paris, il était inscrit au consulat d’Espagne en tant que sujet espagnol.⁴ En effet, il faut savoir que les autorités espagnoles considéraient les Séfarades de Thessalonique, descendants des Juifs vivant en Espagne avant 1492, avec beaucoup de bienveillance. En 1924, le gouvernement de Miguel Primo de Rivera (1870-1930) ne leur avait-il pas accordé systématiquement la nationalité espagnole ? Curieusement, Patrick Modiano signale⁵ qu’il conserve plusieurs passeports de son grand-père, mais aussi un certificat, dressé à Caracas en 1894, attestant qu’il était membre de la Société protectrice des animaux.

    On ignore les circonstances et le lieu précis de la disparition de Jacob Modiano. Certes, les tables décennales de la mairie du Xe arrondissement de Paris⁶ font mention du décès le 10 juillet 1916 – quelques jours après le déclenchement de la bataille de la Somme, l’affrontement le plus sanglant de la Grande Guerre –, d’un nommé Jacob Madiano (sic), qui semble être le même personnage. Mais on ne trouve aucune trace de la mention de sa mort dans les actes de décès de l’année 1916 des mairies des IXe ou Xe arrondissements de Paris. En revanche, dans L’Univers israélite n° 46 du 21 juillet 1916, il est fait mention du décès de « Jacob Modiano, 49 ans, cité d’Hauteville, 3 ». Et le journal Le Temps, daté du 12 juillet 1916, annonce que : « Les obsèques de M. J. Modiano se feront mercredi 12 du courant réunion à trois heures et demie, cité d’Hauteville, 3. Ni fleurs ni couronnes. »

    La mère d’Albert Rodolphe Modiano, Henriette Lévy, est née le 1er juillet 1874 à Saint-Pierre-lès-Calais, ancienne commune absorbée par Calais (Pas-de-Calais) en 1885, de William Lévy, fabricant de tulle, et d’Emma Goldstein, demeurant route de Boulogne à Saint-Pierre-lès-Calais⁷. Elle appartenait, selon Patrick Modiano, « par son père, à une famille juive anglo-américaine, et par sa mère à une famille juive de Francfort. »

    On notera que si le père d’Albert Rodolphe Modiano est né à l’étranger (à Salonique, en Grèce), en revanche, sa mère, Henriette Lévy, est née en France (à Saint-Pierre-ès-Calais). Ce fait a son importance, car selon les dispositions de la loi du 26 juin 1889, la nationalité française pouvait être reconnue à toute personne née en France dont au moins l’un des parents était également né en France. Albert Rodolphe Modiano était donc de nationalité française, grâce à sa mère.

    Il fut élevé à Paris par sa mère dans un certain abandon, avec sa sœur aînée, Stella Yvonne, née le 27 novembre 1907 à Paris, rue La Fayette, et son jeune frère cadet, Elia Raphaël, dit « Ralph », né le 19 novembre 1913 à Paris, square Pétrelle (IXe), d’abord à cette adresse, puis cité d’Hauteville (Xe). Cette voie publique du quartier de la porte Saint-Denis en forme de T se terminait en impasse contre le mur de clôture de l’ancienne prison Saint-Lazare ; elle débute au 82, rue d’Hauteville et se termine au 51, rue de Chabrol. À cette adresse se trouvait anciennement l’immeuble du Grand Occident de France, ligue antisémite et antimaçonnique française créée par Jules Guérin (1860-1910), journaliste antidreyfusard, antisémite et anti-franc-maçon. Il y soutint, avec une douzaine d’hommes armés, du 13 août au 20 septembre 1899, un siège mémorable contre la police, à l’issue duquel elle finit par les arrêter. D’où l’expression « fort Chabrol ».

    Est-ce un hasard si, dans Catherine Certitude, Patrick Modiano évoque une danseuse française, installée à New York (USA), qui se souvient de son enfance entre une mère elle-même danseuse (Louisa Colpeyn, la mère de l’écrivain, le fut dans sa jeunesse) et un père, prénommé Albert (comme le père de l’écrivain), qui négocie des « affaires commerciales » d’une légalité parfois douteuse (comme Albert Rodolphe Modiano), à Paris, rue d’Hauteville ? Or, on se rappelle que la Cité du même nom débute au n° 82. En outre, dans Un pedigree, le romancier cite les « Établissements Gérin », « 74, rue d’Hauteville », dirigés par son oncle Ralph. À cette adresse furent domiciliés, au moins jusqu’à la guerre 14-18, un négociant en fournitures pour modes, de confession juive, Eugène Israël Lion, et, plus tard, son parent Jacques Lion (1888-1944). Industriel et grand bibliophile, ami très proche d’Anatole France (1844-1924), Jacques Lion fut arrêté le 5 mai 1944 à Lyon. Il avait commis l’imprudence de quitter sa résidence du Buzançais pour se rendre auprès de sa fille qui allait accoucher. Il est mort à Auschwitz (Pologne) le 2 juin 1944. Jacques Lion ne figure pourtant pas dans le livre Mémorial des déportés de France.⁹ Toutefois, il est mentionné dans le Journal Officiel du 17 mai 2008 comme étant bien mort en déportation le 2 juin 1944 à Auschwitz¹⁰.

    Dans Livret de famille, Patrick Modiano a écrit que sa grand-mère, en 1917 (c’est-à-dire après le décès de son mari), les Allemands bombardant alors Paris, avait emmené ses trois enfants du côté d’Enghien-les-Bains (Val-d’Oise), chez l’un de ses parents, un certain James Lévy, qui fut arrêté un jour et disparut. Mais « est-ce du côté d’Enghien, d’ailleurs ? » s’est demandé Patrick Modiano¹¹. Quant au nommé James Lévy, aucune trace de ce personnage dans le livre Mémorial des déportés de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation, ou dans le Journal Officiel.

    Albert Rodolphe Modiano ne passa pas le baccalauréat¹², même s’il fut un temps pensionnaire au collège Chaptal, 45, boulevard des Batignolles dans le VIIIᵉ arrondissement, en face de la station du métro Rome et des voies ferrées de la gare Saint-Lazare. Il y fut pensionnaire : « Même le samedi et le dimanche », aurait-il confié plus tard à son fils. En outre, celui-ci a écrit : « S’il attachait tant d’importance aux études, c’est que lui n’en avait pas fait et qu’il était un peu comme ces gangsters qui veulent que leurs filles soient éduquées au pensionnat par les frangines ».¹³

    Le goût des affaires

    Abandonnant prématurément ses études, Albert Rodolphe Modiano fut dans sa jeunesse, étant encore mineur (il avait à peine 15 ans !), à la tête d’opérations financières qui tournèrent mal.

    « Un jour, mon père m’avait confié, a écrit Patrick Modiano, qu’il fréquentait lui aussi, à dix-huit ans, le quartier des Écoles. Il avait tout juste assez d’argent pour prendre en guise de repas un café au lait et quelques croissants au Dupont-Latin, établissement situé boulevard Saint-Michel, à l’angle de la rue des Écoles (VIe). Les serveurs de ce café avaient des vestes blanches, des pantalons noirs et des nœuds papillon. Des fauteuils et des chaises en rotin accueillaient les nombreux consommateurs. C’était le lieu de rendez-vous des zazous parisiens des années 1930. Cheveux longs quand l’heure était aux crânes rasés des militaires, vêtements trop longs, parapluie fermé toujours à la main pour montrer qu’ils ne se prenaient pas au sérieux, ces jeunes gens provocateurs, pour la plupart issus de familles aisées, revendiquaient leur amour du jazz et leur défiance vis-à-vis des autorités.¹⁴

    Les archives de la Banque nationale de crédit, créée en 1913 (à la suite de la décision prise le 26 février 1932, en assemblée générale extraordinaire, sous les auspices des autorités politiques et des institutions consulaires, sur les décombres de la BNC fut constitué un nouvel établissement le 18 avril 1932, la Banque nationale pour le commerce et l’industrie), et dont le siège social était situé 16, boulevard des Italiens à Paris (IXe), évoquent une partie des activités d’Albert Rodolphe Modiano. En effet, cet établissement bancaire entendait obtenir en justice « la nullité de toutes les opérations effectuées par le demandeur (Albert Rodolphe Modiano) à l’agence de Montparnasse de 1927 à 1932, en raison de son état de minorité. »¹⁵

    En outre, vers 1930, Albert Rodolphe Modiano aurait franchi, paraît-il, en fraude, les octrois ceinturant Paris (ils ne furent définitivement supprimés que par la loi no 379 du 2 juillet 1943 du gouvernement Pierre Laval (1883-1945) portant « suppression de l’octroi à la date du 1er août ») pour se livrer au trafic d’essence, marquant ainsi déjà un certain intérêt pour l’industrie pétrolière.

    Dans le même temps, en 1931 (ou l’année suivante), si l’on en croit Patrick Modiano, il aurait demandé à un directeur de la Banque de Saint-Phalle, dont les bureaux se trouvaient 9, rue Boissy-d’Anglas, dans le VIIIe arrondissement de Paris, de le soutenir pour des opérations « financières ». Ayant usé d’une force de persuasion peu commune, la banque lui aurait accordé sa confiance. Mais cette nouvelle affaire aurait mal tourné, comme beaucoup d’autres l’avaient déjà fait auparavant ou le feront par la suite. Mais est-on certain que les démarches entreprises par Albert Rodolphe Modiano auprès de la Banque de Saint-Phalle, au début des années 1930, sont réelles ? La banque ce nom fondée aux USA fut ruinée à la suite du krach boursier de 1929 et Alexandre de Saint-Phalle ne créa, en France, qu’en 1941, la banque en nom collectif sous la dénomination Société Alexandre de Saint-Phalle et Cie au 9 de la rue Boissy d’Anglas à Paris. Peut-être Patrick Modiano fut-il inspiré, lorsqu’il fit état d’une banque de ce nom, par Catherine dite « Niki » de Saint-Phalle (1930-2002), fille d’André Marie Fal de Saint-Phalle (1906-1967), artiste en vogue dans la seconde moitié du XXe siècle ?

    Est-ce dans le cadre de ces opérations qu’Albert Rodolphe Modiano aurait séjourné, en 1933, à plusieurs reprises à Londres, lors de la création de la société Bravisco Limited qui fut enregistrée le 17 mars de cette même année ? Cette société possédait une usine à Leather (comté de Surrey, en Angleterre) pour fabriquer des fils en viscose. D’abord appelée « soie artificielle », puis « rayonne » en 1924, la viscose avait été créée pour répondre à la demande de tissus semblables à la soie, mais plus économiques. Après la crise de 1929, la viscose était devenue plus largement répandue, particulièrement en lingerie. On ignore quel rôle a pu jouer Albert Rodolphe Modiano (il n’avait alors que 21 ans !) au sein de la Bravisco Ltd, société au capital de 125 000 livres dirigée par Sir Sydney Martyn Skinner (1864-1941), président dans son pays, depuis 1922, de la Chambre de commerce du textile et président du célèbre magasin Barkers of Kensington en 1914.

    Après ces premiers échecs, Albert Rodolphe Modiano se serait lancé, toujours selon son fils, dans le pétrole : en effet, il se serait occupé, dans les années 1937-1939, d’affaires liées à l’exploitation du pétrole roumain avec un nommé Enriquez, dans la Société Royalieu. La Roumanie était alors un grand pays producteur de pétrole (le 3e !).

    Mais est-ce bien vrai ?

    Selon les Annales de l’Office des combustibles liquides de 1938, il y avait bien les Établissements S.E. Modiano, ayant leur siège 154, boulevard Haussmann à Paris avec pour dirigeants E.V. Modiano et E. S. Modiano et dont l’objet social était l’importation de « gasoline », mais point de trace d’Albert Rodolphe Modiano, du nommé Enriquez ou de la Société Royalieu.

    Certes, selon son fils, Albert Rodolphe Modiano, alors qu’il était en garnison à Angoulême en 1939 ou 1940, se serait fait adresser par son frère Ralph le périodique Le Courrier des Pétroles. Mais aucune trace d’un certain Enriquez ni d’une Société Royalieu dans les archives commerciales françaises n’a été retrouvée. Seul lien hypothétique : la société Royal Dutch et le général Alberto Enriquez Gallo (1894-1962), nommé, le 23 octobre 1937, par les militaires, chef suprême de l’Équateur, pays producteur de pétrole. Simple coïncidence ou élément déclencheur de l’intérêt d’Albert Rodolphe Modiano pour le pétrole, le deuxième Congrès mondial du pétrole, organisé par l’Association française des techniciens du pétrole, siégea à Paris du 14 au 19 juin 1937.

    « Il parlait avec un léger accent parisien – celui de la cité d’Hauteville –, et il employait, de temps en temps, des mots d’argot. Mais il pouvait inspirer confiance à des bailleurs de fonds, car son allure était celle d’un homme aimable et réservé, de haute taille, et qui s’habillait de costumes très stricts. » Pour les affaires, oubliée l’allure des zazous.¹⁶

    Portant beau, il retrouvait alors ses amis au nouveau restaurant de l’hôtel Bohy-Lafayette, square Montholon (IXe), dont la majestueuse entrée principale était surmontée d’un élégant dôme coiffé d’un clocheton, ou aux bars du faubourg Montmartre, le Luna Park et le Cadet, sans doute non loin de la rue Cadet (IXe), où se trouvent les Temples du Grand Orient de France.

    L’ancien préfet Gérard Bélorgey (1933-2015) a évoqué ces années un peu folles : « Il était, dans les années trente, de ces jeunes gens des Boulevards avec beaucoup d’idées, de projets, de blagues et peu d’argent, côte à côte, sur des photos pâlies, le copain préféré de mon père, débarquant ensuite souvent rue de Charonne où mes parents demeurèrent un moment. Si copains que Maurice Bélorgey (1911-1976) le choisit, lui, Albert Modiano, pour être mon parrain. »¹⁷

    De ce fait, est-ce un hasard si Patrick Modiano évoque dans l’un de ses romans, Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, la rue de Charonne (Paris XIe), où demeurait une intrigante jeune femme, à la robe de satin noir ornée d’hirondelles jaunes, aux activités « spéciales », Chantal Grippay ?

    Enfin, Albert Rodolphe Modiano serait devenu, juste avant la guerre, si l’on en croit également son fils Patrick, gérant d’une boutique de bas et de parfums, située 71, boulevard Malesherbes à Paris (XVIIe). L’immeuble est situé, à mi-chemin entre le parc Monceau et la gare Saint-Lazare. On trouve aujourd’hui à cette adresse une agence immobilière, L’Immobilier International, et une boutique de cigarettes électroniques Vapostore.

    Pendant toutes ces périodes, Albert Rodolphe Modiano aurait fréquemment changé de lieux d’habitation : un manège du bois de Boulogne dont l’écuyer était l’un de ses amis d’enfance, en 1937 au dernier étage d’un immeuble de couleur sable avec des fenêtres-hublots du boulevard d’Inkermann à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine), en 1939 une chambre au 33, de la très chic avenue Montaigne (VIIIe) – habitait à cette adresse Fernand Vandérem, auteur dramatique, romancier et critique littéraire (1864-1939) –, une autre chambre à l’hôtel Terminus, près de la gare Saint-Lazare, qu’il aurait quittée sans payer (cet hôtel est devenu aujourd’hui le Hilton Paris Opera, 108, rue Saint-Lazare (VIIIe)), un appartement rue Frédéric-Bastiat (VIIIe), une pension de famille de la rue Roquépine (VIIIe) et peut-être une chambre dans l’hôtel Victor-Emmanuel III (aujourd’hui hôtel Beauchamps), 24, rue de Ponthieu (VIIIe), tous ces derniers logis étant situés à Paris.

    Cette errance frénétique dénote une certaine instabilité, peut-être un besoin de brouiller les pistes, alors qu’il cherchait sa voie, peut-être soucieux d’échapper à ses créanciers ou de trouver un bon filon dans le monde des affaires.

    À la même époque, sa mère, née Henriette Lévy, est décédée. Non pas « en 1937 dans une pension de famille de la rue Roquépine où il (Albert Rodolphe Modiano) avait logé quelque temps avec son frère Ralph », comme l’a écrit Patrick Modiano dans Un pedigree¹⁸, mais le 22 février 1938 à Clichy (La Garenne) (Seine, aujourd’hui Hauts-de-Seine), 106, boulevard de Lorraine. C’était alors l’adresse du nouvel hôpital Beaujon. L’acte de décès mentionne, en revanche, qu’elle était

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